Séance du 10 mai 2000







M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1058 et sur le sous-amendement n° 1109 ?
M. Louis Althapé, rapporteur. Je n'insisterai pas sur le dépôt tardif de cet amendement très important, dont l'examen aurait mérité beaucoup plus de temps, compte tenu des incidences et des conséquences qu'il peut avoir.
M. Josselin de Rohan. Il y a urgence !
M. Louis Althapé, rapporteur. Il est vrai que nous travaillons dans l'urgence, et, de plus, à une heure tardive.
La commission souhaite permettre à la RATP de répondre à des appels d'offres sur les marchés de transport de voyageurs en province.
Une telle disposition devrait être assortie, en contrepartie, de la possibilité pour les entreprises de transport de province d'offrir leurs services à Paris et en région parisienne.
Se pose donc la question de la réciprocité, sur laquelle j'aimerais avoir des précisions, monsieur le ministre. Comment la concevez-vous dans la concurrence que vous souhaitez voir s'organiser ?
La commission souhaite donc, avant de se prononcer sur l'amendement n° 1058, entendre le Gouvernement sur ce point et, notamment, sur les garanties à apporter à cette réciprocité.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Tout à l'heure j'ai abordé la question de la réciprocité.
Ce débat, je le répète, est déjà engagé au niveau communautaire ; un projet de règlement communautaire est en préparation, visant, à terme, à ouvrir les services publics de transport à la concurrence. Il appartiendra bien sûr au Gouvernement français de s'exprimer sur cet aspect. Mais, que ce projet de loi soit ou non adopté n'y changera rien. Telle est la situation.
J'ajouterai un argument : depuis le décret de 1949 et l'ordonnance de 1959 que M. Bellanger et moi-même avons évoqués tout à l'heure, cette question de la réciprocité n'a jamais été soulevée par des opérateurs privés ; ceux-ci sont largement majoritaires en Grande couronne où, du fait du décret de 1949, ils disposent de droits illimités pour les lignes existantes ; quant aux lignes nouvelles, elles leur sont attribuées sans appel d'offres. Cette situation ne les a nullement empêchés d'aller s'implanter en province.
Comprenons-nous bien : la démarche ne consiste pas à créer une quelconque situation de monopole de qui que ce soit. Il est au contraire question de permettre aux entreprises françaises, y compris à la RATP, de répondre aussi bien si ce n'est mieux que des entreprises internationales aux appels d'offres réalisés en France dans le respect des obligations de service public posées par le cahier des charges.
C'est l'intérêt des usagers du service public qui est en jeu.
Par conséquent, s'agissant de la question de la réciprocité telle que vous la posez précisément, j'ai presque envie de vous demander pourquoi vous n'en avez pas parlé auparavant.
Evidemment, chacun peut, en fonction de ce qu'il pense, défendre telle ou telle position ou telle ou telle situation. En tout cas, sachez que la démarche proposée, que je défends avec passion, vise non pas à créer une forme de situation de monopole où que ce soit, mais à permettre aux filiales de la RATP d'être en situation de répondre au mieux aux appels d'offres pour le service public de transport de voyageurs, dans le cadre des règles de concurrence.
M. Denis Badré. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. J'ai bien écouté les propos de M. le ministre.
Je pense qu'il devrait pouvoir nous rejoindre si je rectifie mon sous-amendement n° 1109 afin d'inscrire dans le marbre, de concrétiser très clairement et de préciser tout ce qu'il vient de dire pour lever les inquiétudes légitimes de ceux qui craignent une non-réciprocité.
Je rectifie donc le sous-amendement n° 1109, que j'ai cosigné avec MM. Michel Mercier et Pierre Hérisson, afin d'ajouter, à la fin de la première phrase du texte proposé, les dispositions suivantes : « , dans le respect réciproque des règles de la concurrence. Ces filiales ont le statut de société anonyme. »
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 1109 rectifié, présenté par MM. Hérisson, Michel Mercier et Badré, et tendant, à la fin de la première phrase du texte proposé par le 1° de l'amendement n° 1058, à insérer les dispositions suivantes : « , dans le respect réciproque des règles de concurrence. Ces filiales ont le statut de société anonyme. »
Quel est l'avis de la commission sur ce sous-amendement rectifié ?
M. Louis Althapé, rapporteur. Le souci de la commission, je l'ai dit il y a un instant, est que la réciprocité, la concurrence, en quelque sorte, soit réellement réalisée...
M. Josselin de Rohan. Une concurrence libre et loyale !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Saine !
M. Louis Althapé, rapporteur. ... dans le cadre de filiales ayant le statut de sociétés anonymes.
A titre personnel, j'exprime donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 1109 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1058.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, le règlement de notre assemblée m'interdit de poser des questions à M. le ministre sans m'inscrire pour ou contre l'amendement. Comme nous avons plutôt tendance à émettre d'importantes réserves sur ledit amendement, je vais donc me prononcer contre.
L'amendement que vous nous présentez, monsieur le ministre, est important. Il étend le champ territorial des compétences de la RATP en matière d'exploitation et de construction de réseaux, jusque-là circonscrit à l'Ile-de-France, à la province.
Nous souscrivons à cet objectif, qui valorise la compétence, l'expérience et le travail de la RATP et de ses salariés en dehors de la région parisienne.
Nous croyons également que ce texte répond à une demande des responsables de transport en dehors de l'Ile-de-France.
Nous aurions sans doute préféré que cet amendement fasse l'objet d'un article du projet de loi initial, car les deux assemblées auraient ainsi pu mieux examiner ses conséquences au fond.
J'espère, monsieur le ministre - mais je crois que vous nous en avez donné l'assurance - que le Gouvernement a bien consulté et recueilli l'accord de principe de l'ensemble des parties concernées (M. le ministre acquiesce) , à savoir la RATP et ses organisations syndicales, les organisations de transporteurs compétents en ces domaines, le service public de la SNCF et ses organisations syndicales, les autorités organisatrices des transports et, naturellement, les autorités européennes.
Pour notre part, monsieur le ministre, si nous sommes favorables au principe, nous vous poserons deux questions.
Tout d'abord, la SNCF et la RATP sont des services publics tous deux expérimentés et compétents. Si leur collaboration n'a pas toujours été évidente en Ile-de-France, elle fonctionne maintenant, par exemple, sur certaines lignes du RER, encore que certaines obligations nous paraissent relever du passé et que les arbitrages pour Eole ou Météor ne soient pas forcément un modèle.
Comment entendez-vous pacifier une éventuelle compétition entre nos deux services publics ?
Deuxièment, nous avons fait le choix de combattre les velléités dérégulatrices de la Commission européenne qui, de manière quelque peu systématique, fait de la mise en concurrence pour l'exploitation, voire la construction de lignes de transport - en particulier dans le ferroviaire - une panacée.
Le Gouvernement a montré sa détermination sur ce point lors des derniers conseils européens des transports. Nous lui en savons gré et votre réussite en ce domaine, monsieur le ministre, doit être d'autant plus signalée que la politique à courte vue du niet à la Molotov de votre prédécesseur avait parfaitement isolé la France à la Commission européenne.
Dans son Livre vert sur « Le réseau des citoyens », la Commission a souligné la nécessité de rendre plus attractifs les réseaux publics de transport pour répondre tant aux besoins de mobilité des usagers qu'à la lutte nécessaire contre la pollution atmosphérique. Nous partageons ces objectifs. Mais elle insiste aussi la nécessité d'ouvrir à la concurrence les marchés des transports, et nous ne souscrivons pas à cette dernière proposition, ni dans les termes ni dans les cadres proposés.
Dès lors, nous craignons, monsieur le ministre, que cet amendement n'affaiblisse nos positions. D'un côté, nous demandons au niveau européen le statu quo ; de l'autre, nous autorisons une entreprise qui jouit d'un monopole d'exploitation en région parisienne sur ses propres lignes à soumissionner pour obtenir des marchés d'exploitation de réseau en dehors de l'Ile-de-France.
M. Josselin de Rohan. Très bien ! Voilà un vrai libéral !
M. Jacques Bellanger. ... sans prévoir la réciprocité, sans permettre à d'autres entreprises d'exploiter des lignes de transport public en région parisienne selon les règles du marché édictées par la loi Sapin, même si la SNCF est exclue du champ d'application de ce dernier texte.
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Jacques Bellanger. En effet, nous devons être clairs : nous ne voulons pas de cette réciprocité. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendents et du RPR.)
M. Josselin de Rohan. On y vient !
M. Jacques Bellanger. Nous craignons, dès lors, qu'une entreprise de transport ne porte plainte auprès de la Cour de justice européenne pour concurrence déloyale et nous craignons que la Commission européenne ne prenne acte de cette initiative pour imposer l'ouverture à la concurrence.
M. Patrick Lassourd. C'est la grande peur !
M. Jacques Bellanger. Nous ne pouvons repousser l'hypothèse que, demain, avec la régionalisation de la SNCF, quelques bons esprits ne s'emparent de ce texte pour mettre en cause l'organisation de notre service public des transports, qu'il s'agisse du ferroviaire, des transports urbains ou même du réseau RFF.
Entendons-nous bien, monsieur le ministre, ce n'est naturellement pas la politique du Gouvernement qui est en cause, ni votre action : nous avons dit tout le bien qu'il fallait en penser.
M. Patrick Lassourd. Encore le grand écart !
M. Jacques Bellanger. Mais les ministres passent, comme les majorités (Exclamations amusées sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR) - sauf, bien sûr, mes chers collègues, au Sénat, ce qui pose problème - et les textes que nous votons restent.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bellanger !
M. Jacques Bellanger. Sur ces différents points, monsieur le ministre, nous souhaitons que vous nous apportiez les réponses qui nous permettraient de soutenir votre amendement.
M. Patrick Lassourd. Quelle acrobatie !
M. Pierre Lefebvre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. La discussion confirme, s'il en était vraiment besoin, que cet amendement présenté par le Gouvernement soulève, dans les faits, une question tout à fait fondamentale quant au sens même que l'on peut donner aux mots et aux concepts.
C'est notamment le cas pour ce qui concerne les mots de « service public ».
Si l'on suivait, en effet, les orientations de l'amendement, on se trouverait confronté demain à une situation dans laquelle la Régie autonome des transports parisiens serait autorisée à intervenir, par le biais de filiales, hors du champ naturel de son intervention, y compris pour exploiter directement des réseaux et lignes constitués à la demande d'autorités organisatrices de transport.
Dans le même temps - faut-il le dire ? - ce projet de loi vise à confronter directement la Régie à une modification sensible des conditions de son intervention en région d'Ile-de-France, de par le changement de nature de l'indemnité compensatrice et la passation d'une convention avec le syndicat des transports de l'Ile-de-France.
Par ailleurs, on ne peut ignorer que se développe également dans le même contexte un débat sur la question des règlements communautaires relatifs au fonctionnement des services de transport public urbain, dans un contexte où nombreux sont ceux qui poussent à une large ouverture des marchés concernés à la concurrence et à la réciprocité, réciprocité que nous ne souhaitons pas en ce qui nous concerne.
Je ne vous cacherai pas, monsieur le ministre, que nous avons, sur l'ensemble de ces questions, un certain nombre d'interrogations. Par exemple, il nous semble quelque peu regrettable que la synergie naturelle qui existait entre la RATP et la SNCF en matière d'ingénierie ait, semble-t-il, disparu dès lors qu'il s'est agi de créer les conditions d'une participation de l'une et l'autre des deux grandes entreprises publiques aux mutations opérées sur le secteur.
Il se pose également une question assez essentielle, surtout au moment où d'aucuns posent le problème de l'équilibre de l'exploitant des réseaux de transport public. En ces matières, la RATP ne se situe en effet pas nécessairement dans la même situation que certains de ses concurrents.
Ainsi, il est difficile, de notre point de vue, de comparer la politique d'investissement de la régie avec celle de la plupart des entreprises de droit privé qui, pour l'essentiel, bénéficient d'une aide importante des collectivités locales pour l'acquisition de leur matériel roulant et ne prennent pas à leur charge la réalisation de l'essentiel des infrastructures.
Quant aux obligations de service public, on ne peut manquer ici de souligner qu'elles sont autrement plus précises - et précisées - pour la RATP que pour ces exploitants. Ceux des habitants de la région parisienne qui utilisent ces services peuvent d'ailleurs le constater quotidiennement.
Enfin, s'agissant des conditions de rémunération des salariés et de leur statut professionnel, il est évident qu'il n'a pas de commune mesure avec celui de la Régie autonome, et que la règle du « moins-disant social » est la plus communément adoptée.
On peut par ailleurs s'interroger sur le fait que la RATP puisse, toujours par filiales interposées, intervenir à l'étranger mais qu'elle ne puisse pas le faire sur le territoire national ailleurs qu'en région parisienne. Or les autorités organisatrices pourraient sans aucun doute bénéficier de la grande capacité et du savoir-faire de la RATP.
Pour autant, on peut tout aussi bien comprendre que certaines précautions doivent entourer l'application de nouvelles règles dans la mise en oeuvre des politiques de transport urbain et il me semble, en ces matières, que toute évolution doit intégrer les trois priorités que nous avons définies dans la discussion de cet amendement : qualité de service, prise en compte effective des besoins de la population, efficacité sociale au regard de la situation des personnels.
Monsieur le ministre, nos réflexions sur cette question ne sont pas figées, mais, pour l'instant, nous ne sommes pas convaincus que les conditions que je viens d'énoncer soient réunies. Et parce que nous souhaitons que le débat sur une question aussi importante puisse se poursuivre, nous émettrons un vote d'abstention positive. (Rires sur les travées du RPR.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. Josselin de Rohan. Cela devient laborieux !
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'amendement que vous avez déposé, au nom du Gouvernement, monsieur le ministre, consiste à s'engager dans la voie de la création de filiales de la RATP en vue de construire, d'aménager et d'exploiter des lignes hors d'Ile-de-France, dans la France entière, voire partout dans le monde.
Je ne suis pas certaine que les consultations et les concertations, dont vous venez de nous dire qu'elles avaient touché nombre d'agents de la RATP, aient vraiment eu lieu, ou, en tout cas, qu'elles aient été aussi larges que vous venez de le dire.
Ainsi, sans même que les intéressés, les salariés de la RATP, en aient été informés, sans que le Parlement en ait débattu, sans que se soit prononcé le conseil d'administration de la RATP, a déjà été approuvée la création d'une filiale qui sera détenue par la RATP International, Sodetrel EDF et Bouygues Travaux Publics, avec un capital de 1,8 million d'euros détenus à la hauteur d'un tiers par les trois partenaires. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'agents de la RATP sachent cela, monsieur le ministre !
Depuis 1998, la RATP travaille déjà à l'étranger, notamment à Stockholm, avec Connex, ex-CGEA du groupe Vivendi, ou à Melbourne.
Je souhaite donner un exemple concret de filialisation. Dans le cadre de l'application de la directive européenne d'ouverture à la concurrence de la filière énergie, les directions de la RATP et d'EDF ont un projet pour décider du sort d'une entité de la RATP qui représente 300 salariés - agents d'exécution, maîtrise, cadres, ingénieurs - qui sont chargés de la distribution de l'énergie au sein de la RATP et de la maintenance y afférente.
Le projet est de filialiser cette entité, dans un premier temps, sous statut mixte RATP et EDF, puis avec d'autres, comme vient de le démontrer, d'ailleurs, le conseil d'administration de la RATP, à savoir les groupes Bouygues et Vivendi. Monsieur le ministre, vous venez de faire, ce soir, un pas décisif, mais pas dans le bon sens,...
M. Josselin de Rohan. Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... en introduisant la concurrence sur les marchés des transports et en mettant les salariés sous le régime de droit commun, d'autant - je vous avoue mon étonnement ! - que vous venez de donner un avis favorable au sous-amendement n° 1109, qui offre la réciprocité au privé.
Avec ce que vous venez de faire ce soir, monsieur le ministre, il sera évidemment plus facile de favoriser la directive européenne d'ouverture de l'ensemble des transports à la concurrence.
Nous n'oublions pas que la France présidera l'Union européenne, dans quelques semaines, pour six mois, et nous savons que cette directive est actuellement bloquée, au niveau européen, parce que l'Allemagne et les Pays-Bas la trouvent trop libérale.
Avec cette initiative, vous préparez par anticipation la venue d'une directive particulièrement grave - mais je crois que vous le savez, monsieur le ministre - pour le devenir de la RATP.
Des dangers existent d'éclatement de la RATP, qui a encore pourtant beaucoup à faire en Ile-de-France. Des départements presque entiers, des villes importantes, des secteurs d'activité échappent totalement à l'influence de la RATP, qui n'entre pas en concurrence avec les lignes privées, mais qui souhaite engager la concurrence sur l'ensemble du globe !
La concurrence va concerner tous les marchés, avec cette réciprocité à laquelle vous venez de donner votre accord. Les lignes de la RATP, vous vous en doutez bien, vont être « lorgnées » par les entreprises privées, et la cotation en bourse de la RATP fera le reste.
Pourquoi dis-je cela ? Parce que, lors d'une interview à Radio Classique, voilà quelques semaines, à la fin du mois de mars, son directeur n'a pas caché qu'il envisageait officiellement la perspective d'une mise en bourse de tout ou partie de sa filiale RATP International.
M. Patrick Lassourd. C'est l'horreur !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Evidemment, monsieur le ministre, la mondialisation libérale fera le reste, comme pour EDF, qui, agissant comme n'importe quel groupe privé, a réduit, à Rio, je crois, ses effectifs de 13 000 à 5 600 salariés.
Nous sommes pourtant persuadés, monsieur le ministre, que service public et coopération pourraient rendre à l'intérêt général de bien meilleurs services que la concurrence sauvage fondée sur des notions de rentabilité entre groupes privés, groupes privés dans lesquels, vous le savez bien, la RATP risque de se dissoudre.
Les dangers sont trop grands et une déréglementation dans les transports urbains serait évidemment très grave.
M. le président. Veuillez conclure, madame Beaudeau !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les usagers et les personnels ont besoin d'une RATP modernisée, certes, mais non d'une RATP livrée à la concurrence et aux appétits financiers.
C'est la raison pour laquelle, à titre personnel, je voterai contre l'amendement.
M. Jack Ralite. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. J'ai bien écouté les explications que M. le ministre a données sur l'amendement déposé au nom du Gouvernement, et je dois dire que cela a contribué à asseoir la conviction que j'ai eue dès le début que l'orientation de cet amendement était bonne.
En effet, la société évolue. Nous sommes confrontés à des situations neuves, et le meilleur moyen d'y faire face, c'est de penser à neuf. Or, au jour d'aujourd'hui, la place que la RATP a sur le territoire national me fait penser un peu au statut de quelqu'un qui aurait un pavillon : autour, il y a un jardin ; devant, il y a une rue ; il peut faire ce qu'il veut dans le pavillon, il peut faire ce qu'il veut dans la rue, mais, dans le jardin, il ne peut rien faire. Là il y aurait un élargissement de sa compétence.
Sans doute y aura-t-il des obstacles, sans doute y aura-t-il des estocades, voire des luttes, et les questions importantes posées tant par Pierre Lefebvre que par Jacques Bellanger méritent réflexion.
Mais je pense que la RATP, en tant qu'organisme, et ses personnels, en tant qu'hommes et femmes attachés aux valeurs qui justifient cette création historique qu'est la RATP, sont assez forts pour savoir agir.
Nous nous lançons dans un processus et, ce faisant, nous nous plaçons sur un terrain offensif qui, dans le cadre de la présidence française de l'Europe, permettra même à nos représentants d'agir plus fortement, plus positivement et avec plus de succès.
Il ne faut donc pas se mouvoir derrière trop de haies de précaution. Pour ma part, tout en comprenant et en partageant les interrogations soulevées par Pierre Lefebvre, je sauterai la haie comme un lutin, et je voterai l'amendement.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Des questions ont été posées. Dans le fond, le souci exprimé par M. Ralite est le suivant : est-ce que tout ce qui est proposé programme de manière absolue et complète une marche harmonieuse vers quoi que ce soit ? Bien sûr que non !
J'ai dit tout à l'heure, et je le répète, car je ne sais pas si tout le monde a bien entendu, que les projets qui sont en cours d'élaboration à l'échelle européenne visent effectivement à favoriser la concurrence. Je travaille, et je suis convaincu que le Parlement dans son ensemble m'aidera et aidera le Gouvernement à aller dans le sens d'une concurrence saine et loyale. Cependant, je puis vous assurer que l'instauration de la concurrence dans le secteur ferroviaire, à la SNCF comme pour le métro, n'est pas à l'ordre du jour et que ce secteur reste dérogatoire.
La France va présider le Conseil européen à partir du mois de juillet. Les discussions officielles que j'ai eues avec la Commission vont tout à fait dans le sens de la dérogation.
Et je ne compte pas m'arrêter là. Le Gouvernement travaille, à l'échelle de l'Europe, à permettre un traitement particulier pour les métropoles capitales, où des problèmes similaires se posent bien souvent du fait du nombre, des millions et des millions de personnes transportées tous les jours.
On ne peut pas penser modifier les règles du jeu du service public au nom de telle ou telle pratique concurrentielle sans réfléchir, au préalable, aux risques que pourrait encourir une gestion qui ignorerait les réalités dont vous avez parlé à juste raison, monsieur Lefebvre, en matière de service public des transports.
Nous agirons pour que ce type de dérogation soit prévu pour les transports urbains des grandes métropoles.
Cela étant, monsieur Bellanger, vous avez, tout comme M. Lefevre, posé des questions importantes en ce qui concerne la synergie entre les entreprises. Cette synergie existe déjà pour une part, mais je suis de votre avis, il faut la conforter et la renforcer. Par exemple, SYSTRA, qui travaille à l'international, regroupe les deux entreprises et je rappelle, au passage, qu'elle est la troisième entreprise d'ingénierie du monde. Ainsi la SNCF et la RATP se donnent des capacités d'intervention à l'échelle mondiale.
Aujourd'hui, le statut de cette filiale permet de répondre à des appels d'offres d'ingénierie de façon tout à fait objective et normale, mais il ne permet pas valablement de répondre largement à des appels d'offre de gestion, ce qu'il devrait pouvoir faire.
Qu'est-ce que cette disposition va changer en Ile-de-France ? Ce qui est proposé ne changera rien pour les exploitants privés existants, y compris dans leurs rapports avec la RATP.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d'entre vous ont montré le souci qu'ils avaient du principe d'une mise en concurrence dans la mesure où les entreprises publiques peuvent répondre aux critères d'efficacité économique et sociale et aux besoins des salariés et des utilisateurs des transports collectifs, en respectant les cahiers des charges établis estime qu'elles sont tout à fait capables de concourir à des appels d'offres soumis aux règles de la concurrence, que vous souhaitez, monsieur de Rohan,...
M. Josselin de Rohan Une concurrence libre et loyale !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... c'est-à-dire où il n'y a pas dumping économique et social,...
M. Louis Althapé rapporteur. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Pas de dumping public !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... où il y a des principes de service public.
Quand l'opérateur privé est choisi en province ou ailleurs, nous savons que la notion de service public est primordiale. Cette dimension doit demeurer.
Je vous le rappelle tout de même, la loi Sapin organise les règles d'une concurrence, qui est obligatoire aujourd'hui en France, dans le domaine des marchés publics mais aussi dans ceux qui concernent les transports urbains, sauf ceux d'Ile-de-France.
Mme Beaudeau a demandé si nous avions réalisé une large concertation. Honnêtement, madame Beaudeau, je dois dire que le Gouvernement n'a pas rencontré tous les salariés de la RATP (Ah ! sur les travées du RPR) ; mais il y a eu deux conseils d'administration où les élus représentant tous les syndicats représentatifs des personnels de la RATP ont pu donner leur opinion sur le dispositif proposé par le Gouvernement. Eh bien, ils se sont exprimés favorablement. Certes, vous pouvez considérer que ce n'est pas suffisant, qu'il serait mieux de consulter directement les salariés. Sachez quand même que les représentants des salariés se sont tous prononcés favorablement, ce qui explique d'ailleurs que nous ayons présenté cet amendement à ce moment-là, à l'occasion de la discussion de l'examen de ce projet de loi au Sénat.
Mais si nous sommes venus maintenant, c'est que je voulais m'assurer également de l'avis d'organismes comme le GART, ce qui répond à l'interrogation de M. Bellanger à qui je confirme que nous avons reçu à mon cabinet - mes collaborateurs peuvent en témoigner - tous les syndicats et organismes concernés.
Nous avons eu des discussions à l'issue desquelles il est apparu que les conditions suffisantes étaient réunies pour pouvoir présenter ce texte en toute objectivité à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, sans que cette réforme puisse être considérée comme venant de la seule détermination du Gouvernement ou de la direction de la RATP.
Voilà donc ce que je voulais vous dire. Je pense que cet amendement va vraiment dans le bon sens.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le ministre, nous avons écouté attentivement votre réponse.
S'agissant de la compétition éventuelle entre nos deux services publics, vous nous avez convaincus, mais nous souhaitons vraiment que l'on avance dans ce sens. Cela nous paraît important ; rien ne serait plus absurde qu'une compétition.
S'agissant des dangers d'une ouverture plus grande à la concurrence, nous sommes un peu plus perplexes. Nous savons en effet combien, tant à Bruxelles qu'à Strasbourg, est forte la pression et combien le Gouvernement a dû accomplir d'efforts pour revenir sur une situation où la France était ultra minoritaire.
Dois-je rappeler que le gouvernement précédent avait réussi l'exploit extraordinaire au Parlement de Strasbourg de réunir trente-cinq voix seulement pour approuver les positions de la France, le reste de l'assemblée ayant voté contre les positions que nous défendions ? Quel chemin parcouru, monsieur le ministre !
Il est vrai que nous sommes perplexes...
M. Josselin de Rohan. Vous avez en effet l'air d'être perplexes !
M. Jacques Bellanger. ... mais il est également vrai que votre action et celle du Gouvernement ont fait la preuve de leur efficacité et de la volonté de défendre notre service public. Nous savons en tout cas, nous, ce qu'est la solidarité gouvernementale.
Pour toutes ces raisons, nous voterons cet amendement. M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 1058.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 46.
La suite de la discussion est renvoyée à la séance du mardi 16 mai.

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