Séance du 9 février 1999
LICENCIEMENTS DES SALARIÉS
DE PLUS DE CINQUANTE ANS
Rejet d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 114,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à limiter les
licenciements des salariés de plus de cinquante ans. [Rapport n° 165
(1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, la discussion qui va intervenir fait suite à l'inscription par le
groupe communiste d'une proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée
nationale, à l'occasion de la séance mensuelle réservée. Cette proposition,
adoptée par l'Assemblée nationale, vous est aujourd'hui soumise pour connaître
- c'est en tout cas le souhait du Gouvernement - un vote comparable.
Cette proposition de loi vise à mieux protéger les fins de carrière des plus
âgés de nos concitoyens, dont chacun connaît les difficultés à retrouver un
emploi.
Comme Martine Aubry a déjà eu l'occasion de le souligner à l'Assemblée
nationale, en proposant de telles dispositions, le groupe communiste fait
preuve de constance. Cette proposition de loi fait suite, en effet, à celle qui
a été votée conforme par les deux assemblées, voilà un an, et qui a permis
d'attribuer une allocation spécifique d'attente aux bénéficiaires du RMI ou de
l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, qui avaient cotisé quarante ans,
mais n'étaient pas pris en charge par l'allocation chômeurs âgés.
Là où le rapporteur, M. Souvet, croit déceler motif à s'opposer au dispositif
préconisé, je ne vois pour ma part que continuité dans une démarche que le
Gouvernement a toutes les raisons de soutenir.
Cette proposition de loi répond effectivement à des exigences politiques, mais
pas nécessairement à celles que décrit le rapporteur. Les licenciements
économiques atteignent de plein fouet les salariés de plus de cinquante ans :
deux fois et demie plus que la moyenne des actifs. En outre, près des deux
tiers de ces salariés deviennent des chômeurs de longue durée.
Ce constat justifie à lui seul le dépôt, la discussion et le vote de la
proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise et qui vient compléter la
politique du Gouvernement.
Depuis le premier choc pétrolier, aucun gouvernement n'avait obtenu sur
dix-huit mois une telle baisse du chômage : entre le mois de juin 1997 et le
mois de décembre 1998, notre pays comptabilise 228 000 chômeurs de moins, 272
000 au sens du Bureau international du travail.
Ce premier recul du chômage donne certes quelques motifs de satisfaction. Mais
le Gouvernement ne peut cependant - cela va de soi - s'en contenter. Il voit
toutefois dans ces premiers résultats un encouragement à suivre dans la voie
volontaire choisie depuis le début de cette législature.
Cette politique en faveur des salariés les plus âgés repose sur quatre axes
que je me contenterai de rappeler très brièvement.
Tout d'abord, s'agissant des licenciements, la volonté du Gouvernement est
d'intervenir le plus en amont possible des plans sociaux pour trouver des
solutions alternatives. Chacun sait ici que les plans sociaux ont pour
premières victimes les salariés les plus anciens, les directions d'entreprises
profitant de ces plans pour améliorer la pyramide des âges.
Tout en m'abstenant de commenter la négociation en cours, je soulignerai
simplement le fait que l'enjeu des discussions dans le secteur automobile est
bien de cet ordre.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Oui !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
La loi d'orientation et d'incitation relative à la
réduction du temps de travail du 13 juin 1998 apporte un nouvel outil en vue de
l'élaboration de solutions alternatives aux licenciements. Son volet défensif
permet ainsi à des entreprises confrontées à des difficultés économiques de
s'engager à réduire la durée du travail et à mieux s'organiser pour sauvegarder
des emplois, tout en bénéficiant d'aides sous forme d'exonérations de
cotisations patronales.
A la fin janvier, près de 160 accords de ce type avaient été conclus,
concernant 26 500 salariés.
Dans le cadre de mes fonctions, je travaille pour ma part à réviser les outils
de formation, afin de trouver les moyens d'encourager une meilleure gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences. En effet, chacun sait bien que
les problèmes soulevés par les licenciements sont d'autant plus insolubles que
ceux-ci concernent des salariés peu ou pas formés, dont les compétences et les
qualifications n'ont pas été entretenues et adaptées.
Notre deuxième priorité est de veiller à la qualité des plans sociaux, afin de
favoriser le reclassement des salariés, tant dans l'entreprise qu'à l'extérieur
de celle-ci.
Dès juillet 1997, Martine Aubry a demandé aux préfets et aux services
déconcentrés de faire preuve d'une vigilance accrue au regard de la qualité des
plans sociaux, qui doivent non pas se résumer aux mesures de préretraites ou au
versement d'indemnités aux salariés pour inciter ces derniers à des départs
abusivement qualifiés de « volontaires », mais comporter de réelles mesures
visant à assurer le reclassement des salariés, au moyen, notamment, d'actions
de formation.
Chaque plan social fait l'objet d'un examen particulier de la part de
l'inspection du travail. L'initiative du groupe communiste et la loi
d'orientation relative à la lutte contre les exclusions ont donné la
possibilité à l'administration du travail de suivre l'exécution des plans
sociaux et le respect par l'employeur de ses engagements.
La contribution de l'Etat au financement des plans sociaux ne doit pas
conduire la collectivité à se substituer aux responsabilités des entreprises.
Pour cette raison, l'Etat maintient les préretraites à un haut niveau, mais les
entreprises qui en ont la possibilité contribueront plus fortement à leur
financement.
Troisième axe, le Gouvernement est favorable aux dispositifs en faveur des
actifs âgés ayant commencé à travailler tôt.
Les partenaires sociaux ont décidé, le 22 septembre dernier, de proroger pour
un an le dispositif de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE. Cet
accord permet le départ à cinquante-huit ans des salariés ayant cotisé quarante
ans contre des embauches et, d'autre part et surtout, d'étendre le dispositif
aux salariés âgés de plus de cinquante-six ans ayant commencé à travailler à
quatorze ou à quinze ans.
Cette nouvelle extension de l'ARPE, dont chacun peut se féliciter, devrait,
selon l'UNEDIC, concerner plus de 15 000 personnes, soit une augmentation
d'environ 40 % du nombre des bénéficiaires.
Enfin, quatrième axe - et j'en viens là au coeur de la proposition de loi - la
dissuasion des licenciements des salariés de plus de cinquante ans est opéré au
moyen d'une contribution spécifique des entreprises.
En 1987, afin de dissuader les licenciements de salariés âgés au moment de la
suppression de l'autorisation administrative, la majorité de l'époque a
institué une contribution des entreprises, dite Delalande, du nom de son
auteur. Son montant a été fixé, à l'origine, à trois mois de salaire brut.
Martine Aubry a décidé, en 1992, d'étendre le champ de cette contribution à
toute rupture d'un contrat de travail de salarié de plus de cinquante ans, avec
un barème progressif allant de un mois pour les salariés âgés de cinquante ans
jusqu'à six mois pour les salariés de plus de cinquante-six ans.
Cela a permis, dans un contexte beaucoup moins favorable qu'en 1987, de
freiner les entrées au chômage des personnes âgées de plus de cinquante ans.
Depuis 1994, cependant, les licenciements de salariés de plus de
cinquante-cinq ans sont repartis à la hausse, malgré une meilleure conjoncture
: ils ont atteint 71 000 en 1997, notamment parce que certaines entreprises ont
mis en place des stratégies de contournement des préretraites du fonds national
pour l'emploi.
Le dispositif juridique régissant l'actuelle contribution Delalande contient,
en effet, deux failles qui en réduisent grandement l'efficacité, et c'est bien
tout l'intérêt de la proposition de loi défendue par le groupe communiste que
de viser précisément à en corriger les imperfections.
Tout d'abord, la loi n'a pas assujetti au versement de cette contribution les
ruptures du contrat de travail intervenant dans le cadre des conventions de
conversion.
Lorsque le dispositif des conventions de conversion était peu connu, il était
admissible que ces cas de rupture aient été exclus du champ de la cotisation.
Ce n'est plus le cas aujourd'hui, d'autant que certaines entreprises, dans les
faits, font pression sur leurs salariés pour qu'ils adhèrent à ce dispositif
dans le seul but d'échapper au paiement de la cotisation et de ne pas avoir à
discuter avec l'Etat de l'éventuelle mise en oeuvre de préretraites.
Ce contournement de la loi explique que la part des salariés de plus de
cinquante ans parmi les entrées en conventions de conversion soit passée de 9 %
à 19 % entre 1993 et 1998, pour concerner près de 22 000 personnes par an.
La dérive est encore plus importante pour les salariés de plus de
cinquante-cinq ans, dont la part relative dans l'ensemble des conventions de
conversion est passée de 1 % en 1993 à 5,7 % en 1998, selon les chiffres
rapportés par votre commission.
En outre, le taux de reclassement à l'issue d'une convention de conversion se
dégrade fortement après cinquante ans, où il est, en moyenne, de 50 % : il
n'est plus que de 36 % à cinquante-deux ans et de 18 % à cinquante-six ans et
plus.
Aboutir à un tel constat ne conduit nullement à faire le procès d'un
dispositif qui a son utilité, mais à en corriger les dévoiements.
La présente proposition de loi tend à corriger une seconde faille : certains
employeurs, en effet, après avoir conclu une convention d'allocation spéciale
du fonds national de l'emploi, faisant ensuite pression sur leurs salariés pour
qu'ils refusent le bénéfice d'une préretraite. Dans pareille hypothèse, les
employeurs ne sont pas, en effet, tenus de payer la cotisation.
Comme le souligne votre rapporteur, le nombre de cas à considérer est de
l'ordre de quelques dizaines. Aussi minoritaires soient-ils, je ne vois malgré
tout pas argument à fermer les yeux sur de pareils contournements de la loi. Je
n'y vois pas davantage le signe d'une suspicion généralisée à l'égard des
entreprises ! Chaque fois que l'esprit de la loi est malmené, il est loisible
au législateur d'en faire respecter le sens originel.
J'ajoute que, bien entendu, ne seront soumises à la contribution Delalande que
les conventions ASFNE qui ont fait l'objet d'un refus de la part du salarié.
Cette proposition de loi trouvera son plein rendement par le doublement de la
contribution Delalande, qui rendra plus dissuasifs les licenciements « secs
».
Le taux en sera progressif, pour éviter de trop brutaux effets de seuil. Il
passera ainsi de deux mois de salaire à cinquante ans à douze mois de salaire à
cinquante-six ans et cinquante-sept ans. Il sera ensuite dégressif jusqu'à
soixante ans, le coût pour la collectivité étant d'autant moins élevé que se
rapproche l'âge de la retraite.
Ce nouveau barème, en vigueur depuis le 31 décembre 1998, ne s'applique pas
aux petites entreprises, pour lesquelles le phénomène de contournement est
marginal. Ainsi, les entreprises de moins de vingt salariés continueront à être
exonérées pour le premier licenciement dans une période de douze mois, et les
entreprises comptant entre vingt et cinquante salariés demeureront sur le
barème actuel.
Enfin, je répondrai à votre rapporteur, qui s'inquiète d'éventuels effets
pervers sur les embauches de salariés âgés.
Les entreprises qui recrutent des personnes de plus de cinquante ans seront
toujours exonérées de la contribution Delalande. Cette disposition, instaurée
par Martine Aubry en 1992, est donc une incitation à recruter des chômeurs de
plus de cinquante ans.
Par cette proposition de loi, le groupe communiste protège la part de la
population salariée la plus fragile.
A observer la structure du chômage, il apparaît clairement que la tranche
d'âge menacée, selon votre rapporteur, par l'extension de la contribution
Delalande, à savoir celle des quarante-cinq - cinquante ans, n'est pas, à
proprement parler, la plus touchée par le chômage. J'en veux pour preuve le
fait que les quarante-cinq - quarante-neuf ans sont, au contraire, ceux qui
connaissent au sens du Bureau international du travail, le taux de chômage le
plus faible de la population française, avec 8,4 %.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement ne peut que regretter la
position recommandée par votre rapporteur, qui, en vous suggérant d'adopter
trois amendements de suppression, vise purement et simplement à rejeter une
proposition de loi d'origine parlementaire.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, adoptée par l'Assemblée
nationale le 10 décembre 1998, avec l'accord du Gouvernement, la proposition de
loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans a
été déposée par M. Alain Belviso et les membres du groupe communiste et
apparentés.
Comprenant trois articles, elle vise à étendre le champ de la contribution
Delalande, due pour tout licenciement d'un salarié de plus de cinquante ans.
La proposition de loi soumet ainsi à cette contribution la rupture des
contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion,
selon l'article 1er, et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice
de la préretraite dans le cadre du fonds national de l'emploi, selon l'article
2.
Elle prévoit que ces dispositions seront applicables pour toutes les ruptures
de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999, c'est-à-dire
de manière rétroactive, selon l'article 3. Si ce dernier article était
appliqué, je crains d'ailleurs qu'il ne soulève nombre de problèmes !
La contribution Delalande a été instituée en 1987, au moment de la suppression
de l'autorisation administrative de licenciement. La loi du 10 juillet 1987,
modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre
le chômage de longue durée, a instauré cette cotisation supplémentaire. Elle
est dite « contribution Delalande », du nom de l'auteur de l'amendement qui l'a
créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val-d'Oise : elle est due par
l'employeur pour toute rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus
de cinquante ans.
A l'origine, le montant de cette cotisation versée au régime d'assurance
chômage de l'UNEDIC était fixé à trois mois de salaire brut.
En 1992, le Gouvernement décida d'augmenter une première fois cette cotisation
et de la moduler selon un barème progressif, en fonction de l'âge du salarié
licencié et de la taille de l'entreprise concernée.
Conformément à ce qu'avait annoncé à l'Assemblée nationale Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité, le 10 novembre dernier, cette
cotisation a de nouveau été augmentée à compter du 31 décembre 1998.
Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28
décembre 1998, est progressif. De deux mois de salaire brut à cinquante ans, il
passe à douze mois de salaire brut à cinquante-six ans et cinquante-sept ans,
et il est ensuite dégressif à partir de cinquante-huit ans.
Le nouveau barème procède, pour l'essentiel, à un doublement - voire, dans
certains cas, à un triplement - de la contribution Delalande.
Les entreprises de moins de cinquante salariés restent assujetties au barème
antérieur et les entreprises de moins de vingt salariés continuent à être
exonérées de la contribution pour la première rupture de contrat de travail
d'un salarié âgé d'au moins cinquante ans dans une période de douze mois.
Demeurent, en outre, exclus du champ d'application de la contribution, comme
précédemment, les salariés qui, lors de leur embauche intervenue après le 9
juin 1992, étaient âgés de plus de cinquante ans et inscrits depuis plus de
trois mois comme demandeurs d'emploi.
La présente proposition de loi soumet à la contribution Delalande la rupture
des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de
conversion et le licenciement des salariés ayant refusé le bénéfice d'une
préretraite FNE. Ces deux cas d'exonération sont, en effet, considérés par le
Gouvernement et par les auteurs de la proposition de loi - encore qu'il n'y ait
pas de grande différence entre ces derniers et le Gouvernement - comme deux «
failles » du dispositif. La proposition de loi est d'ailleurs présentée par le
Gouvernement comme le complément indispensable du doublement de la contribution
Delalande.
Le doublement et l'extension de la contribution Delalande devraient générer
des recettes supplémentaires. Cette contribution a ainsi rapporté, en 1997, 1,7
milliard de francs à l'UNEDIC. Selon les estimations de cet organisme, son
doublement et son extension devraient générer 1,4 milliard de francs de
recettes supplémentaires.
Le bénéficiaire final de ces recettes supplémentaires n'est cependant pas
encore définitivement connu.
D'un strict point de vue juridique, l'UNEDIC est seule bénéficiaire des sommes
prélevées au titre de la contribution Delalande. Il n'est cependant pas certain
que cet organisme garde effectivement le bénéfice final de ces recettes
supplémentaires.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a en effet
indiqué, le 18 janvier dernier, que « pour cette année au moins, la majoration
du Delalande était affectée au budget de l'Etat ». Et nous l'avons bien vu dans
les comptes de l'Etat, lors de l'examen du projet de loi de finances pour
1999.
Le Gouvernement semble, en réalité, décidé à prélever sur les sommes qu'il
avance à l'UNEDIC au titre des préretraites FNE - versées par l'UNEDIC pour le
compte de l'Etat - une somme équivalente au surcroît de recettes induit par le
doublement et l'extension de la contribution Delalande.
L'UNEDIC se verrait ainsi privée d'une somme équivalente à la recette
supplémentaire que créeront l'augmentation et l'extension de cette
contribution.
L'objectif du Gouvernement est de faire pression sur les partenaires sociaux.
Il veut en effet obtenir d'eux une meilleure indemnisation du chômage des
salariés précaires, notamment les jeunes, qui, parce qu'ils n'accumulent que
des contrats de courte durée, ne parviennent pas à se constituer des droits à
indemnisation au titre de l'assurance chômage.
Si les partenaires sociaux acceptaient une meilleure indemnisation du chômage
des salariés précaires, l'UNEDIC conserverait alors le bénéfice des recettes
supplémentaires au titre de la contribution Delalande.
Si l'on suit la logique du Gouvernement, l'amélioration de la prise en charge
du chômage des jeunes dépend donc de recettes assises sur les licenciements des
salariés les plus âgés. C'est là un raisonnement quelque peu spécieux.
La commission des affaires sociales a jugé que cette proposition de loi
reposait sur des fondements fragiles et contestables.
Pour justifier la nécessité de cette proposition de loi, ses auteurs évoquent
en effet la nécessité de « mettre fin aux abus et aux contournements », de «
stopper une dérive » - vous l'avez dit il y a un instant, madame le secrétaire
d'Etat.
Ils expliquent que les conventions de conversion seraient de plus en plus
fréquemment utilisées pour échapper au paiement de la contribution Delalande.
Selon M. Gremetz, rapporteur à l'Assemblée nationale, certaines entreprises
feraient ainsi pression sur leurs salariés pour qu'ils adhèrent à une
convention de conversion à seule fin d'éviter le paiement de la
contribution.
De même, toujours selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, certains
employeurs concluraient une convention d'allocation spéciale de préretraite -
l'ASFNE - puis feraient pression sur leurs salariés pour qu'ils renoncent au
bénéfice de ce dispositif de retraite. Les employeurs en cause seraient alors
exonérés du versement de la contribution Delalande.
A l'appui de ces affirmations, le rapporteur de l'Assemblée nationale et le
Gouvernement se fondent sur un argument que nous jugeons, pour notre part, très
limité : la part des salariés de plus de cinquante ans dans les conventions de
conversion serait ainsi passée de 12 %, en 1994, à 17 % en 1997. Cette
progression, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale et le Gouvernement,
révélerait un phénomène généralisé de contournement.
Les chiffres en ma possession sur les entrées en conventions de conversion
montrent, effectivement, une progression de la part des plus de cinquante ans :
de 11 % en 1994, elle est passée à 16 % en 1997. En 1998, selon des chiffres
encore provisoires, le nombre d'entrées en convention de conversion de salariés
de plus de cinquante ans serait en diminution. Mais leur part dans le total des
conventions de conversion augmenterait, pour atteindre 19 %, en raison de la
forte baisse du total des entrées. Il ne faut pas oublier, en effet, que, dans
le calcul d'un pourcentage, il y a un numérateur et un dénominateur et que,
même si le numérateur n'augmente pas, le dénominateur, en baissant, peut faire
changer le pourcentage !
Il apparaît contradictoire de faire porter la contribution Delalande, qui
procède d'une logique de sanction, sur les conventions de conversion, qui ont
précisément pour objectif de faciliter le reclassement du salarié dont le
licenciement n'a pu être évité.
Ouvertes aux salariés âgés de moins de cinquante-sept ans, les conventions de
conversion, instituées en 1986, consistent en une prise en charge
individualisée et immédiate, durant une période de six mois, des salariés
licenciés pour motif économique. Elles sont souvent plus intéressantes
financièrement pour le salarié que l'indemnisation au titre de l'assurance
chômage.
Le Gouvernement semble considérer qu'il serait presque anormal que des
salariés de plus de cinquante ans entrent en convention de conversion. Si l'on
peut éventuellement s'interroger sur l'utilité réelle de ces conventions pour
les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans, il apparaît surprenant que
l'on condamne ainsi l'usage de ces conventions pour des personnes âgées de
cinquante à cinquante-cinq ans. Faudrait-il en conclure que ces salariés n'ont
aucune chance de se reclasser ?
La commission des affaires sociales ne peut que refuser une telle logique, qui
semble se satisfaire de l'exclusion définitive de ces salariés du marché du
travail.
Il apparaît pourtant que 33 % des personnes de plus de cinquante ans
parviennent à retrouver un emploi à l'issue de leur convention de conversion.
Ce taux est même de 41 % à cinquante ans et de 39 % à cinquante et un ans,
contre 49 % pour l'ensemble des bénéficiaires de conventions de conversion.
La commission des affaires sociales considère donc que la simple constatation
d'une augmentation de la part des salariés de plus de cinquante ans dans les
entrées en convention paraît très insuffisante pour démontrer un contournement
massif et un abus généralisé justifiant une nouvelle intervention du
législateur.
Votre rapporteur, mes chers collègues, ne nie pas que peuvent se produire ça
et là des abus chez certains employeurs peu scrupuleux.
M. Guy Fischer.
Ah, tout de même !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Toutefois, ces abus éventuels ne sauraient justifier une
sanction collective qui frapperait la totalité des entreprises.
S'agissant des refus de préretraites FNE, les affirmations du Gouvernement
concernant d'éventuels abus ne sont étayées par aucun élément précis. La raison
est simple : sur une moyenne de 20 000 entrées en préretraite FNE chaque année,
le nombre de refus est extrêmement faible ; il porte sur une soixantaine de
salariés seulement.
Lorsque l'on aura précisé que le refus du salarié peut, dans certains cas,
être motivé par une indemnisation au titre de l'assurance chômage plus
avantageuse que la préretraite, on comprendra que le nombre des refus
susceptibles de résulter d'une éventuelle pression de l'employeur est, dans
l'hypothèse la plus pessimiste, de l'ordre de quelques dizaines à peine.
Dans ces conditions, votre rapporteur est amené à s'interroger sur l'utilité
d'une éventuelle intervention du législateur pour réprimer un nombre effectif
d'abus qui doit vraisemblablement être de l'ordre d'epsilon.
Vous me répondrez peut-être, madame le secrétaire d'Etat, qu'on avait bien, à
une certaine époque, fait une loi pour la veuve du maréchal Joffre. Mais
l'histoire ne se répète pas toujours !
Le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les
initiateurs de cette proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux,
paraît donc inacceptable. Le prétendu contournement de la contribution
Delalande par les conventions de conversion et les refus de conventions de
préretraite est loin d'être avéré.
La véritable justification des dispositions que comporte cette proposition de
loi tient davantage à des nécessités politiques.
M. Guy Fischer.
Mais non !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Mais si, monsieur Fischer, et je vais vous le démontrer !
A l'origine, les trois articles de la proposition de loi constituaient, en
réalité, les articles 5, 6 et 7 d'une proposition de loi qui en comportait neuf
et qui tendait « à limiter les licenciements et à améliorer la situation au
regard de la retraite des salariés de plus de cinquante ans ».
Ce texte prévoyait, outre l'extension de la contribution Delalande, le droit à
la retraite à taux plein avec quarante annuités de cotisation sans condition
d'âge et la prorogation et l'extension du dispositif d'allocation de
remplacement pour l'emploi, l'ARPE.
Or, à la suite de la saisine du Gouvernement, le bureau de la commission des
finances de l'Assemblée nationale a décidé d'opposer l'article 40 de la
Constitution aux articles 1er, 2, 3, 4 et 9 du texte. La proposition de loi
s'est donc trouvée amputée de plus de la moitié de ses articles et, aux yeux de
ses auteurs, de ses dispositions essentielles : « Vidée d'une grande partie de
sa substance » - je cite le rapporteur de l'Assemblée nationale - « sa portée
en est d'autant réduite et sa cohérence affectée ».
L'article 8, qui instituait une contribution sur les revenus financiers
affectée à la caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, ayant été
supprimée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de
l'Assemblée nationale, ne subsistent du texte initial que les dispositions que
nous examinons aujourd'hui, c'est-à-dire trois articles.
Ces dispositions et l'argumentation qui les sous-tend émanent, en réalité, des
services du ministère de l'emploi et de la solidarité. M. Fischer jubile !
M. Guy Fischer.
Pas du tout !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'extension aux conventions de conversion de la contribution
Delalande avait d'ailleurs été annoncée par Mme Aubry dès le début du mois de
novembre dernier et l'impact financier de cette extension avait été
partiellement intégré dans les prévisions budgétaires de la loi de finances
pour 1999.
En acceptant cette proposition de loi et en demandant son inscription à
l'ordre du jour prioritaire du Sénat, le Gouvernement poursuit un objectif
essentiellement politique : il permet, d'une part, à une composante de sa
majorité de revendiquer la paternité d'une disposition dont il est en réalité
l'auteur...
M. Guy Fischer.
Quelle mauvaise foi !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
... et qui constitue le seul reliquat d'une proposition de
loi embarrassante pour lui ; il apaise, d'autre part, sa majorité, qui
souhaitait une réforme plus large du droit de licenciement.
La prochaine étape de cette stratégie pourrait d'ailleurs être la taxation des
entreprises qui font un usage jugé, lui aussi, « abusif » des contrats à durée
déterminée et de l'intérim.
Relevant d'une logique de soupçon et de sanction, cette proposition de loi
n'apporte, en réalité, aucune solution au problème que constitue le chômage des
plus de cinquante ans et risque, en outre, de constituer un véritable frein à
l'emploi.
La proposition de loi témoigne en effet d'une logique uniquement répressive et
se traduit, en définitive, par une nouvelle augmentation des charges des
entreprises.
Là où des systèmes positifs, dynamiques et imaginatifs seraient nécessaires,
la proposition de loi ne met en place que des mesures pénalisantes et
contraignantes pour les entreprises.
Le problème du chômage des personnes âgées de plus de cinquante ans est réel.
Même si l'amélioration de la situation de l'emploi profite également aux
salariés âgés de plus de cinquante ans - les chiffres de l'ANPE pour l'ensemble
de l'année 1998 font état d'une baisse de 17,4 % des licenciements des salariés
de plus de cinquante ans, contre une baisse de 20,4 % pour l'ensemble des
salariés - la situation des demandeurs d'emploi de cet âge est préoccupante et
mérite une attention soutenue.
Le Sénat ne peut que faire sien l'objectif de lutter contre cette forme de
chômage particulièrement douloureuse. Toutefois, ce problème aigu nécessite une
approche globale, qui n'est pas celle de ce texte, vous en conviendrez, madame
le secrétaire d'Etat.
Une action efficace contre le chômage des plus de cinquante ans suppose une
réforme d'ampleur reposant à la fois sur des exonérations de charges sociales
et une formation professionnelle à même d'offrir aux salariés, quel que soit
leur âge, les moyens de s'adapter aux mutations de leur environnement
professionnel.
Cette politique gagnerait à s'inscrire dans le cadre des axes définis par «
Les lignes directrices de l'emploi pour 1999, » proposées par la Commission
européenne, en octobre dernier. La Commission européenne suggère ainsi
d'intensifier les efforts « pour développer des stratégies préventives et axées
sur la capacité d'insertion professionnelle en se fondant sur l'identification
précoce des besoins individuels ». Elle invite les Etats membres à « développer
des possibilités d'apprentissage tout au long de la vie, notamment dans les
domaines des technologies de l'information et de la communication ». Elle
précise que « l'accent sera notamment mis sur la facilité d'accès des
travailleurs âgés ».
La présente proposition de loi n'apparaît, à l'évidence, pas à la hauteur de
l'enjeu.
Elle conduit également à s'interroger sur la cohérence de la politique que
mène aujourd'hui le Gouvernement en matière d'emploi des salariés les plus
âgés.
Il y a en effet quelque chose de paradoxal à augmenter la contribution
Delalande, afin de sanctionner les entreprises qui licencient des salariés âgés
de plus de cinquante ans, tout en encourageant simultanément certaines
entreprises à rajeunir leur pyramide des âges par des départs massifs et
anticipés de salariés « âgés ». Vous avez fait allusion à l'automobile à
l'instant, madame le secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement semble, en réalité, disposé à faire preuve de beaucoup de
compréhension à l'égard des entreprises qui favorisent, parallèlement aux
départs des salariés « âgés », la création d'emplois au titre de la réduction
du temps de travail. C'est ainsi que l'on bâtit le « succès » des mesures
nouvelles !
Une clarification des objectifs poursuivis par le Gouvernement en ce domaine
s'impose à l'évidence.
Cette proposition de loi, qui entend préserver l'emploi, pourrait, en outre,
constituer un véritable frein à l'emploi.
On peut craindre, en effet, les effets conjugués de l'extension et du
doublement de la contribution Delalande sur les demandeurs d'emplois approchant
la cinquantaine : les entreprises hésiteront à embaucher des salariés ayant un
peu moins de cinquante ans, craignant d'avoir à supporter le coût d'un éventuel
licenciement ultérieur.
En majorant de manière excessive la contribution Delalande et en l'étendant de
manière abusive, le Gouvernement prend le risque de dévoyer cette disposition.
Je crois d'ailleurs savoir que même M. Delalande n'a pas voté cette mesure à
l'Assemblée nationale.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
C'est exact !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Afin de protéger les salariés de plus de cinquante ans, il
choisit, en définitive, de fragiliser la situation des salariés âgés de
quarante-cinq à cinquante ans. Les conséquences humaines et sociales d'un tel
choix pourraient bientôt se révéler très douloureuses.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales propose au
Sénat d'adopter trois amendements de suppression des trois articles de cette
proposition de loi. Leur adoption entraînerait, bien sûr, le rejet du texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la
présidence.)PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si
les dernières statistiques publiées par le ministère de l'emploi reflètent, une
nouvelle fois, une baisse du nombre de demandeurs d'emploi, il n'en demeure pas
moins que l'effectif d'une catégorie, celle des chômeurs de plus de cinquante
ans, ne parvient pas à décroître. Au contraire, pour ces derniers, le chômage a
progressé de 3,7 % en un an.
Principales victimes des licenciements économiques, chassés prématurément de
l'entreprise, qui gère avec difficulté et bien souvent grâce aux deniers
publics sa pyramide des âges, les quinquagénaires ont, surtout après
cinquante-cinq ans, énormément de mal à retrouver un emploi, à trouver leur
place au sein d'une société où l'activité professionnelle est de plus en plus
circonscrite entre trente et cinquante ans.
De fait, près des deux tiers des chômeurs de plus de cinquante ans sont des
chômeurs de longue durée. Le régime dégressif de l'indemnisation chômage
aidant, très vite ils se voient rejetés vers l'allocation de solidarité
spécifique (ASS) ou le RMI, tombant ainsi dans la spirale infernale de
l'exclusion.
Tous, ici, nous souscrivons à ce terrible diagnostic.
Il y a un an, sur l'initiative du groupe communiste républicain et citoyen,
nous adoptions une mesure permettant d'attribuer une allocation spécifique
d'attente aux chômeurs en fin de droit, totalisant quarante annuités de
cotisations.
Aujourd'hui, poursuivant le même objectif de justice sociale et de réduction
du chômage, une proposition de loi, de paternité identique, entend optimiser la
protection des salariés en fin de carrière en renforçant le dispositif
Delalande. Dispositif juridique destiné à freiner les licenciements des
salariés de plus de cinquante ans, cette contribution spécifique des
entreprises s'est révélée peu dissuasive et facilement contournable.
Deux fois moins onéreuse pour l'entreprise qu'une préretraite FNE dans le cas
d'un salarié de cinquante-sept ans, la contribution est parfois acquittée sans
grand mal et se traduit par des licenciements « secs ».
Pour rééquilibrer le coût d'une préretraite et d'un licenciement, prévenir au
maximum ces derniers, le Gouvernement a décidé par décret, le 28 décembre
dernier, de doubler le montant de la contribution.
Franchement hostile à cet alourdissement des pénalités Delalande dues par les
entreprises, préférant au contraire voir assouplir la réglementation, le MEDEF
s'est opposé à cette mesure présentée comme un frein à l'embauche.
M. Emmanuel Hamel.
Le MEDEF...
M. Guy Fischer.
Il rejette de la même façon toute mesure destinée à combattre le travail
précaire ou à renforcer la prévention des licenciements économiques.
En revanche, les mêmes chefs d'entreprise se plaignent sans détour du rôle
croissant des juges face aux plans sociaux et de l'insécurité juridique qui en
découle.
Le groupe communiste républicain et citoyen et moi-même sommes intimement
convaincus de l'actualité et de l'opportunité du débat sur des dispositions
nécessaires pour mettre un terme aux avalanches de plans sociaux plongeant des
familles entières dans la grande détresse tant psychologique que financière.
Plaçant le développement de l'emploi au coeur de ses priorités, le
Gouvernement enregistre des résultats et peut afficher une certaine
décélération du nombre des licenciements économiques.
Toutefois, depuis la fin du mois de novembre 1998, les annonces de plans
sociaux très lourds se sont succédé : les ACH du Havre, Perrier, Cacharel,
Levi-Strauss, Thomson, les Grands Moulins de Pantin, Kodak...
Les directions d'entreprises continuent de sacrifier sur l'autel de la
sacro-sainte compétitivité de nombreux emplois. Usinor en sacrifierait 2 000 à
2 500, apprend-on aujourd'hui dans la presse.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi, adoptée par l'Assemblée
nationale - sans les voix de droite - est la bienvenue. En effet, elle vient
utilement étendre le champ de la cotisation Delalande, d'une part, à toute
rupture de contrat de travail intervenant dans le cadre de conventions de
conversion et, d'autre part, aux licenciements des salariés ayant refusé le
bénéfice d'une préretraite FNE.
Ainsi, les articles 1er et 2 précités comblent deux failles qui limitaient
l'efficacité du dispositif Delalande.
Pour illustrer mon propos, je tiens à préciser que des chiffres traduisent une
dérive importante constatée dans l'utilisation pour les plus de cinquante-cinq
ans des conventions de conversion. De 1994 à 1997, le poids de cette catégorie
dans l'ensemble des conventions de conversion a été multiplié par quatre.
Dans les faits, il est indéniable qu'une certaine pression s'exerce sur les
salariés afin qu'ils consentent à adhérer à une telle convention, cette
adhésion dédouanant du même coup l'entreprise de tout paiement de pénalités ou
d'éventuelles discussions avec l'Etat visant à mettre en oeuvre des
préretraites.
La majorité de notre commission des affaires sociales, s'obstinant, quant à
elle, à considérer que « les prétendus détournements à la contribution
Delalande par les conventions de conversion et les refus de convention de
préretraite n'étaient pas prouvés », nous propose de supprimer les articles
incriminés, réduisant de fait à néant la proposition de loi.
Je condamne, évidemment, cette démarche, au regard de l'impérieuse nécessité
d'une intervention législative pour mieux protéger les salariés.
Plus globalement, j'entends réaffirmer devant vous, madame la secrétaire
d'Etat, la volonté du groupe communiste républicain et citoyen de voir modifier
la législation sur les licenciements économiques, ultimes recours, notamment en
intégrant la jurisprudence progressiste de ces dernières années.
Un arrêt de la Cour de cassation - IBM France - semble mettre fin aux avancées
de la jurisprudence « Framatome ». Cela renforce l'urgence de notre requête.
L'objectif étant de dissuader, de rendre plus risqué le recours aux
licenciements économiques, en permettant l'élaboration de solutions
alternatives.
Pour en terminer sur le texte dont nous discutons, je tiens à préciser
qu'initialement deux autres volets l'enrichissaient : le premier prévoyait la
reconduction et l'extension du dispositif d'allocation de remplacement pour
l'emploi, l'ARPE, à tout salarié totalisant 160 trimestres de cotisations à
l'assurance vieillesse, sans condition d'âge ; le second volet instituait,
quand à lui, un droit à la retraite à taux plein avec quarante annuités, sans
condition d'âge.
Il s'agissait là de mesures de justice sociale pour les personnes qui, très
tôt, ont commencé à travailler, mesures favorables à l'emploi des jeunes et peu
coûteuses. Sur ce dernier point, je vous renvoie au chiffrage très intéressant
contenu dans le rapport de M. Gremetz.
Pourtant, dès le stade du travail en commission, la commission des finances de
l'Assemblée nationale, en opposant l'article 40 à cinq des neuf articles, a
fâcheusement réduit la portée du texte.
Comme mon collègue et ami Maxime Gremetz, je déplore que cette amputation ait
affecté la cohérence même du texte proposé.
Je regrette que nous ne puissions pas discuter de l'amélioration de la
situation des salariés de plus de cinquante ans au regard de la retraite,
salariés qui attendent d'un gouvernement de gauche des signes forts quant à
l'ouverture des droits à leur retraite.
Cela aurait pu être l'occasion de dresser le bilan des conséquences des
mesures d'ajustement prises, notamment pour le régime général, à la suite de la
publication, en 1991, du Livre blanc sur les retraites.
Je pense, bien sûr, à l'indexation sur les prix des pensions de retraite et
non plus sur les salaires, au passage aux 25 meilleures années pour le calcul
des pensions, ou à l'allongement progressif à 160 trimestres de la durée
d'assurance requise pour obtenir une pension à taux plein.
Je suis conscient qu'après la remise du rapport Charpin nous aurons à prendre
des mesures pour assurer l'avenir de notre système de retraite...
M. Jean Chérioux.
Quand même !
M. Guy Fischer.
... et pour améliorer cet acquis collectif.
Toutefois, nous pouvions commencer à débattre sur les solutions envisageables
pour pérenniser les mécanismes de répartition, gages de solidarité, et
désamorcer ainsi l'inquiétude ambiante chez les retraités et futurs retraités.
Dès à présent, nous pouvions dénoncer les tentatives de recours aux fonds de
pension, solution récurrente présentée à tort comme la seule à pouvoir résister
au choc démographique.
Sur l'autre solution proposée, le recul de l'âge de départ à la retraite, nous
pouvions nous positionner. Le taux de chômage persistant nous en empêche. Les
deux tiers des demandeurs de pension à la CNAV ne sont plus actifs à la date où
ils déposent leur demande. Les gains réalisés d'un côté seraient équivalents
aux dépenses induites par le financement du chômage. Socialement, ce choix
serait néfaste.
De plus, ces mêmes personnes, chefs d'entreprise qui demandent le report de
l'âge de la retraite, sollicitent toujours plus le bénéfice du panel de mesures
d'âge permettant le retrait anticipé avant soixante ans des salariés. Où est la
cohérence ?
Enfin, il faut arrêter de réduire la question du problème de nos retraites à
la seule variable démographique. Le contexte économique, le taux de chômage et
le niveau des salaires sont tout aussi déterminants.
Pour combler le décalage entre le niveau de cotisations des salariés et celui
des cotisations patronales, nous proposons d'instituer un prélèvement sur les
revenus financiers du capital. De surcroît, nous attendons qu'intervienne une
réforme des cotisations patronales qui ne pénalise pas l'emploi et permette
l'extension de notre protection sociale
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel.
Pour le progrès social, votez contre Maastricht !
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui appréhendait dans sa version
initiale, de façon globale, le sort souvent préoccupant et complexe des
salariés âgés de cinquante à soixante ans.
Les incertitudes planant sur l'avenir de l'ARPE avaient amené certains de nos
collègues à proposer la consécration législative de ce dispositif efficace qui,
sous certaines conditions, a permis le départ en retraite de plus de 126 000
salariés ayant totalisé leur quarante annuités de cotisations en contrepartie
de l'embauche de près de 115 000 personnes.
Depuis, les partenaires de l'UNEDIC se sont accordés pour proroger d'un an
l'accord signé en 1998. Les modalités de financement ont toutefois été
modifiées. En dépit de la proposition du Gouvernement de participer à
concurrence de 40 000 francs au financement de chaque départ, les représentants
patronaux ont tenu à instaurer une contribution financière à la charge de
l'employeur. On estime que cette participation permettrait d'abonder les fonds
de l'UNEDIC à concurrence de 1,5 milliard de francs.
Chacun le sait, les salariés âgés de cinquante à soixante ans sont devenus
l'objet privilégié des mesures de sortie de l'entreprise adoptées dans le cadre
des plans sociaux. A partir de quarante-cinq ans, ils se savent assis sur un
siège éjectable qui, à tout moment, peut les propulser hors de l'entreprise.
Leur maintien dans les entreprises est jugé inutile, voire pénalisant. On met
en avant le poids de leurs rémunérations dans la masse salariale ; on
stigmatise leurs difficultés, voire leur incapacité à s'adapter aux évolutions
technologiques et, en tout cas, leur manque de rendement.
Ces jugements définitifs et fatalistes contournent les vrais questionnements
de fond. Ainsi, les salariés qui acquièrent une expérience, qui gravissent les
échelons, devraient-ils être condamnés à voir leurs salaires plafonnés pour
préserver leurs chances de demeurer au sein de l'entreprise au-delà de
cinquante ans.
Ceux qui invoquent le coût - mot terrible - de ces salariés ont-ils pris la
mesure du coût financier, mais surtout social, d'un chômeur qui, à plus de
cinquante ans, n'a guère d'espoir de retrouver un travail ? En effet, les deux
tiers des chômeurs de longue durée appartiennent à cette tranche d'âge.
A qui revient donc la responsabilité de mettre en place et de gérer les plans
de formation continue susceptibles de maintenir la performance des salariés et
la compétitivité des équipes ?
Ainsi, le centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au
travail relève que bon nombre d'entreprises ont affecté leurs jeunes salariés
aux équipements récents, afin de faire l'économie d'une formation à
l'informatique ou aux machines à commandes numériques. En conséquence, ceux qui
abordent la cinquantaine continuent à travailler sur des postes éprouvants
physiquement. Cela peut expliquer certains chiffres impressionnants quant aux
inaptitudes au travail constatées, dans l'industrie automobile par exemple.
Espérons que les négociations portant sur les 35 heures seront l'occasion de
prendre en compte cette réalité dans la réorganisation du travail.
Par ailleurs, qui détermine la politique de recrutement et qui est chargé de
la gestion de la pyramide des âges au sein de l'entreprise ?
Comment peut-on prétendre équilibrer cette pyramide des âges quand les
recrutements, y compris en période de reprise, se font sous forme de contrats
précaires, qui sont devenus un mode structurel de la gestion des ressources
humaines.
Ainsi, entre le mois de juillet 1997 et le mois de juillet 1998, le travail
intérimaire a augmenté de 38 % non seulement dans l'industrie, mais aussi dans
le tertiaire où, selon la direction des relations du travail, 37 % des missions
n'excèdent pas une journée.
L'INSEE constate en fait que la reprise du marché du travail, loin de résorber
la précarité existante, accentue la poussée de cette dernière.
Si ces questionnements ne peuvent concerner les seules entreprises, on ne peut
que déplorer la dérive qui a consisté, pour certaines d'entre elles, à ne
chercher de réponse que dans des dispositifs financièrement pris en charge par
la collectivité.
Ainsi, le rapport de la Cour des comptes de 1997 concernant les plans sociaux
indique que plus des deux tiers des allocations spéciales FNE ont été accordées
par l'administration à douze entreprises qui se sont adressées au moins trois
fois, en six ans, au fonds. Ces entreprises ont ainsi couvert à 41 % ce
qu'elles considéraient comme des sureffectifs par des préretraites totales.
Tous ces problèmes doivent relever d'une gestion prévisionnelle et adaptée de
l'emploi à long terme. Les données démographiques sont connues ; on sait ainsi
que l'âge moyen de la population active, qui était de quarante ans entre 1975
et 1995, va s'élever progressivement, pour atteindre quarante-deux ans en
2015.
Il serait souhaitable, madame la secrétaire d'Etat, que le service public de
l'emploi soit particulièrement attentif aux petites et moyennes entreprises en
termes d'aide et de conseil quant à la gestion prévisionnelle de l'emploi.
J'en viens à l'examen des articles adoptés par nos collègues de l'Assemblée
nationale.
Au mois de décembre dernier, le Gouvernement a souhaité renforcer les
modalités d'application de la contribution Delalande. Des modulations sont
désormais prévues selon l'âge du salarié licencié, et le nouveau barème
renchérit la cotisation, qui pourra atteindre douze mois de salaires à
cinquante-sept ans.
Cette modulation tient également compte de la taille des entreprises, puisque
les entreprises de moins de vingt salariés en sont exonérées.
La proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale prévoit d'étendre la
contribution à deux dispositifs d'accompagnement de licenciements : les
conventions de conversion et les allocations spéciales FNE, lorsqu'il y a refus
du salarié.
Ces deux mécanismes sont présentés comme une alternative au licenciement sec.
Ils s'adressent aux salariés de plus de cinquante ans et ils s'inscrivent dans
des logiques différentes.
En effet, si les conventions de conversion ont pour objet un reclassement du
salarié grâce à des actions de formation, les allocations spéciales FNE
s'adressent aux salariés de cinquante-sept ans, voire de cinquante-six ans, qui
sont proches de la retraite et dont l'espoir de retrouver un emploi est très
faible.
Les auteurs de la proposition de loi ont voulu éviter que ces deux mécanismes,
jusqu'ici exonérés de la contribution Delalande, ne soient anormalement
sollicités par les employeurs afin d'échapper au versement de cette
contribution.
Le nombre des entrées en conventions de conversion à compter de cinquante ans
a augmenté de façon significative depuis 1993-1994 : leur pourcentage est en
effet passé de 11 % à 16 %.
Ainsi, le nombre des personnes âgées de cinquante ans et plus adhérant à une
convention de conversion sont passées, de 1994 à 1998, de plus de 16 000 à plus
de 20 000.
Les chiffres pour les personnes âgées de cinquante-cinq ans et plus sont
encore plus impressionnants, puisque le nombre des entrants a été multiplié par
six, pour atteindre plus de 6 000 personnes en 1998.
Cette augmentation est d'autant plus insolite que les espoirs de reclassement
s'amenuisent au fil des années. Ainsi, selon M. le rapporteur, le taux de
reclassement stagne aux alentours de 36 % pour les hommes de cinquante-quatre
ans et chute à 24 % pour les femmes du même âge. Enfin, après cinquante-six
ans, le taux de reclassement n'atteint que 18 %.
La commission des affaires sociales, dans sa majorité, a estimé que la
progression de ces adhésions n'était pas suffisamment significative et ne
pouvait s'expliquer par la volonté d'éviter le paiement de la cotisation
Delalande.
Les sénateurs socialistes ne partagent pas cette analyse et estiment que
l'évolution, en particulier celle qui affecte les plus de cinquante-cinq ans,
révèle une utilisation contraire aux objectifs affichés par les conventions de
conversion.
Par ailleurs, s'il est vrai, comme le souligne M. le rapporteur, que les
adhérents aux conventions de conversion sont, dans un premier temps, considérés
comme des stagiaires de la formation professionnelle et non comme des chômeurs,
l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation depuis 1992 a tendu à
rapprocher le contentieux attaché à ces conventions au droit commun des
licenciements économiques.
Ainsi, la Cour contrôle la cause réelle et sérieuse de la rupture du contrat
de travail. Selon elle, l'employeur prend seul l'initiative de rompre ce
contrat.
L'extension de la contribution Delalande aux ruptures de contrat de travail
après l'adhésion à une convention de conversion ne me semble donc pas présenter
d'incohérence juridique.
M. le rapporteur reproche aux mesures envisagées dans cette proposition de loi
de provoquer un effet dissuasif sur l'embauche de chômeurs proches de cinquante
ans.
Doit-on en déduire que les employeurs élaborent leur stratégie d'embauche en
fonction des facilités de licenciements, et ce d'autant plus facilement que la
solidarité nationale et les partenaires sociaux ont mis en place, ces derniers
mois, des filets de sécurité tels que l'allocation chômeurs âgés, l'ACA, et
l'allocation supplémentaire d'attente, l'ASA, qui permettent d'assurer un
revenu de remplacement aux chômeurs âgés jusqu'à la liquidation de leur
retraite ?
Nous savons bien qu'il s'agit là d'une réalité. Ainsi, le directeur de
Pont-à-Mousson déclarait, en 1993, que « la variable "effectifs" est un des
seuls paramètres sur lesquels les industriels peuvent jouer » pour redresser
les comptes d'un entreprise.
En tout cas, les socialistes refusent de cautionner cette démarche.
Rappelons enfin que les employeurs qui ont embauché des chômeurs de plus de
cinquante ans, et ce depuis 1992, sont dispensés du paiement de cette
cotisation.
Par ailleurs, la proposition de loi étend l'application de la contribution aux
licenciements consécutifs à un refus du salarié d'adhérer à un dispositif qui,
par la suite, est refusé par les salariés concernés.
M. le rapporteur a cité des estimations faisant état d'un faible taux de
refus. Il y a toutefois des refus, quelles qu'en soient les motivations.
Dès lors, nous ne voyons par les raisons pour lesquelles le droit commun des
licenciements économiques, qui prévoit le versement de la contribution
Delalande, ne s'appliquerait pas.
Le coût des préretraites, le renchérissement de la cotisation Delalande et son
extension devraient permettre un cadrage plus strict de ces mesures et
contribuer à orienter les partenaires davantage vers l'ARPE, que porte une
véritable dynamique de lutte pour l'emploi.
Voilà pourquoi les sénateurs socialistes adhèrent aux propositions adoptées à
l'Assemblée nationale. Bien entendu, ils voteront contre les propositions de la
majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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