2. La naissance d'un géant
L'opération donnera naissance à une entreprise de
premier plan. Elle crée un « champion national »
plus musclé mais elle est aussi une étape importante, parfois
décisive, vers le regroupement des forces européennes. Le total
du
chiffre d'affaires du groupe
en 1997 peut, en effet, être
estimé à 13 milliards d'euros (85 milliards de francs)
se décomposant en :
9,9 milliards d'euros de chiffres d'affaires pour
Aérospatiale
24(
*
)
,
3,1 milliards d'euros de chiffres d'affaires pour Matra Hautes Technologies.
La répartition du chiffre d'affaires du nouveau groupe serait
caractérisée par un ressaut de la part Espace-Défense par
rapport à la situation actuelle d'Aérospatiale.
Répartition du chiffre d'affaires du groupe
Aérospatiale Matra Hautes Technologies
au titre de l'année 1999
Source : Crédit Lyonnais Securities Europe
Le
pôle aéronautique
resterait prédominant (56 % du
chiffre d'affaires), organisé autour d'Airbus (40 % du chiffre
d'affaires), de Dassault Aviation (8,4 % du chiffre d'affaires), le reste
(7,8 % du chiffre d'affaires) résultant de l'activité de
maintenance et des appareils d'ATR.
Le pôle Espace Défense
représenterait quant à
lui 31 % du chiffre d'affaires du groupe se décomposant entre :
les missiles (16,4 % du chiffre d'affaires total) ;
les lanceurs (4,3 % du chiffre d'affaires total) ;
et les satellites (10,2 % du chiffre d'affaires total) ;
Les apports en provenance de Matra Hautes Technologies concernent
essentiellement cette portion du chiffre d'affaires du nouveau groupe. Il
convient donc de s'y attarder un peu.
Le tableau ci-après récapitule l'évolution récente
du chiffre d'affaires des activités
missiles
d'Aérospatiale et de Matra Hautes Technologies respectivement.
Evolution du chiffre d'affaires missiles balistiques 1
|
1995 |
1996 |
Var (%) |
1997 |
Var (%) |
1998 |
Var (%) |
1999 |
Var (%) |
2000 |
Var (%) |
En M€ |
326 |
238 |
- 27 |
213 |
- 11 |
209 |
- 2 |
197 |
- 6 |
224 |
14 |
En MF |
2.155 |
1.570 |
- 27 |
1.405 |
- 11 |
1.380 |
- 2 |
1.300 |
- 6 |
1.480 |
14 |
1)
Aérospatiale seule.
Source : CLSE
Evolution du chiffre d'affaires missile tactiques
|
1995 |
1996 |
Var (%) |
1997 |
Var (%) |
1998 |
Var (%) |
1999 |
Var (%) |
2000 |
Var (%) |
Aérospatiale (M€) |
621 |
584 |
- 6 |
485 |
- 17 |
575 |
18 |
605 |
5 |
635 |
5 |
Matra Bae (M€ ) |
607 |
923 |
52 |
1.162 |
26 |
1.256 |
8 |
1.180 |
- 6 |
1.256 |
6 |
Aérospatiale (MF) |
4.107 |
3.860 |
- 6 |
3.208 |
- 17 |
3.800 |
18 |
4.000 |
5 |
4.200 |
5 |
Matra Bae (MF) |
4.010 |
6.101 |
52 |
7.683 |
26 |
8.300 |
8 |
7.800 |
- 6 |
8.300 |
6 |
Source : CLSE
Etant entendu qu'Aérospatiale disposait d'une responsabilité
exclusive en matière nucléaire, l'évolution
comparée du chiffre d'affaires des deux entreprises venant des missiles
tactiques a vu le déclin, sans doute transitoire,
25(
*
)
de cette activité chez
Aérospatiale et son essor chez MHT.
La fusion des actifs des deux entreprises se traduira par un renforcement
substantiel de la position du groupe qui devra, toutefois, régler les
problèmes de coexistence des missiles concurrents Otomat et Exocet.
Récapitulatif des caractéristiques des missiles tactiques
produits par Matra BAe Dynamics
Famille |
Nom |
Concurrents |
Destination |
Air/Air |
Mica
|
Amraam
|
Combat
aérien toutes distances
|
Air/Sol |
Apache
|
Taurus
|
Bombardement distance sécurité
|
Sol/Air |
Mistral |
Stinger SA7 Starburst |
Anti-aérien courte portée |
Mer/Mer |
Otomat |
Exocet |
Anti-navire |
Source : Groupe Lagardère
Récapitulatif des caractéristiques des missiles tactiques produits par Aérospatiale
Famille |
Nom |
Destination |
Anti-char |
Milan
|
Anti-char pour fantassin
|
Air/Sol |
AS30
|
Bombardement guidé laser
|
Anti-aérien |
Roland
|
Anti-aérien c ourte portée
|
Anti-missile |
Aster |
Anti-missiles moyenne portée |
Anti-navire |
Exocet
|
Anti-navire longue portée
|
Source : Aérospatiale
En ce qui concerne les satellites
, l'intégration des actifs de
MHT dans Aérospatiale aura pour effet de rétablir cette
activité dans le futur groupe, malgré les arrangements ayant
accompagné la cession du portefeuille satellites d'Aérospatiale
à Thomson (v.supra).
Evolution du chiffre d'affaires satellites
|
1995 |
1996 |
Var (%) |
1997 |
Var (%) |
1998e |
Var (%) |
1999e |
Var (%) |
2000e |
Var (%) |
Aerospatiale (M€) |
406 |
760 |
87 % |
51 |
- 32 % |
0 |
NS |
0 |
NS |
0 |
NS |
MMS (M€) |
1.025 |
1.276 |
24 % |
1.281 |
0 % |
1.271 |
- 1 % |
1.377 |
8 % |
1.437 |
4 % |
Aerospatiale (MF) |
2.685 |
5.024 |
87 % |
3.421 |
- 32 % |
0 |
- 100 % |
0 |
NS |
0 |
NS |
MMS (MF) |
6.777 |
8.437 |
24 % |
8.465 |
0 % |
8.400 |
- 1 % |
9.100 |
8 % |
9.500 |
4 % |
Cette
partie du dossier a d'ailleurs été à la source de vives
tensions entre industriels qui, n'étant pas l'objet de ce rapport ne
seront pas développés ici sinon pour mentionner à nouveau
que, dans le cadre de l'accord préparatoire à la fusion
Aérospatiale-MHT, le sort de la participation d'Aérospatiale dans
Thomson CSF devrait être résolu provisoirement par un transfert au
profit de l'Etat. On relèvera à ce stade que cette participation
ayant pu être évaluée à 1,5 milliard de francs,
« l'appauvrissement » d'Aérospatiale
consécutif à la solution choisie a favorisé la conclusion
de l'accord avec Lagardère SCA sans garantie que l'Etat puisse valoriser
cette participation sur une base équivalente dans un futur proche.
On le voit, la logique industrielle du rapprochement Aérospatiale-MHT
est satisfaisante dans l'ensemble. Elle peut toutefois faire l'objet
d'appréciations nuancées sur tel ou tel point.
En premier lieu, on ne peut que constater la variabilité du degré
de cohérence des actifs rapprochés. Incontestable et intense pour
les missiles, cette cohérence apparaît moins évidente pour
les satellites dont Aérospatiale vient de se dégager, et douteuse
s'agissant du pôle télécommunications de MHT.
La cohérence industrielle du futur ensemble doit toutefois être
également appréciée globalement.
Sous cet angle, le nouveau groupe sera en premier lieu le seul groupe
européen à maîtriser l'ensemble des douze métiers de
l'aéronautique et de la défense.
Comparaison des segments de marché des industriels
européens
|
Aérospatiale |
Matra BAe |
Aérospatiale MHT |
Dasa |
BAe |
Dasa BAe |
Avions commerciaux |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Avions d'affaires |
Oui |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Avions de combat |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Avions mil (hors combat) |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Hélicoptères |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Missiles tactiques |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Missiles balistiques |
Oui |
Non |
Oui |
Non |
Non |
Non |
Missiles air air |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Lanceurs spatiaux |
Oui |
Non |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Satellites |
Non |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Infras.spatiales |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Non |
Oui |
Electronique |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Oui |
Source : estimations CLSE
A ce
stade il faut relever qu'au-delà d'une agglomération bienvenue
d'actifs nationaux, la fusion entre Aérospatiale et MHT apporte
également une contribution importante à une plus grande
intégration de l'industrie européenne.
Si l'apport de Lagardère SCA à Aérospatiale n'a aucun
impact direct sur le plan de l'aéronautique pure, il n'en va pas de
même pour les missiles, activité dont les liens avec les
programmes aéronautiques sont étroits, et pour les
activités spatiales.
En soi, le regroupement des actifs des deux entreprises constitue
déjà, du fait de leurs tailles respectives, une importante
avancée sur le chemin de l'union des forces en Europe. Mais, il y a
plus. Chacune des deux entreprises étant liée par des
coopérations plus ou moins étroites avec des partenaires
européens, le regroupement de leurs activités est susceptible
d'élargir le réseau des actifs mis en commun en Europe.
En ce qui concerne l'espace, la fusion aura pour effet de constituer une
entité puissante.
Classements des industriels mondiaux fabricants de satellites
(en % de chiffre d'affaires)
Lockheed Martin |
31,2 |
MMS Dasa |
17,9 |
Hugues |
16,7 |
Alcatel Thomson |
14,2 |
TRW |
10,8 |
Loral |
9,1 |
Source : Euroconsult
Le nouveau groupe qui apparaît en particulier comme le deuxième
fabricant de satellites au monde toutefois loin derrière le premier
d'entre eux, alliera à cette activité qui pourrait être
encore plus concentrée à l'avenir une position très forte
dans les lanceurs.
Les résultats des activités espace
(en millions d'euros)
|
Au 31 décembre 1998 |
|
|
|
Quote-part du Groupe pro forma |
Prises de commandes |
1.939 |
10,8 % |
Carnets de commandes |
3.226 |
9,1 % |
Chiffre d'affaires |
1.524 |
12,4 % |
Résultat d'exploitation |
90 |
18,2 % |
Salariés |
6.220 |
11,9 % |
Cette
entité est, de plus, conduite en partenariat avec des industriels
étrangers à travers Matra Marconi Space (MMS) dont le
réseau d'alliances s'est étendu fin 1998.
Les sociétés Lagardère SCA, GEC et DASA ont en effet
conclu, le 23 décembre 1998, un accord relatif à la fusion
des activités de MMS et des filiales de DASA dans le secteur spatial
(DASA Raumfahrt-Infrastruktur et Dornier Satellitensysteme). Cette fusion
devrait créer un nouveau groupe intégré détenu de
manière paritaire en termes de droits de vote, MMS détenant
toutefois la majorité des droits économiques.
Le même jour, un accord de principe a également été
signé avec le groupe Finmeccanica pour la fusion du nouvel ensemble avec
la division espace Alenia Spazio.
A l'issue de l'ensemble des opérations projetées,
la
nouvelle entité sera la première entreprise spatiale
européenne avec un chiffre d'affaires supérieur à
2,7 milliards d'euros.
Le succès de ces différents opérations consacrerait donc
l'union des industries spatiales de l'Europe occidentale.
Ces heureuses perspectives appellent toutefois quelques observations.
Dans l'espace, l'accord conclu avec Finmeccanica n'étant qu'un accord de
principe, il reste à vérifier qu'il sera bien suivi d'effets, ce
qui peut supposer quelques turbulences.
De plus, il faut remarquer que la fusion entre BAe et GEC a pour effet de
substituer la première de ces entreprises à la seconde dans la
société commune MMS. Il reste, là aussi, à
vérifier que cette substitution d'actionnaires n'aura pas d'impact
négatif sur une coopération qui jusqu'alors concernait des
entreprises plus complémentaires que concurrentes.
Plus généralement, il convient de souligner que les actifs
apportés à Aérospatiale par MHT sont des actifs qui, pour
l'essentiel, sont cogérés avec British Aerospace depuis la fusion
entre Bae et GEC. Cette donnée pose la question de la mesure dans
laquelle les choix stratégiques de la future Aérospatiale-MHT
pourront se concilier avec les choix de BAe.
Enfin et surtout, la fusion n'a pas pour effet d'unifier l'industrie
aéronautique nationale puisqu'elle ne regroupe pas l'ensemble des actifs
concernés. De ce point de vue, la France conserve un certain retard sur
le Royaume-Uni, si bien que des étapes ultérieures devront
être franchies.