Séance du 12 juin 1998
M. le président. Par amendement n° 407 rectifié, MM. Gournac, Vasselle, Ostermann, Doublet et les membres du groupe du RPR proposent d'insérer, après l'article 60, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - La dernière phrase du premier alinéa de l'article 62 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution est ainsi rédigée : "Toutefois aucun délai ne peut être accordé lorsque les occupants sont des squatters, sont entrés dans les lieux par voie de fait ou ne justifient d'aucun titre à l'origine de l'occupation."
« II. - A la fin du premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de la construction et de l'habitation, les mots : "sans que lesdits occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation" sont remplacés par les mots : "et à condition que les occupants aient justifié d'un titre à l'origine de l'occupation".
« III. - Le dernier alinéa de l'article L. 613-3 du code de la construction et de l'habitation est complété par les mots : "ou lorsque les occupants ne justifient d'aucun titre à l'origine de l'occupation". »
La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Les squatters ne pouvant être considérés comme des locataires de bonne foi, les nouveaux délais ne doivent pas leur être applicables. De même, ils ne doivent pas bénéficier de la trêve hivernale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Avant de se prononcer, la commission souhaiterait connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a écouté attentivement l'argumentation développée par M. de Gaulle.
Pourtant, il souhaite que le Sénat n'adopte pas cet amendement, et je vais essayer d'expliquer rapidement pourquoi.
La loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution avait été à l'origine, je me permets de le rappeler à la Haute Assemblée, d'une certaine émotion, manifestée par les associations caritatives et humanitaires. En effet, elle supprimait la trêve hivernale pour les expulsions de squatters, ce qui dérogeait à la règle prévalant pour toute mesure d'expulsion lorsqu'il y a occupation avec titre.
Néanmoins, cette légalité nouvelle, qui représentait un durcissement, n'excluait pas toute humanité ; ainsi, les juges, par leurs décisions successives, ont progressivement élaboré une jurisprudence : ils ont admis à plusieurs reprises des délais, en partant du constat de l'état de nécessité dans lequel se trouvaient le squatter et sa famille, de la vacance du bien et du fait qu'il n'y avait pas de trouble à l'usage dans la mesure où il n'y avait pas d'usage.
Par conséquent, si les juges n'ont jamais considéré comme légal l'état de squat - il ne l'est pas par définition - certaines considérations ont néanmoins permis l'humanisation des décisions de justice.
Le Gouvernement est attaché à préserver cet aspect des choses, surtout à l'occasion de la discussion d'un texte relatif à la lutte contre les exclusions, et il serait heureux d'avoir, sur ce point, convaincu la Haute Assemblée.
M. le président. Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Compte tenu de l'argumentation développée par M. le secrétaire d'Etat et du fait que nous examinons un projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions fondé sur des considérations humanitaires, je souhaiterais que les auteurs de l'amendement n° 407 rectifié consentent à le retirer.
M. le président. Monsieur de Gaulle, l'amendement n° 407 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe de Gaulle. Malheureusement, il y a des professionnels de l'occupation sans droit ni titre. Par conséquent, l'amendement est maintenu.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Monsieur le président, la commission s'en remet, par conséquent, à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 407 rectifié.
M. Serge Lagauche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Je veux me féliciter de l'attitude de la commission qui, même si elle s'en remet maintenant à la sagesse du Sénat, a, dans son premier propos, honoré notre assemblée. Je regrette profondément, pour ma part, que cet amendement ne soit pas retiré, car il contient une proposition tout à fait scandaleuse ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Mme Nelly Olin. Pas besoin de parler de scandale !
M. Jacques Habert. Il suffit de ne pas voter l'amendement !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je ne voterai pas l'amendement n° 407 rectifié parce que je considère que le problème de la trêve hivernale ne peut pas être contourné.
Je veux néanmoins dire à M. le secrétaire d'Etat que, lorsque se produisent, dans les grandes villes, des occupations sans titre ou avec des actes de violence, avec effraction, etc., la mobilisation des médias et l'appel à la sensibilité publique qui s'ensuivent sont très mal ressentis par tous les gens de bonne foi qui sont inscrits sur les fichiers des demandeurs de logement et qui ont souvent des droits plus forts qu'un certain nombre de squatters à entrer dans des logements sociaux.
Je trouve tout à fait dommageable que, dans un Etat dont on nous répète à longueur de journée qu'il est « de droit », on n'ait pas à l'égard des occupants sans titre une position plus nette.
Je comprends très bien qu'on ne puisse procéder à des expulsions pendant la trêve hivernale, et c'est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement.
Mais je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que les dispositions que vous allez nous proposer et mettre en place ne donnent pas systématiquement priorité, pour l'attribution des logements sociaux, qui ne sont pas très nombreux dans la région d'Ile-de-France que je représente dans cette Haute Assemblée, à des gens entrant dans des logements vides par effraction et par violence. En effet, ces gens, suite à la mobilisation des médias, aux appels à la sensibilité publique qui sont lancés et aux interventions de certaines associations, passent, pour l'attribution des logements sociaux, devant des personnes de bonne foi qui attendent simplement des autorités politiques de ce pays qu'on reconnaisse leur droit à occuper un logement social et qui ne se livrent pas à des voies de faits.
Il ne faudrait pas que, dans notre société, soient favorisés de manière systématique ceux qui ont recours à la violence, ce qui pénalise du même coup les gens sérieux attendant que les procédures soient exécutées de manière convenable.
M. Jacques Habert. Très bien !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. A la suite de l'intervention de M. Fourcade, je veux confirmer le début du propos que je tenais, en donnant l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 407 rectifié : la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution a supprimé la trêve hivernale pour les squatts ; l'expulsion peut donc intervenir 365 jours par an quand les occupants sont sans titre.
La disposition qui nous est proposée par cet amendement vise à inviter les juridictions à revenir sur la jurisprudence qu'on leur doit depuis plusieurs années : à plusieurs reprises en effet, devant les situations personnelles et familiales des squatters, ces juridictions ont estimé qu'un état de nécessité avait légitimé leur mise à l'abri même illégale et ont accepté qu'un délai soit accordé en l'absence de solution immédiate de relogement.
S'agissant de problèmes très difficiles, j'ai tenu à aller sur place pour me rendre compte de ce qu'il en était. J'ai pu constater que ces squatts sont uniquement occupés par des familles que je qualifierai d'atypiques : elles le sont par leur composition - elles ont beaucoup d'enfants - ou par tel ou tel handicap comportemental. Or, on observe bien souvent qu'il y a là des familles dont la durée d'inscription à un organisme d'HLM est extrêmement longue. J'ai pu vérifier moi-même que cela pouvait s'échelonner entre dix ans et - cas extrême - vingt-deux ans !
Il est évident qu'on est là devant le problème majeur suivant : si nos organismes d'HLM ne satisfont pas ces demandes, c'est que, en fait, il n'ont pas de logements adaptés à ces familles atypiques. Par conséquent, alors même que le Parlement n'a nulle part créé une catégorie de gens inlogeables, il en existe une de fait, dans la pratique.
Le Gouvernement a souhaité, dès la loi de finances pour 1998, ne pas se résigner à l'existence de familles qui puissent être considérées comme inlogeables. C'est la raison pour laquelle il a mis en place des crédits permettant de financer cette année 10 000 prêts locatifs aidés d'intégration, pour lesquels un effort assez significatif de la collectivité est fait : je pense à la TVA à 5,5 %, aux prêts à taux réduit de la Caisse des dépôts et consignations - 0,5 % de moins que les PLA - à la durée des prêts de trente-quatre ans, mais aussi à la subvention moyenne par logement de 80 000 francs.
Parmi les dispositions qui vous ont été présentées à l'occasion de ce débat, figure une exonération pour quinze ans de la taxe foncière sur les propriétés bâties avec compensation, même s'il s'agit d'opérations d'acquisition-amélioration, et ce pour que des opérations puissent se faire dans l'habitat ancien, qui est souvent plus adapté à des familles ayant quelques difficultés particulières.
Devant cette situation humaine tout à fait indigne de cette fin de siècle - Mme Aubry parlait de responsabilité collective ; je m'inscris dans cette logique et je ne mets personne en accusation - il est nécessaire, me semble-t-il, que nous sachions qu'il existe aujourd'hui des moyens pour constituer progressivement une offre répondant à ces besoins. Bien sûr, si tous les représentants de la collectivité nationale, dans cette assemblée comme dans d'autres enceintes, militaient pour une mobilisation effective de ces crédits et leur utilisation avec discernement et à bon escient, dans une répartition des efforts qui ne charge pas toujours les mêmes collectivités, ils feraient progresser la cause du droit au logement en ce qu'elle touche les plus exclus des exclus, ceux qui ont subi et subissent encore des rejets durables dans des conditions qui ne sont pas humainement supportables.
Je vous remercie de m'avoir entendu et de m'avoir laissé donner ces précisions ; le sujet est tout de même au coeur d'une des difficultés majeures de l'exclusion, et je me devais donc de vous communiquer tous ces éléments.
M. Philippe de Gaulle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle. Compte tenu de ce que vient de dire M. le secrétaire d'Etat sur la jurisprudence et M. le président de la commission des affaires sociales, je retire l'amendement n° 407 rectifié tendant à introduire un article additionnel après l'article 60. J'ajoute que je ne vois pas où est le scandale !
M. le président. L'amendement n° 407 rectifié est retiré.
M. Serge Lagauche. Il était temps ! (Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Nelly Olin. Ça suffit ! On n'a pas de leçon à recevoir !
M. Bernard Seillier, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Seillier, rapporteur. Au nom de la commission des affaires sociales, je tiens à remercier M. de Gaulle du retrait de son amendement.
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