VEILLE SANITAIRE ET CONTRÔLE
DE LA SÉCURITÉ DES PRODUITS
DESTINÉS À L'HOMME
Discussion d'une proposition de loi
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 222, 1997-1998), modifiée par l'Assemblée nationale, relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité des produits
destinés à l'homme. [Rapport n° 263 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, monsieur le
président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici de nouveau réunis pour traiter de
l'organisation de la sécurité sanitaire.
A partir d'une proposition de loi dont l'initiative revient au Sénat, une
première lecture dans votre assemblée puis une autre à l'Assemblée nationale
ont permis à chacun de faire entrendre son point de vue.
Il n'est aucun des nombreux sujets abordés par ce texte sur lequel nous ne
soyons arrivés à nous écouter, à nous comprendre et à rassembler nos volontés
pour oeuvrer de concert en vue de forger une unité de doctrine visant au
renforcement de la sécurité sanitaire dans notre pays.
Cette doctrine repose sur des principes cohérents : une expertise scientifique
forte et indépendante ; une sécurité assurée sur l'ensemble des différentes
chaînes des différents produits destinés à l'homme ; une indépendance par
rapport aux intérêts économiques sectoriels ; une transparence dans la décision
et des responsabilités clairement identifiées ; enfin, une capacité d'alerte
rapide.
Au-delà des principes, je constate également aujourd'hui une convergence
globale de nos analyses et de nos propositions sur pratiquement l'ensemble du
dispositif.
Ainsi, les modifications apportées par l'Assemblée nationale, pour importantes
qu'elles soient, ne remettent en cause ni les principes qui nous ont inspirés
ni le schéma général du dispositif auquel nous étions parvenus.
De la contribution résultant des travaux conduits à l'Assemblée nationale, je
retiens plusieurs dispositions majeures.
J'évoquerai tout d'abord la création du Comité national de la sécurité
sanitaire.
La mission de ce comité est, à mes yeux, particulièrement importante, car elle
répond à une préoccupation majeure, à savoir la coordination de l'action des
différentes structures en place : veiller à ce que les problèmes connus ou
émergents soient pris en compte par l'ensemble des différents acteurs ;
confronter les méthodes, les informations disponibles, les résultats des
analyses, les propositions d'action préconisées par les uns et par les autres.
Il ne s'agit pas seulement d'une coordination administrative, vous l'aurez bien
noté ; c'est une culture commune qu'il nous faut forger, culture centrée sur la
protection de la santé de l'homme.
L'importance de l'enjeu me paraît justifier cette disposition législative et
le rôle conféré au ministre chargé de la santé, non parce qu'il s'agit du
ministre, je vous prie de le croire, mais parce qu'il s'agit, en définitive, de
la santé.
L'Assemblée nationale a par ailleurs souhaité prolonger la mission que nous
avions fixée aux établissements de santé concernant la mise en oeuvre du
dispositif de vigilance et de lutte contre les infections nosocomiales et
autres infections iatrogènes. Le Gouvernement y a été favorable.
Dans le cadre de l'information du public en cas d'urgence sanitaire, il est
proposé que des messages d'alerte puissent être dorénavant diffusés par les
chaînes de télévision. Ces messages viendront renforcer le dispositif d'alerte
que nous prévoyons par ailleurs d'étendre, notamment, au réseau « santé sociale
», qui, je l'espère, reliera au plus vite les médecins entre eux.
De façon plus générale, un certain nombre de dispositions ont été retenues
pour permettre une meilleure écoute du public, pour renforcer son information
sur les problèmes de sécurité sanitaire et pour assurer la transparence du
fonctionnement du dispositif à son égard.
Ainsi, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé rendra
publique une synthèse des dossiers d'autorisation de mise sur le marché de tout
nouveau médicament. Elle organisera des réunions régulières d'information avec
les associations de patients et d'usagers sur les problèmes de sécurité
sanitaire. Elle pourra être saisie par les associations agréées de
consommateurs.
Concernant l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, je laisserai
à mon ami Louis Le Pensec, ministre en charge de ce dossier, le soin d'évoquer
les discussions qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale et les dispositions qui
en ont découlé. Vous noterez que le Gouvernement, après avoir pris le temps de
l'expertise - en première lecture, je vous avais simplement répondu, entre la
figue et le raisin, en quelque sorte, que j'étais favorable à une étude du
problème que vous aviez soulevé -, s'est rallié à votre proposition d'intégrer
le CNEVA, le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, à l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments. M. Le Pensec ainsi que, sans
doute, Mme Lebranchu, secrétaire d'Etat chargé des PME, du commerce et de
l'artisanat, s'en expliqueront tout à l'heure.
L'opportunité de créer une agence de sécurité sanitaire de l'environnement a
également été débattue à l'Assemblée nationale. La question, pour légitime
qu'elle soit, nous a paru prématurée.
M. Charles Descours.
Certes !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Les problèmes de santé liés à l'environnement ne
doivent pas être occultés. Ils sont légion ! Je pense, par exemple, aux effets
des substances chimiques, comme les éthers de glycol, de l'amiante, des
radiations ionisantes, de la dioxine, de la pollution atmosphérique. Chacun de
ces dossiers intéresse différents départements ministériels et, surtout,
différentes structures. Dans le cas de l'amiante, c'est le ministère du travail
qui est intervenu en première ligne, mais il n'était évidemment pas seul
concerné.
S'agissant du radon, j'ouvre ici une parenthèse. Des chiffres très alarmistes
mais peu fondés scientifiquement circulent. A l'Assemblée nationale, j'ai
entendu, avec beaucoup de surprise, parler de 3 000 à 5 000 patients atteints
de cancer du poumon du fait du radon. A ma connaissance - mais j'ai vraiment
étudié les dossiers - aucun décès par cancer du poumon n'a été attribué au
radon, sauf dans une série canadienne. En tout cas, le Conseil supérieur
d'hygiène publique de France, que nous avons saisi et dont l'avis a été rendu
public, était très loin de céder à l'alarmisme ambiant. Il n'empêche qu'il faut
bien entendu rester très attentif aux effets du radon. Chacun sait, en
particulier dans le Massif central et en Bretagne, que le granit tend à
relâcher ce gaz, source de radioactivité.
Pour toutes ces raisons et pour bien d'autres, la création d'une agence de
sécurité sanitaire de l'environnement mérite d'être étudiée. On ne peut
garantir que l'organisation actuelle en matière de sécurité sanitaire et de
risque environnemental soit la meilleure possible. Cependant, compte tenu de la
multiplicité des produits, de la variété des situations et du nombre important
de structures existantes intervenant dans ce domaine, il n'a pas paru
raisonnable de retenir le principe d'une agence de sécurité sanitaire de
l'environnement sans qu'une réflexion approfondie soit préalablement menée à ce
sujet. Une mission parlementaire s'y emploiera. Ce n'est donc absolument pas un
refus que le Gouvernement oppose à cette suggestion.
En toute hypothèse, on peut attendre de l'Institut de veille sanitaire une
plus grande activité d'expertise, de veille et d'alerte sur les problèmes
sanitaires liés à l'environnement.
L'Assemblée nationale, avec l'appui du Gouvernement, a en outre adopté une
importante réforme de l'organisation de la transfusion sanguine.
Un établissement public - l'Etablissement français du sang, l'EFS - devient
l'opérateur unique de la transfusion. Nous allons ainsi jusqu'au bout de la
logique engagée par la réforme de 1993 et renforcée par votre proposition
initiale qui, séparant la compétence relative à la sécurité des problèmes
d'organisation et de gestion, transférait la police sanitaire des produits
sanguins labiles et des sites de collecte, de préparation et de distribution à
l'Agence des produits de santé.
Les établissements de transfusion sanguine perdent leur personnalité morale
pour devenir des sites locaux de l'Etablissement français du sang. Les
directeurs des établissements de transfusion sanguine seront désormais nommés
par le président de l'EFS, dont ils pourront recevoir délégation de façon à
permettre un maximum de souplesse - mais pas d'autonomie - pour la gestion de
l'établissement local.
L'organisation territoriale de la transfusion est également affectée par la
réforme. Cette organisation continuera de relever de schémas territoriaux, mais
l'agrément des établissements de transfusion sanguine sera demandé par l'EFS et
relèvera de l'Agence des produits de santé.
Quant au personnel des établissements de transfusion sanguine et de l'Agence
française du sang, leurs contrats de travail seront repris par l'EFS. Les
personnels de droit privé seront gérés dans le cadre d'une convention
collective, le statut des personnels relevant de la fonction publique restant
inchangé.
Cette réforme permettra à notre pays de disposer d'un service public
transfusionnel efficace, sûr et adapté aux besoins des populations.
Je fais remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que, à partir du 1er
avril, nous serons les seuls à appliquer la déleucocytation à notre transfusion
sanguine. Nous pourrons alors considérer que, sans pour autant atteindre le
risque zéro, bien sûr, notre système de transfusion sanguine est, dans le
monde, celui qui approche le plus la sûreté absolue.
Diverses dispositions ont été prises à l'Assemblée nationale pour renforcer
l'encadrement de certains produits de santé, notamment des dispositifs
médicaux, des aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales, des
matières premières à usage pharmaceutique et des préparations hospitalières.
Ces mesures étaient nécessaires.
Enfin, les pouvoirs des corps d'inspection ou de contrôle des services
déconcentrés des affaires sanitaires et sociales ont été précisés, qu'il
s'agisse de leur mission de contrôle administratif ou de leur mission de
recherche et de constatation d'infractions.
Dans ce contexte, le Gouvernement ne déposera qu'un nombre limité
d'amendements.
La plupart sont des amendements de précision et portent sur la réforme de la
transfusion sanguine ; ils sont rendus nécessaires par la création d'un
opérateur unique.
D'autres viennent éclaircir ou préciser certaines dispositions relatives aux
banques de tissus et de cellules et aux conditions d'encadrement des activités
d'importation et d'exportation d'éléments et de produits d'origine humaine.
Le Gouvernement souhaite, dans le cadre de la lutte contre les infections
nosocomiales, la mise en place de systèmes de qualité pour la stérilisation des
dispositifs médicaux dans les établissements de santé publics et privés.
Telle est l'armature du dispositif juridique dont nous souhaitons doter notre
pays pour accompagner le progrès et réduire les risques sans pour autant
paralyser notre devenir. Cette loi de sécurité sanitaire s'inscrit dans un
mouvement que vous avez vous-mêmes amorcé et dont vous connaissez les étapes ;
elle le prolonge et devra elle-même être prolongée à l'avenir en fonction de
l'évolution des problèmes que nous ne manquerons pas de rencontrer. Ne voyez
pas là de ma part un aveu de pessimisme : le pessimisme de la raison n'est pas
ici de mise. C'est bien plutôt, je pense, une marque de lucidité.
M. Charles Descours.
De réalisme !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
L'étape législative est importance parce qu'elle
témoigne de notre volonté, parce qu'elle forge la doctrine, parce qu'elle force
l'action.
Il reste à bâtir un dispositif qui, je le conçois volontiers, est voué à
évoluer.
Le champ même de la sécurité sanitaire évolue, nous le savons, nous le
constatons. L'encadrement des produits va s'élargissant et appréhendera demain
des produits nouveaux, les produits qui sont à la frontière entre aliments et
médicaments, les risques environnementaux. On voit le concept d'hygiène
alimentaire se transformer en doctrine de sécurité sanitaire des aliments.
J'espère que cela n'affectera pas le saint-nectaire, puisque c'est l'exemple
qui nous est systématiquement opposé. Nous ne souhaitons pas l'évolution du
saint-nectaire pour cause de sécurité sanitaire des aliments, monsieur le
ministre de l'agriculture ?
(Sourires.)
L'exercice même de la médecine, qui relève non seulement de la science
mais aussi de la pratique quotidienne, nous conduira à dépasser une approche
limitée aux seuls produits de santé pour intervenir sur le bien-fondé des
stratégies médicales diagnostiques ou thérapeutiques, sur la qualité et la
sécurité des actes. Au-delà de l'information, l'accréditation s'imposera.
Au-delà de l'identification des différents aléas, nous aurons à nous
interroger sur leur mise en perspective. Nous ne pouvons écarter tous les
produits potentiellement dangereux, mais nous devrons définir les seuils
acceptables. Méfions-nous de l'« effet réverbère », qui ne met en lumière
qu'une partie des problèmes et nous entraîne vers des mesures sécuritaires
disproportionnées alors que les autres difficultés restent dans l'ombre.
Comparons les petits risques qui touchent un grand nombre et les grands risques
qui concernent un petit nombre.
La sécurité sanitaire a un coût. Jusqu'où sommes-nous prêts à aller ? Jusqu'où
aurons-nous les moyens d'aller, sachant que la question des modalités de son
financement par les pouvoirs publics, ou plus directement par les secteurs
industriels concernés, interfère avec celle du financement du risque de
développement des produits et du financement de l'aléa thérapeutique, dont il
nous faudra bien, un jour, enfin parler ?
M. Charles Descours.
Oui, enfin !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, les
questions ne manquent pas. Elles nous imposent d'avancer.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai regretté de ne pas
pouvoir participer à vos travaux dès la première lecture de la proposition de
loi que vous réexaminez aujourd'hui, enrichie par les apports de l'Assemblée
nationale. J'étais, en effet, retenu à l'Assemblée nationale par l'examen du
projet de loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines.
Je suis convaincu que ces deux textes porteurs d'avenir sur des sujets fort
différents seront adoptés à l'issue d'un riche débat, à la faveur d'un très
large consensus.
C'est dans le respect des principes internationaux concernant la séparation
entre l'évaluation et la gestion des risques sanitaires des aliments que
l'Assemblée nationale a précisé les contours de l'Agence française de sécurité
sanitaire des aliments en clarifiant ses missions.
En effet, les difficultés qui ont été identifiées dans ce domaine concernent
avant tout l'absence de structure forte d'expertise qui disposerait, par sa
composition et ses moyens, d'une autorité scientifique incontestable.
Vous aviez proposé, monsieur le rapporteur, l'intégration du Centre national
d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA, dans le dispositif de
l'agence. Ainsi que l'a indiqué tout à l'heure mon collègue Bernard Kouchner,
nous n'avions pu, en première lecture, s'agissant d'une décision d'importance,
vous apporter une réponse. Le Gouvernement a donc établi le diagnostic qui
convenait et a considéré que l'intégration du Centre national d'études
vétérinaires et alimentaires - dans toutes ses composantes et avec toutes ses
missions, de la santé animale à l'hygiène alimentaire - devait être retenue.
Cela permettra d'atteindre cet objectif de mise en place d'une autorité
scientifique incontestable.
Je souhaite, à cet égard, rendre hommage à l'excellence des travaux de
recherche et d'appui technique du CNEVA et à sa rapidité de réaction dans les
périodes de crise telles que nous en avons connu au début de l'épidémie
d'encéphalopathie spongiforme bovine.
Pour l'avenir, afin de lui permettre d'assurer la diversité de ses missions,
la future agence devra disposer de moyens financiers suffisants, moyens que je
m'attacherai à obtenir dans le cadre de la loi de finances pour 1999.
A la lecture du rapport de la commission, je dresse le constat qui s'impose :
le titre III de cette proposition de loi concentre une bonne part, voire la
totalité des critiques de la commission des affaires sociales.
Ainsi est-il reproché au texte issu de l'Assemblée nationale de ne doter
l'agence en charge des aliments ni de pouvoirs de contrôle ni de pouvoirs
réglementaires.
J'ai entendu invoquer des résistances administratives pour justifier les
différences souhaitées par l'Assemblée nationale entre les missions de l'agence
en charge des aliments et celle en charge des produits de santé.
Je souhaite rappeler que si le Sénat, dans sa proposition initiale, suivi en
cela par le Gouvernement, a décidé de créer deux agences de sécurité sanitaire,
c'est précisément parce que les problèmes posés par les aliments et ceux
concernant les produits de santé sont différents. Il n'est donc aucunement
nécessaire que ces deux structures effectuent les mêmes missions.
Je souhaite ici dissiper un premier malentendu : les pouvoirs publics n'ont
pas attendu la création d'une agence pour contrôler la sécurité sanitaire des
aliments et pour la renforcer.
Actuellement, 3 500 agents de mon département ministériel, auxquels il
convient d'ajouter 1 500 agents dépendant du ministère de l'économie et du
ministère de la santé, assurent, chacun dans sa spécialité, ce contrôle. Le
Gouvernement n'a pas à rougir des résultats de leurs actions.
Pour les seuls services vétérinaires, au titre de l'année 1996, ce sont 58 000
ateliers de préparation de denrées d'origine animale et 35 000 cuisines de
restauration à caractère social qui ont été inspectés.
Pour la même année, 30 000 procédures administratives, de l'avertissement à la
mise en demeure, et 2 000 procédures pénales ont été engagées et 200 fermetures
d'établissements ont été prononcées.
On reproche aux services de contrôle de mon ministère, comme à ceux du
secrétariat d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat de n'être pas indépendants des services de soutien économique aux
filières de production. C'est ignorer que le directeur départemental des
services vétérinaires, pour ses missions de santé publique, comme le directeur
départemental de la concurrence, de la consommation et de la répression des
fraudes sont placés directement sous l'autorité du préfet ou du procureur de la
République.
Pour améliorer la sécurité sanitaire des aliments en France, il faut, selon
moi, augmenter le nombre des contrôles, améliorer la coordination des services
qui en sont chargés et, enfin, renforcer les fonctions de veille, d'alerte et
de recommandation, responsabilités qui sont confiées à l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments.
Je répète ce que j'ai eu l'occasion de dire lors de la dernière discussion
budgétaire : la qualité et la sécurité de l'alimentation sont une préoccupation
essentielle de l'Etat.
En trois ans, cent postes de vétérinaire inspecteur ont été créés. En outre,
j'ai obtenu, pour le budget de 1998, une augmentation de 20 % des crédits de
fonctionnement et d'analyse affectés aux programmes de contrôle.
J'ajoute que l'impartialité du contrôle est garantie par des procédures de
vérification externe au service et par des procédures d'assurance qualité.
De plus, le ministère publie régulièrement, depuis mon arrivée rue de Varenne,
tous les résultats des plans de surveillance et de contrôle dans le bulletin
Notre alimentation,
adressé, je le souligne, à tous les
parlementaires.
Certes, l'organisation des contrôles reste toutefois perfectible. Tel est
l'objet du projet de loi sur la qualité sanitaire des denrées qui sera
prochainement présenté devant votre assemblée. Ce projet de loi tend à
moderniser les dispositions du code rural relatives à la sécurité des
aliments.
Il renforcera les pouvoirs de police administrative de certains agents en
mettant en place un encadrement strict de la filière agroalimentaire, depuis
les pratiques agricoles jusqu'à la distribution. Il élargira à tous les
produits les règles en matière de contrôle aux frontières avec les pays tiers
des produits animaux.
Je reste persuadé que ce projet de loi constitue la meilleure réponse aux
préoccupations de la commission des affaires sociales s'agissant des
contrôles.
Par ailleurs, la commission souhairerait confier à l'agence un pouvoir de
contrôle des inspections effectuées par les services de l'Etat. Je ne peux
m'empêcher de penser que cette proposition est motivée par une suspicion
a
priori
sur le travail des services de l'Etat, et il me sera difficile de
donner suite aux amendements qui voudraient traduire cette intention. Ce sont
les ministres qui doivent contrôler l'activité des établissements publics, et
non le contraire.
Le contrôle des armées ou l'inspection générale des services de la police
nationale, pour être composés de fonctionnaires disposant de prérogatives
particulières, n'en sont pas moins rattachés aux ministres de la défense ou de
l'intérieur. Dès lors, l'organisation que propose la commission des affaires
sociales ne peut qu'accréditer l'idée, répandue dans les médias mais inexacte,
de l'inefficacité des pouvoirs publics en termes de sécurité sanitaire des
aliments.
Je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux critiques qui ont été
formulées sur l'efficacité de notre politique, quels que soient les
Gouvernements concernés.
En effet, dès 1989, à la première alerte sur l'encéphalopathie spongiforme
bovine, l'ESB, le ministre de l'agriculture de l'époque, M. Henri Nallet,
fermait la frontière française à l'introduction des bovins vivants
britanniques, susceptibles d'être contaminés, en attendant l'adoption des
dispositions communautaires.
Quatre ans avant l'interdiction communautaire, la France a prohibé
l'introduction de farine animale dans l'alimentation des bovins. Ainsi, un an
avant le premier cas français d'encéphalopathie spongiforme bovine, un réseau
d'épidémio-surveillance a été mis en place. Enfin, le lendemain même de
l'annonce de la possible transmission de l'ESB à l'homme, il a été décidé par
la France un embargo total sur les viandes bovines britanniques.
Au travers d'un exemple évoqué en première lecture, lors de la discussion
générale de ce texte, je souhaite vous apporter l'illustration que les services
de l'Etat savent être efficaces.
Le 3 septembre 1997, le Centre national de référence pour les listéria de
l'Institut Pasteur signale une augmentation du nombre de listérioses humaines
dues à une même souche. Cette augmentation est surtout sensible sur des cas
détectés entre le 5 juillet 1997 et le 23 août 1997.
La cellule de crise regroupant le réseau national de santé publique, la
direction générale de l'alimentation et la direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes se réunit
immédiatement. L'enquête épidémiologique montre que 100 % des seize personnes
concernées ont consommé un fromage à pâte molle ; neuf résident en Normandie et
trois y ont fait un séjour.
Des enquêtes dans les établissements de distribution et de production sont
immédiatement conduites dans trois départements normands par la direction
générale de l'alimentation de mon ministère et la direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de
l'économie et des finances.
Un examen et un lysotypage des résultats positifs lors de contrôles officiels
de routine permettent de cibler un établissement, où un prélèvement effectué le
11 septembre 1997 confirme qu'il s'agit bien de l'origine de l'épidémie. Les 2
749 fromages commercialisés par cette entreprise depuis le 1er août 1997 sont
rappelés et détruits. La fermeture de l'établissement est décidée le 18
septembre 1997.
Une enquête complexe faisant intervenir de multiples partenaires a été conclue
en deux semaines. On ne peut donc pas - je peux en témoigner - reprocher aux
services de l'Etat un retard préjudiciable à la santé publique dans cette
affaire. Ils me semblent, au contraire, avoir démontré leur excellence et leur
efficacité.
Enfin, je voudrais dissiper un dernier malentendu. Lorsqu'à l'Assemblée
nationale j'ai soutenu, au nom du Gouvernement, que certains médicaments
vétérinaires ne devraient être autorisés que par l'autorité politique, il ne
s'agissait pas, bien entendu, de bafouer les considérations de santé publique
relative à ces produits. Je revendique seulement la possibilité d'être
quelquefois plus prudent que les scientifiques et de ne pas autoriser certaines
substances, même si l'évaluation quantitative du rapport bénéfice-risque
démontre qu'elles ne présentent pas de problème pour la santé publique.
Permettez-moi d'évoquer encore un dernier exemple. L'Union européenne a été
condamnée par l'Organisation mondiale du commerce à revoir sa législation sur
l'utilisation d'anabolisants en élevage.
Les rapports scientifiques qui ont été fournis au panel de juges de
l'Organisation mondiale du commerce concluent, pour certains produits
lorsqu'ils sont correctement utilisés, à l'absence de risque pour la santé
publique. L'autorité politique que je représente peut aller au-delà de cette
affirmation et mettre en avant le principe de précaution dès lors que les
bénéfices d'une nouvelle technique pour la société n'apparaissent pas
clairement.
Je conclurai cette intervention liminaire - je reviendrai, bien entendu, sur
ces questions lors de la discussion des amendements - sur la dernière phrase du
rapport de la commission des affaires sociales : « Il est du devoir du
politique de déterminer la meilleure organisation de l'Etat pour le rendre apte
à mieux assumer ses missions. » Je souscris à cette affirmation. J'assume ces
missions, avec mes collègues du Gouvernement qui sont également chargés de la
sécurité des aliments. C'est la raison pour laquelle j'estime qu'il est de ma
responsabilité de veiller à la bonne organisation et au bon fonctionnement de
mes services.
Je ne doute pas que le dialogue que nous aurons ce matin nous conduise à
enrichir encore un texte issu d'une initiative de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la
sécurité des produits, des services et de l'environnement est un sujet très
présent dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Nous avons à faire face à une exigence accrue de confiance, un signal très
fort nous ayant été donné lors des récentes crises sanitaires que nous avons
vécues et que mes collègues ont rappelées.
C'est pourquoi M. le Premier ministre, dans son projet gouvernemental, a
inscrit la mise en place d'une agence de sécurité sanitaire.
Le Gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur votre proposition de loi,
mesdames, messieurs les sénateurs.
Dans ce contexte, nous partageons le même objectif : mettre en place un
dispositif performant au service de la sécurité sanitaire de nos
concitoyens.
La sécurité sanitaire, c'est la maîtrise des risques, puisque le risque zéro
n'existe malheureusement pas, nous en sommes tous convaincus.
Elle implique une évaluation scientifique fiable de ces risques et des
capacités d'alerte performantes en amont. Nous ne connaissons pas aujourd'hui
les risques à venir.
Elle impose une gestion politique rigoureuse des risques ainsi détectés, sur
la base du principe de précaution. En tant que ministre en charge de la
consommation, j'y suis particulièrement attentive.
De cela, se dégagent deux nécessités auxquelles il nous faut répondre.
La première, c'est de créer le cadre d'une solide expertise scientifique
indépendante et transparente.
L'expertise scientifique est fondamentale pour une bonne anticipation des
risques. Elle permet aux autorités publiques d'asseoir les bonnes décisions.
Les experts scientifiques doivent avoir les moyens d'évaluer, en toute
indépendance, la naissance ou la gravité d'un risque. Ils doivent pouvoir en
informer, en toute transparence, les citoyens et les pouvoirs publics.
Il nous faut donc créer le cadre pertinent permettant à nos experts d'assurer,
dans les meilleures conditions possibles, les fonctions de veille, d'analyse
des risques et d'alerte, et ce avec une efficacité maximale.
Ce dispositif sera d'autant plus efficace que les responsabilités des uns et
des autres seront clairement définies. C'est ce qui nous a conduits à soutenir
le principe, internationalement reconnu, comme l'a rappelé M. Le Pensec, de
séparation de l'évaluation et de la gestion du risque.
Le respect de ce principe constitue la seconde des nécessités auxquelles j'ai
fait allusion. Je sais qu'il soulève des interrogations, et c'est pour cette
raison que je veux réaffirmer ce qui fait, de mon point de vue, son intérêt.
Il faut éviter le piège de la confusion des rôles entre scientifiques,
politiques et administratifs. Les scientifiques doivent pouvoir émettre des
avis sans avoir à prendre en considération d'éventuelles conséquences
matérielles ou administratives. C'est cela l'indépendance, mais ce n'est pas à
eux de prendre les mesures qui relèvent du Gouvernement. Le Gouvernement, lui,
doit prendre ses responsabilités, et la publication des avis scientifiques
donne les moyens à qui le veut d'apprécier pleinement les décisions prises.
C'est cela la démocratie, et non le fait, pour un ministre responsable -
faut-il le rappeler ? - des administrations chargées de mettre en oeuvre les
décisions qu'il prend, de déléguer ses pouvoirs.
A cette occasion, je veux rendre hommage à l'action des services de contrôle,
dont personne ne peut contester l'efficacité et le souci du bien commun. Vous
l'avez vous-mêmes souligné à plusieurs reprises.
C'est sur ces bases qu'il me paraît important de réaffirmer le principe de la
séparation de l'évaluation du risque et de sa gestion. Il s'agit non pas d'une
affaire de boutique administrative, comme on l'a laissé entendre dans cette
enceinte,...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Hélas si !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
... mais de clarté dans la définition des
responsabilités.
J'ajoute que ce n'est ni par un démantèlement des administrations ni par une
méfiance injustifiée à leur égard que l'on renforcera la politique sanitaire
nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je reste persuadée que les consommateurs
attendent de nous effectivement beaucoup de courage, mais que le courage
demande beaucoup de clarté !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le ministre,
madame et monsieur les secrétaires d'Etat, votre présence en nombre au banc du
Gouvernement ce matin, alors que nous avions discuté en première lecture de
cette proposition de loi dans un calme plus relatif,...
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Oui, mais avec le meilleur !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Avec le meilleur, bien sûr ! Cette présence,
dis-je, m'incite à apporter deux ou trois précisions en réponse aux merveilleux
plaidoyers que je viens d'entendre.
M. Dominique Braye.
Et qui n'engagent qu'eux-mêmes !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
C'est en 1993, dans une phase politique
antérieure, que, sur l'initiative du Sénat et de mon collègue et ami Claude
Huriet, a été créée l'Agence du médicament. Quand nous avons créé cette agence,
nous avons entendu à peu près le même type de discours qu'aujourd'hui.
M. Charles Descours.
Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Le discours était le suivant : nos services
fonctionnent de manière merveilleuse ; l'organisation française est parfaite,
le monde entier nous l'envie, et on se demande pourquoi il faut créer une
agence du médicament.
Quelques années plus tard, tout le monde constate, à l'échelon français comme
à l'échelon européen, que la création de cette agence a marqué un progrès, que
l'on a supprimé le « parcours du combattant » qui était imposé auparavant à
toutes les entreprises fabriquant des molécules nouvelles et qui désiraient les
commercialiser, et que, finalement, le ministère de la santé n'a pas été trop
dépossédé par la création de l'Agence du médicament. Je note au passage que M.
Kouchner était déjà notre partenaire quand nous avons créé cette agence.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas un hasard, monsieur le président Fourcade
!
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Par la suite, la commission des affaires
sociales a créé une mission d'information concernant les conditions de
développement des thérapies génique et cellulaire.
Nous avons ainsi pu constater, aussi bien sur le plan français que sur le plan
international - nous avons étudié le fonctionnement de ces nouvelles
technologies un peu partout dans le monde - que notre législation, notre
organisation administrative et le partage des responsabilités n'étaient pas du
tout adaptés à l'évolution technologique mondiale.
Nous risquions donc de passer à côté d'une voie ouvrant des perspectives de
création d'emplois et de développement scientifique que certains de nos
concurrents empruntaient déjà.
C'est la raison pour laquelle nous avons inclu dans la loi du 28 mai 1996 des
prescriptions et prévu des réglementations nouvelles sur le développement des
thérapies génique et cellulaire.
Nous nous sommes alors avisés du fait que ce qui était vrai pour les thérapies
génique et cellulaire, qui l'avait déjà été pour le médicament, l'était aussi
pour un certain nombre d'autres mécanismes de contrôle intéressant soit tous
les produits dérivés du médicament, soit certains produits alimentaires. Nous
avons dès lors constitué une mission d'information sur les conditions de
renforcement de la veille et de la sécurité sanitaires.
Après avoir beaucoup travaillé, sur l'initiative de Charles Descours, qui a
présidé cette mission, et avec l'ardeur de notre ami Claude Huriet, qui était
rapporteur - nous nous sommes notamment rendus aux Etats-Unis - nous avons, en
commission, longuement élaboré la proposition de loi que nous examinons
aujourd'hui en deuxième lecture.
En raison de l'alternance politique, nous avons débattu de ce texte avec le
gouvernement précédent, qui en avait approuvé les orientations, et avec le
gouvernement actuel, qui a bien voulu confirmer lesdites orientations. Cela
montre bien que, au-delà des questions de compétences administratives ou de
responsabilités ministérielles, le problème du contrôle des produits que nos
concitoyens consomment soit sous forme de médicaments ou de produits dérivés,
soit sous forme d'aliments, nécessite non pas la suspicion - telle n'est pas
notre intention - ou une réorganisation profonde, mais tout au moins un
processus qui réponde aux deux difficultés françaises qui avaient été
soulignées par une mission d'information parlementaire, conformément à son
rôle.
En effet, le Parlement n'a pas simplement pour tâche d'examiner les projets de
loi que le Gouvernement lui soumet ; il doit aussi contrôler l'action du
Gouvernement et, parfois, pour la précéder. Nous pensons, s'agissant de la
bioéthique ou des thérapies génique et cellulaire, que nous avons largement
précédé l'action du Gouvernement français. Le Parlement a aussi pour rôle
d'essayer de faire progresser notre dispositif.
La proposition de loi présentée par M. Huriet répond à un objectif, à savoir
réorganiser l'ensemble du contrôle sanitaire. Notre dispositif a suscité de la
part de l'Assemblée nationale, malgré quelques divergences sur certains points
- et c'est naturel - une adhésion assez forte.
En l'occurrence, notre grand ennemi est le cloisonnement administratif. Vous
venez de nous expliquer que tout fonctionne pour le mieux dans le meilleur des
mondes. Permettez-moi de dire que ce n'est pas notre sentiment.
Il n'est pas question de bouleverser les compétences, de changer les
directions de l'administration centrale ou de fermer les laboratoires. A l'aube
du xxie siècle, en cette période où les mutations technologiques, sont très
rapides, il s'agit de mettre en place un dispositif de contrôle des produits
sanitaires et alimentaires qui soit le plus efficace possible, le plus adapté à
l'organisation de notre société et le plus à même de faire respecter nos
productions, nos exportations et nos brevets tant sur le plan européen que sur
le plan mondial.
Bien sûr, j'ai noté quelques réactions de-ci de-là, puisque, dans notre pays,
nous avons des fonctionnaires dévoués et qui travaillent bien, chacun estimant
qu'il peut être déraisonnable de bouleverser les organigrammes actuels.
Cependant, soyez rassuré, monsieur le ministre, car au Sénat américain, où nous
avons rencontré nos homologues, les mêmes objections ont été faites par les
tenants de l'agriculture et les défenseurs de la santé. Ces problèmes, nous les
avons retrouvés en Allemagne et en Grande-Bretagne. Ils existent partout, et
c'est bien naturel.
Je conclurai, avant de laisser la parole à M. le rapporteur, en
approfondissant deux points.
En France, les administrations sont réticentes lorsqu'il s'agit de créer une
agence. Tout le problème est de définir les pouvoirs respectifs de
l'administration centrale par rapport à l'agence. Permettez-moi de dire qu'il
s'agit d'un phénomène spécifiquement français. En effet, ni aux Etats-Unis, ni
en Grande-Bretagne, ni en Allemagne, ni même en Suisse - car il y a aussi des
agences en Suisse - ce problème n'existe. Dans ces pays, le ministre compétent
considère qu'il dispose soit des administrations, soit des agences. Il lui
appartient de proposer les noms du directeur et des membres du conseil de
chaque agence et il estime qu'il est chargé, au point de vue politique, de
coordonner l'activité de ses services et des agences, sans s'interroger sur le
cloisonnement administratif, l'équilibre des pouvoirs entre l'administration
centrale, l'administration locale et les agences, qui constitue une spécificité
française.
Nous devons mettre un terme à ce problème. Nous sommes le seul pays dans
lequel il se pose, avec la Chine, peut-être.
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mais pour des raisons que chacun connaît et compte tenu de
l'ancienneté de ce pays.
Mme Nicole Borvo.
Comparaison n'est pas raison !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
J'en viens au second point que je voulais
approfondir. Comme vous le savez, monsieur le ministre, un certain nombre de
bons esprits estimaient qu'une seule agence aurait pu contrôler l'ensemble des
médicaments et des produits alimentaires.
Après avoir beaucoup observé ce qui se faisait à l'étranger, beaucoup discuté
et nous être beaucoup concertés, nous avons pensé que, si cette solution était
intellectuellement habile, elle n'était cependant pas pragmatique, en effet,
les problèmes et les virtualités de l'évolution technologique ne sont pas
identiques. Même aux Etats-Unis, le contrôle des médicaments et des produits
alimentaires n'est pas opéré par une seule agence : la
Food and Drug
Administration
n'est pas l'agence unique et, au sein du ministère de
l'agriculture américain, des gens s'occupent de manière très précise de la
viande, des produits laitiers et d'un certain nombre d'autres produits.
Par conséquent, ne cédant pas au simplisme, nous avons considéré, en accord
avec le gouvernement précédent et avec le gouvernement actuel, les deux
premiers ministres ayant donné leur assentiment, qu'il valait mieux créer deux
agences, avec des responsabilités différentes, l'une s'occupant de l'ensemble
du domaine des produits sanitaires et l'autre traitant des produits
alimentaires.
Les quelques difficultés que nous connaissons aujourd'hui en deuxième lecture
- l'Assemblée nationale ayant fait un excellent travail sur un certain nombre
de sujets, nous ne reviendrons pas sur nombre de ses apports - tiennent au
positionnement de l'Agence française de sécurité sanitaire aliments : nous
voulons en faire une véritable agence et non un comité Théodule ne servant à
rien, sous peine de voir anéanties nos cinq années de travaux.
Le problème est de trouver l'articulation entre cette nouvelle agence et les
services qui, aujourd'hui, s'occupent du contrôle et sont sur le terrain tous
les jours, dans des conditions tout à fait honorables, comme MM. Kouchner et Le
Pensec l'ont rappelé très justement tous les deux. C'est, je le répète, un
problème d'articulation, et cela ne doit en aucun cas être pour nous un
problème mythologique ! Je compte donc sur la discussion pour parvenir sur ce
point à des résultats positifs.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'Assemblée nationale a examiné en première lecture notre proposition de loi
sur le renforcement de la veille et de la sécurité sanitaires. Conformément à
ses engagements, le Gouvernement a donc souhaité une inscription rapide à
l'ordre du jour afin de favoriser son bon aboutissement ; nous pouvons nous en
féliciter.
S'il ne convient pas, en effet, de légiférer dans la précipitation, nous
avions souligné dans notre rapport d'information, auquel M. le président de la
commission des affaires sociales vient de faire référence, que cette réforme
était urgente, et nous avons été entendus.
Globalement, la discussion de ce texte s'est déroulée, à l'Assemblée
nationale, dans un bon climat. Les députés étaient tous convaincus, en effet,
de la nécessité d'une réforme, et cette conviction a été exprimée sur tous les
bancs.
Certes, le débat sur une ou deux agences a bien sûr resurgi. Mais les députés
ont finalement considéré, comme nous, que la création de deux agences était
actuellement préférable.
Sur le fond, l'Assemblée nationale a bien enrichi le texte que nous avions
adopté en première lecture. Elle a apporté d'utiles précisions, visant
notamment l'Institut de veille sanitaire et l'Agence de sécurité sanitaire des
produits de santé, et a doté d'un statut des produits qui, jusque-là, étaient
mal encadrés.
En outre, sur l'initiative tant de MM. Mattei et Aschieri que du Gouvernement,
l'Assemblée nationale a adopté une réforme importante de la transfusion
sanguine en plaçant cette dernière sous le contrôle d'un opérateur unique,
l'Etablissement français du sang.
En ce qui concerne l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, nous
le verrons, l'Assemblée nationale a un peu trop suivi, à notre sens, le
Gouvernement, lorsqu'il proposait des amendements d'une nature que l'on
pourrait qualifier d'administrative. Mais tout permet d'espérer que nous
parviendrons à un accord dans la suite de la navette qui, je l'espère, sera
brève.
Pour contribuer à cette brièveté de la navette, la commission ne vous
proposera que très peu d'amendements. Compte tenu de l'importance et de
l'urgence de cette réforme, mes chers collègues, il ne nous a pas paru utile de
vous proposer d'engager des querelles rédactionnelles avec l'Assemblée
nationale. L'essentiel des amendements concerne, bien entendu, les missions et
les pouvoirs de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments.
Je vous propose d'examiner, chapitre par chapitre, les principales
modifications apportées par l'Assemblée nationale et de vous dire, au fur et à
mesure, ce que nous proposons de conserver et ce qui, à notre sens, peut être
utilement modifié.
L'Assemblée nationale a d'abord institué, à la place du Conseil national de
sécurité sanitaire que nous avions placé sous la présidence du Premier
ministre, un Comité national de sécurité sanitaire. Sous la présidence du
ministre chargé de la santé, il réunit le directeur général de l'Institut de
veille sanitaire, les directeurs d'agences ainsi que les présidents de leurs
conseils scientifiques respectifs.
C'est, à notre sens, un bon amendement, car il renforce les liens entre
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et le ministre chargé de
la santé, ce qui n'est pas neutre pour une agence soumise à une triple
tutelle...
Aussi, nous vous proposerons de conserver ce comité, en complétant toutefois
l'énoncé de ses missions.
Concernant l'Institut de veille sanitaire, l'Assemblée nationale a apporté
d'utiles précisions. Ainsi, elle a renforcé la coordination entre l'institut et
les agences et a précisé la contribution des médecins du travail et des
médecins scolaires et universitaires au réseau de veille. Elle a toutefois
supprimé la sanction pénale que nous avions créée pour réprimer le refus de
transmettre des informations à l'institut ; mais nous pouvons être d'accord
dans la mesure où des dispositions en vigueur peuvent être utilement invoquées
pour réprimer un refus de transmission d'informations.
Aussi, nous vous proposerons d'adopter conformes les dispositions qui
concernent l'Institut de veille sanitaire, de même que celles qui prévoient que
des messages sanitaires peuvent être diffusés par les chaînes de télévision,
bien que ces dispositions soient un peu redondantes par rapport à la
législation déjà en vigueur.
Nous vous ferons la même proposition pour les dispositions traitant de
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
En effet, l'Assemblée nationale n'a pas modifié substantiellement le texte que
nous lui avions transmis. Il faut toutefois noter qu'elle a prévu que l'agence
rendrait publique une synthèse des dossiers d'autorisation de mise sur le
marché de tout nouveau médicament, et qu'elle a finalement trouvé le compromis
que nous avions cherché sur les produits dits de « nutrition clinique » :
l'agence sera chargée non seulement de ceux de ces produits qui sont des
médicaments, mais aussi d'autres produits de nutrition clinique qui, sans être
des médicaments, présentent des risques pour les personnes auxquelles ils ne
sont pas destinés. En effet, ces produits ne sont pas, à ce jour, suffisamment
encadrés.
L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments s'occupera des autres
produits qui ne présentent pas de danger particulier.
L'Assemblée nationale a enfin prévu que l'agence pourrait être saisie par les
associations de consommateurs et a précisé le texte adopté par le Sénat en ce
qui concerne l'inspection. Elle a aussi confié à l'Agence de sécurité sanitaire
des produits de santé le contrôle des « allégations santé » des aliments,
c'est-à-dire des publicités qui invoquent un bénéfice pour la santé, tiré de
ces aliments.
Avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, nous arrivons à
quelques discordances importantes entre les deux assemblées.
L'Assemblée nationale, en effet, a accepté de limiter l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments à un rôle purement évaluatif, même si, ce dont
je me félicite avec vous, elle a accepté, avec l'accord du Gouvernement,
l'intégration du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires dans
l'agence.
Elle a ainsi supprimé la disposition selon laquelle l'agence participerait à
l'application de la législation dès lors qu'il s'agit de protéger la santé
humaine ; elle a enlevé à l'agence la possibilité de diligenter directement les
contrôles quand elle l'estime nécessaire ou celle de saisir les corps
d'inspection ou de contrôle de l'Etat tels que l'inspection des finances, la
Cour des comptes, etc. Elle a également restreint son pouvoir de « contrôle des
contrôles » effectués par l'administration. Et, monsieur le ministre, vous
venez de souligner combien ce point était délicat.
Enfin, l'Assemblée nationale a restreint le champ des mesures de police
sanitaire sur lesquelles l'agence doit obligatoirement être consultée par les
ministres et a prévu qu'en cas d'urgence ceux-ci pourraient ne pas la
consulter.
Sur tous ces points - cela va de soi - nous vous proposerons de rétablir notre
texte, assorti le cas échéant de précisions apportées par l'Assemblée
nationale.
Je ne voudrais pas quitter le domaine de l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments sans relever des propos de M. le ministre de l'agriculture et la pêche
qui m'ont quelque peu inquiété et sur lesquels, à l'instant, il vient de nous
donner des élaircissements à nos yeux bien nécessaires.
Au sujet du médicament vétérinaire, M. Alain Calmat, rapporteur à l'Assemblée
nationale, a proposé de préciser, dans le code de la santé publique, que c'est
bien le directeur de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments qui a
compétence pour délivrer les autorisations d'établissements pharmaceutiques.
C'est logique, car c'est conforme au droit en vigueur depuis la création de
l'Agence nationale du médicament vétérinaire et, à l'évidence, cohérent avec
des préoccupations de santé publique, fondement essentiel de la proposition de
loi.
Monsieur le ministre, vous êtes alors intervenu pour vous opposer à ce texte
et pour réserver la possibilité, pour le ministre, de se saisir de certains
dossiers « sensibles » pour prendre lui-même la décision.
Vous avez en effet déclaré que, « pour un nombre, même très limité, de
produits, une approche uniquement fondée sur des critères de santé publique
n'est pas suffisante. D'autre critères sont à prendre en compte : acceptation
des consommateurs ou types de production à développer ».
Monsieur le ministre, vous venez d'apporter des précisions sur ce point en
faisant valoir que, dans votre esprit - et je vous en donne acte - cette
possibilité que vous revendiquez ne pouvait aller que dans le sens du
renforcement d'un certain nombre de dispositions.
(M. le ministre fait un signe d'assentiment.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Très bien !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
Mais une autre interprétation de vos propos pouvait, vous en
conviendrez, susciter de notre part quelques interrogations et inquiétudes.
Sur ce point, je considère que le malentendu est levé et je pense que, l'un et
l'autre, nous devons en être satisfaits.
Vous me permettrez, monsieur le ministre, de répondre aux trois points
essentiels de votre intervention dans la discussion générale : tout d'abord, il
n'y a pas de raison, avez-vous dit, d'attribuer aux deux agences les mêmes
missions ; ensuite, le Gouvernement n'a pas à rougir de l'action des
fonctionnaires ; enfin, nous ne pouvons accepter les dispositions défendues par
le Sénat qui traduisent une sorte de suspicion à l'encontre de la qualité du
travail et de l'indépendance des fonctionnaires placés sous l'autorité des
ministres.
Premièrement, si nous avions eu le sentiment que, dans un esprit de symétrie,
il était souhaitable, comme le pensaient certains, d'attribuer les mêmes
missions aux deux agences, pourquoi ne l'aurions-nous pas proposé ? C'est bien
parce que, nous référant à des expériences étrangères plus ou moins
satisfaisantes, telles que M. Fourcade les a évoquées, nous avons acquis la
conviction que le médicament n'était pas un aliment - « et réciproquement »,
ai-je coutume de dire - que nous avons défendu l'idée de la constitution de
deux agences et fini par convaincre ceux qui avaient un avis contraire.
Comprenez-donc que nous ne serions pas logiques avec nous-mêmes si, au nom de
la symétrie et loin de toute finesse, nous avions souhaité calquer une agence
sur l'autre. Telle n'est pas du tout notre intention.
J'ai découvert, même si j'en avais quelque intuition, la complexité, la
multiplicité et l'hétérogénéité des filières qui correspondent à la recherche
de l'objectif du renforcement de la sécurité sanitaire. Sur ce point, qu'il n'y
ait pas d'ambiguïté : ce n'est pas à cet égard qu'il peut y avoir
contradiction, et nous devons tenir compte, dans nos réflexions respectives, de
cette différence de nature non seulement quant aux produits, mais aussi quant à
toutes les étapes qu'il faut franchir et sur lesquelles - je pense que nous en
serons d'accord - doit porter notre attention en matière de sécurité
sanitaire.
Le deuxième élément de votre intervention, monsieur le ministre, portait sur
le fait que le Gouvernement n'a pas à rougir de l'action des fonctionnaires.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Très bien !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
A la suite de tous les travaux que le Sénat a entrepris de
longue date, nous pouvons attester de la compétence, du sérieux et de toutes
les qualités professionnelles des fonctionnaires que nous avons été amenés à
auditionner.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la mission d'information
n'était pas une commission d'enquête. Nous avons réfléchi et, pour alimenter
notre réflexion, nous avons procédé à des auditions. Nous avons voulu
comprendre quelles structures ministérielles ou extraministérielles
concouraient à l'objectif de la sécurité sanitaire.
Lorsque nous avons été amenés à interroger votre prédécesseur, monsieur Le
Pensec, pour savoir combien il y avait d'organismes, au sein du ministère de
l'agriculture ou sous son autorité, il n'a pas pu, dans un temps certes limité,
nous apporter de réponse tant sont nombreuses les instances qui, dans ce cadre,
ont à connaître de la sécurité sanitaire.
Comprenez bien que ce constat ne met en cause ni les compétences qui
s'exercent ni la loyauté des fonctionnaires. En fait, nous avons souhaité, à
travers le travail de la mission d'information, qui trouve son aboutissement
dans la proposition de loi, certes renforcer la sécurité sanitaire et la veille
sanitaire, mais également nous fixer trois objectifs essentiels qui
sous-tendent notre réflexion et nos travaux, y compris en séance publique :
premièrement, renforcer l'efficacité, et non la mettre en cause en soulignant
son insuffisance ou ses lacunes ; deuxièmement, donner de la cohérence à
l'organisation actuelle ; troisièmement, enfin, donner davantage de lisibilité.
Tels sont les trois objectifs qui, outre l'objectif premier, à savoir le
renforcement de la sécurité sanitaire, confortent notre démarche.
Ce faisant, je le répète, nous ne sommes en aucune façon amenés à mettre en
cause les insuffisances professionnelles de tel ou tel fonctionnaire pris
individuellement ou les dysfonctionnements des services. Qu'il soit bien clair
que nous ne mettons en cause ni l'autorité de l'Etat ni les capacités du
Gouvernement ou des ministres à exercer la plénitude de leurs responsabilités ;
nous cherchons simplement, avec vous si possible, les moyens de rendre plus
efficace, plus cohérent et plus lisible un système qui aboutira à un
renforcement de la sécurité sanitaire.
Quant à ce sentiment de sujétion et de suspicion que, semble-t-il, vous-même
et bon nombre de vos collaborateurs éprouvez à la suite de cette mission
d'inspection, avec une sorte de super-inspection, ne le traduisez pas comme un
doute quant aux limites professionnelles.
Nous nous plaçons dans le cadre d'une organisation générale de l'Etat, et il
n'y a rien de choquant à ce que l'on procède, au travers d'une agence dont
c'est d'ailleurs l'une des raisons d'être, à une sorte d'évaluation externe
d'un certain nombre de travaux, travaux qui, d'ailleurs, peuvent souvent amener
tel ou tel fonctionnaire à chercher comment concilier des missions quelquefois
inconciliables.
Nous pourrons peut-être développer plus avant tous ces éléments. En l'instant,
je ne veux pas que, dès le début de la discussion en deuxième lecture, il y ait
entre nous un malentendu et un climat de suspicion quelque peu malsain qui
masquerait notre objectif commun, à savoir le renforcement de la sécurité
sanitaire.
J'ai été très sensible aux propos de Mme Lebranchu, qui a dû nous quitter.
J'ai notamment apprécié sa concision - c'est une qualité que je ne suis pas sûr
de respecter aujourd'hui.
Mme Lebranchu a, sauf erreur de ma part, parlé de trois niveaux : le niveau
scientifique, le niveau politique et le niveau administratif. J'aurais aimé en
discuter avec elle, car, pour moi, le niveau politique et le niveau
administratif ne font qu'un.
M. Charles Descours.
Evidemment !
M. Claude Huriet,
rapporteur.
L'administration est, en fait, un instrument dans la
définition et dans l'exécution d'une politique, et pas autre chose.
S'il ne s'agit pas d'un lapsus, la distinction entre ces trois niveaux est
quelque peu révélatrice d'un des points sur lesquels l'attention de la Haute
Assemblée a été maintes fois sollicitée.
Sur les dispositifs médicaux, l'Assemblée nationale a retenu le texte que nous
lui avions proposé. Elle a ajouté un utile complément concernant la maintenance
des dispositifs médicaux, ainsi que des dispositions qui encadrent les
recherches cliniques sur des dispositifs dangereux, que je vous proposerai
d'adopter conformes.
Comme je l'ai mentionné précédemment, l'Assemblée nationale a ensuite adopté
une importante réforme de la transfusion sanguine, qui va jusqu'au bout de la
logique engagée en 1995 et poursuivie avec la présente proposition de loi.
La loi de 1995 avait entamé la restructuration de la transfusion, et la
proposition de loi prévoyait de séparer la production du contrôle sanitaire des
produits sanguins labiles.
Avec les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, la proposition de loi
réorganise aussi la production. L'Etablissement français du sang sera, en
effet, désormais chargé de gérer le service public transfusionnel au moyen des
établissements de transfusion sanguine, qui en seront des établissements
locaux.
Il sera ainsi mis fin à l'autonomie juridique des établissements de
transfusion, qui constituait un obstacle à la construction d'un service
transfusionnel moderne et répondant le mieux aux besoins sanitaires.
Nous vous proposerons d'adopter cette réforme, assortie de deux amendements
prévoyant, pour le premier, que les établissements de transfusion sanguine
auront une vocation régionale ou interrégionale et, pour le second, que les
directeurs d'établissements de transfusion disposeront toujours d'une certaine
autonomie de gestion dans le cadre des directives qui leur seront données par
l'Etablissement français du sang.
L'Assemblée nationale a aussi fixé de nouvelles règles de sécurité sanitaire
pour certains produits de santé qui étaient jusque-là peu ou pas encadrés, tels
que les réactifs de laboratoires ou les matières premières à usage
pharmaceutique.
Elle a également précisé le statut des préparations hospitalières, qui sont
des médicaments fabriqués par les pharmacies hospitalières en raison de
l'absence de spécialité pharmaceutique disponible sur le marché.
Elle a, enfin, prévu que les produits thérapeutiques annexes - milieux de
culture, thérapies génique ou cellulaire, assistance médicale à la procréation
- produits que nous avions définis en première lecture, feront l'objet d'une
déclaration à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
avant leur mise sur le marché, ce qui en permettra le contrôle.
Je ne proposerai pas de revenir sur ces règles, à l'exception de modifications
de précision, ainsi que d'un amendement destiné à renforcer la sécurité
sanitaire des préparations hospitalières.
Enfin, l'Assemblée nationale a réécrit l'article 12 relatif aux missions des
pharmaciens inspecteurs de santé publique, des médecins inspecteurs de santé
publique et des inspecteurs des affaires sanitaires et sociales. Il s'agit
d'une clarification et d'une unification des dispositions du code de la santé
publique actuellement en vigueur qui ne prêtent pas à observation
particulière.
En résumé, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, l'essentiel de nos débats sera de nouveau consacré à l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments, d'autant que, par voie d'amendements, nos
collègues Charles Descours et François Autain nous proposent d'aller plus loin,
répondant ainsi aux seules critiques qui ont été formulées à l'encontre de la
proposition de loi, notamment par la presse.
Ces critiques, on peut les résumer ainsi : vous voulez créer une Agence
française de sécurité sanitaire des aliments, et c'est bien ; vous vous opposez
avec raison au Gouvernement lorsqu'il accepte de relayer certaines de ses
administrations qui souhaitent conserver leur pré carré - l'expression n'est
pas de moi - et c'est très bien ; mais vous n'allez pas au bout de votre
démarche, car ce sont toujours les ministres qui exercent la police sanitaire
pour les produits alimentaires.
Je ne rejette pas cette critique ; cela étant, je préfère progresser peut-être
un peu lentement, au gré de certains, mais sûrement.
L'occasion que nous offrent MM. Descours et Autain d'adopter leurs
amendements, qui transfèrent à l'agence la réalité du pouvoir de police
sanitaire ainsi que les moyens d'exercer ce pouvoir, c'est-à-dire les
laboratoires publics de référence, doit être saisie. La commission a donc donné
un avis favorable à leur adoption.
Avec les apports de l'Assemblée nationale et les amendements que nous allons
adopter aujourd'hui, nous aurons un texte dense, fortement novateur et de
nature à renforcer considérablement la sécurité sanitaire des produits destinés
à l'homme et la veille sanitaire.
C'est pourquoi j'espère que la proposition de loi, ainsi amendée, fera l'objet
d'un très lage consensus, dans l'intérêt de la santé de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants. - M. François Autain applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, je veux d'abord rappeler les principes sur lesquels nous
nous sommes fondés lorsque, il y a bien longtemps - M. le président Fourcade
l'a rappelé - nous avons commencé à réfléchir sur cette proposition de loi.
Tous les ministres l'ont dit dans leur intervention liminaire, le premier
principe, c'est le principe de précaution, conçu non pas comme un blocage de
l'action - il peut être cela, on l'a bien vu après la conférence de Rio et les
prises de position des prix Nobel à Heidelberg - mais comme un ensemble utile
d'informations de toute nature constituant un outil de prise de décision.
Il s'agit donc - il faut en être tout à fait conscient - d'une gestion des
risques socialement acceptables, sachant que le risque zéro n'existe pas. De ce
point de vue, il n'en va évidemment pas de même pour les aliments et pour le
médicament : si le risque zéro doit être recherché pour les aliments, en
revanche, pour les produits de santé, le rapport bénéfice-risque prévaut.
Ces principes étant rappelés, je souhaite intervenir sur un certain nombre de
points qui ont été évoqués depuis la première lecture du texte au Sénat.
Le premier point, monsieur le secrétaire d'Etat, soulevé lors de la première
lecture à l'Assemblée nationale, c'est la création ou non d'une agence de
l'environnement. Il est clair, à la lecture des comptes rendus des débats de
l'Assemblée nationale, que, sur ce point, les positions sont pour le moins
opposées.
La première question que je me pose à ce sujet, c'est de savoir quel est le
périmètre de cette agence : l'eau, l'air, les risques chimiques, les risques
nucléaires, d'autres risques encore ? La disparité des domaines risque de
rendre l'agence obèse et donc impuissante, sauf à la subdiviser. Ou bien alors,
pourquoi ne pas y adjoindre encore les deux agences dont nous sommes en train
de discuter aujourd'hui ?
Cela veut-il dire que nous devons refaire une agence à l'américaine, une sorte
de
Food and Drug Administration,
qui, d'ailleurs - M. le président
Fourcade l'a rappelé tout à l'heure - n'a pas pouvoir sur l'ensemble des
aliments puisque la viande, les produits laitiers et les volailles sont un
domaine réservé au secrétaire d'Etat à l'agriculture ?
Je relève aussi que l'agence de l'environnement américaine - Gail Charnley l'a
rappelé jeudi dernier, à l'Assemblée nationale, lors de la conférence qu'elle a
donnée sur l'invitation des Verts et à laquelle je me suis rendu - ne traite
pas des risques nucléaires et radiologiques.
Donc, même aux Etats-Unis, aucune agence n'a une vue d'ensemble.
Ainsi que vous l'avez dit très justement à l'Assemblée nationale, monsieur le
secrétaire d'Etat, ainsi que l'a rappelé M. le rapporteur, on peut donc se
poser des questions sur l'opportunité et la faisabilité d'une agence de
sécurité sanitaire de l'environnement.
J'attends le rapport que prévoit le texte tel qu'il a été adopté par
l'Assemblée nationale. J'espère que la mission parlementaire comprendra des
sénateurs, de façon que l'ensemble du Parlement soit associé à cette
réflexion.
Cela étant, quand je vois - de ce point de vue, ce ne sont pas les
interventions que je viens d'entendre qui sont de nature à me rassurer - les
difficultés que nous avons à créer une agence de sécurité alimentaire
indépendante, séparant la gestion et le contrôle et qui ne soit pas une
coquille vide, quand je songe aux difficultés que nous aurons à créer, demain,
une institution pour la sécurité nucléaire, à la suite de la mission confiée à
notre collègue de l'office parlementaire Jean-Yves Le Déaut, je doute que nous
puissions construire une agence de l'environnement qui soit autre chose qu'une
usine à gaz !
Dans ces conditions, sans vouloir conclure avant la mission, je tiens à faire
part de mon scepticisme quant à cette agence de l'environnement.
J'en viens maintenant aux agences qui sont l'objet du débat d'aujourd'hui. Il
s'agit essentiellement, comme l'a dit M. le rapporteur, de différencier
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments.
Pour les produits de santé, des craintes avaient été formulées au cours de la
première lecture, suscitées notamment par la transfusion. Ces craintes sont
aujourd'hui à peu près levées.
Quant à celles qu'inspire aujourd'hui l'agence française de sécurité sanitaire
des aliments, elles donnent lieu à des pressions de toutes parts pour essayer
de vider l'agence de sa substance.
Je vous ai écouté, monsieur le ministre, et je fais miennes les conclusions de
notre rapporteur : notre objectif, c'est de créer une agence chargée des
produits alimentaires qui soit à la fois efficace, cohérente et lisible.
Nous ne mettons en cause ni la compétence ni la conscience professionnelles
des fonctionnaires. Mais, nous l'avons vu, nous pensons que l'on peut améliorer
l'efficacité, la cohérence et la lisibilité des structures administratives
chargées de la veille et de la sécurité sanitaires.
L'expérience malheureuse de ces dernières années nous montre bien que la
sécurité alimentaire vaut mieux que quelques querelles d'arrière-boutique
suscitées par des intérêts catégoriels. Il faut donc que cette agence soit
indépendante et qu'elle ait des pouvoirs.
J'interviendrai maintenant sur deux points qui ont été longuement évoqués
entre les deux lectures.
Le premier concerne les dispositifs médicaux. Nous avons rencontré et écouté
nombre d'industriels concernés par cette question. Les nouvelles règles posées
par la proposition de loi pour renforcer la sécurité sanitaire des dispositifs
médicaux et répondre aux interrogations des industriels n'ont pour but ni de
mettre en place des contraintes administratives nouvelles ni d'ajouter, si je
puis dire, du droit par rapport aux directives européennes existantes. Cela est
très important. Nous voulons simplement donner aux autorités sanitaires
françaises les moyens d'exercer convenablement leurs missions et d'être en
mesure de retirer un dispositif dangereux du marché, comme le permettent les
directives européennes, avant qu'il y ait des accidents ou des morts.
Tout le problème tourne autour du marquage CE. Nous pensons que l'on peut
aller un peu plus loin et faire mieux.
En effet, quel est l'objet du texte que nous avons élaboré en première lecture
et qui a été adopté par les députés ? Il tend à demander aux industriels qui
fabriquent des dispositifs susceptibles de présenter des risques sanitaires
particuliers de déposer, trois mois avant la mise sur le marché, une
déclaration à l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé.
A notre sens, cette procédure n'est pas particulièrement contraignante. En
effet, trois mois avant la mise sur le marché d'un dispositif, les industriels
savent qu'ils s'apprêtent à lancer un nouveau produit. Nous pensons que cette
déclaration peut éviter des accidents, et c'est pourquoi, malgré les réticences
des industriels, nous pensons que cette disposition doit être maintenue. Il
appartiendra bien sûr au pouvoir réglementaire, qui définira les conditions de
cette déclaration, de faire en sorte qu'elle ne se traduise pas par des
procédures administratives nouvelles, car tel n'est pas notre souhait.
J'en arrive à mon second point qui fera l'objet d'un amendement - M. Huriet
l'a évoqué voilà quelques instants - et qui a trait aux pouvoirs de police
sanitaire de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Je ne doute
pas que cette question fasse l'objet d'un consensus sur l'ensemble de nos
travées.
Que nous a-t-on dit depuis les réflexions que nous avons menées ? La question
des produits de santé est bien traitée à travers la proposition de loi ; ces
produits sont dotés d'un statut protecteur et une agence indépendante est
chargée de les évaluer, de les autoriser ou de les retirer du marché si cela
est nécessaire. Nous disposons là d'un système clair, simple et efficace. Je
rappelle que, depuis que l'Agence du médicament fonctionne sur ces normes - et
nous l'élargissons aujourd'hui - elle est reconnue par les autres pays
européens alors qu'il y a quelques années les autorisations de mise sur le
marché que nous donnions n'étaient pas reconnues. Il ne faut pas oublier ce
fait. Aujourd'hui, nous avons un système qui est reconnu en Europe et, je
l'espère, dans le monde. Pour les aliments, on nous a beaucoup dit que l'agence
n'était pas tout à fait une véritable agence sous le prétexte que c'était
toujours le ministre qui détenait les pouvoirs de police sanitaire. En effet,
l'agence évalue les risques et peut diligenter des contrôles mais, dans la
rédaction actuelle de la proposition de loi, c'est le ministre qui apprécie
s'il est ou non opportun de prendre des décisions.
Je veux aller plus loin et le système que je propose me paraît plus clair.
J'ai d'ailleurs cru comprendre que je n'aurai pas le soutien du ministre de
l'agriculture - ce qui me désole - mais j'y reviendrai dans un instant et
j'espère le convaincre.
Sans remettre en cause la nature juridique des décisions de police sanitaire,
qui demeurent de la compétence ministérielle, mon amendement prévoit que ces
décisions seront prises sur avis conforme de l'agence. Je vais donc moins loin
que pour l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé tout en
souhaitant que l'agence puisse donner son avis avant que le ministre ne se
prononce. Le calendrier - nous le verrons et nous l'avons vu dans le passé -
n'est pas un argument déterminant. Si ce système n'est pas identique à celui
des produits de santé, je conviens qu'il s'en rapproche.
Cet amendement s'inscrit dans le prolongement logique de la proposition de loi
initiale. Certes, sur ce point, je serai peut-être battu au hasard des
présences dans l'hémicycle ou de la puissance des lobbies. Je préfère pourtant
le dire et avoir raison trop tôt que de me taire aujourd'hui où nous sommes
chargés de la sécurité sanitaire des produits alimentaires. Nous nous battrons
et nous verrons bien ce qu'il adviendra de notre proposition. Mais je crois que
nous avons raison sur le fond ; il en va de la santé de nos compatriotes.
Voilà, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, ce que je voulais dire en préambule dans cette discussion générale.
Bien entendu, nous défendrons nos propositions dans la discussion des articles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour mettre la dernière main à
un texte attendu autant par les professionnels que par les consommateurs. Le
Sénat avait, en première lecture, fait un excellent travail, corroboré par
celui de l'Assemblée nationale, si bien qu'il nous reste aujourd'hui peu de
débats à trancher.
Je tiens à cette occasion à saluer la qualité du travail réalisé par mes
collègues, le rapporteur Claude Huriet et Charles Descours.
M. le rapporteur a bien fait de souligner que la divergence majeure qui
subsiste aujourd'hui entre l'Assemblée nationale et le Sénat porte sur l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments, ses compétences et ses
pouvoirs.
C'est à ce sujet que j'étais plus particulièrement intervenu en première
lecture, parce que la commission des affaires économiques, dont je fais partie,
en était saisie pour avis. Je tiens d'ailleurs à rappeler et à saluer devant
vous, mes chers collègues, l'excellent travail que Gérard César, rapporteur
pour avis, avait accompli à cette occasion.
J'étais également intervenu parce que, tout le monde le sait, mes compétences
de vétérinaire libéral et d'inspecteur des abattoirs me donnaient une vue
particulière de ce sujet. C'est aussi à ce titre que je souhaite participer
activement aujourd'hui à la suite de ce débat. Il me semble que toute la
richesse de notre Haute Assemblée vient de sa diversité, où chacun peut
apporter, en toute impartialité, le fruit de son expérience sur le terrain pour
adapter et enrichir les textes qui lui sont proposés.
Comme M. le rapporteur l'a souligné, on peut considérer que cette proposition
de loi fait, dans son ensemble, l'objet d'un consensus. C'est pourquoi les
motifs de satisfaction dominent dans l'appréciation que je porterai sur l'état
actuel du texte, à l'issue de son examen en commission des affaires sociales.
Cependant, je souhaiterais, dans un second temps, relever un certain nombre de
questions soulevées par la rédaction actuelle et qui, à mon sens, justifient
des amendements dont je vous expliquerai la teneur.
Je relève d'abord plusieurs motifs de satisfaction dans le texte résultant à
la fois du travail de l'Assemblée nationale et des amendements présentés par la
commission des affaires sociales.
J'estime que la création du Comité national de sécurité sanitaire par
l'Assemblée nationale est une bonne chose.
Le Sénat avait créé un conseil placé sous la présidence du Premier ministre,
pour afficher une responsabilité politique au plus haut niveau dans cet édifice
de veille et de sécurité sanitaires. L'Assemblée nationale a choisi de le
supprimer et de le remplacer par ce comité, présidé par le ministre chargé de
la santé et composé des responsables des agences de veille et de sécurité
sanitaires.
La différence entre conseil et comité n'est pas seulement sémantique. Ce
comité va analyser les événements susceptibles d'affecter la santé et
confronter les informations disponibles. Il est donc conçu comme un organe
beaucoup plus opérationnel que notre conseil : il assurera la coordination
nécessaire entre les différentes instances, coordination qui était sans doute
le maillon faible de notre édifice jusqu'à maintenant. Dans la mesure où la
dualité des deux agences est maintenant un fait acquis, il faut absolument se
préoccuper des rapports entre elles et avec l'Institut de veille sanitaire.
Je soutiendrai l'amendement de la commission qui ajoute aux missions du comité
la coordination des politiques scientifiques, ce qui est essentiel pour les
perspectives d'avenir de ces agences. En effet, cela montre bien que les
agences ne se contentent pas d'assurer une gestion des situations de crise,
mais qu'elles se projettent également dans les problématiques du futur et
qu'elles seront à même de maîtriser, sinon de prévenir, les nouveaux
risques.
Ce que j'énonçais plus haut, à savoir le maintien de deux agences, est un
résultat à mes yeux très positif.
Il était important, malgré les pressions politiques ou administratives, de
maintenir l'existence séparée de deux agences. En effet, comme nous l'avions
longuement expliqué lors de la première lecture, produits de santé et aliments
répondent à deux logiques différentes, même si tous deux concourent également à
la santé publique. Il importait de concrétiser cette distinction dans le
texte.
Il faut maintenant veiller à maintenir un équilibre entre les deux agences,
équilibre dans les compétences, les missions et les pouvoirs. C'est pourquoi il
faut être particulièrement attentif au contenu de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments, face à l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé déjà bien identifiée, structurée et dotée du
pouvoir de contrôle. La première ne doit pas être le parent pauvre de la
seconde, quand bien même elle serait limitée à la veille sanitaire.
Cela nous conduit justement à l'intégration du CNEVA au sein de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments. Ce transfert, sur lequel le Sénat
avait beaucoup hésité en première lecture, est, pour moi, aujourd'hui un motif
de satisfaction, dû au travail de l'Assemblée nationale. Le transfert intégral
qui était demandé, évitant ainsi le démantèlement de cette structure, qui
aurait porté un coup fatal à son efficacité et à sa crédibilité, a été acté.
L'avenir du CNEVA et de ses personnels, comme l'a rappelé M. le ministre de
l'agriculture, est donc préservé. L'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments pourra donc bénéficier des compétences et de l'expérience de ce centre
en matière de santé animale, de sécurité des aliments et de qualité des
médicaments vétérinaires.
Les conditions du transfert méritent cependant d'être précisées, notamment
dans la rédaction du paragraphe II de l'article 794-1 du code de la santé
publique. Cette rédaction me semble un peu compliquée et, du même coup,
porteuse de confusions. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter un
amendement qui, contrairement à son apparence, n'est pas rédactionnel.
En ce qui concerne les autres laboratoires susceptibles d'être incorporés à
l'agence, je pense qu'il faudra procéder de façon progressive et pragmatique.
C'est à la lumière du fonctionnement de l'agence dans les premiers temps qu'il
faudra décider, d'une part, des laboratoires concernés, et, d'autre part, des
modalités de leur transfert.
En effet, nous touchons là à un sujet extrêmement sensible et cette
perspective de bouleversement administratif n'est pas toujours bien comprise
ni, vous le savez, bien acceptée. Pourtant, je crois sincèrement qu'il est de
l'intérêt des consommateurs d'étudier la possibilité de constituer une agence
qui soit, à terme, la plus complète possible afin d'assurer sa totale
efficacité. En effet, la compétence de l'agence ne saurait se limiter aux
produits issus des animaux tels que les ovins, les bovins et les volailles.
Elle devrait également englober les produits de la mer ou des rivières et les
végétaux.
La commission propose de rétablir l'agrément pour les groupements de
producteurs.
Je suis heureux de la voir reprendre un amendement que j'avais déposé, avec
plusieurs de mes collègues, en première lecture. La raison d'être de cet
amendement était de prendre en compte l'évolution rapide des programmes
sanitaires d'élevage, par analogie avec le régime d'autorisation de mise sur le
marché des médicaments vétérinaires, soumis, vous le savez, à renouvellement
quinquennal.
Comme en première lecture, je vous proposerai de rétablir une disposition qui
instaure une période transitoire pour permettre aux groupements de se conformer
à cette nouvelle disposition.
Au total, sur l'ensemble de ces dispositions, je crois que nous sommes
parvenus à élaborer un texte de consensus, dont nous pouvons tous être
satisfaits.
Dans un second temps, je souhaite m'attarder sur trois points qui posent des
problèmes de fond qu'il est nécessaire d'examiner de plus près.
C'est le cas d'abord des xénogreffes, évoquées succinctement à l'article 2
dans le cadre des missions et prérogatives de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé, et plus longuement au paragraphe X de
l'article 10.
Les xénogreffes sont, nous le savons, une voie d'avenir pour la médecine.
Elles constituent un sujet épineux, ne serait-ce que parce qu'elles posent un
problème éthique de taille. C'est pourquoi cela justifie que l'on entoure cette
pratique de toutes les précautions nécessaires.
En effet, la question de la barrière d'espèce, dont on sait qu'elle est
franchie depuis longtemps, nous a été rappelée de façon cruelle par des
événements récents, comme les encéphalopathies spongiformes ou les rétrovirus
porcins. Ce problème se pose avec la même acuité pour les xénogreffes que pour
l'alimentation.
Aussi, bien que je ne veuille nullement réintroduire un élément de discorde
dans le partage des tâches entre les deux agences, je tiens cependant à faire
valoir deux arguments, qui n'apparaissent pas dans la rédaction actuelle.
J'estime, et vous en conviendrez tous avec moi, qu'il est absolument
nécessaire que les animaux dont proviennent les xénogreffes aient un statut
sanitaire parfaitement défini au regard des risques de transmission de
pathologies animales.
De même, l'identification des animaux et des produits, leurs organes, leurs
tissus, ainsi que leur traçabilité sont absolument indispensables à la mise en
oeuvre de la veille sanitaire et des procédures d'alerte en cas d'incident.
C'est pourquoi je souhaite que l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments soit associée à cette procédure, ne serait-ce que par le biais d'un
avis. Il faut en effet utiliser pleinement les compétences dans le domaine
sanitaire du CNEVA, désormais partie intégrante de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments. Qui est le mieux à même de mettre en place
cette traçabilité des produits de xénogreffes, sinon les chercheurs
vétérinaires ?
D'ailleurs, pour reprendre l'exemple des encéphalopathies spongiformes ou des
rétrovirus porcins, c'est le CNEVA qui est aujourd'hui l'établissement en
pointe dans l'étude du franchissement de la barrière d'espèces. Il serait donc
non seulement dommage, mais aussi dangereux, de ne pas profiter de cette
expertise dans le domaine des xénogreffes. C'est pourquoi je souhaite vivement
que le Sénat adopte l'amendement que je présenterai à l'article 10.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Les allégations santé des aliments posent un autre problème de fond qui mérite
aussi que l'on s'y attarde. Tout le monde s'accorde à penser qu'il faut
actualiser les dispositions régissant la publicité sur les allégations santé,
elles-mêmes bien encadrées par le droit communautaire et le code de la
consommation.
Je voudrais cependant attirer votre attention, mes chers collègues, sur un
déséquilibre introduit par la rédaction des articles L. 793-1 et L. 794-2 du
code de la santé publique. La responsabilité de l'attribution du visa publicité
pour les allégations santé des aliments se trouve scindée entre les deux
agences, puisque l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
est ici dotée d'une compétence générale en la matière, et que l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments est compétente sur les expertises
fournies en vue de se prévaloir de l'allégation santé. Cela introduit une
confusion dans les compétences respectives des deux agences.
Surtout, cela me semble un peu compliqué, et je préférerai de beaucoup qu'on
en revienne à la rédaction initiale du Sénat, qui excluait les aliments du
texte proposé pour l'article 793-1 du code de la santé publique : il n'y a pas
de raison que l'aliment soit de la compétence de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé quand il existe une Agence française de
sécurité sanitaire des aliments tout à fait capable de traiter des allégations
santé.
En conséquence, je souhaite compléter le 6° du texte proposé pour l'article
794-2 du code de la santé publique en donnant la compétence de visa publicité
pour les aliments à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Cela
a le mérite de clarifier la répartition des compétences entre les deux
agences.
Enfin, le troisième problème que je souhaite soulever devant vous, mes chers
collègues, est celui des matières premières à usage pharmaceutique.
Ces matières premières ont été incluses à juste titre dans le champ de cette
proposition de loi par un amendement du professeur Dubernard. Elles
introduisent, en effet, un facteur de risque dans la chaîne de production des
médicaments, notamment, comme le rappelait l'auteur de cet amendement, du fait
de la mondialisation de ce marché. L'article 11
quater
est donc tout à
fait justifié sur le fond.
En revanche, je crois qu'il est peut-être un peu rapide de mettre sur le même
plan toutes le matières premières à usage pharmaceutique. A mon sens, il est
absolument essentiel d'introduire une distinction, au sein de ces matières
premières, entre les principes actifs, qui relèvent bien évidemment de la
compétence de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé,
et les excipients. Les excipients sont des matières premières telles que le
saccharose, le miel, l'amidon, qui ont par ailleurs principalement un usage
alimentaire.
La production de ces matières premières est donc évidemment du ressort de
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, comme c'est d'ailleurs
précisé au paragraphe I du texte proposé pour l'article 794-1 du code de la
santé publique. Il serait pour le moins étonnants de faire dépendre de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments la production en grande quantité
de matières premières de l'industrie agroalimentaire, alors que la production
de quantités infimes serait du ressort de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé.
Je crois qu'il ne faut pas prendre le risque que soit mis en doute le sérieux
du travail de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments sous
prétexte qu'en usage pharmaceutique les spécifications sanitaires seraient
différentes. Cela introduirait logiquement un doute dans l'esprit des
consommateurs à propos de la sécurité sanitaire des aliments qu'ils ingèrent
régulièrement et en beaucoup plus grande quantité que dans les préparations
pharmaceutiques.
La sécurité de ces produits doit être l'objectif premier de l'Agence française
de sécurité sanitaire des aliments, comme l'énoncé de ses missions l'y invite.
Il n'y a donc aucune raison de la mettre en doute quant il s'agit de petites
quantités des mêmes produits.
Je crois au contraire, mes chers collègues, qu'il faut réaffirmer le sérieux
qui présidera aux missions de l'Agence française de sécurité sanitaire des
aliments en lui confiant la tutelle des déclarations en ce qui concerne les
matières premières à usage pharmaceutique qui ont par ailleurs un usage
alimentaire. Pour ces raisons, je vous proposerai d'adopter trois amendements
qui visent à opérer cette distinction entre principes actifs et excipients à
usage alimentaire.
Enfin, je souhaite évoquer la question du montant de la taxe prévue à
l'article L. 658-16 du code de la santé publique. Je crois, monsieur le
ministre, qu'il conviendra, dans la rédaction du décret prévu ici, de tenir
compte de la diversité des entreprises concernées par le paiement de cette
taxe. Dès que l'on parle de médicaments, on pense, bien sûr, d'abord aux
multinationales, pour lesquelles la somme de 15 000 francs ne constitue pas un
problème. Mais je tiens à souligner que les matières premières à usage
pharmaceutique recouvrent aussi par exemple les essences de plantes et les
arômes naturels, qui sont produits le plus souvent par des PME, en particulier
dans le cadre de l'agriculture biologique.
Il faudrait donc veiller à ce que la perception de cette taxe ne mette pas en
péril tout un secteur pour lequel la pharmacie est un débouché important dans
un marché par ailleurs très étroit. La solution serait sans doute de moduler le
montant de la taxe en fonction du chiffre d'affaires. Je laisse cela à votre
bienveillante appréciation, monsieur le ministre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc
les différents éléments que je souhaitais apporter à notre débat, dans le seul
but d'assurer la meilleure efficacité possible à notre dispositif, notamment à
l'Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments. J'espère que mes
amendements seront retenus par notre Haute Assemblée.
Je serais en tout cas heureux d'avoir pu contribuer, grâce à un consensus
exemplaire de notre Haute Assemblée, à améliorer la sécurité sanitaire à
laquelle les Français ont légitimement droit.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
réunis aujourd'hui pour examiner en deuxième lecture une proposition de loi qui
constitue une réforme importante et primordiale de notre système de santé.
Les travaux entrepris par la mission d'information à laquelle j'ai participé,
et qui sont à l'origine de ce texte nous ont montré combien la sécurité
sanitaire des biens de santé et des produits alimentaires n'était pas garantie
et que la veille sanitaire n'était pas assurée en dépit des réformes effectuées
depuis 1992.
J'espère qu'avec ce texte nous pourrons donner à l'Etat les moyens de combler
bon nombre de lacunes qui portent atteinte au bon fonctionnement de la santé
publique en France.
Le sentiment d'insécurité qu'éprouvent parfois nos concitoyens nous incite en
effet à agir promptement.
Qu'il s'agisse de l'affaire du sang contaminé, de l'amiante, de
l'encéphalopathie spongiforme bovine, des épidémies de listériose, tous ces
drames sont là pour nous rappeler les insuffisances de notre système de
protection sanitaire.
Il est évident que cela ne doit pas se reproduire à l'avenir. Il est de notre
devoir et de notre responsabilité de mettre fin à cette situation que je
qualifierai d'intolérable.
Malheureusement, l'actualité vient tout récemment de nous donner une nouvelle
illustration de ce qu'il nous faut absolument combattre. Je pense au réseau de
trafic d'organes humains qui a été démantelé lundi à New York : deux
ressortissants chinois négociaient la vente d'organes de prisonniers
exécutés.
C'est pour éviter de telles ignominies qu'il est indispensable d'améliorer
l'efficacité de notre système de santé. C'est la raison pour laquelle j'ai été
heureux de cosigner cette proposition de loi.
Ce texte nous tient particulièrement à coeur. La volonté du Gouvernement de
réformer rapidement l'administration sanitaire de la France ainsi que les
travaux de l'Assemblée nationale pour enrichir la proposition de loi nous le
prouvent.
Dans le climat politique actuel, où députés et sénateurs sont souvent en
désaccord, je ne peux que me féliciter des débats de l'Assemblée nationale, car
ils ont indéniablement amélioré ce texte. Je pense, notamment, à la mise en
place d'un opérateur unique de la transfusion sanguine : l'Etablissement
français du sang.
C'est également avec beaucoup de satisfaction que j'ai constaté que les
députés ont adopté bon nombre de modifications apportées par notre assemblée en
première lecture, notamment l'amendement déposé par mon collègue, M.
Cabanel.
Cet amendement a permis de maintenir l'activité du Laboratoire d'études
hydrologiques et thermales, couramment appelé laboratoire des eaux minérales,
en le rattachant à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Ce
laboratoire permet d'expertiser les eaux minérales et d'aider en quelque sorte
le ministère à prendre une décision d'autorisation d'exploitation. Il était
important de conserver cette structure.
J'émettrai cependant une réserve quant aux modifications apportées par
l'Assemblée nationale concernant l'Agence de sécurité sanitaire de
l'environnement. La possibilité de créer une telle agence me paraît louable.
Toutefois, je souhaiterais rappeler qu'il existe déjà une Agence de
l'environnement, qui a été instituée par la loi du 19 décembre 1990.
Cet établissement public a été créé pour exercer des actions dans plusieurs
domaines, tels que la prévention et la lutte contre la pollution de l'air, la
limitation de la production des déchets ou la lutte contre les nuisances
sonores, pour n'en citer que quelques-uns.
L'un des principaux objets de la proposition de loi est d'améliorer les
structures administratives chargées du contrôle des produits et de la veille
sanitaire. Si je souscris pleinement à cette ambition, je m'interroge encore
sur l'opportunité de la création d'une structure nouvelle. N'aurait-il pas été
préférable, mes chers collègues, de réformer la structure existante ?
Malgré ce léger désaccord, je suis convaincu que le texte dont nous débattons
constitue la réforme ambitieuse et nécessaire à laquelle nous sommes attachés.
C'est pourquoi je serai heureux de le voter.
(Applaudissements sur les
travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Après vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le
rapporteur, je ne peux qu'exprimer ma satisfaction de constater que non
seulement les deux assemblées, mais aussi la majorité et l'opposition ont su,
sur ce texte important relatif à la sécurité sanitaire, trouver le plus souvent
un terrain d'entente. Je regrette toutefois qu'il ne puisse pas en être plus
fréquemment ainsi.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Très bien !
M. François Autain.
Monsieur le rapporteur, vous avez choisi de retenir la plupart des
modifications apportées par l'Assemblée nationale à la proposition de loi
sénatoriale, et je m'en félicite.
Je pense notamment à la substitution au Conseil national de la sécurité
sanitaire proposée par le Sénat d'un Comité national de sécurité sanitaire.
Vous vous souvenez sûrement qu'en première lecture, mais aussi dans les
conclusions de notre mission d'information, j'avais exprimé les plus vives
réserves sur la création d'un tel conseil dont les missions me paraissaient
trop larges pour être bien définies. Le Comité que nous propose l'Assemblée
nationale a pour sa part un rôle clairement établi : coordonner l'action des
acteurs de la sécurité sanitaire réunis en son sein.
J'exprimerai un seul regret - si vous le permettez, monsieur le rapporteur -
c'est que vous n'en soyez pas resté strictement au rôle que lui avait imparti
l'Assemblée nationale. Vous avez en effet déposé un amendement dont je récuse
la dernière phrase. Mais je m'en expliquerai tout à l'heure, lors de l'examen
des articles.
Une modification importante apportée par l'Assemblée nationale concerne la
création de l'Etablissement français du sang. L'institution d'un opérateur
unique est demandée depuis longtemps. Elle est éminemment souhaitable. Je ferai
toutefois deux observations.
Tout d'abord, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande de me confirmer
que l'établissement public ainsi créé continuera de disposer, auprès de lui,
d'un conseil scientifique dont les membres seront nommés par vous, ce qui
permettra l'expression pleine et entière du monde médical et scientifique de la
transfusion. Ce faisant, vous répondriez aux préoccupations des responsables
médicaux régionaux, que j'ai rencontrés, et qui souhaitent pouvoir disposer,
auprès du directeur de l'établissement national, d'un lieu d'écoute et de
dialogue comparable à ce qu'est, pour l'hôpital, la commission médicale
consultative.
Seconde observation, il était nécessaire de retenir un modèle centralisé
d'organisation de la transfusion sanguine, j'en conviens. Garantir le bon
fonctionnement de cet établissement public national, c'est toutefois
déconcentrer les décisions aussi souvent que l'exigera sa bonne gestion.
Je pense ici aux délégations qui sont confiées aux responsables des
établissements « régionaux » ou « interrégionaux ». Je reprends là les termes
de l'amendement très pertinent de M. le rapporteur, qui a remplacé « locaux »
par « régionaux » et « interrégionaux ». Je voterai bien évidemment cet
amendement.
Je ne prolongerai pas inutilement mon propos sur les autres innovations de
moindre importance qui ont été introduites par l'Assemblée nationale et qui
reçoivent mon accord, autant d'ailleurs que celui du Gouvernement et de la
commission.
J'en viens maintenant au seul sujet qui fait aujourd'hui encore discussion
entre nous : l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, qu'il
s'agisse de la définition de sa mission et, au-delà, peut-être même de sa
nature, ou des moyens dont elle disposera.
Peut-être même de sa nature, disais-je, car c'est bien de cela qu'il s'agit,
monsieur le ministre de l'agriculture. A l'Assemblée nationale, vous n'avez
cessé de vous référer, à juste titre, au concept défini par l'Organisation
mondiale de la santé, l'OMS qui distingue très clairement évaluation et gestion
du risque. Pourtant, vous savez bien que le bras séculier de l'OMS dans ce
domaine est le système américain de sécurité sanitaire, dont la vocation est
mondiale.
Dans ce système, les
Center for Disease Control and Prevention
, les
CDC, sont pleinement en charge de l'évaluation des risques et laissent en effet
aux autorités fédérales ou locales américaines, comme aux autorités nationales
lorsqu'elles interviennent à l'étranger, le soin de gérer les risques et
d'assumer les missions de contrôle.
Dans le modèle que nous voulons introduire chez nous, la mission d'évaluation,
au sens que je viens de définir et aussi au sens que l'OMS a défini, revient à
l'Institut de veille sanitaire, dont, encore une fois, monsieur le secrétaire
d'Etat à la santé, le champ de compétences ne doit pas être limité seulement, à
terme, à l'épidémiologie. Il doit s'étendre, au contraire, à l'évaluation de
tous les risques de santé publique, dans tous les domaines de l'activité
humaine, y compris le domaine alimentaire, bien entendu, monsieur le ministre
de l'agriculture.
Quant à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, elle doit être
à terme pleinement en charge de la gestion des risques sanitaires et du
contrôle. Evidemment, cette gestion suppose aussi une mission d'évaluation,
d'ailleurs au centre de la compétence de l'agence, mais qui ne se confond pas
avec celle que je viens de définir, qui s'entend plus comme la surveillance,
concept fondateur de l'OMS. Je crains que nous n'ayons, sur ce point, une
certaine divergence de fond.
Cette divergence n'est évidemment pas politique, vous en conviendrez, monsieur
le ministre de l'agriculture, mais ai-je besoin de le préciser ? Je regrette
que, dans ce débat - d'autres intervenants l'ont dit - le poids des
administrations et de leurs querelles de chapelles soit si grand.
Nous avons fait le choix de placer la sécurité sanitaire avant toute
préoccupation, et notamment toute préoccupation économique. L'histoire récente
nous montre que ce choix est fondamental. Il ne faut pas le remettre en cause
au nom de corporatismes mesquins ou, pis, pour continuer de laisser prédominer
des intérêts économiques indéfendables sur le plan de la santé publique.
Telle est la raison pour laquelle, monsieur le ministre de l'agriculture - et
je ne le dis pas sans un certain regret - j'accueille plutôt favorablement
l'initiative de M. Charles Descours...
M. Charles Descours.
C'est bien, mais il ne faut pas avoir de regret !
M. François Autain.
J'ai honte de le dire
(Exclamations sur les travées de l'Union centriste),
mais la vérité n'a pas de frontière, surtout de frontière politique !
(Sourires.)
J'accueille donc favorablement l'initiative de M. Charles Descours qui vise,
par son amendement, à accroître les responsabilités de l'Agence française de
sécurité sanitaire des aliments.
Encore une fois, ne pas le faire reviendrait évidemment à affaiblir l'agence
elle-même et la mission qui lui est confiée, mais aussi et surtout à changer la
nature même de la mission que nous entendons lui confier et à remettre en
cause, pour les seuls aliments, l'architecture que nous avons retenue : veille,
contrôle des produits, évaluation de l'activité thérapeutique.
Telles sont les raisons - elles dépassent, évidemment, les clivages partisans,
mais ai-je besoin de le dire ou de le redire ? - pour lesquelles je suis, je ne
vous le cache pas, séduit par l'initiative de Charles Descours.
M. Charles Descours.
Je vais avoir des ennuis !
(Sourires.)
M. François Autain.
C'est bien pourquoi je vais essayer d'atténuer mes remarques dans la suite de
mon intervention !
(Nouveaux sourires.)
Monsieur le ministre de l'agriculture, je vous ai écouté attentivement
tout à l'heure, et je comprends vos réticences, surtout lorsqu'elles plaident
pour une défense du politique face aux agences, et singulièrement l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments. Toutefois, croyez-vous que cette
défense du politique, que j'approuve et à laquelle je souscris au demeurant,
est bien opportune dans ce cas et en un tel moment ?
Au moment où les politiques viennent d'abandonner toute autorité sur la
monnaie, s'en remettant à une banque centrale complètement autonome et dont le
président, de surcroît, en profite, en use et en abuse, au moment où l'on
s'apprête, si j'en crois Mme le garde des sceaux qui s'en est expliquée
récemment dans cette enceinte, à donner aux procureurs de la République pleine
liberté dans l'accomplissement de leur mission, ce qui témoigne, je le
reconnais, d'un renoncement de l'Etat à l'un de ses pouvoirs séculaires
reconnus par la Constitution, à un tel moment donc, croyez-vous que l'on peut
faire moins pour la sécurité sanitaire que pour la monnaie ou la justice ?
En donnant aux agences une autonomie qui, en toute hypothèse, est beaucoup
moins large que celle dont bénéficie la sécurité monétaire - si tant est que ce
mot ait un sens - je ne pense pas que nous fassions une oeuvre, je dirai,
mauvaise.
A l'amendement de M. Descours que j'évoquais à l'instant, j'en ajouterai un
autre - j'espère que la commission voudra bien en accepter le principe - qui
consiste à transférer, par la loi, à l'Agence de sécurité sanitaire des
aliments - j'ai voulu assurer un certain équilibre - non seulement le Centre
national d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA, mais aussi tous les
laboratoires publics qui oeuvrent dans son champ de compétence.
Je pense ici, évidemment, pour l'essentiel, aux laboratoires placés sous
l'autorité de M. le ministre de l'économie et des finances. Ce dernier souhaite
recentrer sa mission sur l'économie, les finances publiques et la production ;
aidons-le à y parvenir en le débarrassant de missions de santé publique qui ne
sont nullement de sa compétence.
Il reste bien entendu de sa compétence de réprimer les fraudes, et nous
n'entendons nullement lui contester cela. Et pour exercer cette compétence dans
sa plénitude, il fera, en tant que de besoin bien sûr, appel aux services des
agences de santé publique.
Je sais combien une telle démarche risque d'ébranler l'une des plus puissantes
citadelles administratives. Tant pis pour les citadelles, tant mieux pour la
santé publique, si c'est à ce prix que la sécurité sanitaire des Français doit
s'en trouver renforcée !
Je proposerai, enfin, un amendement sur le contrôle des maladies. J'évoquerai
son contenu à l'occasion de la discussion des articles.
Avant d'achever mon propos, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous poserai
quatre questions relatives aux dispositifs médicaux.
Comment se superpose, dans votre esprit, le marquage CE des dispositifs et le
régime déclaratif que nous avons introduit en première lecture en vue
d'informer l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ? En
d'autres termes, quelle sera la place des organismes chargés d'établir les
certifications exigées pour le marquage CE ? Ne risque-t-on pas d'instituer un
double contrôle, et ne convient-il donc pas de les fusionner afin de faciliter
la tâche des constructeurs ? A cet égard, ne pensez-vous pas qu'une telle
obligation nouvelle devrait être imposée à tous les pays de la Communauté afin
de renforcer la sécurité sanitaire et d'éviter d'affaiblir notre industrie
nationale ? Envisagez-vous, en conséquence, de demander une renégociation de la
directive européenne sur ce point ?
Telles sont donc, monsieur le président, les quelques réflexions que
j'entendais livrer à l'occasion de la discussion générale. Bien entendu, le
groupe socialiste votera, en deuxième lecture - comme il l'a fait en première
lecture cette proposition de loi, montrant ainsi que le Gouvernement, comme la
majorité qui le soutient, ne se refuse pas au dialogue lorsque volonté
sénatoriale de dialogue il y a ! Mais, reconnaissez-le avec moi, ce n'est pas
toujours le cas !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture cette proposition de
loi qui a pour objectif de renforcer la veille et la sécurité sanitaires.
Evidemment, comme tout le monde, je dirai que tous les événements de ces
dernières années - toute la population les a encore en tête, hélas ! - ont
montré qu'il y avait des carences et des dysfonctionnements, et que la sécurité
sanitaire n'était pas optimale dans notre pays, le risque zéro étant bien
entendu illusoire.
Dans son rapport, notre éminent collègue M. Huriet a cherché les moyens de
faire de la sécurité sanitaire un objectif majeur d'une politique de santé
publique elle-même à élaborer, et il y a beaucoup à dire sur notre politique de
santé publique !
La présente proposition de loi, soutenue par le Gouvernement, se veut donc une
première étape dans la mise en place d'un dispositif de sécurité sanitaire
efficace et rapide.
L'Assemblée nationale a approuvé les principes et les objectifs principaux du
texte initial, à savoir la création de l'Institut de veille sanitaire et de
deux agences de sécurité sanitaire, l'une pour les produits de santé, l'autre
pour les aliments.
L'Assemblée nationale a ensuite apporté des modifications qui tendent à
améliorer le dispositif.
Elle élargit utilement le champ de compétences de l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé à des produits qui ont une finalité
sanitaire et qui échappaient jusqu'à maintenant à tout contrôle, bien que leur
consommation comporte des risques. Il s'agit, par exemple, des aliments
diététiques destinés à des fins médicales spéciales.
Elle étend le contrôle aux nouveaux produits tels que les biomatériaux, les
produits thérapeutiques annexes, les xénogreffes, les lentilles de couleur,
etc.
En outre, il pourrait être procédé plus régulièrement à une réévaluation du
rapport bénéfice-risque des médicaments soumis à autorisation. Le public
pourrait être informé de risques éventuels par diffusion de messages d'alerte,
dont le secrétariat d'Etat à la santé garde, bien sûr, l'entière initiative.
Cette dernière mesure est d'autant plus importante que le manque d'information
entrave l'instauration d'un véritable contrôle.
Informer à la fois les professionnels et les usagers, dès que nécessaire et de
manière appropriée, contribue à coup sûr à rendre la veille sanitaire
efficace.
Pourquoi ne pas aller encore plus loin en ce domaine en s'inspirant des
systèmes mis en place en Allemagne, en Suède et en Norvège, où sont envoyés
régulièrement des bulletins aux médecins et aux pharmaciens qui recensent les
effets indésirables connus et les chiffres relatifs à la consommation des
médicaments, tout en restant dans le cadre de la mise en oeuvre des missions de
l'Etat ?
Par ailleurs, le texte dont nous débattons aujourd'hui clarifie le rôle
exclusif de veille de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Il
s'agit, à mon avis, d'une évolution positive. Les missions d'expertise et
d'évaluation des risques de cette agence se trouvent réaffirmées, et cela
permet aux services de l'Etat, en particulier à ceux du secrétariat d'Etat à la
santé, comme c'était notre souci en première lecture, d'intervenir plus
efficacement. En outre, toutes les ambiguïtés du texte initial qui faisaient de
l'Agence un organisme d'inspection et de contrôle se trouvent levées. Car,
comme l'a souligné ma collègue Jacqueline Fraysse-Cazalis à l'Assemblée
nationale - mais cela a été dit ici aussi - c'est au pouvoir politique, en
dernière instance, de prendre les décisions et donc d'assumer toutes ses
responsabilités.
La République des juges ou des experts n'est pas un progrès, nous le
constatons dans de nombreux pays. Pourtant, hélas ! elle a des adeptes en
France, et ce dans différentes tendances politiques.
En revanche, évidemment, il faut une République plus citoyenne, ce qui
implique plus de transparence et d'informations pour les citoyens, leurs
associations et leurs représentants.
En conséquence, que les deux agences autonomes, l'une concernant les produits
de santé, l'autre les aliments, puissent être saisies par les associations de
consommateurs et que les représentants des consommateurs puissent siéger au
sein du conseil d'administration de l'Agence française de sécurité sanitaire
des aliments est plutôt une bonne chose. Ces deux mesures ont, d'ailleurs,
l'assentiment des associations concernées.
Le fait que le Gouvernement s'engage à se préoccuper des effets de
l'environnement sur la santé et à déposer un rapport à ce sujet dans les six
mois - je ne dis pas que cela doit forcément déboucher sur la création d'une
autre agence - témoigne de sa volonté de voir traiter ce problème rapidement.
C'est aussi une bonne chose.
Toutefois, les avancées réelles accomplies par l'Assemblée nationale
n'évacuent pas, hélas ! nos interrogations sur la conception de l'organisation
des services de sécurité sanitaire et alimentaire dans le cadre de cette
proposition de loi.
En effet, cela vient d'être dit, si les dysfonctionnements constatés dans
différents services de l'administration et le besoin d'améliorer la cohérence
de l'action et les moyens de ces mêmes services sont tout à fait réels - je me
garderai bien de dire le contraire, et j'insisterai même sur la nécessité de
combattre la bureaucratie - il faut bien reconnaître qu'aussi bien l'affaire du
sang contaminé que celle de la vache folle sont la concrétisation, d'abord et
surtout, un conflit entre l'intérêt économique et l'intérêt de la
population.
Par ailleurs, tant qu'une partie de la population sera victime d'une exclusion
qui l'éloigne de plus en plus de l'accès aux soins et de conditions de vie
décentes, comme l'a encore souligné, dans un avis remis au Gouvernement, le
Haut Comité de la santé publique, la veille sanitaire ne pourrta s'effectuer de
manière efficace.
Outre le fait qu'il faut prendre en compte l'ensemble des facteurs qui
influent positivement ou négativement sur l'état de santé d'une population,
comme le logement, le transport, les conditions de travail, l'environnement
familial, social et écologique, il s'agit, pour aller à l'encontre d'une
logique financière néfaste, de maintenir et de développer en matière de veille
sanitaire les moyens du service public. Vous en avez parlé, monsieur le
secrétaire d'Etat, tout cela a en effet un prix : il faut en avoir conscience
et le payer !
Je rappellerai les craintes que j'ai émises en première lecture et qui m'ont
conduite à m'abstenir sur le système des agences inspiré d'outre-Atlantique.
Monsieur le président de la commission des affaires sociales, nos différences
culturelles sont importantes, nos administrations ne sont pas bâties sur le
même schéma. J'ajouterai que l'agence sanitaire des produits alimentaires
américaine est éminemment critiquée. Il faut avoir cela à l'esprit pour ne pas
faire la même chose. Gardons-nous bien de penser qu'ailleurs tout est forcément
mieux !
Si les agences sont, bien sûr, des établissements publics, elles comptent un
nombre de fonctionnaires proportionnellement faible par rapport à la totalité
des personnes employées.
Je crois que notre façon de réorganiser l'Etat en instituant un peu partout
ces agences mériterait plus de réserves quant à leur indépendance et à leur
supériorité sur les services de l'Etat, à moyens égaux bien sûr. Pour apprécier
honnêtement l'intérêt présenté par la création de l'Agence du médicament, à
laquelle je souscris, nous devons constater que cette agence a bénéficié de
moyens que, précisément, les services de l'Etat n'avaient pas. On ne peut que
se poser la question : à moyens égaux, qu'est-ce qui est le plus efficace ?
Et pourtant le statut des fonctionnaires reste le meilleur atout
d'indépendance et d'impartialité, y compris par rapport au pouvoir politique.
Priver, en tout cas partiellement, les nouvelles structures de ce levier est à
mon avis une erreur, qui risque à l'avenir de diminuer leur efficience.
Concernant l'indépendance à l'égard des pouvoirs financiers, j'apprécie que
l'Assemblée nationale ait interdit la possibilité, pour l'Agence de sécurité
sanitaire, de percevoir des fonds de personnes privées intéressées dans
l'activité qu'elle contrôle. Je crois que c'est également une bonne chose.
Je pense que la création de nouvelles agences ne doit pas faire perdre de vue
la nécessité d'atteindre l'objectif de la modernisation de l'intervention de
l'Etat et de ses administrations, qui doivent disposer des moyens nécessaires.
Ne pourrait-on pas obtenir des résultats équivalents, voire supérieur en
procédant de la sorte ? Nous aurions préféré emprunter cette voie, et je ne
peux que regretter que la réflexion sur ce sujet soit si peu avancée.
C'est pourquoi je maintiens la proposition qu'avait formulée mon ami Guy
Fischer quant à la tenue d'un véritable débat sur les missions de santé
publique de l'Etat, missions qui vont bien au-delà des questions de sécurité
sanitaire et alimentaire.
Par ailleurs, je tiens à souligner la place importante que devrait prendre la
médecine du travail dans la politique de veille sanitaire. Celle-ci sert,
rappelons-le, à protéger la santé des salariés. Les informations que ses
services devraient transmettre concernent environ quatorze millions de
salariés. De plus, le fait qu'un quart de ceux-ci, selon des études récentes,
ne serait examiné par un médecin qu'à l'occasion de la visite annuelle
obligatoire rend ces renseignements encore plus précieux et indispensables.
Ces chiffres soulignent également la nécessité d'avoir, en France, une
médecine du travail de qualité.
C'est parce que la médecine du travail exige de ceux qui l'exercent des
connaissances très étendues dans des domaines extrêmement variés et qui
évoluent constamment que nous interviendrons au cours du débat en vue de
préserver le statut de spécialité de la médecine du travail.
Il me semble également opportun de préciser dans le texte que l'Etablissement
français du sang coordonne les activités des établissements de transfusion
sanguine, y compris celles de l'établissement de transfusion sanguine de
l'assistance publique-hôpitaux de Paris, l'AP-HP. Cette précision lèverait
toute ambiguïté quant au devenir de l'AP-HP, dont nous avons déjà débattu lors
de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale.
Permettez-moi également d'évoquer le devenir du Centre national d'études
vétérinaires et alimentaires, le CNEVA.
Si certaines de nos inquiétudes ont été levées, je pense qu'un certain nombre
de conditions doivent être respectées pour qu'il continue à remplir
efficacement les missions qui ont été les siennes jusqu'à maintenant.
Il faut, notamment, et parce que les relations entre la sécurité alimentaire
et les pathologies animales sont indissociables, laisser la plus grande place à
la recherche et assurer la continuité des missions d'appui et de conseil du
CNEVA aux filières de production.
J'espère également que le Gouvernement prendra encore plus nettement en compte
la spécificité des produits issus du corps humain comme certains dérivés du
sang en créant un département spécifique pour ceux-ci dans l'agence de sécurité
sanitaire.
Sous réserves des remarques que je viens de formuler, qui sont tout de même
importantes - je dois le dire - j'apprécie l'état d'esprit positif dans lequel
se sont déroulées les discussions. Notre groupe approuve bien évidemment les
objectifs de ce texte. Toutefois, nos inquiétudes demeurent ; j'espère que le
débat pourra les lever.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tenter de
répondre très brièvement, afin de respecter l'horaire prévu, aux questions
essentielles que vous m'avez posées.
Monsieur Descours, vous vous interrogez sur la création d'une agence de
sécurité sanitaire de l'environnement. Nous aurons peut-être l'occasion d'y
revenir au cours du débat, mais vous avez, comme M. Bimbenet, posé une question
très pertinente : quelles seraient éventuellement les limites de son action
?
Je vous répondrai très rapidement - trop rapidement - qu'il existe deux
approches de ce problème.
Votre collègue député M. Mattei estime que « tout est santé ».
M. Charles Descours.
M. Aschieri !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
M. Aschieri va beaucoup moins loin que M.
Jean-François Mattei. Selon ce dernier, « tout est santé » ; en définitive,
tout reviendrait à une démarche d'approche pathologique, de prise en charge
thérapeutique. C'est une position à mon avis excessive, et je lui ai répondu
dans ce sens.
Une autre approche consiste à dire que tout est environnement, tout dépendant
de l'eau, de l'air que nous respirons, de notre nourriture. Elle me paraît
également excessive.
L'intérêt d'une mission parlementaire serait de délimiter le champ
d'application d'une agence sanitaire de l'environnement dont le rôle serait de
veiller à ce que la qualité de l'eau et de l'air, mais aussi de tous les
produits que j'ai cités tout à l'heure - on peut reprendre l'exemple du radon -
soit suffisante pour prévenir un certain nombre de dégâts sur la santé des
hommes.
Il est nécessaire qu'une approche non seulement conceptuelle mais également
appareil par appareil soit effectuée pour prendre la mesure de ce qui est déjà
en place.
Tout à l'heure, M. Bimbenet disait qu'il y avait déjà une agence de
l'environnement. Certes, il faut en apprécier les objectifs et l'efficacité
avant de nous prononcer sur une autre structure.
Il est de multiples structures qu'il conviendrait d'harmoniser et, pour cela,
il faudrait en évaluer les résultats avant de les mettre en complémentarité.
Cette approche est nécessaire. Quand sera-t-elle achevée ? Je n'en sais rien
bien entendu, je ferai en sorte que vous y participiez, mesdames, messieurs les
sénateurs.
S'agissant des dispositifs médicaux, nous aurons l'occasion d'y revenir ; il
est certain que les professionnels manifestent une certaine préoccupation à cet
égard. Nous n'avons pas du tout l'intention d'alourdir les procédures ; comme
nous l'avons dit lors de la première lecture, il n'est pas question d'une
autorisation de mise sur le marché déguisée. Cette question a été abordée
également par M. François Autain.
Il faut être très clair quant à la conformité aux normes européennes de la
déclaration que nous entendons mettre en oeuvre dans les trois mois.
Puisqu'il est question de dispositifs médicaux, je reviens sur l'instauration
d'une déclaration obligatoire et d'un délai de
statu quo.
M. François
Autain est parti, mais je m'adresse à M. Michel Charasse...
M. Michel Charasse.
Je lui transmettrai votre réponse.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Oui, s'il vous plaît, vous pouvez lui laisser un petit
mot.
(Sourires.)
Je souhaite donc revenir sur l'instauration d'une déclaration obligatoire et
d'un délai de
statu quo
avant la mise sur le marché de produits déjà
revêtus du marquage CEE, c'est-à-dire déclarés conformes aux normes
européennes.
L'instauration d'un délai de
statu quo
complémentaire au régime
déclaratoire découle de la nécessité d'assurer une plus grande sécurité
sanitaire des dispositifs médicaux, et cela en trois points.
Premièrement, ce délai permettra aux autorités sanitaires d'avoir une
appréciation sur les produits dont la conception ou la fabrication pourront
être à l'origine de risques particuliers pour la santé humaine avant leur mise
sur le marché.
Deuxièmement, le régime déclaratoire et le délai de
statu quo
seront
limités à ces seuls produits, ce qui représente, je vous le rappelle, pas plus
de 15 % à 20 % du nombre total de dispositifs médicaux. On ne va pas traiter de
la même manière un appareil radiologique compliqué et une canne destinée aux
infirmités élémentaires !
Troisièmement, cette disposition se fondera sur une cohérence des positions
défendues par la France et la recherche d'une sécurité sanitaire aussi élevée
que possible.
M. Autain faisait remarquer qu'un certain nombre des dispositifs européens,
c'est d'ailleurs ce que disait également M. le ministre de l'agriculture, ne
sont pas suffisants. Nous avons donc le droit en l'occurrence d'élever le
niveau de la sécurité sans, bien entendu, compliquer la tâche des producteurs
et des industriels.
Cette disposition ne vise donc en aucun cas à introduire une nouvelle
procédure d'autorisation de mise sur le marché - je suis bien net sur ce point
- des dispositifs médicaux. En effet, cette déclaration ne doit comprendre que
les éléments techniques de nature à permettre à l'administration de juger la
conformité du produit aux règles de sécurité et au respect des procédures.
M. Braye a parlé du Comité national de sécurité sanitaire, et je crois que,
finalement, nous étions tous sur la même longueur d'onde. Nous reviendrons, au
moment de l'examen de l'amendement déposé par M. le rapporteur, sur la
nécessité de faire appel ou non au Premier ministre en permanence, ce point me
posant quelques problèmes.
En effet, un certain nombre de dispositions doivent être prises rapidement et
il ne convient pas d'en référer systématiquement à M. le Premier ministre.
M. Bimbenet a évoqué le trafic d'organes auquel nous sommes, bien entendu,
extrêmement attentifs. Toutefois, tous les exemples cités concernent des pays
qui n'ont rien à voir avec la France même s'il est vrai que se développent à
travers le monde des pratiques absolument scandaleuses.
Monsieur Autain, le Comité national de sécurité sanitaire a reçu votre
approbation. Nous envisagerons, lors de la discussion des articles, la façon
d'en optimiser le fonctionnement.
Par ailleurs, monsieur Autain, je vous précise que le conseil scientifique, au
sein de l'Etablissement français du sang, demeure nommé par le ministre chargé
de la santé.
Vous souhaitez que l'Institut de veille sanitaire étende ses compétences à
l'environnement, en attendant la création éventuelle d'une agence
spécifiquement chargée de ce domaine. Cela va de soi. Par exemple, à propos du
radon, nous avons chargé l'Institut de veille sanitaire de procéder à des
prélèvements et à des mesures dans les zones à risque. C'est ce qu'il fait en
ce moment même, je l'espère à la satisfaction de tous.
S'agissant des dispositifs médicaux, je rappelle simplement que c'est le Sénat
qui a, dans un premier temps, provoqué cette discussion.
Madame Borvo, je ne peux que partager votre souci relatif à l'exclusion dans
le domaine de la santé. D'après les chiffres du CREDES, le Centre de recherche,
d'étude et de documentation en économie de la santé, qui sont repris par trois
rapports que je rendrai publics prochainement, un de nos concitoyens sur quatre
déclare avoir renoncé au moins une fois dans sa vie à accéder au système de
soins pour des raisons financières. On en déduit que dix millions à treize
millions de nos concitoyens sont exclus de l'accès aux soins. C'est évidemment
excessif ! Il s'agit d'un problème très préoccupant, et que vous avez raison de
mettre en relief, madame le sénateur.
En revanche, un léger différend nous oppose concernant notre système de
transfusion sanguine.
La réorganisation de ce système autour de l'Etablissement français du sang lui
est extrêmement bénéfique dans la mesure où le nouveau dispositif est plus
souple et plus moderne. Je pense d'ailleurs que le système français, après la
déleucocytation, qui sera effective à partir du 1er avril prochain, sera le
plus sûr du monde.
Auparavant, vous le savez, en particulier au moment où s'est produit le drame
du sang, nous disposions d'un appareil extrêmement lourd, constitué d'un
ensemble d'associations régies par la loi de 1901. Celles-ci étaient, certes,
revêtues du label national, mais nous n'exercions sur elles aucun contrôle.
Par ailleurs, s'agissant de l'Agence du médicament, il est de notoriété
publique que nous avons trouvé d'autres mécanismes, y compris en matière de
financement. Je me souviens que, voilà quelques années, alors que j'étais
ministre de la santé, dans les couloirs de la direction consacrée à la mise sur
le marché des produits, il y avait non seulement des trous dans le linoléum,
mais aussi des paquets de dossiers en attente ; depuis très longtemps déjà, on
ne traitait que les dossiers urgents !
Nous nous sommes engagés à faire en sorte que, dans le cadre de la réforme
présentée récemment au conseil des ministres, tous les dossiers soient traités
dans un délai de 180 jours. Je vous assure que cela n'est possible que parce
que l'Agence a été créée.
Pour ce qui concerne les personnels, je vous ai déjà répondu que la moitié
d'entre eux étaient des fonctionnaires et que les autres étaient des
contractuels. Nous espérons les intégrer totalement dans le nouveau système.
Enfin, je vous précise, madame Borvo, que les médecins du travail, dans le
respect de leur statut et des dispositions du code du travail, sont en liaison
avec l'Institut de veille sanitaire. J'espère développer cette collaboration
mais se pose effectivement le problème du statut des médecins du travail, de
leur rémunération et du contenu même de leur tâche. Une réforme est
certainement nécessaire pour introduire de la modernité dans la fonction de
médecin du travail.
Cela dit, il est exact qu'il n'y a pas assez de contacts entre la médecine du
travail et l'Institut de veille sanitaire. Et cela est également vrai pour la
médecine scolaire, de même, d'ailleurs, que pour la médecine de ville et la
médecine hospitalière.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses
que je souhaitais vous apporter en cet instant.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous reprendrons l'examen de cette proposition de loi cet
après-midi, à l'issue des questions d'actualité au Gouvernement.
5