Séance du 31 mars 1999
M. le président. « Art. 29. - L'article 3 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 précitée est ainsi modifié :
« 1° Au premier alinéa, les mots : "des coûts sociaux" sont complétés par les mots : "et environnementaux" ;
« 2° Le troisième alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Elle favorise leur complémentarité et leur coopération, notamment dans les choix d'infrastructures et par la coordination de l'exploitation des réseaux d'infrastructures, la coopération entre les opérateurs, l'aménagement des lieux d'échanges et de correspondances, l'encouragement à une tarification combinée et à une information multimodale des usagers.
« Elle optimise en priorité l'utilisation des réseaux et équipements existants par des mesures d'exploitation et des tarifications appropriées.
« Elle permet la desserte des territoires de faible densité démographique, à partir des grands réseaux de transport. »
Sur l'article, la parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en entamant la discussion des articles 16, 28, 29, 30, 31 et 32, relatifs aux schémas multimodaux de services collectifs de transport, nous touchons l'un des aspects les plus déterminants des conditions de l'aménagement et du développement de notre territoire.
Il s'agit de remplacer les cinq schémas sectoriels de la loi Pasqua par deux schémas multimodaux, l'un pour les voyageurs, l'autre pour les marchandises.
Nous regrettons que la commission spéciale et son rapporteur n'aient vu que des aspects positifs à la loi du 4 février 1995 sans par ailleurs reconnaître ses failles, notamment celles qui consistent à vouloir modeler le territoire selon des schémas cartographiques préétablis et imposés.
Le groupe communiste républicain et citoyen pourrait, dans un premier temps, souscrire au principe affiché par la loi Pasqua de mettre en place de nouvelles infrastructures pour contribuer à l'occupation et au désenclavement du territoire.
Pour autant, un tel principe n'est pas crédible si l'on n'est pas à même de créer les conditions de la réalisation de tels investissements.
Il n'est pas de bonne politique, en effet, de faire miroiter aux acteurs locaux des projets ambitieux sans prévoir les moyens de les financer !
Or - force est bien de le constater - les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années ont eu le souci plus de proclamer de belles intentions à des fins électoralistes que d'aménager le territoire en vue de répondre aux besoins des populations en termes d'environnement, de qualité de vie ou de sécurité.
J'évoquais, voilà quelques jours, les financements mobilisés en faveur du schéma directeur des lignes à grande vitesse. En juin 1997, seuls 500 millions de francs étaient réellement programmés sur les 200 milliards de francs qui étaient nécessaires.
N'en déplaise à certains, ici, ce même gouvernement a augmenté plus que n'importe quel autre les dotations en faveur du transport ferroviaire. Il revient à l'actuel ministre de l'équipement, des transports et du logement d'avoir consacré les moyens nécessaires pour réaliser le TGV-Est, alors que le projet semblait dans l'impasse, faute de financements.
De la même façon, les gouvernements de droite n'ont pas su, en leur temps, créer les conditions juridiques de la réalisation du schéma directeur routier national, notamment en ne respectant pas les nouvelles réglementations en matière de concessions autoroutières.
Aujourd'hui, la majorité sénatoriale a beau jeu de faire des procès d'intention au gouvernement actuel, s'agissant du développement des équipements, alors que les gouvernements précédents ont plus aménagé les cartes que le territoire.
Enfin, ce projet de loi tranche avec les politiques anciennes en proposant de passer d'une planification technocratique et centralisée à une planification démocratique reposant sur les besoins des populations et prenant mieux en compte les effets externes de la politique des transports que sont non seulement les nuisances sonores, les pollutions, l'insécurité des infrastructures, mais aussi les mauvaises conditions de vie découlant des modes de transports inadaptés aux évolutions de l'emploi.
Alors que la commission spéciale nous suggère de revenir aux schémas directeurs de la loi Pasqua qui auraient pour conséquence de segmenter les stratégies de développement et d'exploitation des réseaux de transport, nous préférons une approche multimodale qui considère de façon globale et transversale les modes de transports resitués dans leur contexte économique, social, environnemental et territorial.
En voulant diviser, cloisonner la politique des transports alors que cette dernière a besoin, à l'inverse, de cohérence et de possibilités de coopérations nouvelles, la majorité sénatoriale souhaite favoriser, d'une part, la compétition intramodale et, d'autre part, la concurrence intermodale. Les conclusions du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le devenir des grands projets d'infrastructures terrestres étaient sur ce point sans équivoque.
Ces observations étant faites, nous voterons contre les amendements de suppression de la commission spéciale.
M. le président. Sur l'article 29, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 79, MM. Larcher, Belot et Revet, au nom de la commission spéciale, proposent de supprimer l'article 29.
Par amendement n° 299, M. Le Cam, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le cinquième alinéa de l'article 29, après le mot : « exploitation », d'insérer les mots : « de rénovation ».
Par amendement n° 300, M. Le Cam, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le cinquième alinéa de l'article 29 par les mots : « et prévoit la réalisation d'infrastructures nouvelles ».
La parole est à M. Larcher, rapporteur, pour présenter l'amendement n° 79.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Il s'agit, dans cet article, de la définition de la politique globale des transports. Malgré les déclarations de principe sur les avancées que sanctionnerait ce texte, l'Assemblée nationale a, en fait, tenté de limiter en pratique la portée du texte initial qui lui était proposé, en souhaitant prendre en compte des besoins existants ou en soulignant la nécessité d'une politique volontariste de l'Etat en faveur des territoires à faible densité de population.
Cela constitue un progrès, qui ne nous est pas cependant apparu suffisant. En effet, nous avons posé comme principe que les territoires enclavés à faible densité de population ne se développeraient pas si une politique volontariste d'équipement et de réalisation d'infrastructures n'y était pas menée.
En outre, la référence aux coûts environnementaux prévue par le projet de loi nous semble superfétatoire. En effet, c'est l'article 14 de la loi 1982, modifiée en 1996 par la loi Barnier, qui répond aux préoccupations environnementales.
Enfin, plusieurs dispositions du texte n'auront aucune portée pratique, parce qu'elles ne prévoient pas de sanctions.
Voilà pourquoi nous souhaitons revenir au texte fondateur de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, enrichi des préoccupations environnementales introduites par la loi du 30 décembre 1996, dite loi Barnier.
Nous avons là tous les éléments. La suppression de cet article est donc fondée sur la nécessité de ne pas répéter dans ce texte ce qui figure déjà, ailleurs, qui plus est dans une base législative reconnue.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre, pour présenter les amendements n°s 299 et 300.
M. Pierre Lefebvre. Ces deux amendements ont pour objet de préciser qu'une politique de transport ambitieuse pour notre pays doit savoir conjuguer valorisation et optimisation de l'existant, d'une part, création de nouvelles infrastructures, d'autre part.
Il s'agit, à notre sens, de sortir d'une vision manichéenne qui distinguerait une logique d'aménagement d'une logique de développement, de même qu'il ne suffit plus d'opposer systématiquement le qualitatif et le quantitatif.
S'il suffisait seulement, comme le laissent entendre nombre de nos collègues de la majorité sénatoriale, d'ajouter toujours plus de kilomètres d'autoroutes pour aménager le territoire, nous ne serions pas là aujourd'hui pour en discuter !
Pour autant, il est évident que de nouveaux équipements sont nécessaires, notamment dans le domaine ferroviaire, pour développer les liaisons province-province, tant il est vrai que nos infrastructures s'articulent trop, aujourd'hui, à partir de la capitale.
De ce point de vue, notre pays connaît un retard important sur ses voisins européens, qui ont développé un maillage plus équilibré - bien que moins dense - de leur territoire.
D'autre part, sur les grands axes, il doit être possible de mieux utiliser ce qui existe par un meilleur entretien du matériel roulant, par le développement du transport combiné, par la rénovation des lignes classiques en prolongement des lignes de TGV, mais aussi - nous aurons l'occasion d'y revenir en défendant un autre amendement - grâce à de meilleures conditions de travail du personnel des transports.
Enfin, la priorité donnée dans ce texte à l'intermodalité, la complémentarité entre les différents modes de transport appelle de nouveaux moyens pour adapter les équipements existants à cette nouvelle exigence, notamment en facilitant l'accès des transporteurs routiers aux gares SNCF, ou encore en développant la desserte des ports maritimes.
Là où la commission spéciale n'envisage l'intermodalité que comme un aspect marginal et résiduel dans la politique des transports, nous pensons, au contraire, que celle-ci peut contribuer à revoir notre façon d'appréhender l'aménagement du territoire en réalisant des économies d'échelle à partir de ce qui existe, sans pour autant exclure les infrastructures nouvelles sur les parties de territoire les plus éloignées des grands axes de communication.
C'est pourquoi nous vous invitons, chers collègues, à adopter ces deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 299 et 300 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Sur le fond, la commission spéciale partage tout à fait l'analyse des auteurs de ces deux amendements, que j'invite à se reporter au texte de l'article additionnel que nous proposons d'insérer après l'article 32 avec l'amendement n° 84 : ils constateront alors que notre préoccupation en matière d'intermodalité n'est pas marginale, mais qu'elle revient au contraire comme un refrain par rapport au chant principal qui prévoit les équipements et services.
Nous constatons que le groupe communiste républicain et citoyen partage notre préoccupation de voir doter notre pays de nouvelles infrastructures, dans leur diversité, là où elles sont nécessaires, pour à la fois désenclaver le territoire et assurer la cohésion par rapport à l'espace européen.
Cela étant, nous sommes défavorables à ces deux amendements, parce que nous proposons la suppression de l'article, mais nous sommes certains que vous apporterez votre soutien à la commission spéciale quand nous aborderons l'ensemble de ces questions.
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 79, 299 et 300 ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. L'amendement n° 79 vise à supprimer l'article 29. Pourtant, dans son rapport, votre commission spéciale estime « nécessaire de souligner que le développement durable est l'un des objectifs auxquels doit tendre la politique des transports ». Elle approuve également l'idée selon laquelle il faut satisfaire les besoins de transport dans le respect des objectifs de limitation des risques - accidents et nuisances, notamment sonores - ainsi que des émissions de polluants et de gaz à effet de serre. Je m'en réjouis personnellement.
Il serait donc logique - et pas du tout superfétatoire - que les coûts environnementaux apparaissent au même titre que les autres coûts visés dans l'article 3 de la LOTI, parce que c'est bien dans la déclinaison concrète de ces nobles ambitions de la politique durable des transports que sera jugée l'efficacité de cette politique.
L'article 3 de la LOTI est un article fondateur de la politique des transports dans le cadre législatif de notre pays. Comme les autres coûts développés à l'article 14 du présent projet de loi, les coûts environnementaux doivent apparaître ici, comme ils apparaissent, d'ailleurs, à l'article 28, modifié marginalement par votre commission.
Il est bien précisé qu'il s'agit de satisfaire les besoins des usagers dans les conditions économiques, sociales et environnementales les plus avantageuses pour la collectivité ! Ce qui est intéressant ici, ce n'est donc pas tant l'ajout de cette mention que l'insistance de M. le rapporteur à la supprimer.
Le second paragraphe de l'article 29 précise et complète les orientations de la politique des transports. Le Gouvernement n'avait pas songé - c'est vrai - à affirmer dès l'article 3 de la LOTI l'importance de la desserte des territoires à faible densité démographique, et je regrette que votre commission spéciale n'ait pas utilisé cette opportunité de l'examen de l'article 29 pour insister sur ce point.
Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° 79.
En revanche, il est favorable aux amendements n° 299 et 300.
Son avis est sans réserve à propos de l'amendement n° 299, qui se justifie par son texte même. Quant à l'amendement n° 300, il introduit quand même une redondance. En effet, l'article 3 de la LOTI insiste à plusieurs reprises sur la réalisation d'infrastructures nouvelles. Il n'est pas question d'opérer une mutation malthusienne en matière de transports ! Ainsi, l'article 3 de la LOTI évoque bien le « développement harmonieux et complémentaire des divers modes de transports individuels et collectifs » et insiste un peu plus loin sur la complémentarité et sur la coopération dans « les choix d'infrastructures et par le développement rationnel des transports combinés ». Ce sont autant de préoccupations qui ont été détaillées par M. Lefebvre.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je vais me répéter, mais j'ai l'impression de ne pas être très bien compris quand je dis que les préoccupations environnementales sont reprises dans la loi Barnier et que, d'autre part, nous préférons la rédaction de l'amendement n° 83, qui permet de prendre en compte d'une manière plus précise la desserte des territoires de faible densité à partir des grands réseaux de transport.
Quant au principe selon lequel, en 2020, aucune partie du territoire français ne sera située à plus de cinquante kilomètres ou quarante-cinq minutes en automobile, il n'est pas né dans la tête du président de la commission spéciale ni dans celle des rapporteurs de 1994, pas plus que dans celle des rapporteurs de 1999, il résulte d'un débat qui s'est instauré en 1994 entre le Gouvernement français et le conseil des ministres de la Communauté.
M. Adrien Gouteyron. Absolument !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Cela nous a été confirmé lors d'une visite que la commission d'enquête créée à cet effet au sein de notre assemblée a faite en février dernier auprès de la Commission européenne.
Nous préférons donc l'amendement n° 83, qui précise les choses, plutôt que de poser une pétition de principe supplémentaire.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 79.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Contrairement à vous, monsieur le rapporteur, nous croyons que l'article 29 est un article important du projet de loi, puisque c'est là que nous définissons les principes fondamentaux de la politique globale des transports.
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est ce que nous avons dit !
M. Jacques Bellanger. Que tend à supprimer votre amendement ?
Je vais me borner à deux citations.
Cette politique « favorise la complémentarité et la coopération des modes de transport, notamment dans les choix d'infrastructures et par la coordination de l'exploitation des réseaux d'infrastructures, la coopération entre les opérateurs, l'aménagement des lieux d'échanges et de correspondances ».
Par ailleurs, cette politique « permet la desserte des territoires de faible densité démographique, à partir des grands réseaux de transport ».
Cet article 29 définissant les principes, nous voterons contre l'amendement n° 79, qui tend à le supprimer.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le rapporteur, vous comprendrez bien - car vous êtes fort expérimenté - que la proposition de suppression de l'article 29, qui sera d'ailleurs suivie d'une proposition de suppression de l'article 30, a forcément un sens au-delà des mots.
Ce qui est en cause ici, c'est que l'opinion publique constate avec nous que la politique globale de transport est aujourd'hui insuffisante. Il est évident pour tout le monde que l'accélération vertigineuse du transport de marchandises par la route conduit à des catastrophes nationales. Nous souhaitons donc, avec le Gouvernement, qu'il soit clairement établi que, désormais, il n'y aura plus cinq schémas de transport sectoriel, comme le prévoyait la loi de 1995, mais bien deux schémas, qui auront chacun leur cohérence et qui devront être mis en relation l'un avec l'autre, l'un pour les voyageurs et l'autre pour les marchandises.
Nous souhaitons que, dans le principe, l'intermodalité devienne la priorité et non pas une possibilité parmi d'autres.
Par ailleurs, l'opinion publique a constaté qu'au coût social possible des grands équipements s'ajoutait un coût sérieux, parfois dommageable au point de devenir irréparable, en matière d'environnement.
Nous souhaitons donc que cette priorité soit inscrite à cet endroit du texte. Si vous nous proposez de l'inscrire ailleurs, pourquoi pas, mais c'est dès le départ que cette priorité doit être marquée.
Cela étant, il ne faudrait pas déclencher une guerre de religion entre ceux qui défendent les équipements existants et ceux qui souhaitent de nouveaux équipements parce qu'à l'évidence, ici ou là - et j'en parle en connaissance de cause -, de nouveaux équipements sont nécessaires.
Dans ces conditions, je voterai contre l'amendement n° 79 et pour l'amendement n° 300.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 79, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 29 est supprimé et les amendements n°s 299 et 300 n'ont plus d'objet.
Article 30