III. CONCURRENCE FISCALE ET POLITIQUE DE REDISTRIBUTION
Notre
attention s'est portée jusqu'à maintenant sur la mobilité
du capital, industriel et financier. Or, même s'il existe des
barrières très fortes à la mobilité des individus,
il est intéressant d'analyser les conséquences de la
fiscalité sur les revenus du travail et sur les migrations entre Etats .
En outre, la mobilité des individus pose la question du niveau optimal
de gouvernement pour entreprendre une politique de redistribution. Cette
question a fait l'objet d'un débat récurrent depuis les travaux
précurseurs de Musgrave (1971) et Oates (1972) qui concluent le plus
souvent à la nécessité de conférer la fonction de
redistribution à un niveau supérieur de gouvernement. Toutefois
des travaux récents montrent qu'une politique de redistribution
décentralisée est possible à condition qu'on laisse aux
gouvernements la possibilité de contrôler leurs flux
migratoires.
A. POLITIQUE FISCALE ET MIGRATION
Pour
illustrer notre propos, nous nous intéressons à une
économie formée de deux pays A et B. Ces deux pays produisent un
même bien en utilisant du capital et du travail. La technologie de
production est à rendements constants, la productivité marginale
des facteurs est décroissante et le capital et le travail sont des
facteurs complémentaires de sorte qu'une augmentation du facteur travail
accroît la productivité du capital.
Si l'on suppose dans un premier temps que le facteur travail est immobile, on
peut imaginer que le niveau de salaire sera différent dans les deux
pays. En revanche, si les salaires sont plus élevés en A qu'en B
et si, pour une raison ou une autre, on peut lever les barrières
à la mobilité du travail, les individus ont intérêt
à quitter le pays A pour aller s'installer en B. Si l'on
considère que les individus cherchent à obtenir le revenu le plus
élevé possible, les migrations entre les deux pays se
poursuivront jusqu'à ce que le taux de salaire soit le même dans
le pays A et B.
Dans ces conditions, les émigrants gagnent à pouvoir se
déplacer tandis que les travailleurs du pays A sont perdants. Les
travailleurs qui restent dans le pays B sont aussi gagnants car leur
productivité, et donc leur salaire, va augmenter en vertu de
l'hypothèse selon laquelle la productivité marginale du travail
est décroissante. Les " capitalistes " du pays A sont gagnants tandis
que ceux du pays B sont perdants. Ces conclusions reposent sur
l'hypothèse que le travail et le capital et le travail sont
complémentaires.
Introduisons maintenant dans le modèle une fiscalité sur les
revenus du travail. On suppose plus précisément que le
gouvernement du pays A taxe les revenus du travail et l'on se propose
d'analyser les implications de cet impôt sur les migrations et les
revenus des travailleurs et des " capitalistes ". Dans ces conditions,
l'émigration va se poursuivre jusqu'au point où le salaire net
d'impôt sera le même dans les deux pays. Si l'on note wA
(respectivement wB) le salaire en A (respectivement en B), et tA le taux
d'impôt en A, alors à l'équilibre, on doit avoir wA - tA =
wB.
L'émigration en provenance du pays B est moins importante qu'auparavant.
Evidemment, les " capitalistes " du pays A sont perdants alors que ceux du pays
B sont gagnants. Les salariés restés en B sont perdants car leur
productivité marginale est plus faible que lorsqu'il n'y avait pas
d'impôt (l'émigration est moins forte). Les travailleurs du pays A
qui y résidaient avant qu'on ouvre les frontières vont voir leur
salaire avant impôt augmenter mais pas suffisamment pour compenser
l'impôt. Les émigrants qui ont quitté le pays B sont encore
gagnants mais le salaire net d'impôt qu'ils vont toucher en A est plus
faible. En définitive, les seuls gagnants dans l'histoire sont le
gouvernement du pays A qui bénéficie de recettes fiscales et les
" capitalistes du pays B.
Cette situation est illustrée sur le graphique suivant. L0
représente l'allocation du travail entre les deux pays en l'absence
d'impôt et L* correspond à l'allocation du travail qui
égalise les salaires nets après impôt dans les deux pays.
PmLA et PmLB sont les productivités marginales du travail et du capital
dans le pays A et le pays B.
Le graphique 2 permet de montrer que :
Le pays B voit sa production totale augmenter de sorte que le supplément
de bien-être des capitalistes de ce pays - qui sont les principaux
bénéficiaires de l'introduction d'une fiscalité sur les
revenus du travail en A - peut permettre de compenser la perte de
bien-être des travailleurs.
A l'inverse, le pays A voit sa production diminuer. Par conséquent, le
gouvernement du pays A est dans l'impossibilité d'utiliser ses
ressources fiscales pour améliorer à la fois le bien-être
des travailleurs et des salariés.
Du point de vue de l'économie globale, il y a une perte
d'efficacité qui est représentée graphiquement par le
triangle ABC et qui provient du fait que le gain du pays B est inférieur
à la perte du pays A.
Graphique 2. Taxation and public expenditure in an open economy