M. le président. « Art. 46. - Il est inséré, après l'article 316 du même code, un article 316-1 ainsi rédigé :
« Art. 316-1 . - Sont recevables les exceptions tirées d'une nullité concernant la procédure suivie devant le tribunal d'assises et portant sur des éléments de preuve recueillis devant ce tribunal, lorsqu'il est fait état de ces éléments, par le président, le ministère public ou une partie, à l'audience devant la cour d'assises, à condition que cette nullité ait fait l'objet d'un incident contentieux devant le tribunal. Sont irrecevables les autres exceptions tirées d'une nullité concernant la procédure suivie devant le tribunal d'assises.
« Les exceptions de nullité prévues à l'alinéa précédent et les exceptions tirées d'une nullité concernant la procédure suivie devant la cour d'assises, autres que celles prévues aux articles 305-1 et 331-1, doivent, à peine de forclusion, être soulevées avant la clôture des débats. Ces incidents contentieux sont réglés conformément aux dispositions de l'article 316. »
Par amendement n° 242, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 316-1 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'occurrence, nous avons besoin d'explications.
Cet article 46 introduirait en cour d'assises quelque chose de tout à fait nouveau. En effet, aux termes du second alinéa du texte présenté pour l'article 316-1 du code de procédure pénale, une nullité ne pourrait être soutenue devant la Cour de cassation que si le moyen a été lui-même soutenu devant la cour d'assises.
Il nous paraît inconcevable qu'une nullité soit couverte simplement parce que personne ne se rendrait compte de son existence. Cela n'existe pas actuellement : on peut découvrir, en examinant le dossier, en étudiant à tête reposée ce qui s'est passé, qu'il y a une nullité, et c'est un moyen de cassation.
Il ne nous paraît pas normal d'affirmer que, à partir du moment où personne ne se rend compte qu'il y a une nullité - ni, par définition, le président ou ses assesseurs ou les jurés, ni la défense, ni le ministère public - cette nullité n'en serait plus une. Nous, nous ne pouvons pas l'accepter ! C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet alinéa.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ce matin, la commission a discuté assez longuement de cette disposition. Le rapporteur a été mis en minorité. Mais ce n'est pas une affaire d'amour-propre !
Je suis donc chargé de rapporter un avis favorable sur cet amendement n° 242.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je partage tout à fait les sentiments de tristesse qui viennent d'être exprimés par M. le rapporteur quant au vote qui a été émis par la commission des lois. (Sourires.) En effet, il s'agit d'une disposition importante du projet de loi, et je souhaite qu'elle soit maintenue, c'est-à-dire que l'amendement soit repoussé.
Cette disposition est importante parce qu'elle adapte la procédure de la cour d'assises au fait que, désormais, cette cour est une cour d'appel et qu'un jugement au fond intervient au préalable en première instance devant le tribunal correctionnel.
Aujourd'hui, la cour d'assises jugeant en premier et en dernier ressort, la procédure devant elle est extrêmement réglementée, et elle constitue même, tous les avocats le savent, comme les magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation, un véritable nid de nullités.
A partir du moment où le cas a déjà été examiné au fond une première fois par le tribunal départemental, le projet de loi prévoit, en toute logique, de supprimer le caractère extrêmement formaliste de la procédure, de manière à supprimer des cas de nullité purement formels qui, en fait, ne portent pas véritablement atteinte aux droits de la défense, et qui étaient essentiellement utilisés pour aller en cassation dans la mesure où il n'existait pas de possibilité d'appel et où la cassation était souvent un moyen de pallier l'absence d'appel.
Pour éviter ces nullités excessives, nous prévoyons que les exceptions de nullité concernant les débats devant la cour d'assises devront être soulevées avant la clôture des débats.
Je crois qu'il faut absolument maintenir cet article, et donc repousser l'amendement, pour les raisons que je viens d'évoquer, mais aussi pour une autre raison que je tire de l'examen attentif que j'ai fait des débats qui ont eu lieu voilà une vingtaine de jours dans cet hémicycle.
M. Dreyfus-Schmidt avait alors dit exactement ce que je viens de dire lorsqu'il s'était opposé à ce que les exceptions de nullité concernant la question de la prestation de serment des témoins soient déposées avant la fin de l'audition des témoins. Je cite d'ailleurs ses propos, qui figurent à la page 1755 du Journal officiel des débats du Sénat : « Vous demandez, monsieur le garde des sceaux, que la nullité soit soulevée, à peine de forclusion, non pas avant la fin des travaux du tribunal, mais avant la fin de l'audition du témoin. Permettez-moi de vous dire que cela n'est vraiment pas justifié. »
Par conséquent, monsieur Dreyfus-Schmidt, une forclusion à la fin des travaux de la juridiction, et donc des débats de la cour d'assises, est, selon vous, tout à fait justifiée. C'est exactement ce que je vous propose par le texte que vous souhaitez supprimer.
J'ajouterai un dernier argument, qui est de bon sens : comment, en pratique, soulever une nullité lorsque les débats sont terminés et que la cour s'est retirée pour délibérer ?
Voilà pourquoi, suivant le sentiment de M. le rapporteur, je demande au Sénat de rejeter l'amendement n° 242.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 242.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis très flatté de la citation de M. le garde des sceaux, mais je ne suis pas convaincu.
Nous préférions que la nullité soit soulevée avant la fin du débat devant le tribunal, et non avant la fin de l'audition du témoin. Qui peut le plus peut le moins ! Cela ne signifie pas que nous étions d'accord sur la méthode.
Vous avez remarqué que nous ne demandons pas la suppression du premier alinéa de l'article 316-1. En effet, les nullités concernant la procédure suivie devant le tribunal d'assises sont moins graves dans la mesure où un nouveau débat complet s'instaure devant la cour d'assises.
En revanche, je remercie très vivement M. le garde des sceaux des explications qu'il nous a données et qui justifient pleinement l'amendement n° 242 visant à supprimer le deuxième alinéa de l'article 46.
J'ai entendu avec peine M. le rapporteur dire qu'il avait été mis en minorité en commission. C'est une confidence rare devant le Sénat. Il ne nous avait donné, quant à lui, aucune explication. Le voilà maintenant éclairé, et j'espère donc qu'il se ralliera à notre position et, ce faisant, qu'il rejoindra la quasi-unanimité de la commission des lois - j'en prends à témoin mes collègues ici présents.
De quoi s'agit-il, encore une fois ?
M. le garde des sceaux nous a dit que les nullités pouvaient être soulevées devant la Cour de cassation, car il n'y avait pas d'appel.
Mais ici, justement, nous sommes en appel, et cela ne dispense pas du tout d'une éventuelle cassation. S'il y a une nullité et si cette dernière est grave, substantielle, elle doit pouvoir être soulevée à tout moment. Elle ne sera pas couverte au seul motif que personne ne s'en est rendu compte.
On pourrait prétendre que l'avocat s'est rendu compte de la nullité et qu'il a fait exprès de ne pas la soulever pour pouvoir le faire devant la Cour de cassation. Mais le président, lui, ne s'en serait donc pas rendu compte non plus ? Et le procureur général non plus ? Tous seraient donc complices pour accepter cette nullité ? Ce n'est pas pensable !
Si une nullité est relevée par quelqu'un, on peut la corriger, comme c'est le cas pour l'audition du témoin, monsieur le garde des sceaux ; mais si personne ne se rend compte de cette nullité, elle ne peut pas être couverte simplement parce que personne ne s'en est rendu compte ! C'est une méthode tout à fait inadmissible.
C'est un point très important - vous avez raison de le dire - sur lequel, d'ailleurs, l'attention de personne n'a été attirée devant l'Assemblée nationale. Il a fallu notre vigilance : vous vouliez maintenant couvrir des nullités simplement parce que personne ne les aurait soulevées.
Ce n'est pas acceptable, et nous maintenons donc plus que jamais l'amendement n° 242 tendant à la suppression du deuxième alinéa de l'article 46 !
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je voudrais ajouter quelques précisions aux justes propos tenus par M. Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas à la légère que la commission des lois s'est prononcée ce matin.
Nous aurons un double degré de juridiction. Supposons que, devant le tribunal d'assises, les nullités de procédure n'ont pas été soulevées. C'est grave, mais l'appel est interjeté, et l'on se retrouve alors devant la cour d'assises.
Cette fois, sous réserve du contrôle de la Cour de cassation, la décision qui va intervenir sera définitive. Une nullité, à ce stade de la procédure devant la cour d'assise, est donc une chose grave.
La procédure criminelle est complexe, et les nullités qui sont inscrites dans le texte et que la Cour de cassation fait respecter sont des nullités qui ont été prévues très communément, afin que tous les droits de la défense puissent être exercés.
Or, ici, mes chers collègues, on vous demande de prévoir que, si la défense n'a pas, dans le cours du débat, relevé le moyen tiré de la nullité, ce dernier ne pourra plus être soulevé devant la Cour de cassation.
Je voudrais simplement vous dire que, dans des affaires extrêmement graves - ici, je le rappelle, la décision qui interviendra sera définitive - la nature des choses veut que, très souvent, de jeunes avocats soient commis d'office. Ils ont du talent, du coeur, mais ils ne sont pas encore au fait, avec la promptitude et l'acuité nécessaires, de tous les problèmes de procédure que peut soulever une audience de cour d'assises, et ils peuvent parfaitement, dans la tension et l'angoisse de cette audience, laisser passer une cause de nullité. C'est précisément cela que l'on ne doit pas consacrer ici.
Si nous empêchons que, devant la Cour de cassation, on puisse soulever un moyen tiré d'une nullité - la nullité, je le rappelle, ne peut être prononcée que par la Cour de cassation, et c'est donc un moyen sérieux - simplement parce qu'un jeune avocat sans expérience, seul au banc de la défense, l'aura laissé passer pour les raisons que j'évoquais, véritablement, nous allons à l'encontre d'un principe très important : il faut, quand on en est au stade d'une décision qui va devenir définitive, que les nullités éventuelles puissent être soulevées. D'ailleurs, ce matin, la commission des lois a statué en ce sens, et il n'y en a pas d'autre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 242, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 46, ainsi modifié.
(L'article 46 est adopté.)
Article 47