B. LES DISPOSITIONS DEVENUES OBSOLÈTES
Certaines des dispositions du traité Euratom apparaissent aujourd'hui obsolètes, soit que leur application est devenue formelle, comme pour la promotion du nucléaire par la Commission, soit que leur mise en oeuvre ne correspond pas aux ambitions du traité, comme pour la recherche nucléaire commune, soit que leur esprit a été modifié, comme pour l'Agence d'approvisionnement.
1. La promotion du nucléaire par la Commission
Le
discrédit dans lequel est tombé l'énergie nucléaire
en Europe a fait oublier que l'objectif principal du traité Euratom
était très clairement promotionnel, ainsi que cela ressort de son
Préambule, cité en exergue du présent rapport, et de son
article premier : "
la Communauté a pour mission de
contribuer, par l'établissement des conditions nécessaires
à la formation et à la croissance rapides des industries
nucléaires, à l'élévation du niveau de vie dans les
Etats membres et au développement des échanges avec les autres
pays
".
Deux outils confiés à la Commission devaient assurer cette
fonction de promotion de l'énergie nucléaire, mais n'ont pas
fonctionné comme l'espéraient les auteurs du traité
Euratom.
a) Les programmes indicatifs nucléaires communs
Le
chapitre IV du traité Euratom, consacré aux investissements,
débute par un article 40 ainsi rédigé :
"
Afin de susciter l'initiative des personnes et des entreprises et de
faciliter un développement coordonné de leurs investissements
dans le domaine nucléaire, la Commission publie périodiquement
des programmes de caractère indicatif portant notamment sur des
objectifs de production d'énergie nucléaire et sur les
investissements de toute nature qu'implique leur réalisation
".
Plusieurs Programmes Indicatifs Nucléaires Communs (PINC) ont
été adoptés et publiés par la Commission
européenne en 1966, en 1972, en 1984, en 1990, et dernièrement en
1996.
Les premiers PINC décrivaient la situation de l'énergie
nucléaire en Europe et adressaient des recommandations à la
Commission et aux Etats membres sur les orientations à prendre en
matière d'investissement.
Le dernier PINC de 1996, qui a été adopté à
l'unanimité par le collège des Commissaires, s'inscrit dans le
nouveau contexte de libéralisation du marché intérieur de
l'énergie. Il tient aussi compte des trois objectifs de la politique
énergétique communautaire : la compétitivité
économique globale, la sécurité de l'approvisionnement et
la protection de l'environnement.
Dans cette perspective, le caractère volontariste du PINC a disparu au
profit de déclarations d'intentions politiques :
"
Il appartient à chaque Etat membre de décider de
développer ou de ne pas développer l'utilisation pacifique de
l'énergie nucléaire
;
"
Le choix fait par chaque Etat membre doit être
respecté
;
"
Les Etats membres qui ont choisi le nucléaire sont tenus,
parallèlement, d'assurer un niveau de sûreté
élevé et le respect des exigences de non-prolifération,
conformément aux accords internationaux pertinents en vigueur, ainsi
qu'un niveau élevé de protection de la santé
publique ;
"
Si d'un côté les Etats membres sont responsables de la
fixation des normes de sûreté et de l'autorisation des
installations nucléaires et que, d'un autre côté, les
exploitants nationaux de ces installations sont responsables de la
sûreté de leur fonctionnement,
les deux parties sont
collectivement responsables de la sûreté nucléaire
vis-à-vis de tous les citoyens européens
".
L'aspect de promotion de l'énergie nucléaire, qui ne fait plus
l'unanimité des Etats membres, a donc été
gommé du PINC 1996.
Désormais, la Commission cherche à consacrer par ce document
un
modus vivendi
: les Etats membres hostiles au nucléaire
ne peuvent pas empêcher les autres Etats membres d'y recourir, en
contrepartie, ces derniers doivent garantir la sûreté
nucléaire de tous les citoyens européens.
b) La notification des projets d'investissements nucléaires
L'esprit
promotionnel du traité Euratom a également motivé le
principe d'un recensement par la Commission des projets d'investissements
nucléaires dans les Etats membres, à des fins d'harmonisation et
de coordination industrielle du développement de cette source
d'énergie.
Aujourd'hui, alors que le caractère promotionnel du traité n'est
plus de mise, la notification des projets d'investissements nucléaires
à la Commission européenne demeure comme pure contrainte
administrative.
En application de l'article 41 du traité Euratom, la Commission doit
recevoir communication des projets d'investissements nucléaires
concernant les installations nouvelles ainsi que les transformations ou
remplacements importants.
Au printemps 1999, la Commission a présenté au Conseil un projet
de nouveau règlement d'application relatif aux investissements, qui
modifie sur trois points le règlement actuel datant de 1958 :
- actualisation des seuils financiers à partir desquels les
investissements doivent être notifiés ;
- inclusion des investissements en matière de stockage de
déchets séparés et de démantèlement des
installations nucléaires ;
- publication par la Commission des avis qu'elle émet sur les
investissements qui lui sont notifiés.
Bien que les avis de la Commission européenne ne soient pas
contraignants, une publication systématique et sans concertation aurait
pu leur donner un poids certain, alors que le traité Euratom
prévoit que la publication des projets d'investissement doit recevoir
l'accord des Etats membres et des entreprises concernées.
Le règlement a finalement été adopté lors du
Conseil énergie du 2 décembre 1999, en maintenant la
procédure de concertation préalable aux avis de la Commission
prévue par le traité.
2. Le rôle résiduel de la recherche nucléaire commune
Le
développement de la recherche devait constituer l'un des principaux
domaines d'activités de la CEEA. Les coûts de recherche
étant très élevés dans le domaine nucléaire,
il était
a priori
de l'intérêt des Etats membres de
mettre en commun leurs moyens.
Mais la recherche nucléaire communautaire n'a pas pris l'ampleur
escomptée, ni dans les programmes-cadres de recherche
généraux, ni même au sein du service de la Commission qui
devait initialement s'y consacrer entièrement, le Centre commun de
recherche.
a) Une recherche nucléaire diluée dans la recherche générale
Aux
termes de l'article 4 du traité Euratom, "
la Commission est
chargée de promouvoir et de faciliter les recherches nucléaires
dans les Etats membres, et de les compléter par l'exécution du
programme de recherche et d'enseignement de la Communauté
".
Selon l'article 7, "
le Conseil arrête à
l'unanimité, sur proposition de la Commission, les programmes de
recherche et d'enseignement de la Communauté. Ces programmes sont
définis pour une période qui ne peut excéder cinq
années
".
C'est en application de ces dispositions que le Conseil adopte des programmes
de recherche spécifiquement nucléaires, qui viennent s'inscrire
depuis 1984 dans les programmes-cadres de recherche et de développement
technologique (PCRD) quinquennaux.
Après quarante ans d'application du traité Euratom, la
recherche nucléaire, qui était conçue comme une mission
essentielle de la CEEA, apparaît aujourd'hui comme l'un des
éléments parmi d'autres de la recherche communautaire en
général.
En effet, alors que le cinquième PCRD adopté pour la
période 1998-2002 est doté d'un budget total de 14,96 milliards
d'euros, sa fraction consacrée à la recherche nucléaire ne
représente que 1,21 milliard d'euros, soit 10,2 % des
crédits.
Ces crédits de la recherche nucléaire sont d'ailleurs en
diminution de 5,7 % par rapport au précédent PCRD, où
ils s'élevaient à 1,336 milliards d'euros.
L'effort commun de recherche nucléaire apparaît
surtout marginal au regard des efforts nationaux. Ainsi, le Commissariat
à l'énergie atomique (CEA) français disposait, pour la
seule année 1999, d'un budtet de 18,5 milliards de francs.
Voie d'avenir de la filière nucléaire, la fusion
thermonucléaire contrôlée représente près de
85 % des actions indirectes, dans lesquelles la Communauté apporte une
contribution financière à des recherches menées par des
organismes tiers. Ces crédits correspondent à la participation de
l'Union européenne au projet de
Réacteur International
Thermonucléaire Expérimental (ITER),
qui est mené en
collaboration avec les Etats-Unis, le Japon et la Russie.
L'Union européenne reste très attachée à ce projet
ambitieux, qui ne devrait pas aboutir avant une cinquantaine d'années.
Mais pour l'instant, la décision de construction de l'ITER est
gelée car aucun des quatre partenaires ne veut s'engager à
accueillir le réacteur, le pays-hôte devant financer une part
importante de sa construction.
Votre rapporteur rappelle que le Parlement européen n'est pas
habilité à se prononcer sur les activités de recherche
relevant du programme Euratom. En pratique, il est consulté par la
Commission et le Conseil, qui peuvent éventuellement prendre en compte
ses observations, sans y être contraints.
Ainsi, dans son avis de décembre 1997, le Parlement européen
s'est montré très sceptique sur le projet ITER, au regard du
montant colossal des investissements nécessaires, évalués
à 9 milliards d'euros.
La
fission nucléaire
, qui est la voie actuellement
exploitée par la filière nucléaire, représente
l'essentiel du reste des actions indirectes, et la totalité des actions
directes, menées par la Commission européenne à travers
l'un de ses services, le Centre Commun de Recherche (CCR).
Les recherches menées dans le domaine de la fission nucléaire
couvrent quatre domaines :
- la sûreté opérationnelle des installations
existantes, avec un accent mis sur la prolongation de la durée de vie
des réacteurs et la stratégie de gestion des accidents
graves ;
- la sûreté du cycle du combustible, et en particulier celle
des déchets radioactifs ;
- la sûreté et l'efficacité des concepts de
réacteurs innovants ou fondamentalement nouveaux ;
- la radioprotection des travailleurs du nucléaire et du public,
ainsi que la réhabilitation des zones contaminées.
En ce qui concerne les réacteurs innovants fondés sur le principe
de la fission nucléaire, deux voies principales sont actuellement
explorées. Le
High Temperature Gaz cooled Reactor
(
HTGR)
, fonctionnant à haute température avec une turbine
à gaz, présenterait le triple avantage d'avoir un taux de
rendement énergétique de 50 %, de rester
économiquement rentable dans une configuration réduite à
une puissance de 300 MWh (contre 1 300 pour une tranche EDF standard
et jusqu'à 1 700 pour le futur EPR), et de permettre de
brûler du plutonium de qualité militaire.
Le HTGR est développé dans le cadre d'une coopération
entre les Etats-Unis et la Russie, à laquelle se sont joints le Japon et
la France. La Belgique et l'Italie pourraient bientôt participer à
ce projet international.
L'autre voie explorée est celle du
" réacteur
Rubbia "
(44(
*
))
, du nom du
scientifique italien et ancien directeur général du CERN qui l'a
imaginé en 1993. Le " réacteur Rubbia ", fondé
sur le principe de l'accélération des particules et refroidi au
plomb, présenterait de nombreux avantages par rapport aux
réacteurs actuels : haut niveau de sûreté
intrinsèque, la réaction s'interrompant spontanément en
l'absence d'intervention humaine ; utilisation d'un combustible abondant
dans la nature et ne nécessitant pas d'enrichissement préalable,
le thorium ; production minimale de déchets radioactifs à
vie longue et possibilité d'éliminer les déchets produits
par les autres filières nucléaires.
Le concept du " réacteur Rubbia " est scientifiquement solide,
mais comporte encore de très nombreuses inconnues techniques, car il est
radicalement nouveau dans tous ses aspects. La décision de construire
une machine pilote, souhaitée par son inventeur, n'a pas encore
été prise et le Comité scientifique et technique
d'Euratom, dans un avis du 25 septembre 1996, a repoussé à
une échéance assez lointaine la réalisation d'un
" réacteur Rubbia " pleinement opérationnel.
Votre rapporteur constate que les programmes de recherche communautaires
dans le domaine de la fission nucléaire sont davantage orientés
vers l'amélioration de la sûreté de l'existant, que vers le
développement futur de la filière nucléaire.
Cette orientation lui apparaît préoccupante, alors que la
recherche nucléaire en Europe commence à pâtir d'une crise
des vocations chez les jeunes chercheurs, qui se détournent d'un secteur
qui apparaît sans avenir assuré.
Or, quelle que soit l'évolution à long terme du nucléaire
dans l'Union européenne, celle-ci aura toujours besoin de
compétences scientifiques du plus haut niveau pour la
sûreté ou pour l'achèvement du cycle nucléaire.
b) La difficile reconversion du Centre Commun de Recherche
L'article 8 du traité Euratom prévoit la
création d'un Centre commun de recherche nucléaire, chargé
d'assurer l'exécution des programmes de recherche que lui confie la
Commission. Le Centre a longtemps eu le statut d'une simple direction de la
Commission, mais dispose désormais de l'autonomie juridique et
financière.
Depuis le début des années 1970, le Centre Commun de Recherche
(CCR) a perdu l'adjectif " nucléaire " dans son titre,
à la suite d'un effort de reconversion qui s'est traduit par une
diversification dans d'autres domaines de recherche scientifique.
Le CCR compte
huit instituts,
répartis sur
cinq sites
différents.
Le site d'Ispra (Italie) accueille l'Institut des
systèmes, de l'informatique et de la sûreté (ISIS),
l'Institut de l'Environnement (IE), l'Institut des applications spatiales (IAS)
et l'Institut pour la santé et la protection des consommateurs. Le site
de Petten (Pays-Bas) accueille l'Institut des matériaux avancés
(IMA), celui de Karlsruhe (Allemagne) l'Institut des transuraniens (ITU), et
celui de Geel (Belgique) l'Institut des mesures et matériaux de
référence (IRMM). Enfin, le site de Séville (Espagne)
accueille l'Institut de prospective technologique (IPTT).
Ni la France, ni le Royaume-Uni n'avaient souhaité héberger un
site du CCR lors de sa création, afin de préserver la
confidentialité de leur recherche nucléaire mixte, à la
fois civile et militaire.
Le budget annuel du CCR est de l'ordre de 250 millions d'euros, pour un
effectif d'environ 2.500 personnes.
Le cinquième programme-cadre de recherche 1998-2002 prévoit de
lui octroyer 281 millions d'euros pour le financement des activités
nucléaires relevant du traité Euratom (27,5 %) et 739
millions d'euros pour ses activités de recherche non nucléaires
(72,5 %).
Au total, le CCR absorbe 7,3 % du budget de recherche
communautaire.
Depuis 1971, la CEEA n'est plus le seul client du Centre, qui peut travailler
pour des tiers. Ces contrats externes lui ont apporté 20 millions
d'euros de ressources budgétaires en 1999.
Inversement, depuis 1995, le CCR est invité à gagner une partie
de ses contrats avec la Commission sur une base concurrentielle, en
compétition avec d'autres laboratoires. La proportion des
activités qu'il doit exercer sur cette base concurrentielle est
fixée à 10 % pour la recherche nucléaire et 22 % pour les
autres types de recherche.
Le CCR apporte un soutien scientifique et technique aux services de la
Commission. L'une de ses tâches essentielles est d'assister celle-ci dans
la mise en oeuvre de la politique agricole commune, notamment par le
contrôle de la qualité des produits et la vérification des
déclarations d'utilisation des sols. Récemment, il a
été chargé de valider les tests de dépistage de
l'encéphalite spongiforme bovine (ESB).
Dans le domaine nucléaire qui est sa compétence d'origine, le
CCR constitue une référence scientifique mondiale pour la
caractérisation des combustibles et des déchets
nucléaires.
C'est à l'Institut des transuraniens de Karlsruhe
que l'AIEA a fait appel pour analyser les installations nucléaires de
l'Irak. Le CCR intervient également en soutien technique auprès
de la Commission pour les appels d'offre et le suivi des projets dans le cadre
des programmes d'amélioration de la sûreté des
réacteurs nucléaires à l'Est.
Toutefois, le CCR n'est guère aimé par les Etats membres, qui
le voient surtout comme un consommateur de crédits. Il fait l'objet de
critiques récurrentes sur l'efficacité de son travail de la part
de la Cour des comptes et du Parlement européen.
Résumant ces critiques, un récent document de la Direction des
études du Parlement européen
(45(
*
))
a fait une évaluation peu
complaisante du rapport coût / efficacité du CCR.
Tout d'abord, cette étude conteste la légitimité
même du statut du Centre : "
nombreux sont ceux qui pensent que
la position actuelle du CCR au sein de la Commission pose problème au
regard des procédures d'appels d'offres. Le CCR soumissionne pour des
projets de recherche financés par la Commission et entre en concurrence
avec d'autres organismes. Est-il normal que la Commission décide de
l'attribution de ces contrats ? Rien ne garantit que les appels d'offres
eux-mêmes ne soient pas rédigés de façon à
favoriser les intérêts du CCR au détriment des organismes
externes
".
L'étude du Parlement européen soulève également les
problèmes de personnel : "
la sécurité de l'emploi
garantie par le statut du personnel auprès des institutions de l'Union
européenne n'est pas nécessairement adaptée à des
instituts de recherche, lesquels doivent encourager la mobilité et le
flot constant d'idées nouvelles. De ce point de vue,
l'intégration du CCR dans la Commission peut paraître
regrettable
".
Pour sa part, la Commission préconise une application souple du statut
du personnel et vise pour le CCR une structure composée de 40 % de
fonctionnaires, 35 % de scientifiques sous contrats de cinq ans et 25 % sous
contrats de trois ans non renouvelables.
Enfin, l'étude du Parlement européen relève certains
surcoûts de gestion du CCR liés à l'éclatement de
ses sites, ainsi qu'aux exigences relatives à la sûreté
nucléaire sur son site d'Ispra.
Face à ces critiques unanimes, la Commission a défini en 1998 un
nouveau projet pour le CCR
, qui sera chargé en priorité de
contrôler la mise en oeuvre des politiques communautaires dans certains
domaines sensibles (ESB, dioxine, hormones, produits chimiques dangereux, eau,
pollution des villes, carburants propres, prévision des récoltes,
authenticité des vins...) d'une manière indépendante
à la fois des Etats membres et des intérêts privés.
Le CCR est appelé à travailler davantage en réseau avec
les instituts scientifiques des Etats membres, et est restructuré autour
de quatre piliers de compétence : sûreté
nucléaire ; sécurité alimentaire et produits
chimiques ; environnement ; nouvelles technologies de l'information
et de la communication.
Votre rapporteur ne se prononcera pas sur le rapport coût /
efficacité du Centre Commun de Recherche, cette approche lui paraissant
forcément sujette à caution et finalement d'une pertinence
limitée en matière de recherche.
En revanche, il n'a aucun doute sur le grand intérêt pour l'Union
européenne de disposer d'une capacité d'expertise scientifique
indépendante dans les domaines sensibles où les Etats membres ne
se font pas mutuellement confiance.
Il estime notamment qu'il ne serait pas opportun de diminuer davantage la
compétence nucléaire du CCR.
Celle-ci apparaît aujourd'hui précieuse pour améliorer les
aspects les plus contestés de la filière nucléaire, tels
que la sûreté des centrales ou la gestion des déchets. Ce
point de vue semble pouvoir être admis aussi bien par les partisans que
par les adversaires du nucléaire en Europe.
3. Les pouvoirs limités de l'Agence d'approvisionnement
Le chapitre VI du traité Euratom, relatif à l'approvisionnement en matières fissiles, est celui qui a le plus vieilli et fait l'objet d'un contentieux récurrent entre la France et la Commission.
a) Des règles initiales d'essence supranationale
Les
règles communautaires relatives à l'approvisionnement ont
été conçues, dans un contexte de rareté des
matières fissiles, sous la
forte influence des Etats-Unis
.
Dans leur mémorandum transmis aux Six à la veille de la
conférence de Venise de mai 1956, ceux-ci estimaient que "
tout
compromis dans le statut d'Euratom par lequel un des pays partenaires pourrait,
sous certaines conditions, se procurer par des arrangements spéciaux des
matériaux nucléaires en dehors du canal d'Euratom, paraît
au gouvernement des Etats-Unis frapper au coeur même du concept
d'Euratom.
"
Le gouvernement des Etats-Unis doit faire connaître aux six
nations, dès maintenant où l'on approche de la tâche de
préparer le traité, qu'il ne pourrait coopérer de
manière efficace avec Euratom (...) si ce problème du combustible
n'était pas résolu de façon satisfaisante
".
Cet avertissement était d'autant plus clair que les Etats-Unis
disposaient à l'époque du monopole mondial de production
d'uranium enrichi.
Dès lors, les dispositions du traité Euratom relatives
à l'approvisionnement reflètent une forte volonté
d'intégration, la CEEA incluant dans ses missions "
de veiller
à l'approvisionnement régulier et équitable de tous les
utilisateurs de la Communauté en minerais et combustibles
nucléaires
" (article 2.d).
Selon l'article 52.1 du traité Euratom, l'approvisionnement de la
Communauté en minerais, matières brutes (c'est-à-dire
l'uranium naturel) et matières fissiles spéciales
(c'est-à-dire uranium enrichi et plutonium) est assuré
"
selon le principe de libre accès aux ressources, et par la
poursuite d'une politique commune d'approvisionnement
".
L'instrument de cette politique est une
Agence d'approvisionnement
dotée de la personnalité juridique et financière,
placée sous le contrôle de la Commission, et destinée
à assurer l'approvisionnement régulier et équitable de
tous les utilisateurs (article 53 du traité).
Pour s'acquitter de sa tâche, l'Agence d'approvisionnement demeure
soumise aux lois du marché concurrentiel et fonctionne suivant des
règles commerciales. Elle doit centraliser les offres et les demandes,
et en informer les intéressés, pour que les prix résultent
de leur confrontation. Elle doit corriger les éventuels abus de la
liberté commerciale, tels que le refus de vendre, afin d'empêcher
les pratiques contraires au principe de l'égal accès aux
ressources.
A cet effet, l'Agence dispose comme outils de deux
droits différents :
- en ce qui concerne l'approvisionnement en provenance de
l'intérieur de la Communauté, elle possède un
droit
d'option
qui lui permet de se rendre acquéreur de tous les minerais,
matières brutes et matières fissiles spéciales produits
sur le territoire des Etats membres ;
- en ce qui concerne l'approvisionnement en provenance de
l'extérieur de la Communauté, elle possède un
droit
exclusif de conclure des accords
. Cette règle est néanmoins
assortie de trois exceptions : l'une est générale, dans
l'hypothèse où l'Agence ne serait pas en mesure de livrer les
matières dans un délai et à un prix raisonnables ;
les deux autres sont particulières et concernent, respectivement, les
petites quantités utilisées pour la recherche et les contrats de
traitement, de transformation ou de mise en forme dans lesquels les
matières nucléaires font retour au client d'origine.
Le traité Euratom a donc prévu dans le domaine des
matières fissiles des règles empreintes de
supranationalité, qui dotent l'Agence d'approvisionnement de pouvoirs
étendus. Toutefois, lors de leur élaboration, ces dispositions
étaient inspirées davantage par les circonstances de
l'époque que par un accord réel sur le long terme.
L'évolution ultérieure du marché mondial de l'uranium a
rendu inacceptables pour les souverainetés nationales les transferts de
compétences consentis par les Etats membres au profit de la CEEA, et a
abouti rapidement à la remise en cause des règles initiales.
b) Une application laxiste mais une révision impossible
Alors
que les dispositions du traité Euratom relatives à
l'approvisionnement ont été conçues dans la perspective
d'une relative pénurie d'uranium dans le monde, l'évolution
effective des réserves découvertes et des technologies
nucléaires a produit une situation de surabondance de l'offre qui ne
s'est pas démentie jusqu'à aujourd'hui.
Dès 1960, un règlement communautaire
(46(
*
))
réduisait les pouvoirs de
l'Agence d'approvisionnement quant à son droit exclusif de conclure des
accords.
Selon ce règlement, lorsque le marché est
caractérisé par un "
excès manifeste de l'offre
sur la demande
", l'Agence détermine les conditions d'ordre
général auxquelles doivent satisfaire les contrats
d'approvisionnement, mais les utilisateurs et les producteurs sont
habilités à négocier directement et à signer les
contrats. Ces derniers étaient réputés conclus si l'Agence
ne manifestait pas d'opposition dans un délai de huit jours à
compter de leur réception.
L'Agence se trouvait ainsi réduite
à un rôle de simple greffier.
L'Agence d'approvisionnement a retrouvé un rôle formel un peu plus
grand après 1973, quand le premier choc pétrolier a laissé
craindre des tensions nouvelles sur le marché de l'uranium. Un
règlement du 25 juillet 1975, modifiant le règlement de 1960, lui
a restitué l'exclusivité de la signature des contrats.
Mais
l'essentiel, à savoir le droit de s'adresser directement aux
producteurs, reste acquis aux utilisateurs communautaires.
L'Agence est
simplement tenue de signer, dans les dix jours ouvrables, les contrats
d'approvisionnement que ceux-ci ont négociés librement.
Quant au droit d'option de l'Agence sur les matières produites dans la
Communauté, il a été réputé exceptionnel. Il
ne peut être utilisé qu'en cas de nécessité, en
fonction de l'évolution du marché, comme moyen de garantir le
principe du libre accès des opérateurs communautaires aux
matières nucléaires.
Actuellement, le rôle effectif de l'Agence d'approvisionnement
se
résume à apposer sa signature sur les contrats de fourniture, et
à vérifier la conformité
de ceux-ci avec le droit
communautaire et les engagements souscrits par la CEEA dans le cadre d'accords
internationaux.
Cette distorsion entre le fait et le droit conduit à une situation
juridique incertaine, qui a suscité des velléités de
réviser les règles relatives à l'approvisionnement.
L'article 76 du traité Euratom prévoit deux hypothèses de
modification du régime d'approvisionnement :
- la première peut intervenir à tout moment,
"
notamment au cas où des circonstances imprévues
créeraient un état de pénurie
général
", hypothèse la plus redoutée
à l'époque ;
- la seconde est une
clause de rendez-vous
, selon laquelle
"
à l'issue d'une période de sept ans à compter de
l'entrée en vigueur du traité, le Conseil peut confirmer
l'ensemble de ces dispositions. A défaut de confirmation, de nouvelles
dispositions relatives à l'objet du présent chapitre sont
arrêtées
".
Le 31 décembre 1964, à l'expiration de ce délai de sept
ans, aucune décision n'est intervenue, provoquant une controverse
juridique.
Alors que les autres Etats membres s'étaient prononcés en faveur
du maintien en vigueur provisoire du chapitre VI, la France a
considéré que ces dispositions étaient devenues caduques
faute d'avoir été dûment confirmées, et a
invoqué l'inexistence juridique de l'Agence d'approvisionnement pour
refuser de lui fournir les rapports annuels sur le développement de la
prospection et de la production d'uranium sur le territoire français, et
de lui communiquer ses contrats de fourniture extérieurs.
La France persistant à multiplier les infractions, la Commission
européenne introduisit contre elle, en mars 1971, un recours en
manquement devant la CJCE.
Dans son arrêt subséquent
(47(
*
))
, la Cour donna partiellement raison
à la France, en estimant que "
le dépassement des
délais prévus à l'article 76 a créé une
situation qui ne constitue pas une application correcte du
traité
". Mais elle n'en tire pas les mêmes
conséquences juridiques.
S'appuyant sur la théorie de
l'effet utile des traités
communautaires
, la CJCE a considéré que "
la
caducité de l'ensemble du chapitre VI sans l'entrée en vigueur
simultanée de nouvelles dispositions, reviendrait à accepter une
rupture de continuité dans un domaine où le traité,
notamment par son article 2, a prévu la poursuite d'une politique
commune
".
Tout en reconnaissant l'applicabilité des dispositions du chapitre VI
au-delà de la date fixée, la Cour n'en estimait pas moins que
celles-ci "
ne sont maintenues qu'à titre temporaire, de sorte
qu'il pourra leur être substitué, à tout moment, un
ensemble de dispositions nouvelles constitutives d'un régime
d'approvisionnement différent
".
A la suite de l'arrêt de la CJCE, un projet de révision des
dispositions du chapitre VI du traité Euratom a été
élaboré par les services de la Commission dès 1975, puis
remanié en 1982. Le nouveau régime d'approvisionnement ainsi
proposé était plus libéral : la notion de
non-discrimination devait se substituer à celle d'égal
accès aux matières nucléaires, le droit d'option de
l'Agence être abandonné, et l'obligation de lui communiquer
intégralement les contrats d'approvisionnement faire place à une
simple obligation de notification.
Néanmoins, ces projets ne purent vaincre l'immobilisme du Conseil,
qui s'accommode des procédures simplifiées mises en place de
manière non conforme à la lettre du traité, et la
révision du chapitre VI a été ajournée
jusqu'à présent.
La France a développé une pratique d'application minimale du
chapitre VI du traité Euratom, qui aboutit à faire
échapper la quasi-totalité des contrats de fournitures conclu par
les opérateurs français à la cosignature de l'Agence
d'approvisionnement.
En effet, la Cogema ne transmet pas ses contrats d'approvisionnement car, selon
la France, elle n'est pas " utilisateur " au sens du traité
Euratom, tandis que les contrats d'enrichissement d'Eurodif relèvent,
toujours selon la France, d'un simple " façonnage " et non pas
d'une " production " de matières nucléaires.
La Commission européenne a adressé en 1975 un avis
motivé à la France sur ce sujet, qui s'est soldé par un
maintien des positions respectives.
c) Un regain d'intérêt récent
L'Agence
d'approvisionnement a survécu à ces vicissitudes juridiques en se
cantonnant dans une position diminuée par rapport aux ambitions
initiales. Toutefois, elle n'est pas devenue pour autant totalement inutile, et
suscite même un regain d'intérêt depuis quelque temps.
L'Agence peut apparaître comme la garante des intérêts
légitimes des opérateurs de la Communauté face aux
interventions des Etats membres dans le processus d'élaboration des
contrats d'importation de ces matières sensibles, où ils tentent
parfois d'imposer des restrictions d'usage abusives.
Au cours des dernières années, en s'appuyant sur son
Comité consultatif qui regroupe les industriels de la filière
nucléaire, les électriciens et les représentants des Etats
membres, l'Agence d'approvisionnement a cherché à réguler
les importations à très bas prix de matières
nucléaires provenant des Etats de la CEI, qui transitent d'ailleurs
souvent par des intermédiaires américains.
En effet, l'ouverture de l'ancienne Union soviétique s'est traduite
par un afflux sur le marché mondial d'un uranium à prix de
dumping
et du plutonium issu du déclassement des armements
nucléaires, qui risquait de déstabiliser l'industrie
communautaire du combustible nucléaire, compromettant à terme
l'autonomie d'approvisionnement de la CEEA.
Une solution a été trouvée dans le cadre de l'accord de
partenariat conclu en 1994 entre l'Union européenne et la Russie qui
prévoit, à titre dérogatoire, un contingentement à
20 % des importations de combustible nucléaire d'origine russe, qui
avaient représenté les années précédentes
jusqu'à 30 % du marché communautaire.
L'Agence d'approvisionnement a alors pour la première fois
utilisé son pouvoir de cosignature pour refuser des contrats de
sociétés britanniques, allemandes ou belges non compatibles avec
le contingent fixé. Elle a aussi exigé en retour la transmission
par la France de ses propres contrats, au nom de la non discrimination avec les
autres industriels de la CEEA.
Cette " réactivation " de l'Agence d'approvisionnement ne
fait pas l'unanimité. Si elle correspond à une demande de la
France, les Etats membres les plus attachés à un fonctionnement
libéral du marché, en particulier le Royaume-Uni et la
Suède, contestent le monopole de signature des contrats
d'approvisionnement encore détenu formellement par
l'Agence, et
le contingentement des importations de matières fissiles qui en
résulte.