B. POLITIQUE DE REDISTRIBUTION ET MOBILITÉ DES INDIVIDUS
La
question de la redistribution interpersonnelle est étroitement
liée à la mobilité des individus. Ceci peut être
montré de façon très simple. On suppose pour cela que
chaque Etat opère une redistribution verticale des revenus
financée par des salariés riches et qualifiés au profit de
travailleurs pauvres. On considère, pour simplifier, que les prix
relatifs des biens privés produits à partir du facteur travail
(qualifié et non qualifié) ne sont pas modifiés par les
effets redistributifs (les pays sont petits sur le marché des produits)
et que l'offre de travail est parfaitement inélastique (i.e. on ignore,
à la marge, les distorsions portant sur l'arbitrage travail/loisir).
Trois cas peuvent alors se présenter selon la mobilité des
individus.
Si les salariés sont parfaitement immobiles, la redistribution de revenu
est un " bien public local " et n'a pas d'effet sur la distribution des revenus
dans les autres Etats.
Si seuls les travailleurs qualifiés sont mobiles, une augmentation des
impôts provoquera l' " exode " des salariés qualifiés et
l'immigration de travailleurs non qualifiés dans le pays qui fait de la
redistribution. Le départ des salariés aisés réduit
dans cette Etat l'offre de travail de ces derniers, ce qui provoque une
augmentation du prix du travail qualifié (et donc du salaire avant
impôt). L'émigration des individus riches s'accompagne aussi d'une
diminution des recettes fiscales du secteur public. En l'absence de coûts
de déplacement, le flux de travailleurs qualifiés se poursuivra
jusqu'à ce que les revenus nets s'égalisent dans l'ensemble des
pays. Si le pays est petit, l'exode des hauts revenus ne modifie en rien le
revenu net du facteur qualifié dans l'économie, de sorte que,
dans une très large mesure, les contribuables de ce pays ne supportent
pas l'impôt dont ils sont redevables.
Si seuls les bénéficiaires des programmes de transferts sont
mobiles, alors la mise en place d'un politique de redistribution ambitieuse
dans une collectivité se traduit par l'arrivée de nouveaux
individus, ce qui accroît le coût de la redistribution (Brown et
Oates, 1987). Si ces individus travaillent et ne vivent pas uniquement de
transferts, cette immigration peut provoquer, en outre, une baisse du
coût du travail peu qualifié du fait de l'augmentation de l'offre
de travail sur ce segment de marché (Wildasin, 1991 ; 1994). A la
limite, dans ce type de modèle, même si les " pauvres " ne
participent pas au marché du travail, l'arrivée de ménages
à bas revenus dans un pays peut provoquer une baisse du revenu
réel des plus démunis à cause, par exemple, de
l'augmentation des prix sur le marché de l'immobilier
résidentiel. Dans tous les cas, s'il n'y a pas de coûts de
déplacement, l'immigration se poursuivra jusqu'à ce que les
revenus nets soient partout identiques. Si le pays d'accueil est petit, le
revenu réel avant impôt des ménages pauvres pourrait
diminuer d'un montant sensiblement égal aux transferts et leur revenu
net sera peu affecté par la politique de redistribution.
Enfin, dans le cas général où les deux catégories
d'individus sont mobiles et que les pays sont suffisamment petits pour que les
revenus nets de ces individus puissent être considérés
comme exogènes, c'est en définitive le facteur immobile qui
supporte la charge fiscale liée à la redistribution. Même
s'il n'est pas concerné directement par cette politique (voir annexe 3).
Généralement toute politique de redistribution se traduit par des
externalités entre Etats du fait de la mobilité des individus. La
littérature économique considère alors
généralement que la fonction de redistribution doit être
assumée par l'Etat fédéral ou que, tout au moins, celui-ci
accorde des subventions aux Etats dont la politique de redistribution est
ambitieuse. En outre, si l'on cherche à réduire dans une
proportion donnée les inégalités de revenus entre
individus, il est moins coûteux pour les finances publiques de mettre en
place une politique de redistribution fédérale qui s'adresse
directement aux individus que de faire de la redistribution à
l'intérieur des Etats où certains " déferont " ce que
d'autres ont fait. De ce point de vue, le redistribution apparaît comme
un bien collectif " national ".
Cependant, comme le souligne Gilbert (1996), divers arguments poussent à
confier des tâches de redistribution à un niveau
décentralisé. D'une part, les coûts d'information et de
transaction des gouvernements nationaux sont plus faibles que ceux du centre
(par exemple un gouvernement fédéral). Ils connaissent mieux les
" besoins " des populations défavorisées (Smith, 1991). D'autre
part, si on suppose avec Pauly (1973) que la redistribution des riches aux
pauvres accroît la satisfaction des deux parties, mais que cette
satisfaction est d'autant plus grande que le pauvre réside dans le
même Etat (ou dans la même collectivité locale (" altruisme
de proximité "), une politique nationale apparaît
préférable à une redistribution supraétatique.
En outre, une littérature plus récente met l'accent à la
fois sur les questions de redistribution et de transferts financiers
inter-étatiques (Burbidge et Myers, 1994). Ces derniers ont pour objet
d'internaliser les externalités fiscales liées aux migrations de
population provoquées par les décisions fiscales des Etats.
Autrement dit, la littérature économique montre que si les Etats
ont la possibilité de contrôler leurs flux migratoires au moyen,
notamment, de transferts financiers croisés entre Etats, il peut y avoir
matière à mener des politiques de redistribution à un
niveau décentralisé.
Plus précisément,
- Si les Etats ont des préférences proches pour la
redistribution, alors cette fonction doit être
décentralisée
13(
*
)
.
L'équilibre non coopératif (dit de Nash) est Pareto-optimal dans
le sens où l'offre de bien collectif est socialement efficace dans
chacun des Etats et où la population est répartie de façon
efficiente entre les différents pays.
- A l'inverse, quand ces préférences ne sont pas les mêmes,
l'équilibre de Nash est inefficace. En effet, les Etats sont à
l'origine de distorsions dans les choix de localisation des ménages car
ils font peser une charge fiscale différente sur les ménages -
qui dépend de leurs préférences en matière de
redistribution -. Mais, dans ce modèle, un gouvernement
fédéral ne serait pas en mesure de restaurer l'efficacité
en mettant en place une politique de subventions à destination des Etats.
Enfin, que se passe-t-il quand le travail et le capital sont tous les deux
mobiles ? C'est la question à laquelle ont cherché à
répondre Wellish et Wildasin (1996). Dans leur modèle, la
population totale de l'Union n'est plus fixe du fait de flux migratoires en
provenance de pays tiers. Seuls le capital et les individus non
qualifiés sont mobiles. Les salariés qualifiés, eux, sont
considérés comme sédentaires et contrôlent l'agenda
politique. Les travailleurs non qualifiés sont cependant plus ou moins
nombreux dans l'économie selon l'importance des flux migratoires et ils
évoluent sur un marché du travail parfaitement
intégré. Le travail qualifié et le capital sont les seuls
facteurs taxés.
Les politiques d'immigration et de redistribution menées par les Etats
sont à l'origine d'externalités véhiculées
essentiellement par le marché du travail. Les conclusions qu'obtiennent
Wellisch et Wildasin sont les suivantes : (1) à l'équilibre,
aucun des Etats ne taxe le capital, (2) si chaque Etat ouvre ses
frontières à de nouveaux immigrants, cela se traduit par une
baisse du revenu réel des salariés nationaux qui sont en
concurrence avec ces nouveaux arrivants, (3) l'immigration augmente le
bien-être dans les Etats où les immigrants apportent une
contribution fiscale nette. En revanche, dans les Etats plus riches, les
transferts sociaux perçus par les immigrants peuvent être
supérieurs à leur contribution fiscale et le niveau de
bien-être diminue.
On conclura enfin sur ces questions en soulignant la nécessité
d'appréhender la mobilité des individus et la concurrence fiscale
entre Etats qui en résulte dans une perspective temporelle qui tient
compte du cycle de vie des individus. En effet, comme le souligne Sinn (1990),
en l'absence d'harmonisation des politiques fiscales et sociales, on pourrait
assister à l'exode d'individus jeunes et très qualifiés
qui iraient s'installer dans un pays où la pression fiscale est plus
faible et qui pourraient revenir dans leur pays d'origine, quand ils seraient
plus vieux, pour bénéficier par exemple d'allocations plus
généreuses.