3. Des « personnalités » hétéroclites
L'une
des difficultés majeures des consolidations aéronautiques
consiste à unir des entreprises aux cultures dissemblables. La nature
des activités, les méthodes de travail, les orientations
stratégiques sont susceptibles de varier considérablement d'une
entreprise à l'autre.
Ce qui est vrai des entreprises d'un même pays l'est
a fortiori
lorsque les entreprises appartiennent à des espaces politique et
culturel différents. Il suffit de songer à la diversité
des langues en Europe pour mesurer la particularité des obstacles
rencontrés pour aboutir à l'union de l'aéronautique
européenne.
Sous bien des angles, les entreprises européennes présentent des
caractères différents.
La situation des entreprises européennes varie beaucoup, d'abord au
regard de la nature de leur activité
.
BAe apparaît comme essentiellement tournée vers les métiers
de la défense quand Aérospatiale a une vocation Airbus
affirmée, un peu atténuée depuis la fusion avec MHT,
partagée à un moindre degré par DASA.
Chiffre d'affaires généré par Airbus en
1997
pour les trois grandes sociétés
(en millions de francs)
Aérospatiale |
27.025 |
BAe (1) |
13.387 (1) |
DASA (1) |
14.383 (2) |
(1)
Sur la base d'une livre britannique = 9,80 francs.
(2) Sur la base d'un DM = 3,36 francs.
Les données du tableau ci-dessus en témoignent. Elles indiquent
aussi qu'en marge des règles de retour à chaque industriel au
sein du GIE Airbus -voir supra-, il existe une disproportion entre les chiffres
d'affaires générés par Airbus chez Aérospatiale et
DASA au profit de la première quand, pourtant, les deux entreprises ont
des droits équivalents dans le consortium (37,9 %).
Cette situation est d'ailleurs à l'origine de différents conflits
dont l'un, important, tient aux divergences d'intérêt qu'elle fait
naître entre les partenaires. On sait, en effet, que les entreprises du
GIE bénéficient de deux types de rémunérations du
fait de leur participation dans Airbus : l'une qui provient des ventes au
consortium qu'elles réalisent ; l'autre qui provient de la
redistribution des profits du consortium en fonction de leurs droits sociaux.
Les entreprises dont l'activité au profit du GIE est proportionnellement
supérieure à leurs droits dans Airbus ont intérêt
à pratiquer les prix de cession les plus élevés alors que
la situation inverse prévaut pour les autres.
En tout cas, la dépendance de chaque entreprise par rapport à
Airbus est très variable comme le montre le tableau ci-après
réalisé avant les opérations Aérospatiale-MHT et
BAe-GEC.
Part
du chiffre d'affaires Airbus dans le total du chiffre d'affaires
des trois
grandes sociétés en 1997
Aérospatiale |
48 % |
BAe |
16 % |
DASA |
28 % |
Cette inégalité de dépendance sous l'angle du volume d'activité n'est pas démentie lorsqu'on examine les contributions aux résultats.
Éléments relatifs aux résultats
d'exploitations
des trois grandes sociétés (en
1997)
|
Résultat d'exploitation |
Contribution d'Airbus |
|
|
|
Niveau |
en % |
Aérospatiale |
1.066 |
1.131 33( * ) |
106 |
BAe (1) |
5.253 |
|
|
DASA (1) |
1.451,5 |
|
|
Même si sous ce rapport ni DASA ni BAe ne communiquent
les
résultats de leur participation à l'activité d'Airbus, il
n'est guère douteux que, au moins pour BAe, l'ampleur de ceux-ci n'est
pas du même ordre que pour Aérospatiale.
L'on doit toutefois souligner que, depuis la période sous revue est
apparue une certaine « immunisation » de l'entreprise
française face aux évolutions d'Airbus.
Dans le même temps, BAe s'est encore éloignée des
préoccupations attachées à l'industrie commerciale
européenne, si bien qu'au total l'échelle relative de la
dépendance de chaque partenaire à Airbus s'est globalement
maintenue.
Le panorama offert par les industriels pourrait être résumé
à partir des caractéristiques suivantes :
une industrie britannique dominée par une entreprise fortement
orientée vers la défense et intégrée verticalement
(BAe) ;
une industrie française animée par une entreprise à
vocation plus commerciale qui, du fait des concentrations récentes, a
diversifié ses activités (Aérospatiale - MHT) ;
une industrie allemande disposant d'une entreprise au portefeuille
d'activités de dimension très significative et
diversifiées qui doit néanmoins faire des choix
stratégiques ;
des industries, l'espagnole, l'italienne, la suédoise, abritant des
acteurs disposant de savoir-faire incontestables mais sous-dimensionnés
et parfois insuffisamment intégrées aux alliances
européennes.
Différentes par leurs activités, les entreprises
européennes le sont aussi par leur culture managériale.
BAe apparaît de ce point de vue comme l'archétype de l'entreprise
orientée vers la performance financière tandis
qu'Aérospatiale et même DASA avaient moins le souci de la
profitabilité.
Cette situation est certes en voie de profonde modification. L'un des objectifs
prioritaires des dirigeants d'Aérospatiale est d'améliorer la
marge d'exploitation de l'entreprise, objectif qui est aussi depuis quelque
temps une priorité chez DASA.
Les changements de culture rapprochent les modes de gestion des trois
entreprises.
Néanmoins, cette convergence ne pourra être entière. L'un
des facteurs majeurs des écarts de coûts entre les entreprises
européennes résulte du niveau comparé de leur effort de
recherche-développement. En effet, la répartition inégale
des métiers exercés par les entreprises européennes
suppose des contraintes plus sévères pour l'entreprise
française à qui, en particulier, incombe une charge
d'autofinancement de son effort de recherche nettement plus
élevée qu'ailleurs. Cette contrainte est d'ailleurs
renforcée par un contexte où les productions du groupe
français rendent cet effort de recherche relativement plus exigeant.
Il reste que ces contraintes qui doivent être optimisées sont
aussi un atout pour l'industrie aéronautique européenne. Cet
atout doit être pleinement valorisé et à ce sujet, il faut
vérifier si, dans le passé, Aérospatiale a
entièrement répercuté ses coûts à ses
partenaires.