2. L'évaluation des actifs
Un
autre conflit latent est apparu, sans être examiné au fond, celui
portant sur la valorisation des actifs apportés par les
différents industriels, valorisation constituant en elle-même une
variable décisive pour déterminer les droits des actionnaires
dans la future entreprise unifiée.
En effet, si les industriels ont posé le principe selon lequel les
actionnaires actuels des sociétés partenaires devraient pouvoir
conserver au moins la valeur complète de leurs parts, ce principe
demande à être complété par des réponses
apportées à la question des méthodes de valorisation de
ces actifs.
Or, l'exigence posée par BAe de voir retenue pour évaluer ses
apports la capitalisation boursière de l'entreprise, concept non
extensible à DASA qui n'est pas cotée ni « a
fortiori » à Aérospatiale et à CASA, entreprises
encore publiques alors, était susceptible de susciter nombre
d'objections compte tenu de son aspect exagérément simplificateur.
Une telle méthode d'évaluation n'est en général pas
de mise dans les mariages préparés à l'avance,
c'est-à-dire dans les unions qui ne résultent pas d'une
volonté agressive d'absorber l'un des partenaires.
L'exemple de la fusion entre Aérospatiale et MHT -v. infra-
démontre que dans des opérations consensuelles, il est tenu
compte de l'ensemble des paramètres significatifs de la valeur des
apports et, en particulier, de la capacité de chacun à produire
des liquidités évaluée dans le temps. La signification
d'un cours de bourse à un instant donné n'apparaît en effet
que relative (v. supra, l'exemple de Boeing).
Une démarche fondée sur d'autres variables s'impose tout
particulièrement en l'espèce en ce sens que deux des principaux
acteurs concernés n'ont pas de « vécu
financier » autonome. La cotation d'Aérospatiale n'est en
effet acquise que depuis peu et ne saurait refléter le potentiel de
l'entreprise qui, appartenant au secteur public, n'a pas été
gérée selon les canons des entreprises privées du secteur.
Quant à DASA, elle fait partie, comme indiqué plus haut d'un
groupe beaucoup plus vaste.
Il reste fondamentalement à s'interroger sur les méthodes
d'évaluation des actifs qu'il faudrait suivre pour assurer une
distribution convenable des droits dans le futur ensemble aux
propriétaires des entreprises actuellement séparées.
Toute méthode fondée sur les performances financières
comparées des entreprises est de nature à introduire des
contestations sans fin compte tenu de la diversité des profils des
entreprises modelés par des activités diverses et des modes de
gestion qui s'ils tendent à s'uniformiser sont longtemps restées
disparates. Par ailleurs de tels critères déboucheraient en
l'état sur des déséquilibres difficilement compatibles
avec le principe d'équilibre de l'union.
Une parité de chiffres d'affaires dans de nombreux secteurs pourrait en
effet s'accompagner d'une profonde inégalité des droits dans le
nouvel ensemble.
Il faut donc, pour satisfaire le principe d'équilibre posé par
les autorités politiques européennes, et sans lequel les projets
d'intégration européenne sont insusceptibles d'aboutir pour le
plus grand dommage de chaque entreprise et de la capacité de puissance
de l'Europe, inventer des mécanismes équitables et rassurants
pour chacun.
Il ne s'agit pas d'imaginer une distribution du capital étrangère
aux valeurs comparée des actifs.
En revanche, il faut s'assurer de l'équité de l'exercice de
valorisation, ce qui suppose un arbitrage impartial.
A
ce propos, une question très importante doit être
résolue, celle de la contribution des différents modes de gestion
de flux publics destinés à l'industrie aéronautique aux
performances de chaque entreprise
. Les perspectives d'harmonisation des
modes de gestion des soutiens publics et des commandes publiques, en
particulier miliaires -v. infra- doivent être prises en compte dans
l'évaluation des entreprises afin d'éliminer les écarts de
performances qui pourraient trouver leur origine dans des pratiques
inégalement favorables.
Les corrections d'estimation qui pourraient en résulter sont
susceptibles d'atteindre des niveaux importants comme l'a montré la
clarification en cours des relations financières entre DASA et l'Etat
allemand.
Il faut aussi tenir compte d'une situation de départ dont les
déséquilibres éventuels pourraient provenir de
caractéristiques structurelles non récurrentes ou en voie de
correction. A cet effet, une période transitoire d'observation des
performances de chacun pourrait être ménagée au terme de
laquelle des ajustements capitalistiques interviendraient.
Un mécanisme également transitoire de dissociation des droits
financiers et de décision concernant des sujets limitativement
énumérés d'intérêt stratégique
pourrait enfin être introduit pour atténuer les
conséquences d'un partage inégal des droits dans le capital de la
nouvelle entreprise.