C. LES DISPOSITIONS TOUJOURS D'ACTUALITÉ
A
côté des dispositions du traité Euratom devenues
obsolètes, d'autres dispositions apparaissent toujours
d'actualité.
Parmi celles-ci, le
marché commun nucléaire
, auquel est
consacré le chapitre IX du traité Euratom, ne doit être
rappelé que pour mémoire. Sans être dépassé,
il ne présente qu'un caractère fragmentaire et supplétif
par rapport au marché commun du traité CEE, dans lequel il s'est
progressivement fondu.
Les dispositions relatives au marché commun nucléaire
prévoient une union douanière pour les matières et
équipements nucléaires, qui a été
réalisée par anticipation sur l'union douanière
générale, ainsi qu'une libre circulation des personnes et des
capitaux, qui relève aujourd'hui essentiellement du droit
dérivé du traité CEE.
Elles prévoient également l'obligation pour les opérateurs
communautaires de s'assurer contre le risque industriel nucléaire, qui a
été satisfaite dans le cadre juridique plus large des conventions
internationales de Vienne et Paris relatives à la responsabilité
civile nucléaire, conclues sous les auspices de l'AIEA et de l'OCDE.
Les dispositions du traité Euratom aujourd'hui les plus pertinentes sont
celles relatives au contrôle de sécurité, aux accords de
coopération nucléaire avec les pays tiers, et à la
protection sanitaire contre les radiations.
1. Un contrôle de sécurité exercé en coordination avec l'AIEA
a) Des pouvoirs de contrôle étendus
Le
chapitre VII du traité Euratom instaure un contrôle de
sécurité destiné à prévenir tout risque de
prolifération nucléaire en Europe.
Dès la naissance de la CEEA, les Etats-Unis, qui détenaient alors
le monopole de l'enrichissement de l'uranium parmi les pays occidentaux, ont
exprimé très clairement leur préoccupation à ce
sujet dans un mémorandum remis aux Six à la veille de la
conférence de Messine.
Cette crainte du principal fournisseur de combustibles nucléaires de la
Communauté à l'époque a été prise en compte
par le traité Euratom selon deux modalités :
- le
contrôle de conformité
consiste, sur une base
déclarative, à "
s'assurer que les minerais,
matières brutes et matières fissiles spéciales ne sont pas
détournés des usages auxquels leurs utilisateurs ont
déclaré les destiner
" (article 77a) ;
- le
contrôle de finalité
consiste, lorsqu'un
fournisseur d'un pays tiers a subordonné la livraison de matières
nucléaires à la condition d'un usage pacifique, à
"
s'assurer que sont respectées les dispositions relatives
à l'approvisionnement et tout engagement particulier relatif au
contrôle souscrit par la Communauté dans un accord conclu avec un
Etat tiers ou une organisation internationale
" (article 77b).
Le contrôle d'Euratom est territorial : il prend effet au moment
où un minerai est extrait du sol de la Communauté ou lorsqu'une
matière est importée sur son territoire, et cesse lorsqu'une
matière est exportée.
Pour exercer ce contrôle obligatoire de sécurité, la
Commission dispose de
pouvoirs étendus
:
- toute entreprise qui manipule des matières nucléaires
à usage pacifique est tenue de communiquer à la Commission les
plans et capacités de ses installations, la nature des matières
utilisées et produites, les procédures techniques
employées et les méthodes appliquées pour mesurer et
vérifier les quantités et qualités des substances
détenues dans ses installations (article 78) ;
- la Commission doit disposer de relevés permettant la
comptabilité des matières nucléaires (article 79) ;
- enfin, et surtout, la Commission peut envoyer des inspecteurs sur le
territoire des Etats membres qui "
ont à tout moment
accès à tous lieux, à tous éléments
d'information et auprès de toute personne qui, de par leur profession,
s'occupent de matières, équipements ou installations soumises au
contrôle
" (article 81).
En cas de violation de ces différentes obligations, la CEEA dispose de
moyens de contrainte
sur les Etats membres et les entreprises
concernés.
La Commission peut adresser aux Etats membres l'injonction de prendre, dans le
délai qu'elle fixe, toutes les mesures nécessaires pour mettre
fin à la violation constatée (article 82.2). Dans le cas
où l'Etat membre ne respecterait pas les instructions de la Commission,
celle-ci ou tout Etat membre intéressé peut saisir
immédiatement la CJCE (article 82.3).
La Commission dispose de pouvoirs de sanction plus contraignants pour les
entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations : avertissement,
retrait d'avantages particuliers, mise sous administration, retrait total ou
partiel des matières nucléaires en leur possession.
b) L'articulation avec le système de garanties de l'AIEA
La
conclusion, le 1
er
juillet 1968, du Traité de Non
Prolifération des armes nucléaires posait la question de
l'articulation du contrôle de sécurité de l'Euratom avec
celui exercé par l'AIEA.
Les dispositions pratiques des mécanismes de contrôle
prévus par les deux organisations sont très voisines.
La
différence essentielle est que le contrôle de
sécurité de l'AIEA a un caractère contractuel, sur une
base d'adhésion volontaire au TNP, alors que celui de la CEEA a un
caractère obligatoire, applicable d'office en vertu du chapitre VII du
traité Euratom.
A cet égard, tous les Etats membres de la CEEA ne sont pas dans une
situation identique, deux d'entre eux, la France et le Royaume-Uni, ayant un
statut de puissance militaire nucléaire qui les classe à part au
regard du TNP.
Pour les Etats membres non dotés de l'arme nucléaire, la
technique juridique retenue a été celle de
l'accord mixte
(type de convention internationale à laquelle sont parties à la
fois la Communauté et directement des Etats membres) entre l'AIEA, d'une
part, la CEEA et chacun des Etats en question, d'autre part.
Dans la convention signée le 5 avril 1973
(48(
*
))
, la CEEA s'engage à
coopérer avec l'AIEA afin que cette dernière puisse
"
vérifier les résultats obtenus par le système de
garanties de la Communauté
". Cet engagement implique le libre
accès de l'AIEA à la comptabilité des matières
nucléaires de la CEEA, ainsi que la possibilité pour l'AIEA de
réaliser des inspections dans les installations nucléaires, sous
réserve que la Communauté et les Etats membres concernés
aient donné leur consentement relativement à la
désignation des inspecteurs.
La mise en oeuvre de cette convention tripartite est subordonnée
à l'adaptation des procédures internes de contrôle de la
CEEA. Le règlement communautaire d'application adopté le 19
octobre 1976, après un long délai en raison de sa
complexité, a été depuis modifié à plusieurs
reprises pour tenir compte de l'évolution du système de garanties
de l'AIEA.
La préoccupation initiale des négociateurs de l'accord mixte
de 1973 était d'éviter une répétition inutile des
contrôles entre les deux organisations.
On constate cependant une
généralisation des observations indépendantes de l'AIEA,
alors que celles-ci ne devaient revêtir qu'un caractère
exceptionnel, et un accroissement de l'effort d'inspection de l'AIEA dans les
Etats membres, alors que cet effort aurait dû rester moindre que dans les
pays tiers, Euratom fournissant la base du contrôle de
sécurité.
Depuis 1992, l'Euratom et l'AIEA s'efforcent de rationaliser leur
coopération en conduisant des inspections communes, qui laissent
à la seconde la possibilité de tirer ses propres conclusions en
pleine indépendance.
En dépit de ce partenariat, la Direction du Contrôle de
Sécurité de la Commission européenne se positionne en
situation de surenchère avec l'AIEA et exerce un contrôle
étroit sur les déchets des installations nucléaires,
pourtant peu dangereux au regard du risque de prolifération.
La France supporte à elle seule plus de 40 % de l'effort communautaire
d'inspection, ce qui n'est pas neutre compte tenu des coûts induits.
Enfin, la Commission a cherché à utiliser la négociation
en 1998 du protocole additionnel au système des garanties de l'AIEA pour
étendre sa compétence aux équipements et aux technologies,
alors qu'elle est strictement limitée par le traité Euratom aux
matières fissiles.
En dépit de l'échec de cette tentative, certains Etats membres,
faute de moyens propres, laissent aujourd'hui la CEEA exercer pour leur compte
certains des contrôles non liés aux matières prévus
par le protocole additionnel aux garanties de l'AIEA.
c) Le cas particulier des Etats membres puissances nucléaires
L'intégration de l'Euratom dans le système
international de contrôle de sécurité ne résout pas
le problème posé par les Etats membres détenteurs d'armes
nucléaires.
En effet, le contrôle de sécurité de la CEEA comporte une
exception importante. Aux termes de l'article 84.3 du traité Euratom, le
contrôle ne peut s'étendre "
aux matières
destinées aux besoins de la défense qui sont en cours de
façonnage spécial pour ces besoins, ou qui, après ce
façonnage, sont conformément à un plan
d'opérations, implantées ou stockées dans un
établissement militaire
".
Initialement, la France et le Royaume-Uni n'étaient pas tenus de
conclure des accords de garanties avec l'AIEA, et rien dans le traité
Euratom ne s'opposait à ce que des Etats membres non dotés
d'armes nucléaires leur transfèrent, sans avoir à en
contrôler l'utilisation, des matières et des équipements.
Mais les deux Etats membres puissances nucléaires se sont trouvés
soumis à des pressions croissantes de la part de leurs fournisseurs de
minerais, tels le Canada et l'Australie, pour qu'ils se soumettent
volontairement au contrôle de sécurité de l'AIEA. Par
ailleurs, leur ralliement à l'AIEA est apparu comme un facteur de
cohésion communautaire.
Chacun à leur tour, le Royaume-Uni et la France ont fait une
" offre volontaire " d'accepter des garanties de l'AIEA analogues
à celles prévues pour les Etats membres non dotés d'armes
nucléaires. Deux nouveaux accords tripartites furent signés le 6
septembre 1976 et le 27 juillet 1978.
A la demande la France, le champ de l'exception prévue à
l'article 84.3 du traité Euratom a été élargi
et la CEEA a reconnu la notion de
" matière libre
d'emploi "
qui l'autorise à ne soumettre au contrôle de
sécurité que les seules matières dont elle reconnaît
la destination exclusivement civile. Les matières libre d'emploi ont un
usage indifféremment civil ou militaire, ce qui permet de maintenir le
secret défense sur la nature et les quantités exactes des
matières à destination militaire.
Récemment, la Commission européenne a enjoint, par simple
circulaire en date du 24 juin 1998, les opérateurs communautaires de
déclarer soumises à utilisation pacifique les matières
provenant de pays tiers pour façonnage et destinées à
faire retour dans ces pays.
Les autorités françaises ont
refusé d'appliquer cette circulaire, qui remettrait en question la
confidentialité des flux affectés aux besoins de la
défense en restreignant la quantité des " matières
libre d'emploi ".
En fait, la Commission contestait la notion même de " matière
libre d'emploi " et a exprimé sa préférence pour une
séparation claire des cycles civil et militaire. Mais elle a dû
finalement admettre une dérogation à sa circulaire pour le cycle
mixte propre à la France.
2. Une politique active d'accords internationaux
a) Le parallélisme des compétences intérieures et extérieures
Le
chapitre X du traité Euratom est consacré aux relations
extérieures de la CEEA.
Aux termes de l'article 101.1 du traité Euratom, "
la
Communauté peut, dans le cadre de sa compétence, s'engager par la
conclusion d'accords ou de conventions avec un Etat tiers, une organisation
internationale ou un ressortissant d'un Etat tiers
". Il
résulte de ces dispositions que l'étendue de la compétence
de la CEEA en matière de relations extérieures est identique
à celle de la compétence dont elle dispose à
l'intérieur.
Le principe de parallélisme de la compétence interne et de la
compétence de conclure des accords internationaux est donc explicitement
affirmé par le traité Euratom, alors que dans le traité
CEE ce même principe a dû être dégagé par la
jurisprudence de la Cour de Justice
(49(
*
))
.
La CEEA peut conclure des accords internationaux non seulement dans les
domaines où ceci est expressément prévu (échanges
de connaissances scientifiques et industrielles, approvisionnement en
matières fissiles) mais aussi dans ceux où elle ne dispose
explicitement que d'une compétence interne, tel celui de la recherche.
La procédure de conclusion d'accords internationaux par la CEEA
diffère de celle prévue dans le traité CEE. Dans le
traité Euratom, les accords sont négociés et conclus par
la Commission, selon les directives du Conseil. Avant de conclure, la
Commission doit obtenir l'approbation du Conseil qui statue à la
majorité qualifiée.
Toutefois, l'alinéa 3 de l'article 101 du traité Euratom donne
à la Commission le droit de négocier et de conclure seule les
accords "
dont l'exécution n'exige pas une intervention du Conseil et
peut être assurée dans les limites du budget
intéressé
". La Commission est tenue, dans ce cas, de
tenir le Conseil informé.
L'article 102 du traité Euratom prévoit la possibilité
d'accords mixtes auxquels sont parties, outre la Communauté, un ou
plusieurs Etats membres. Cet instrument est particulièrement utile dans
le cas d'accords internationaux relevant en partie de la compétence
communautaire et en partie de celle des Etats membres.
b) Un contrôle juridictionnel original
Le
traité Euratom prévoit par ailleurs un contrôle
juridictionnel original des relations extérieures de la CEEA.
En effet, la conclusion d'accords internationaux spécifiquement
communautaires ou mixtes n'est pas exclusive de la compétence des
Etats membres. Aux termes de l'article 103.1 du traité Euratom,
ceux-ci conservent la possibilité de conclure "
avec un Etat
tiers, une organisation internationale ou un ressortissant d'un Etat tiers,
dans la mesure où ces accords ou conventions intéressent le
domaine d'application du présent traité
".
Il appartient donc à la CJCE de garantir la conformité au
droit communautaire de ces accords internationaux conclus par les Etats
membres
. Elle le fait selon un mécanisme institutionnel
spécifique qui comporte trois temps :
- les projets d'accords élaborés par les Etats membres dans
le domaine d'application du traité Euratom doivent être
communiqués à la Commission européenne (article
103.1) ;
- dans le cas où celle-ci estime qu'ils comportent des clauses
contraires aux engagements communautaires, elle adresse ses observations
à l'Etat membre concerné dans le délai d'un mois ;
- celui-ci, s'il conteste les observations de la Commission, peut
introduire une requête devant la CJCE pour qu'elle se prononce d'urgence
sur la compatibilité des clauses envisagées avec les dispositions
du traité Euratom.
L'accord ou la convention envisagés ne peuvent être conclus que
lorsque les objections de la Commission européenne ont été
levées ou que l'Etat membre s'est conformé à la
délibération de la CJCE.
c) Un réseau étoffé d'accords internationaux
Sur la
base de ces dispositions juridiques, l'Euratom a développé un
réseau étoffé de conventions internationales.
En ce qui concerne les
institutions internationales
multilatérales
, la CEEA est liée à l'AIEA par les
accords de coopération sur le contrôle de sécurité
précédemment évoqués, ainsi que par un accord
général de coopération signé le 1
er
décembre 1975.
Elle est également partie, en tant que telle, aux conventions
internationales négociées dans le cadre de l'AIEA, telles la
convention de 1994 sur la sûreté nucléaire ou la convention
de 1997 sur la gestion du combustible usé et des déchets
radioactifs.
En ce qui concerne le
reste de l'Europe occidentale
, la CEEA avait
négocié en 1986 quatre accords-cadres de coopération
scientifique et technique avec l'Autriche, la Finlande, la Norvège et la
Suède. Ces accords ont perdu leur raison d'être après
l'entrée de trois des pays concernés dans la Communauté.
Les droits et obligations qui en découlaient ont été alors
repris après négociation, en application de l'article 106 du
traité Euratom.
En revanche, la CEEA reste liée à la Suisse par un accord de
coopération dans le domaine de la fusion thermonucléaire et de la
physique des plasmas signé le 10 mai 1976, ainsi que par un accord-cadre
de coopération scientifique et technique signé le 13 janvier 1986.
Historiquement, avant leur diversification récente, les relations
extérieures de la CEEA ont été concentrées sur les
accords avec ses trois grands fournisseurs occidentaux de matières et de
technologies nucléaires.
La Communauté est liée avec le
Canada
par un accord de
coopération sur les utilisations pacifiques de l'énergie
atomique, signé le 6 octobre 1959, ainsi que par un
mémorandum d'accord concernant une coopération dans la recherche
et le développement dans le domaine de la fusion thermonucléaire,
signé le 6 mars 1986.
Elle est liée avec
l'Australie
par un accord relatif aux
transferts de matières nucléaires d'Australie à la CEEA,
signé le 21 septembre 1981.
Enfin, la Communauté est liée depuis l'origine aux
Etats-Unis
par plusieurs accords : accord préliminaire
signé le 29 mai 1958, avenant à l'accord de coopération
signé le 25 juillet 1960, accord de coopération dans le domaine
de la fusion thermonucléaire contrôlée signé le 15
décembre 1986.
La Commission s'apprête à conclure un accord entre la CEEA et la
Nuclear Regulatory Commission
américaine (US-NRC) dans le domaine
de la recherche sur la sûreté nucléaire. Les relations
directes entre l'US-NRC et la Communauté remontent à la fin des
années 1970, suite à l'accident de Three Mile Island.
Ces accords tendent à changer de nature. Ils sont davantage accords
de coopération réciproque qu'accords de fourniture
stricto
sensu
. D'où une difficulté pour distinguer les dispositions
relevant de la non prolifération en général, de la
compétence des Etats membres, et les dispositions relevant du
contrôle de sécurité spécifique sur les
matières, de la compétence de la Communauté.
Ils ont ouvert la voie à la négociation d'accords comparables
avec d'autres pays : un accord a été signé avec
l'Argentine en 1998, le premier liant la CEEA à un Etat
d'Amérique latine, et un mandat de négociation a
été confié à la Commission pour un accord avec le
Japon.
Plus récemment, la CEEA cherche à étendre son
réseau d'accords internationaux vers les
Etats issus de l'ancienne
URSS
.
Le 29 mars 1999, la Commission a avalisé un accord de coopération
avec le Kazakhstan dans le domaine de la sûreté nucléaire,
ainsi que dans celui du contrôle des matières nucléaires et
de la lutte contre leur trafic.
Le 12 juillet 1999, le Conseil a entériné deux accords de
coopération avec l'Ukraine, portant sur la sûreté
nucléaire et la fusion nucléaire contrôlée
menée à des fins pacifiques.
Comme on l'a vu, le commerce de matières nucléaires avec la
Russie reste géré conformément au système de
contingentement prévu par l'accord de partenariat de 1994, seule la
Suède étant favorable à la conclusion d'un accord
spécifique, qui devait en principe être conclu avant 1997.
3. Une préoccupation de protection sanitaire devenue prioritaire
L'article 2.a du traité Euratom prévoit que la
CEEA
doit "
établir des normes de sécurité uniformes
pour la protection sanitaire de la population et des travailleurs, et veiller
à leur application
".
Cet objectif de protection sanitaire est devenu prioritaire par rapport
à celui de promotion de l'énergie nucléaire. Afin de le
satisfaire, la Commission européenne dispose de pouvoirs importants en
matière de radioprotection, qu'elle a constamment augmentés en
interprétant de manière extensive les dispositions juridiques
existantes, et même en suppléant parfois les lacunes du
traité Euratom.
a) Des compétences importantes en matière de radioprotection
Le
chapitre III du traité Euratom est consacré à la
protection sanitaire. Il dote la Commission, au nom de la CEEA, de trois
instruments juridiques inégalement contraignants : la fixation de
normes de base communes, l'harmonisation des législations nationales et
le contrôle de la radioactivité dans les Etats membres.
Les
normes de base communes
"
relatives à la protection
sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers
résultant des radiations ionisantes
" sont fixées par le
Conseil, qui statue à la majorité qualifiée sur
proposition de la Commission, élaborée après avis d'un
groupe d'experts scientifiques des Etats membres (articles 30 et 31).
Afin de fonder ses propres normes de base, la CEEA a suivi dès sa
création les recommandations de la Commission internationale de
protection radiologique (CIPR), organisme scientifique indépendant des
gouvernements qui est à l'origine de toutes les réglementations
nationales ou internationales concernant la radioprotection.
Les normes de base ont été fixées pour la première
fois en 1959, et ont été depuis révisées à
plusieurs reprises. La directive du 13 mai 1996 sur la radioprotection
(50(
*
))
s'inspire des recommandations
formulées en 1990 par la CIPR, et abaisse sensiblement les doses
maximales d'exposition annuelle aux radiations.
Elle doit être
transposée par les Etats membres avant le 13 mai 2000. Votre
rapporteur constate que la France, une fois encore, ne respectera pas cette
date limite de transposition.
L'
harmonisation des législations nationales
est prévue par
l'article 33 du traité Euratom, dont le premier alinéa
reconnaît que "
chaque Etat membre établit les
dispositions législatives, réglementaires et administratives
propres à assurer le respect des normes de base
fixées (...)",
mais dont le deuxième alinéa
prévoit que "
la Commission fait toute recommandation en vue
d'assurer l'harmonisation des dispositions applicables à cet
égard par les Etats membres
".
Afin que la Commission puisse exercer son pouvoir de recommandation, les Etats
membres sont tenus de lui communiquer leurs dispositions nationales (article
33.3).
Le
contrôle de la radioactivité
dans les Etats membres
résulte de trois articles du traité Euratom. L'article 35
prescrit à ceux-ci d'établir "
les installations
nécessaires pour effectuer le contrôle permanent du taux de la
radioactivité de l'atmosphère, des eaux du sol, ainsi que le
contrôle du respect des normes de base
" et donne à la
Commission le droit d'accéder à ces installations de
contrôle afin d'en vérifier le fonctionnement et
l'efficacité.
Par ailleurs, l'article 36 oblige les Etats membres à communiquer
régulièrement à la Commission les résultats des
contrôles visés à l'article précédent, afin
que celle-ci "
soit tenue au courant du taux de la radioactivité
susceptible d'exercer une influence sur la population
".
Enfin, l'article 37 prévoit que "
chaque Etat membre est tenu de
fournir à la Commission les données générales de
tout projet de rejet d'effluents radioactifs sous n'importe quelle forme,
permettant de déterminer si la mise en oeuvre de ce projet est
susceptible d'entraîner une contamination radioactive des eaux, du sol ou
de l'espace aérien d'un autre Etat membre
". La Commission,
après consultation du groupe d'experts, émet un avis dans un
délai de six mois.
b) Une conception extensive de ces compétences
La
Commission a adopté une conception systématiquement extensive des
dispositions du traité Euratom qui lui confèrent des
compétences en matière de radioprotection.
Ainsi, elle a utilisé le pouvoir de proposer les normes de base qui lui
est conféré par l'article 31 pour mettre en place, avec l'aval du
Conseil, une législation communautaire dérivée abondante.
Cette législation dérivée ne concerne pas seulement
l'exposition constante des travailleurs et des populations, mais aussi, suite
à l'accident de Tchernobyl, les niveaux maxima admissibles de
contamination radioactive pour les denrées alimentaires
(51(
*
))
, ainsi que les modalités
d'échange d'informations et les mesures de protection à prendre
en cas d'urgence radiologique
(52(
*
)).
De même, la Commission a invoqué les pouvoirs de
vérification des installations de contrôle des Etats membres qui
lui sont donnés par l'article 35 pour mettre en oeuvre un contrôle
permanent des rejets des installations nucléaires.
Enfin, elle a invoqué la compétence consultative qui lui est
conférée par l'article 37 pour chercher à contrôler
systématiquement et
a priori
les effluents des installations
nucléaires, alors que certains Etats membres, dont la France,
considéraient que ces dispositions ne lui permettent d'intervenir que
très ponctuellement.
Une décision préjudicielle de la CJCE
(53(
*
))
a validé en 1988
l'interprétation de la Commission, et même considéré
que l'avis de celle-ci devait intervenir avant l'autorisation administrative
des installations par les autorités compétentes de l'Etat membre.
Bien que ce sujet soit connexe à la question du nucléaire
civil, votre rapporteur estime utile de rappeler qu'à l'occasion des
derniers essais nucléaires français dans l'atoll de Mururoa, en
1995 et 1996, la Commission européenne a invoqué l'article 34 du
traité Euratom pour demander des explications à la France
.
Cette disposition lui confère un droit d'avis conforme pour toute les
"
expériences particulièrement dangereuses
"
devant avoir lieu sur le territoire d'un Etat membre. Sous la pression du
Parlement européen, qui la menaçait d'un vote de censure, la
Commission avait alors envisagé de fonder sur cette base juridique un
recours en manquement contre la France, avant d'abandonner la
procédure.
c) De nouveaux domaines d'intervention non prévus par les textes
Loin de
se contenter d'une interprétation extensive des dispositions existantes,
la Commission européenne va au-delà de la lettre du traité
Euratom pour proposer au Conseil, avec un succès inégal, de
mettre en place des politiques communes.
On a vu précédemment la manière dont la Commission
revendique avec obstination une compétence en matière de
sûreté des centrales nucléaires
, aussi bien dans le
cadre des programmes PHARE et TACIS que dans celui des négociations
d'adhésion ou dans celui de la convention internationale de 1994 sur la
sûreté nucléaire. Mais, jusqu'à présent,
elle n'a guère été suivie sur ce terrain par les Etats
membres.
En effet, la sûreté nucléaire est un sujet bien trop
grave et délicat pour que les Etats membres acceptent de s'en dessaisir
au profit de la Communauté. Compte tenu de la sensibilité de
leurs opinions publiques sur cette question, ils préfèrent la
traiter, y compris dans le domaine de l'information, au niveau national.
Aussi, la compétence exclusive des Etats membres en matière de
sûreté nucléaire est-elle constamment rappelée dans
les diverses résolutions du Conseil.
La solidarité entre les Etats membres est très forte sur ce
point, même de la part de ceux qui ne sont pas favorables au
nucléaire.
Elle a été renforcée par le recours
juridictionnel de la Commission contre les bases juridiques de la
décision du Conseil d'adhésion d'Euratom à la convention
sur la sûreté nucléaire, qui avait été
adoptée à l'unanimité des Etats membres.
En revanche, la Commission européenne a eu plus de succès
lorsqu'il s'est agi de mettre en place des programmes pour certains aspects de
la filière nucléaire qui ont été omis par les
auteurs du traité Euratom, mais qui justifient aujourd'hui un minimum
d'harmonisation communautaire.
Ainsi, elle a pu faire adopter en 1992 une importante directive
(54(
*
))
sur la surveillance radiologique des
transports de déchets radioactifs
à l'intérieur et
aux frontières de la Communauté, parce que cela correspond
à une réelle préoccupation de l'opinion publique et des
Etats membres, même si cette question n'est pas évoquée par
le traité Euratom autrement que sous l'angle de la liberté de
circulation des matières nucléaires.
De même, la Commission a obtenu l'application, par analogie, de la
procédure de consultation prévue par l'article 37 du
traité pour les projets d'installations nouvelles aux premières
opérations de démantèlement de centrales
nucléaires
. La France a ainsi soumis pour avis à la
Commission le programme de démantèlement de la centrale de
Brennilis, alors qu'elle n'était juridiquement pas tenue de le faire.
Enfin, la Commission s'est saisie récemment de la question de la
gestion des déchets
nucléaires
en
préconisant l'adhésion de l'Union européenne à la
convention commune de 1997 sur la sûreté de la gestion du
combustible usé et des déchets radioactifs, et en proposant de
mettre en place un plan d'action communautaire en la
matière
(55(
*
)).
Bien que la base légale " à tout faire " fournie par
l'article 31 du traité Euratom relatif à la radioprotection soit
des plus minces, le Conseil a donné son aval au principe d'un plan
communautaire de gestion des déchets nucléaires, dans la mesure
où celui-ci consiste pour l'essentiel en un simple échange
d'informations sur les politiques nationales et une coordination des efforts de
recherche scientifique menés dans ce domaine.
Votre rapporteur considère comme légitimes les extensions du
champ de compétences de la CEEA demandées par la Commission,
lorsque celles-ci correspondent à des aspects de la filière
nucléaire qui n'avaient pas été envisagés en 1957
par les auteurs du traité Euratom, tels que le
démantèlement des centrales ou la gestion des déchets
nucléaires.
Mais tout dépend de l'esprit dans lequel ces extensions de
compétences interviennent.
Elles doivent respecter la responsabilité première des Etats
membres dans le domaine nucléaire, par une application bien comprise du
principe de subsidiarité.
Elles ne doivent pas se faire dans un sens abusivement restrictif. Car la
tentation permanente des opposants au nucléaire reste d'étrangler
économiquement toute la filière, en la soumettant à des
exigences communautaires intenables relatives aux rejets, aux transports ou aux
déchets.
Votre rapporteur relève que l'absence de consensus parmi les Etats
membres et au sein des instances européennes ne garantit pas que
l'aggiornamento
du traité Euratom se fasse dans ces conditions
idéales de sérénité, et appelle donc le
gouvernement français à rester toujours vigilant.