B. LES ÉCUEILS D'UNE MEILLEURE MAÎTRISE DE LA CONCURRENCE FISCALE
Les questions posées par la maîtrise de la concurrence fiscale sont d'un point de vue doctrinal extrêmement ardues. Sous un angle plus pratique, elles sont, en l'état de la construction européenne, quasiment insolubles.
1. Les problèmes de principe posés par la maîtrise de la concurrence fiscale en Europe
a) La question de la souveraineté fiscale
La
détermination des règles fiscales appartient sans conteste
à un domaine régalien par excellence. Il s' agit, en
principe, de l'une des expressions majeures de la souveraineté
nationale. Sa libre expression peut donc légitimement déboucher
sur des règles fiscales pouvant paraître appartenir à la
catégorie des pratiques de concurrence fiscale. En sens inverse, elle
est susceptible d'être étroitement déterminée, voire
entravée, par la concurrence fiscale exercée par les tiers. En
bref, la coexistence des souverainetés fiscales, érigée en
principe, est susceptible de produire une concurrence fiscale supprimant
progressivement toute souveraineté.
Ce risque, globalement théorique, est toutefois important et très
concret s'agissant des prélèvements sur les facteurs mobiles
(impôt sur les sociétés, taxation des produits de
l'épargne, ...).
Pour ces catégories d'imposition au moins, un choix doit alors
être effectué entre le maintien absolu des souverainetés
nationales et donc l'acceptation des conséquences d'une
éventuelle concurrence fiscale et des atténuations
apportées aux souverainetés nationales qui consistent à
adopter des règles internationales plus ou moins ambitieuses,
c'est-à-dire encadrant plus ou moins étroitement l'exercice de la
souveraineté fiscale.
b) La question de la portée des règles internationales
En soi,
l'édiction de règles internationales n'est d'ailleurs pas
incompatible avec la préservation des souverainetés fiscales.
Mais, deux conditions s'imposent pour que cette compatibilité de
principe perdure en pratique. Il faut, d'une part, que l'application de ces
règles à un Etat résulte de sa décision propre, et,
d'autre part, que ces règles ménagent jusqu'à un certain
point sa capacité à moduler ses décisions fiscales.
Cette dernière condition renvoie à la question de la
portée des règles internationales adoptées dans le domaine
fiscal.
L'étude jointe rend bien compte des évolutions doctrinales qui
sont intervenues à ce sujet au cours des années 90 à
l'occasion des négociations conduites en Europe sur la question de la
concurrence fiscale.
A l'origine, et le rapport Ruding de 1992 s'inscrivait dans cette
démarche, ces négociations visaient à déboucher sur
une harmonisation des règles fiscales la plus complète possible.
Les blocages rencontrés ont incité la Commission
européenne à privilégier une orientation plus modeste qui
devait déboucher sur le "Code de bonne conduite". Avec lui, il n'est
plus question d'établir des règles uniformes contraignantes mais,
s'inspirant du concept de "concurrence loyale", d'éliminer les pratiques
de concurrence fiscale les plus excessives.
Une telle démarche a, théoriquement, des mérites
importants. Elle est logique avec le principe de non-discrimination qui est un
complément essentiel au fonctionnement harmonieux du Marché
unique. Elle préserve, en pratique, un espace pour le libre exercice de
la souveraineté fiscale des Etats tout en prohibant la "licence"
fiscale. Elle respecte ainsi pleinement le principe de subsidiarité qui
fonde la construction européenne.
Néanmoins, il est difficile de voir en elle la solution qui permettrait
de maîtriser la concurrence fiscale entre Etats européens.
Limitée à l'imposition des bénéfices des
entreprises, elle repose sur des concepts qui demeurent vagues et n'est
assortie d'aucune sanction.
c) L'Europe n'est pas seule
La
maîtrise de la concurrence fiscale en Europe, à la supposer
achevée, poserait la question de la compatibilité de ses
modalités avec les règles fiscales en vigueur dans le reste du
monde.
A cet égard, même en tenant acquise la capacité de
régler les problèmes posés par les paradis fiscaux ou
zones off-shore -qui, d'ailleurs, existent aussi en Europe-, il serait
illusoire d'imaginer que leur seule suppression suffirait à
éliminer les risques de "détournements de trafic" pour des motifs
fiscaux.
On en conclut à la nécessité de lier le processus des
négociations entre Etats européens avec celui engagé dans
les enceintes internationales comme l'Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE).