M. le président. « Art. 2. - Le premier alinéa de l'article 276-1 du même code est ainsi rédigé :
« Le juge fixe la durée de la rente en prenant en considération les éléments d'appréciation prévus à l'article 272. Le décès de l'époux créancier avant l'expiration de cette durée met fin à la charge de la rente. »
Sur cet article, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 12, le Gouvernement propose de rédiger comme suit cet article :
« Les deux premiers alinéas de l'article 276-1 du code civil sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Le juge fixe la durée de la rente en prenant en considération les éléments d'appréciation prévus à l'article 272. La rente est allouée à titre temporaire.
« Elle peut également être assortie d'un terme extinctif ou d'une condition résolutoire. Elle cessera alors d'être due à compter de la réalisation de cet événement.
« Par décision spéciale et motivée, le juge peut allouer une rente viagère.
« La rente est indexée sauf si le juge en décide autrement par décision spéciale et motivée ; l'indice est déterminé comme en matière de pension alimentaire. »
Par amendement n° 1, MM. Dreyfus-Schmidt, Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans la première phrase du texte présenté par l'article 2 pour le premier alinéa de l'article 276-1 du code civil, après les mots : « la durée de la rente », d'insérer les mots : « , qui peut être viagère, ».
Par amendement n° 2, M. About propose d'insérer, après la première phrase du
texte présenté par l'article 2 pour le premier alinéa de l'article 276-1 du
code civil, deux phrases ainsi rédigées :
« En aucun cas elle ne saurait excéder une durée équivalente à deux fois la
durée effective du mariage. Si, à l'expiration de cette période, la suppression
de la rente devait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour
l'époux créancier, le juge fixe une nouvelle durée de versement. »
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour présenter l'amendement n° 12.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
L'amendement n° 12 a un triple objet.
Tout d'abord, nous partageons le souci de la commission d'assurer une
meilleure individualisation dans la fixation de la rente, et je crois utile de
rappeler expressément que, lorsque le juge fixe le montant de celle-ci, il doit
prendre en considération les critères propres à caractériser la situation des
parties.
Ensuite, je crois souhaitable de privilégier le caractère temporaire du
versement de la rente. Il est vrai que la pratique a révélé un large recours à
la rente viagère au lendemain de la réforme de 1975. Même actuellement, la
proportion reste importante, puisqu'elle dépasse 30 %.
Or ce caractère viager présente l'inconvénient de renforcer, dans l'esprit des
ex-conjoints, le caractère alimentaire de la prestation compensatoire et
d'inciter à la révision.
C'est pourquoi il est proposé de mentionner expressément que la rente est, en
principe, allouée à titre temporaire.
Cependant, même s'il convient de privilégier ce caractère, il n'est pas
possible d'en faire un principe absolu. Nombre d'exemples démontrent la
nécessité de conserver aux juges une certaine capacité d'appréciation : ainsi,
pour une femme âgée de plus de cinquante ans au moment du divorce, sans
qualification professionnelle ou ayant élevé ses enfants, la rente viagère est
la formule la plus satisfaisante, car il s'agira là, bien souvent, de sa seule
ressource.
De même, en pareille hypothèse, la transmission aux héritiers du débiteur me
paraît s'imposer.
La diversité des situations implique donc que le juge dispose d'une latitude
propre à mieux prendre en compte les impératifs de chaque espèce.
Il me paraît opportun, à cet égard, que le juge dispose de deux
possibilités.
Tout d'abord, au lieu de fixer un certain nombre d'annuités, le juge doit
pouvoir décider que la rente cessera d'être versée lorsque surviendra un
événement qu'il lui appartiendra de déterminer dans sa décision. Cet événement
doit pouvoir revêtir la forme juridique d'un terme extinctif, comme, par
exemple, la mise à la retraite du débiteur ou le décès de celui-ci, mais
également celle d'une condition résolutoire, comme le remariage.
Par ailleurs, on ne doit pas exclure la possibilité pour le juge de fixer une
rente viagère dans des hypothèses où le besoin de ressources périodiques se
fait sentir pour le créancier jusqu'à son décès.
Enfin, le Gouvernement vous propose de modifier le mécanisme actuel
d'indexation de la rente.
Il est en effet souhaitable, dans un souci d'individualisation des situations,
de donner au juge le pouvoir d'exclure l'indexation, qui est actuellement
obligatoire. Il ne pourra toutefois le faire qu'en motivant spécialement sa
décision.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Finalement, en gros, nous sommes d'accord. L'amendement n° 1 vise à préciser
que la rente peut être viagère.
Le début du texte proposé par la commission pour le premier alinéa de
l'article 276-1 du code civil est ainsi rédigé : « Le juge fixe la durée de la
rente... », ce qui peut laisser croire que, si la durée est limitée - deux ans,
trois ans ou cinq ans -, la rente ne peut plus être viagère.
Pour que les choses soient claires, nous proposons donc, après les mots : « la
durée de la rente », d'ajouter les mots : « , qui peut être viagère ».
Je suis d'ailleurs reconnaissant à Mme la ministre d'avoir prouvé à l'instant,
et par des exemples et par des statistiques, que, fréquemment, les rentes sont
et doivent en effet être viagères.
Dès lors, je pense que nous serons tous d'accord pour inscrire cette précision
dans la loi.
Faut-il l'inscrire dans les termes proposés par le Gouvernement ? J'avoue que
je ne comprends pas très bien pourquoi la décision devrait être spéciale et
motivée dans 30 % des cas - vous venez en effet de nous dire, madame la garde
des sceaux, que la proportion des rentes viagères est de 30 %. Ceux qui
préparent des conventions en vue de divorces par consentement mutuel ne
motivent pas spécialement pourquoi la prestation compensatoire va être limitée
dans le temps ou pourquoi elle ne va pas l'être. Cela dépend évidemment des cas
d'espèces. Vous me direz que, s'agissant d'un divorce par consentement mutuel,
il y a accord. Mais en l'absence d'accord, de longues discussions se déroulent
devant le juge, des arguments sont avancés et, en conséquence, le juge décide
en connaissance de cause.
S'agissant de l'indexation, nous retrouvons la théorie de l'imprévision chère
au Conseil d'Etat dont parlait ce matin, en commission, M. Jacques Larché,
ancien membre dudit Conseil. Tant qu'il y aura un risque d'inflation - Dieu
merci, il s'agit actuellement plus d'un risque que d'une réalité ! - il est bon
que la loi impose l'indexation des prestations compensatoires décidées pour
répondre aux besoins de l'un, compte tenu des possibilités de l'autre.
Pourquoi faudrait-il là une décision spéciale et motivée ? Vous me direz
qu'une telle disposition vise à donner la possibilité au juge, dans un cas
d'espèce, que je n'imagine pas d'ailleurs, d'en décider autrement. Mais
pourquoi faudrait-il que ce soit par une décision spéciale et motivée ? Dans
les faits, je n'ai jamais vu personne, ni l'un ni l'autre des époux, dans aucun
cas, protester contre l'indexation. Tout le monde comprend parfaitement, en la
matière, la justification d'une telle disposition.
Je pense donc que l'on peut s'en tenir à notre amendement et rédiger ainsi le
début du texte proposé par la commission pour l'article 276-1 du code civil : «
Le juge fixe la durée de la rente, qui peut être viagère, en prenant en
considération... ».
M. le président.
La parole est à M. About, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Nicolas About.
Je suis tenté de retirer mon amendement, mais le propos que vient de tenir Mme
le ministre sur la volonté de maintenir une transmissibilité dans un certain
nombre de cas m'inquiète quelque peu dans la mesure où il laisse présager ce
que sera la discussion future.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Votre amendement ne la supprime pas !
M. Nicolas About.
Pas celui-là, mais le suivant !
Sur le fond, la proposition du Gouvernement me donne satisfaction dans la
mesure où son but est de parvenir à une situation équitable, d'aider chacun,
d'assortir les décisions de conditions éventuellement résolutoires, d'un terme
extinctif. Simplement - c'est le seul reproche que je peux faire - elle ne
prévoit pas que la rente serait, à terme moyen, extinctif.
J'ai donc proposé, par l'amendement n° 2, que la rente ne soit réclamable ou
réclamée que pour une durée équivalant à deux fois la durée effective du
mariage, étant entendu que, dans certaines circonstances d'une exceptionnelle
gravité, cette durée pourrait, si le juge le pense nécessaire, être prolongée.
C'est, à mon avis, une bonne limite.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 12, 1 et 2 ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
L'amendement n° 12 a le défaut de tendre à transformer à
nouveau la rente en pension alimentaire.
M. Nicolas About.
C'est au juge de prendre la décision !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Mais ce n'est pas la peine d'en ajouter !
Tout d'abord, l'adoption de cet amendement permettrait en principe au juge de
déroger au caractère temporaire de la rente par une décision spéciale et
motivée. Vous ajoutez deux motivations spéciales dans votre amendement, madame
le garde des sceaux, et vous savez tout le bien qu'en pense la commission des
lois !
Par ailleurs, cet amendement tend à permettre au juge d'assortir la rente d'un
terme extinctif, telle la mise à la retraite, ou d'une condition résolutoire,
tel que le remariage du créancier.
M. Nicolas About.
C'est bien !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Le service de la rente sera, par exemple, subordonné à la
condition que l'ex-époux créancier ne se remarie pas. Cette rente se transforme
donc en une pension alimentaire. Cela ne tient pas debout, ou alors nous
retombons dans les travers que dénonçait tout à l'heure M. About.
M. Nicolas About.
Non !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Je vois mal sur quel critère un juge pourrait décider que le
remariage de tel créancier entraînerait la disparition de la prestation
compensatoire alors que le remariage de tel autre ne ferait pas disparaître
cette prestation.
En ce qui concerne la retraite, il est normal que le juge puisse prévoir la
disparition ou la diminution de la prestation compensatoire lors de l'arrivée à
l'âge de la retraite du débiteur. Il peut déjà en tenir compte puisqu'il est
censé fixer la prestation compensatoire en prenant en compte la situation au
moment du divorce et l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. D'ores
et déjà, certains juges prévoient des rentes qui diminuent fortement au moment
où le débiteur arrive à l'âge de la retraite.
L'indexation facultative de la rente paraît normale, dès lors qu'on veut
renforcer le caractère de capital de la prestation compensatoire ; mais cette
disposition positive est marginale par rapport aux défauts de l'amendement n°
12, sur lequel la commission émet un avis défavorable.
En revanche, la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 1
puisqu'elle a souhaité que le juge fixe systématiquement la durée de la rente.
Cette durée peut naturellement être la vie du créancier.
La précision apportée par cet amendement n'est pas inutile dans la mesure où
la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 2, dans la rédaction
proposée par la commission, dispose que « le décès de l'époux créancier avant
l'expiration de cette durée met fin à la charge de la rente », ce qui pourrait
laisser penser que la rente viagère n'est pas prévue. Mieux vaut donc le
prévoir.
Monsieur About, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de vous dire que la
commission des lois est défavorable à l'amendement n° 2 pour toutes les raisons
déjà exposées à propos de l'amendement n° 12. De plus, la fixation de la durée
de la rente à deux fois la durée du mariage me paraît un peu brutale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Une fois et demie !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Une fois et demie ou trois fois ! Cela dépend de la durée du
mariage et de nombreux éléments.
M. Nicolas About.
Pourquoi pas au-delà de la mort ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Non, c'est un autre problème !
M. Nicolas About.
C'est le même !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Pas du tout !
M. Nicolas About.
Mais si !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
En tout cas, la commission est défavorable à votre
amendement.
M. Nicolas About.
Cela ne m'étonne pas !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 2 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En ce qui concerne l'amendement n° 1, le Gouvernement
s'en remet à la sagesse du Sénat.
Quant à l'amendement n° 2, il n'y est pas favorable. En effet, il ne doit pas
exister nécessairement de corrélation entre la durée du mariage et la disparité
dans les conditions d'existence que provoque la rupture, disparité à laquelle
la prestation compensatoire a pour objet de remédier. Ce n'est pas parce que le
mariage a duré longtemps que la rente doit être versée pendant de longues
années ou, à l'inverse, parce que l'union a été courte que le versement de la
rente doit être limité dans le temps.
Une femme qui cesse son activité professionnelle en se mariant à quarante ans
et qui divorce quatre ans après rencontrera forcément des difficultés pour
retrouver les ressources lui permettant de vivre.
Voilà pourquoi je pense que l'on ne peut pas établir de corrélation
systématique et pourquoi j'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 2.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il y a un effet de seuil !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 12.
M. Nicolas About.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Je voterai l'amendement n° 12 et je retire l'amendement n° 2. En effet,
l'adoption de l'amendement n° 12 constituera, à mon sens, un bon compromis.
M. le président.
L'amendement n° 2 est retiré.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. About est parfaitement logique avec lui-même. Il a demandé tout à l'heure
que, dès lors qu'il y a remariage ou concubinage notoire, la prestation
compensatoire cesse. Cela lui a été refusé, et il a même fini par retirer son
amendement du moment que la révision était possible.
Mais voici qu'avec cet amendement, vous vous dites, monsieur About, que le
juge aurait la possibilité de prévoir que, si l'intéressé se remarie ou vit en
concubinage notoire, la prestation compensatoire sera supprimée. Vous avec donc
de la suite dans les idées.
M. Nicolas About.
C'est de la logique !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous aussi, et c'est pourquoi, nous sommes contre l'amendement n° 12.
M. Nicolas About.
Vous ne faites pas confiance aux juges ?
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, ainsi modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2
bis
ou article additionnel après l'article 2