SEANCE DU 11 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 152 rectifié, MM. Charasse et Plancade proposent d'insérer,
après l'article 8, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les banques ne pourront facturer les prestations qu'elles assurent pour les
titulaires de comptes bancaires pour ce qui concerne la facturation des
chèques, qu'à compter de la date d'abrogation de toutes les dispositions
rendant obligatoire le paiement par chèque. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Si vous le permettez, monsieur le président, mes chers collègues, je
présenterai en même temps l'amendement n° 153 rectifié.
M. le président.
J'appelle donc en discussion l'amendement n° 153 rectifié, présenté par MM.
Charasse et Plancade, et tendant à insérer, après l'article 8, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Est interdite la facturation des prestations fournies par les banques au
titre de la tenue et de l'utilisation des comptes bancaires des particuliers
dont les salaires, pensions et prestations sociales sont soumis à l'obligation
de virements bancaires. »
La parole est à M. Charasse, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Charasse.
Je précise que la rectification des amendements n°s 152 et 153 est due à
l'adjonction d'un signataire, M. Plancade, qui a souhaité s'associer à mon
initiative.
Ces jours derniers, nous avons tous suivi le débat récurrent relatif non pas à
la taxation, puisque ce n'est pas une taxe, mais à l'éventuel paiement des
chèques que les banques pourraient exiger. On a même proposé, ici ou là, des
tarifs et comparé ces propositions. C'est ce qui m'a conduit à suggérer ces
deux amendements, qui ont d'abord pour objet d'entendre - et M. le ministre ne
m'en voudra pas - les explications du Gouvernement sur une question que l'on
paraît d'ailleurs embrouiller un peu à dessein.
Mes chers collègues, les banques assurent des services privés à leurs clients.
Beaucoup de leurs prestations, facultatives, sont aujourd'hui facturées, les
cartes bleues par exemple. Reste en dehors de la facturation, en principe,
l'utilisation du carnet de chèques.
On peut discuter indéfiniment sur la question de savoir si ce service doit
être rendu gratuitement ou moyennant paiement, étant entendu que la
contrepartie est le dépôt des fonds gratuitement à la banque et l'utilisation
gratuite par la banque des fonds qui y sont déposés. Mais passons !
Au regard du droit européen et d'un certain nombre de règles du commerce, il
est sans doute difficile d'interdire par la loi à un organisme privé de tarifer
ses services et de l'obliger à travailler gratuitement. Mais, monsieur le
ministre - c'est l'objet des amendements n°s 152 rectifié et 153 rectifié -, il
y a tout de même un problème de fond qui se pose. En effet, quand on sait qu'un
certain nombre de textes législatifs obligent aujourd'hui au paiement par
chèque et qu'un certain nombre de textes législatifs ou réglementaires imposent
le paiement des salaires, des pensions, des prestations familiales et sociales
par virement bancaire, comment, dans ces conditions, la majorité de nos
concitoyens pourrait-elle ne pas tirer au moins un chèque, en réalité plusieurs
?
Tout le monde sait aussi que, pour se procurer de l'argent liquide, c'est
parfois le parcours du combattant, la majorité des agences bancaires de notre
pays étant de petites agences avec une encaisse très modeste par crainte des
cambrioleurs. Par conséquent, on vous dit que l'on ne peut vous donner que 1
500 francs, 2 000 francs, voire 2 500 francs, mais pas plus.
Ces deux amendements visent non pas à interdire aux banques de facturer leurs
services - ce n'est peut-être pas d'ailleurs l'opinion de M. le ministre sur ce
point - mais en tout cas à préserver la liberté des usagers afin que celui qui
passe par la banque ait choisi sciemment d'y passer et que celui qui ne veut
pas de compte bancaire puisse ne pas en avoir et être malgré tout en mesure de
percevoir son salaire, directement en liquide - comme cela se faisait autrefois
dans les usines, où les gens allaient tous les quinze jours chercher leur
enveloppe - ou de se présenter au guichet de la caisse d'allocations familiales
pour y recevoir ses prestations, entre autres, toutes choses qui ne sont pas
possibles aujourd'hui.
Par conséquent, ces deux amendements ont un objet quasiment analogue. Tant que
des textes obligeront à passer par les banques, je ne vois pas comment on
pourrait taxer le service de base, c'est-à-dire l'obligation de l'utilisation
du chèque. Mes chers collègues, c'est exactement comme si l'on vous disait que,
pour tous vos déplacements, vous serez désormais obligés de prendre le train
selon une tarification imposée par le propriétaire du train et qu'en plus, pour
que vous n'ayez pas d'autre solution, il sera interdit d'acheter des chaussures
ou de les porter ! Vous êtes alors complètement coincés !
En conclusion, monsieur le président, je me demande même dans quelle mesure
les obligations qui sont faites de passer par les banques par un certain nombre
de textes législatifs et réglementaires sont bien conformes au principe de
liberté, et donc à la Constitution !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Alors là, on en a pour une bonne semaine !
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Il s'agit d'un sujet particulièrement important sur lequel la
commission souhaiterait entendre préalablement le Gouvernement.
(Nouveaux
sourires.)
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je m'attendais bien à quelque chose de la part de M.
le rapporteur, mais pas à une invite aussi rapide !
(Rires.)
Si vous le permettez, en répondant à M. Michel Charasse, je m'adresserai en
même temps au cosignataire des amendements, M. Plancade, ainsi qu'à MM. Gérard
Larcher et Gérard Delfau leurs amendements suivants ayant aussi pour objet,
bien que de façon différente, de réglementer autrement les relations entre les
banques et leurs clients. Une réponse globale de ma part me permettra peut-être
de ne pas y revenir.
Monsieur Charasse, vous avez déposé deux amendements, l'un portant sur la
facturation des chèques, l'autre sur la facturation de la tenue de comptes,
qui, si je les lie correctement, se fondent sur l'idée que les chèques sont
payants, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Michel Charasse.
Cela risque de le devenir...
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Ils anticipent donc sur une situation qui n'existe pas
aujourd'hui, et le Gouvernement ne voudrait pas que vos amendements, monsieur
Charasse, deviennent d'actualité.
M. Michel Charasse.
C'est trop d'honneur !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Larcher, dans vos amendements, vous proposez
l'institution d'un service bancaire universel gratuit. Mais, en fixant de façon
limitative des prestations gratuites, vous suggérez que les autres prestations
sont bien évidemment payantes. Si l'on adoptait ces dispositions, cela pourrait
être compris comme un signal - M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie le rappelait devant vos collègues de l'Assemblée nationale la
semaine dernière - en faveur des chèques payants. Or nous sommes déterminés,
nous fondant d'ailleurs en partie sur les arguments qu'a très bien exposés tout
à l'heure Michel Charasse - à faire en sorte que les chèques restent gratuits.
Je ferai la même remarque à propos des amendements déposés par M. Delfau.
En fait, nous abordons là un point important : il s'agit des relations, quasi
quotidiennes pour beaucoup de nos concitoyens, entre le monde bancaire et ses
usagers. Les banques peuvent tirer de ces relations - vous l'avez écrit,
monsieur Larcher, et vous l'avez dit, monsieur Charasse - une juste
rémunération, mais elles doivent se comporter également avec toute la
conscience qu'elles ont du rôle qu'elles jouent sur l'ensemble des contraintes
qui pèsent sur leurs concitoyens, en particulier sur le fait qu'il n'y a pas de
concurrence. Les Français, qui sont obligés d'ouvrir un compte pour percevoir
leurs revenus, veulent accéder gratuitement à leur argent. C'est possible
aujourd'hui avec la gratuité des chèques ; on ne voit pas pourquoi cela
changerait.
Certaines banques - c'est peut-être ce qui a motivé le dépôt de ces
amendements - ont déclaré à nouveau leur intention de faire payer les chèques.
Il faut dire qu'elles font cette annonce depuis des années, cela fait quinze
ans je crois. Depuis, elles reculent parce qu'elles ne souhaitent pas déplaire
à leur clientèle ; ce sont des raisons commerciales qui les poussent à avoir un
tel comportement.
Par conséquent, je le répète, nous ne souhaitons pas leur donner de signal
pour que les choses changent.
En revanche, il me semble qu'il faut répondre à la question de fond que vous
posez sur les relations entre la banque et ses clients. En effet, nombre
d'usagers aujourd'hui ne connaissent pas la réalité des services dont la
facturation apparaît sur leur relevé de compte.
Le Gouvernement y répond par deux mesures.
D'une part, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie déposera
dans les jours qui viennent le décret portant sur le droit au compte pour les
personnes en grande difficulté ; je pense que ce décret est prêt. Il permettra
au Gouvernement de respecter un engagement qu'il avait pris.
D'autre part, il faut permettre aux usagers des banques de bénéficier d'une
bonne information sur ce qu'est aujourd'hui la réalité de la tarification. En
effet, si le chèque n'est pas payant, un certain nombre de services le sont, et
l'on ne sait pas très bien pourquoi ils sont plus coûteux dans telle banque que
dans telle autre.
En outre, on oublie aussi ceux qui ne disposent que d'un livret A - c'est une
autre préoccupation qui a été exprimée par M. Delfau hors de cette enceinte,
mais qui sera sans doute reprise aujourd'hui. Un certain nombre d'opérations
doivent absolument être réalisées gratuitement. Il n'y a aucune raison que
quelqu'un qui n'utilise que son livret A parce qu'il ne peut pas faire
autrement ait à payer un quelconque service.
Pour toutes ces raisons, nous pensons qu'il faut que les banques soient
assignées au même respect des droits des consommateurs que l'ensemble des
entreprises. Ce sont des entreprises privées, même si elles ont à faire face à
une garantie prudentielle qui ne s'impose pas aux autres acteurs économiques.
Elles doivent entrer dans le champ de la protection du consommateur et, pour ce
faire, répondre à un certain nombre d'obligations qui figurent dans un
amendement que le Gouvernement va soumettre à la Haute Assemblée.
Tout doit être extrêmement clair. Ainsi, par exemple, les banques ne doivent
pas échapper à la règle qui veut que l'on n'a pas le droit de vendre un service
lié. Il est par ailleurs important que les banques, à côté du système actuel,
qui n'est pas un mauvais système - ne soyons pas manichéens - mettent en place
un comité de médiation qui permette de régler les litiges de manière plus
transparente, plus claire, plus constructive, y compris d'ailleurs s'il le
faut, en faisant appel à une réglementation.
Bref, il faut que l'ensemble de la politique commerciale des banques soit
soumis au droit de la consommation. Depuis quarante ans à peu près les banques
sont les seules à ne pas relever de ce droit.
Pour que ce droit s'exerce avec toute la transparence voulue, les services de
l'Etat doivent pouvoir exercer un contrôle à l'intérieur des agences bancaires,
comme ils en ont la possibilité à l'intérieur de toute entreprise, pour
vérifier que le droit d'information du consommateur est strictement respecté,
qu'il n'y a pas de services liés, par exemple, qu'il n'y a pas obligation pour
l'usager qui souscrit un prêt de prendre l'assurance proposée par la banque.
En fait, il faut remédier à tout ce qui fait qu'aujourd'hui les choses ne sont
pas claires et donnent lieu à autant d'amendements, de propositions et de
débats.
Nous souhaitons que tout soit bien codifié et s'exerce dans la plus grande
transparence pour assurer de meilleures relations entre le monde bancaire et
les usagers. Voilà ce que nous proposerons en déposant l'amendement n° 625.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Je voudrais, en quelques mots, rappeler dans quel débat
d'ensemble nous nous situons car Mme le secrétaire d'Etat a fait état
d'amendements qui ne sont pas encore exposés ; elle a également fait état - je
ne lui en fais aucun reproche, je ne me le permettrais pas - d'un amendement
que le Gouvernement vient de déposer et qui, lui non plus, n'a pas encore été
exposé dans le détail.
De quoi s'agit-il ?
L'ensemble des textes que nous allons examiner, mes chers collègues, traite de
l'évolution du système bancaire et de sa compétitivité, mais aussi de l'accès
au service bancaire : nous avons, d'un côté un problème économique, de l'autre,
un problème social.
La commission des finances avait déjà traité le problème économique voilà
quelques années, alors que M. Alain Lambert était rapporteur général, dans un
rapport de mission d'information dont le titre était :
Banques : votre santé
nous intéresse.
Pourquoi avions-nous retenu ce titre ? Parce que les banques, tout en étant
des entreprises compétitives, ne sont pas tout à fait des entreprises comme les
autres. Certes, elles sont soumises aux règles du marché, nous l'avons vu en
1999 avec les opérations de restructuration bancaire, qui sont d'ailleurs
largement à l'origine du titre Ier de ce projet de loi. Mais une banque, c'est,
et cela a toujours été, un lieu d'influence, un lieu de pouvoir tel que les
gouvernants d'un pays et les législateurs ne peuvent y être indifférents.
En conséquence, il est important que nous sachions quelles sont leurs
conditions de compétitivité, parce que si les banques dont le siège est en
France ne sont pas compétitives, au gré des restructurations européennes, elles
seront amenées à se diluer, à disparaître, à passer sous le contrôle d'autres
centres d'influence et de pouvoir.
Il est donc nécesssaire que le Sénat s'intéresse à la bonne santé économique
du secteur bancaire.
Or la question de la tarification des services bancaires se situe bien au
coeur de cette problématique économique qui est celle de la compétitivité de
nos banques par rapport à leurs concurrentes, notamment celles de la zone
euro.
En effet, nous travaillons dans un ensemble de plus en plus intégré. Nous
avons une seule et même échelle de taux d'intérêt. Nous avons une seule et même
devise pour l'essentiel de nos transactions, etc.
D'un autre côté, se pose le problème social, qui soulève un certain nombre
d'interrogations : qui a accès, et dans quelles conditions, aux services
bancaires ? Qu'entend-on par services bancaires ? Que recouvre cette expression
? Quels sont les domaines traités ? S'agit-il de l'accès aux liquidités, de
l'existence d'un compte, de l'octroi de crédits, ce qui implique un risque pour
la banque car, si le fait de domicilier un compte dans ses écritures et de
permettre à son titulaire de récupérer son argent liquide génère un coût
administratif sans risques, en revanche, ouvrir un crédit et permettre au
titulaire d'un compte de disposer de plus d'argent qu'il n'en a déposé, c'est
prendre un risque une telle opération doit donc avoir un traitement différent
des autres.
Pour que nos délibérations soient bien claires, je voudrais vous rappeler, mes
chers collègues, que les banques françaises ne sont pas calfeutrées dans une
tour d'ivoire, ni entourées comme le village gaulois d'Astérix. Elles se
situent dans un monde totalement ouvert, c'est une évidence.
Donc, lorsqu'on évoque des sujet comme la rémunération des comptes courants ou
la tarification des chèques, il faut s'interroger sur ce qui est de la
responsabilité des banques, qui s'efforcent de rester compétitives, et sur ce
qui est de la responsabilité de l'Etat.
En matière de chèque, par exemple, selon les règles actuellement en vigueur,
la délivrance du chéquier est gratuite - c'est un impératif légal - mais
l'utilisation du chéquier peut être facturée. Elle peut être facturée si une
banque ou si les banques en décident ainsi.
Quel doit être le bon équilibre économique ? Il est assez difficile de le
dire. De mon point de vue et de celui de la commission, il est assez difficile
de s'immiscer dans un tel débat. A l'inverse, lorsqu'il s'agit de s'assurer que
les éléments les plus démunis de la population peuvent disposer du minimum
d'infrastructure bancaire dont chacun a besoin pour vivre et pour assurer la
vie de sa famille, nous nous sentons beaucoup plus concernés ; ce sont des
sujets qui ne sont pas totalement nouveaux pour le législateur.
Dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998,
on a créé un droit au compte. Selon certains de nos collègues, il s'agit
aujourd'hui de préciser, de concrétiser les engagements pris dans cette loi,
qui, je le rappelle, est une loi « transmajorités » puisqu'elle a été préparée
par les uns, qu'elle a été présentée par les autres et qu'elle incluait nombre
de dispositions recueillant l'accord des uns et des autres.
S'agissant des amendements n°s 152 rectifié et 153 rectifié, la commission des
finances a émis ce matin un avis défavorable, sans nier l'intérêt de la
réflexion menée à ce propos et sans sous-estimer les objectifs visés par notre
collègue Michel Charasse.
En fait, nous estimons préférable de traiter le sujet dans un cadre plus
général et nous pourrons dégager une position après que Gérard Larcher, Gérard
Delfau et Paul Loridant nous auront présenté leurs amendements.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 152 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Les amendements que j'ai déposés avec M. Plancade avaient bien entendu pour
objet de susciter ce débat ou cette réflexion à voix haute qui vient d'avoir
lieu.
Nous ne sommes pas favorables, vous l'avez compris, à la tarification bancaire
en ce qui concerne l'utilisation du carnet de chèques, pour parler un langage
clair puisque, comme l'ont rappelé M. le rapporteur et M. le ministre, la
délivrance du carnet de chèques est gratuite... jusqu'au jour où elle sera
payante.
Cela étant, si malgré toutes les précautions prises, malgré les contraintes
que le Gouvernement souhaite imposer aux services bancaires et qui figurent
dans l'amendement n° 625 que nous examinerons tout à l'heure, malgré toutes nos
déclarations et celles de M. Fabius, récemment, qui m'ont fait très plaisir - à
moi et à d'autres, d'ailleurs - si, malgré tout cela, la tarification est
finalement appliquée, alors, une question devra se poser : pourra-t-on, oui ou
non, se passer de la banque ? Aura-t-on le droit de demander le versement de
son salaire ou de sa pension en liquide ? Pourra-t-on percevoir directement ses
allocations familiales à la caisse d'allocations familiales ? Bref, sera-t-on
condamné à passer par l'intermédiaire de la banque ?
Et je ne parle pas des personnes âgées qui détiennent trois ou quatre
malheureuses actions et qui, au titre de l'obligation de dématérialisation des
titres, ont été obligées d'en remettre la gestion à une banque, laquelle leur
prend parfois des droits de garde supérieurs aux dividendes perçus !
Pourra-t-on, comme autrefois, détenir ses actions sous une forme matérielle et
les garder chez soi ou en tout autre lieu à sa convenance ?
Telles sont les questions que je me pose.
Et puis il y a aussi l'obligation légale de payer par chèque pour toute
transaction d'un montant supérieur à 20 000 francs. J'entends bien que c'est
une disposition tendant à permettre le contrôle fiscal, mais faudra-t-il payer
pour pouvoir respecter cette obligation ?
J'étais, voilà peu, en Auvergne, sur un marché aux bestiaux. Les portefeuilles
des marchands de vaches avaient à peu près 15 centimètres d'épaisseur !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Là, il n'y a pas grand-chose de déclaré !
M. Michel Charasse.
Evidemment tous les achats se faisaient en liquide et tout le monde se moquait
bien du plafond des 20 000 balles !
M. Gérard Larcher.
Cela n'arrive qu'en Auvergne !
(Nouveaux sourires.)
M. Michel Charasse.
Ils font comme cela depuis le Moyen Age, personne ne les contrôle, cela se
passe très bien et il n'y a pas jamais eu de vols !
Laurent Fabius connaît d'ailleurs très bien la région dont je parle : il lui
est arrivé de venir y goûter les bons fromages et le saucisson !
(Nouveaux
sourires.)
En tout cas, si l'on n'est pas marchand de vaches, faudra-t-il payer pour
avoir un chéquier et pouvoir ainsi régler ses achats de plus de 20 000 francs
?
Monsieur le ministre, ce que je vais vous dire est une horreur pour un
ministre chargé du budget : à la limite, dans la mesure où c'est la loi qui
impose, c'est en fait l'Etat qui devrait assumer ces frais !
(Nouveaux
sourires.)
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mais bien
sûr...
M. Michel Charasse.
Soyons logiques !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ne déposez pas
d'amendement allant dans ce sens : il serait voté !
M. Michel Charasse.
Il y a tout de même l'article 40 !
A partir du moment où l'on impose à un citoyen une obligation quelconque, si
elle doit se traduire pour lui par le versement d'une somme destinée non à
l'Etat mais à un service privé, on peut se poser la question de savoir si la
puissance publique ne doit pas compenser.
Je n'insiste pas, mais j'espère que, si nous devons finalement avoir la
fameuse tarification, ce que je ne souhaite pas, pas plus que le Gouvernement,
nous pourrons faire évoluer la législation de manière que ceux qui ne voudront
pas payer leurs chèques soient en mesure de se passer de la banque et gérer
leurs sous comme ils l'entendent : paroles d'Auvergnat et de citoyen libre, qui
n'est aux ordres de personne, et surtout pas des banques !
Par conséquent, monsieur le président, je retire mes deux amendements.
M. le président.
Les amendements n°s 152 rectifié et 153 rectifié sont retirés.
J'appelle maintenant l'amendement n° 625 du Gouvernement.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Cet amendement, qui vient d'être
déposé, suppose, à l'évidence, un examen approfondi. Je propose de réserver cet
amendement jusqu'à la reprise de la séance, après le dîner, ce qui permettrait
à la commission des finances de se réunir et de l'étudier comme il convient, eu
égard à la « densité » de cette proposition.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Le Gouvernement
l'accepte.
M. le président.
La réserve est ordonnée.
Je suis maintenant saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 334 est présenté par MM. Gérard Larcher, Hérisson, Trucy, Paul
Girod et Louis Althapé.
L'amendement n° 415 est présenté par MM. Delfau, Baylet, Collin, Mouly et
Pelletier.
Tous deux tendent à insérer, après l'article 8, une division additionnelle
ainsi rédigée : « Chapitre... - Dispositions relatives au service universel
bancaire ».
L'amendement n° 334 est affecté d'un sous-amendement n° 611, présenté par M.
Marini, au nom de la commission des finances, et tendant, dans l'intitulé du
chapitre proposé par l'amendement n° 334 pour insérer une division
additionnelle après l'article 8, à remplacer le mot « universel » par les mots
« de base ».
La parole est à M. Gérard Larcher, pour défendre l'amendement n° 334.
M. Gérard Larcher.
Si vous le permettez, monsieur le président - mais j'ai déjà pu constater
combien votre mansuétude était grande, cet après-midi, puisque nous avons
entendu des avis sur des amendements avant même qu'ils ne soient présentés - je
défendrai d'un même mouvement, outre l'amendement n° 334, les amendements n°s
335 à 340, dont mes collègues MM. Hérisson, Trucy, Paul Girod et Althapé sont
également signataires et auxquels, même s'ils ne les ont pas signés, MM. André
et Pelchat ont bien voulu s'associer.
Avant d'exposer en détail les mesures proposées, il m'apparaît important de
préciser quels sont nos objectifs à travers ces amendements.
Ces sept amendements ont une triple motivation.
Ils visent d'abord à ouvrir devant le Sénat - et c'est réussi - un débat qui
intéresse la vie quotidienne de tous les Français ; on dit qu'on ne débat pas
assez, au Parlement, des problèmes de vie quotidienne ; nous prouvons le
contraire cet après-midi. En l'occurence, il s'agit des chèques payants et,
d'une manière plus générale, des évolutions qui vont amener nos concitoyens à
payer ce qui est aujourd'hui le plus souvent gratuit : leur compte bancaire.
L'euro, l'harmonisation des règles bancaires au sein de l'Union européenne, la
nécessité de doter nos établissements financiers des mêmes armes
concurrentielles que leurs homologues vont en effet conduire à aligner nos
tarifs bancaires sur ce qui se pratique ailleurs dans l'Union, à savoir, d'une
part, la facturation d'un certain nombre de services, dont les chèques, et,
d'autre part, la rémunération des dépôts à vue.
En bref, même si l'on en parle depuis quinze ans, madame le secrétaire d'Etat,
à un terme qui ne me paraît pas lointain, c'en sera fini de l'exception
bancaire française du « ni-ni » : ni facturation des chèques ni rémunération
des dépôts. Cette double interdiction, en dehors de la Grèce, la France est le
seul pays de l'Union européenne à continuer à la pratiquer.
D'ores et déjà, sur le plan juridique, rien n'interdit la facturation des
chèques puisque la seule prohibition réglementaire existante concerne la
rémunération des dépôts à vue.
Le changement de nos habitudes bancaires paraît donc inéluctable aux
cosignataires de ces amendements.
Une telle évolution n'est pas critiquable en tant que telle. On ne peut, à
l'heure de l'euro, imposer un handicap à nos établissements financiers. On ne
doit pas non plus se cacher que, par beaucoup d'aspects, l'actuelle gratuité du
chèque est un leurre puisque, son émission et son traitement ayant un coût, son
prix se trouve en définitive acquitté au travers d'autres services bancaires
payés plus chers que nécessaire.
De ce point de vue, la fin du « ni-ni bancaire » marquera un ajustement des
prix sur les coûts, pouvant aboutir à un nouvel équilibre des relations entre
les banques et leurs clients et à l'emploi accru de moyens de paiement moins
coûteux ; on l'a constaté dans d'autres pays.
Cependant, le compte bancaire a une dimension sociale qui est essentielle à
nos yeux. Sans lui, il est très complexe d'effectuer ou de recevoir des
paiements et, par voie de conséquence, de s'insérer matériellement dans la
société. Ainsi, la difficulté d'accès aux services financiers tend à favoriser
l'exclusion.
Au vu de cette réalité, la question se pose donc de savoir si la fin du «
ni-ni bancaire » peut être acceptée sans correctif.
Face à cette interrogation, plusieurs attitudes politiques sont
envisageables.
On peut décider de ne rien faire et laisser les transformations s'opérer
finalement en catimini. C'est la tentation de beaucoup.
On peut aussi confier à d'autres le soin de résoudre ce problème. C'est ce
que, dans un premier temps, a tenté de faire le Gouvernement en demandant à la
commission Jolivet, composée de représentants des banques et des consommateurs,
de fixer les modalités du droit au compte institué par l'article 137 - que nous
avons voté, par-delà les clivages politiques - de la loi contre l'exclusion.
Mais cette stratégie a échoué puisque la commission Jolivet n'est pas parvenue
à un accord.
On peut encore déclarer son opposition aux chèques payants mais ne rien faire
pour infléchir le processus en cours.
Cette posture, un peu à la Ponce Pilate, j'ai cru la déceler, monsieur le
ministre, dans vos propos de la semaine dernière,...
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous avez tort
!
M. Gérard Larcher.
... lorsque vous avez déclaré votre hostilité aux chèques payants. Mais le
Gouvernement paraissait avoir renoncé à légiférer sur ce sujet.
Je voudrais rappeler aussi à Mme le secrétaire d'Etat, qui m'a répondu par
avance, que des réseaux facturent déjà les chèques. D'ailleurs, quels sont les
textes qui interdisent de rendre les chèques payants ?
On peut enfin considérer que les engagements européens de la France et la
nécessité de moderniser nos structures économiques doivent nous amener à
renoncer à certaines exceptions, mais pas à n'importe quelle condition et, en
tout état de cause, pas sans en débattre publiquement devant le Parlement, afin
que chacun assume la responsabilité de ses choix. Telle est la conviction des
signataires de ces amendements : pas de chèques payants sans débat
parlementaire ! C'est bien le moins !
La seconde motivation de nos sept amendements est de proposer un dispositif
garantissant que la fin de la gratuité du compte bancaire ne s'opère pas au
détriment des plus démunis des Français.
Aujourd'hui, environ 1 600 000 Français vivent avec à peine 2 500 francs,
voire moins, par mois et à peu près autant perçoivent des minima sociaux d'un
montant avoisinant 3 500 francs par mois.
D'aucuns argueront qu'avoir à payer quelques francs pour émettre un chèque
n'est pas une dépense bien lourde et que même les personnes qui ont des revenus
modestes pourront s'en acquitter. Mais les personnes qui expliquent cela sont
rarement ceux qui se trouvent confrontés, au quotidien, avec la grande détresse
sociale.
Pour les associations caritatives que nous avons consultées, telles que le
Secours catholique ou ATD Quart Monde, s'engager dans cette voie reviendrait à
pousser encore davantage hors de la société les couches les plus fragiles de la
population.
D'abord, quand on signe beaucoup de petits chèques - ce que font souvent les
gens en situation précaire -, même à quelques francs le chèque, les additions
finissent par être lourdes.
Ensuite, il faut en avoir conscience, la fin de la gratuité des chèques ne
sera vraisemblablement que le premier pas d'un alignement des tarifs bancaires
français sur ce qui se pratique dans les autres pays européens. Tout ce qui est
gratuit aujourd'hui ne le sera plus nécessairement demain.
M. Paul Loridant.
Là, c'est l'alignement par le haut !
M. Gérard Larcher.
Ainsi, il semblerait que certains réseaux bancaires envisagent d'ores et déjà
de faire payer les dépôts et retraits d'espèces. A terme, on s'orientera
probablement vers un forfait pour un certain nombre de services. Or, si l'on en
croit les évaluations faites par les associations de consommateurs, le montant
de ce forfait ne sera pas négligeable et, sur l'année, il représentera une part
significative d'un mois de revenu minimum d'insertion.
L'enjeu de la sortie du « ni-ni bancaire » au regard de l'exclusion ne doit
pas être sous-évalué.
Enfin, la troisième et dernière - mais non la moindre - des raisons qui ont
motivé d'abord le dépôt d'une proposition de loi, puis celui de ces amendements
découle du souci de préserver l'équilibre du grand opérateur de service public
qu'est La Poste, laquelle a aussi un service financier.
En effet, force est de constater que les guichets financers les plus
accueillants pour les populations les plus fragiles sont ceux de La Poste. En
raison de l'étendue de son réseau, de sa présence sur tout le territoire, y
compris dans les zones sensibles, et de l'esprit de service public qui l'anime,
elle en accueille la plus large part. Le nombre moyen des retraits quotidiens
inférieurs à 40 francs effectués auprès des bureaux de poste de Trappes, dans
les Yvelines, en constitue une parfaite illustration.
Cependant, cet accueil a un coût, qui a été évalué à 1,3 milliard de francs
par an pour l'opérateur public, soit l'équivalent du résultat net qu'il a
dégagé en 1999.
Cette charge, qui résulte notamment de l'utilisation du livret A comme un «
compte portefeuille », ne fait l'objet d'aucune compensation. Il est à craindre
que, si le paiement généralisé des chèques et des comptes courants était
institué, elle ne s'alourdisse très significativement, les populations les plus
vulnérables se trouvant en quelques sorte incitées à recourir, en plus grand
nombre encore, au livret A comme à un « compte portefeuille ».
A un moment où l'avantage relatif que constitue le livret A tend à s'estomper
et où la concurrence sur les métiers postaux traditionnels, notamment le
courrier et le colis, devient de plus en plus forte et de plus en plus
menaçante, une telle perspective ne peut être acceptée comme allant de soi.
Le renforcement de nos établissements de crédit ne doit pas se payer du prix
d'un affaiblissement de notre opérateur public, La Poste, alors même qu'elle
est soumise à un lourd défi stratégique.
Il ne faut pas non plus perdre de vue que, si les banques assurent plus de
quatre cent mille emplois et disposent de quelque vingt-cinq mille guichets sur
le territoire, La Poste, à elle seule, compte plus de trois cent mille salariés
et entretient dix-sept mille points de contact.
Quel est, en conséquence, le dispositif que nous proposons ? Pour le résumer,
il repose sur deux axes centraux : un service universel bancaire visant à
assurer l'insertion financière des plus démunis, d'une part, et, d'autre part,
un fonds de compensation alimenté par les cotisations de tous les acteurs du
service universel - les banques, les réseaux mutualistes, La Poste, le Trésor -
et destiné à répartir équitablement entre eux les charges découlant du service
universel. Il s'agit d'un service assez comparable à celui que nous avions
prévu pour les télécommunications, monsieur Delfau, et qui fonctionne.
Le service universel bancaire proposé est gratuit et ouvert à tous, mais il
est « ciblé » prioritairement - on pourrait en débattre - pour répondre aux
besoins des plus modestes de nos concitoyens. Il englobe donc les prestations
indispensables à leur intégration dans les circuits financiers de la vie
sociale, mais il ne va pas au-delà.
Ainsi, nous proposons d'exclure du champ de ce service universel « les moyens
de paiement à risque » que sont les chèques autres que les chèques de banque,
et notamment, de ne pas favoriser les détournements conduisant à en accroître
le coût. Cela n'empêche pas, bien entendu, que les bénéficiaires du service
universel disposent du quota de chèques gratuits que les banques
s'engageraient, d'après les contacts que nous avons eu, à attribuer à tous
leurs clients. On pourrait résumer l'esprit du dispositif par la formule : «
pas de chèque payant pour les plus démunis, donc maintien de la gratuité du
compte ». Dans le même ordre d'idées bénéficier du service universel
interdirait de prétendre à la rémunération de ses dépôts à vue.
Cependant, ce service universel n'est pas pour autant réduit à presque rien ;
il n'est pas non plus l'expression d'une quelconque nostalgie passéiste. Il ne
comporte pas moins de huit prestations obligatoires, du relevé bancaire à des
moyens de paiement sans risque pour ses utilisateurs et pour les banques.
Je pensais tout à l'heure, en écoutant M. Charasse, que le relevé d'identité
bancaire, le RIB, et le relevé mensuel étaient importants. Il y a aussi les
quotas mensuels de prélèvements directs, les quotas mensuels de chèques de
banque et la carte plafonnée de retrait d'espèces dans les guichets
automatiques.
En outre, le service universel est organisé pour inciter à une modernisation
accrue de nos infrastructures financières en encourageant la généralisation de
la carte de paiement sécurisée à autorisation systématique qui, demain,
remplacera avantageusement les chèques de banque et la carte de retrait.
En d'autres termes, si, en droit, le service universel bancaire est ouvert à
tous pour éviter d'avoir à établir des discriminations complexes et humiliantes
et, parfois, des effets de seuil, en fait, il n'attirera que ceux qui ont peu
de moyens et peu de besoins bancaires.
Pour résumer, le service universel bancaire reposerait en quelque sorte sur le
même mécanisme que les Restaurants du coeur : tout le monde peut s'y rendre et
recevoir de la nourriture s'en avoir à présenter papiers, attestations et
autres documents justifiant d'un droit ; mais tout le monde ne s'y rend pas,
car ceux qui en ont les moyens savent que ce n'est pas prévu spécifiquement
pour eux.
Le financement de ce service universel est assuré par un fonds de compensation
auxquels adhèrent tous ceux qui ont à l'assurer : les établissements de crédit,
La Poste et le Trésor. Le fonds est alimenté par les cotisations de ses
membres, calculées sur la base du montant de leurs dépôts, dans les conditions
fixées par un règlement du comité de la réglementation bancaire et financière,
ce que je préfère à la réglementation ou à une taxe.
Cette partie du dispositif est construite de manière à assurer une
compensation à ceux qui assumeront l'accueil des plus démunis.
Mes chers collègues, pardonnez ce long exposé : j'ai voulu tracer à grands
traits l'esprit et le contenu de ces sept amendements qui, comme vous pouvez le
constater, visent à garantir le respect de préoccupations de clarté politique
dans la défense des plus faibles de nos concitoyens et du plus faible de nos
réseaux financiers.
Il est vrai, madame le secrétaire d'Etat, que nous anticipons, mais cet avenir
est inéluctable, et il est en fait déjà à notre porte.
J'ai lu rapidement la proposition du Gouvernement, dont l'examen sera reporté
après le dîner ; mais, comme j'occuperai alors le fauteuil de la présidence, je
ne pourrai pas m'exprimer. Permettez-moi donc de le faire maintenant.
L'amendement n° 625, déposé par le Gouvernement en première lecture au Sénat,
ne touche pas à la question de la gratuité des prestations de base : il encadre
le paiement des prestations de base, certes, mais n'en exonère pas les plus
démunis. Vous nous avez dit, madame le secrétaire d'Etat, que le temps vous
manquait. Mais cela fait maintenant deux ans que le Gouvernement travaille sur
le sujet ! Le temps est venu de débattre et de trancher.
C'était donc, monsieur le président, monsieur le ministre, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un long exposé sur ce service universel
bancaire que nous souhaitons voir instaurer à l'occasion de ce débat. Il s'agit
bien d'un système de régulation, car il n'est pas de véritable régulation
économique sans dimension sociale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter le sous-amendement n° 611.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'ai cru comprendre que notre collègue M. Gérard Larcher a
d'ores et déjà présenté une séquence d'amendements dont il est l'auteur, en
particulier les amendements n°s 334, 336 et 338.
Monsieur le président, m'autoriseriez-vous à exprimer un avis global sur ces
amendements et, en même temps, à présenter le sous-amendement n° 611 relatif
portant sur l'amendement n° 334, puis le sous-amendement n° 612, portant sur
l'amendement n° 336, et le sous-amendement n° 613, portant sur l'amendement n°
338 ?
M. le président.
Monsieur le rapporteur, par courtoisie pour notre éminent collègue M. Gérard
Delfau, peut-être pourriez-vous présenter d'abord le sous-amendement n° 611 ?
Je donnerai ensuite la parole à M. Delfau pour défendre l'amendement n° 415, et
vous reviendrez enfin sur tous les points que vous souhaitez.
M. Paul Loridant.
Oui ! Sinon, nous n'aurons jamais la parole !
M. le président.
Je ne vous l'ai jamais refusée, monsieur Loridant. Je vous l'ai même accordée
abondamment !
M. Marc Massion.
M. Loridant est bien vu !
(Sourires.)
M. le président.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur, pour présenter le sous-amendement
n° 611.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission est à votre disposition, monsieur le président
!
La proposition de M. Gérard Larcher s'inscrit dans une longue histoire qui
remonte à la loi bancaire de 1984, dont l'article 58 instaurait le droit de
tout citoyen d'avoir un compte bancaire.
En 1992, la charte sur les services bancaires de base a été élaborée sous les
auspices du comité des usagers, avec la participation de l'Association
française des banques. Elle est peu appliquée, et c'est dommage, car elle
aurait sans doute constitué le véhicule idéal pour mettre en place un service
bancaire de base.
Enfin, l'article 137 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les
exclusions introduit la notion de service bancaire de base, mais le décret
d'application n'est jamais paru. Ce n'est pas totalement la faute du
Gouvernement, puisque la commission dite « Jolivet », chargée de la conception
de ce décret, devait d'abord se mettre d'accord sur un texte. Or tel n'a pas
été le cas. On peut en déduire, soit dit en passant, qu'il est risqué de
laisser à une entité extérieure, représentative ou réputée telle, le soin de
faire ce que le législateur avait confié au pouvoir exécutif.
M. Gérard Larcher propose un service bancaire qu'il qualifie d'universel. La
commission des finances s'interroge. Elle rappelle ne pas avoir d'éléments
d'appréciation sur le coût d'un tel service, et elle a tendance à mettre en
garde contre l'impact d'une telle mesure sur la compétitivité du secteur
bancaire. Il lui semble que, tout en respectant les intentions et les objectifs
des auteurs de l'amendement, celui-ci serait mieux « ciblé » si le champ
couvert était limité aux personnes qui en ont vraiment besoin, c'est-à-dire à
celles qui sont exclues du système bancaire ou qui risquent de l'être pour des
raisons économiques et sociales.
La commission considère, et c'est l'objet précis du sous-amendement n° 611,
qu'il vaut mieux parler de « service de base bancaire » et non plus de «
service universel bancaire ». Au demeurant, l'amendement qui sera examiné
aussitôt après l'amendement n° 336 tend à préciser le contenu de ce service. La
commission estime qu'il doit s'agir d'un service de base, du point de vue tant
des opérations que du public concernés.
Tel est l'objet du sous-amendement n° 611, qui, s'il était adopté par le
Sénat, nous permettrait d'émettre un avis favorable sur l'amendement n° 334.
M. le président.
La parole est à M. Delfau, pour présenter l'amendement n° 415.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, je me permettrai de présenter en même temps les
amendements n°s 416 et 417, ce qui nous fera gagner du temps.
La division additionnelle que tendent à insérer après l'article 8 les nombreux
amendements visant à mettre fin à l'exclusion bancaire par la création d'un
service universel gratuit et ouvert à tous permet à la Haute Assemblée
d'aborder le premier vrai grand débat sur un fait de société dont il importe de
mesurer l'ampleur.
Si nous engageons ce débat, c'est, n'en doutons pas, en raison de la pression
de l'opinion publique. Les organisations syndicales, les associations
caritatives, les associations de consommateurs, nombre de personnalités
qualifiées et morales, demandent instamment au Parlement et aux pouvoirs
publics de prendre à bras-le-corps ce problème qui, pour être relativement
récent, n'en voit pas moins ses effets néfastes croître avec une telle rapidité
qu'ils frappent maintenant un nombre considérable de Français ou de
résidents.
Je relève au passage que l'Assemblée nationale a pris soin d'éviter ce débat.
C'est donc tout à l'honneur du Sénat de le lancer et à l'honneur du
Gouvernement d'y contribuer.
Je voudrais d'abord que l'on mesure bien l'ampleur du phénomène. D'après
l'Association française des banques - elle porte maintenant un autre nom -
qu'évidemment, comme tout parlementaire, je reçois et avec laquelle je
m'entretiens, car elle est représentative, le taux de bancarisation de la
France serait de 98 %.
C'est un chiffre rassurant, mais que recouvre-t-il ? Les interdits bancaires,
par exemple, y sont-ils inclus ?
Lisant un article de presse - qui eut un grand retentissement durant l'été
1999 - dans lequel s'exprimait une voix aussi autorisée que celle de Daniel
Lebegue, actuel directeur général de la Caisse des dépôts et consignations et
ancien dirigeant d'une très grande banque française, j'ai découvert que
celui-ci évaluait à cinq ou six millions le nombre de Français qui seraient
exclus du système bancaire.
Il suffit, comme il arrive à chacun d'entre nous de le faire, de se rendre
dans un village un peu reculé, dans un quartier sensible ou, tout simplement,
de parler avec le receveur d'un bureau de poste pour s'apercevoir - ce que,
d'ailleurs, la télévision nous a montré - que le livret A est désormais le
compte de dépôt et le moyen de retrait pour un nombre de plus en plus
considérable d'usagers.
Une telle situation est à la fois indigne d'un pays développé comme la France
et économiquement très préjudiciable. Elle fait déjà l'objet de l'attention des
instances européennes puisque, je le rappelle, la présidence finlandaise, au
cours du second semestre de 1999, avait jugé nécessaire d'examiner ce sujet et
avait interrogé chaque pays membre sur ce point.
Toujours dans la presse, je découvre que le gouvernement de Tony Blair,
s'inquiétant de l'exclusion bancaire, a chargé il y a trois ou quatre mois la
banque britannique de relever ce défi, mais - et le « mais » n'est pas sans
importance - moyennant une compensation financière.
Le sujet est donc devenu un sujet national, un sujet européen ; et un pays
qui, jusqu'à présent, n'a pas vraiment donné l'exemple d'une grande efficacité
ni d'un grand souci du service public s'est déjà engagé dans la voie de la
solution.
Evidemment, nous avons voté des textes ; j'ai moi-même, comme d'autres sur ces
travées, participé en 1984 au débat sur la loi bancaire et j'ai cru, en votant
son article 58 - M. le rapporteur le rappelait à l'instant -, que le problème
serait résolu et ne se reposerait plus. J'ai suivi avec intérêt ce que l'on
appelle communément la charte bancaire. J'ai participé au vote de l'article 137
de la loi de 1998 et j'ai attendu ce décret d'application qui n'est pas encore
publié et que l'on nous annonce comme imminent.
Je m'inquiète, moi aussi, de l'arrivée de l'euro, de l'exacerbation, dès
maintenant, de la concurrence entre les banques, de l'effet négatif sur
l'entreprise publique qu'est La Poste et sur l'équilibre de ses comptes de ce
reflux de clients refusés par le système bancaire traditionnel.
Tel est donc le contexte dans lequel nous abordons ce débat.
Divers amendements ont été déposés, notamment celui de nos collègues MM.
Gérard Larcher et Pierre Hérisson, tendant à instaurer un service universel
bancaire ouvert à tous et gratuit. Il s'agit de la reprise d'une proposition de
loi. Pour ce qui me concerne, j'avais, avec d'autres collègues, aussi déposé,
voilà quelques mois, une proposition de loi en ce sens. Sur le principe d'une
telle mesure, nous sommes donc tous d'accord. En revanche, il faut revenir à ma
question, à laquelle notre collègue M. Gérard Larcher n'a pas vraiment répondu
: Comment ce service sera-t-il financé ? J'ai bien écouté notre collègue M.
Gérard Larcher. Il a laissé entendre qu'il donnait un accord tacite à la
tarification des chèques. Il en prend la responsabilité. Pour ma part, je ne la
prendrai pas, et je constate que le Gouvernement ne le suit pas dans cette
voie. Il a évoqué aussi un fonds de compensation. Pourquoi pas ?
Ce fonds serait financé par des cotisations des divers acteurs du système
financier et bancaire. Là aussi, je m'interroge. Quelle sera la quote-part de
chacun ? Sur quels critères sera-t-il réparti ? Et, surtout, qui contrôlera
l'effectivité du droit au compte bancaire et aux moyens de paiement pour tout
citoyen ? Ce n'est ni la Banque de France, ni les tribunaux, ni les gardes
mobiles qui le feront appliquer. Enfin, le dernier risque et non des moindres
réside dans la surfacturation des autres services amenant, par ricochet, les
clients les plus pauvres à payer pour les plus fortunés. Voilà où nous en
sommes.
J'ajouterai un autre élément qui, je le sais, touchera l'ensemble du Sénat.
Nous parlons des personnes exclues du système bancaire. Il faudrait y ajouter
les territoires exclus du maillage des établissements bancaires traditionnels.
Combien de cantons, qui connaissent une baisse démographique, notamment dans le
centre de la France, combien de villages, combien de quartiers urbains que l'on
appelle difficiles n'ont pas eu, n'ont plus ou n'auront jamais, dans le système
actuel, un guichet de banque pour reprendre volontairement la terminologie
traditionnelle ? Sont-ils moins français ? Sont-ils voués à moins de vie
sociale et à une moindre efficacité économique ? Sont-ils condamnés à n'être
que des ghettos ?
Je voudrais donc que, dans ce débat, soit inclu aussi le maillage du
territoire national par l'ensemble du système financier. En effet, si nous ne
le faisons pas, nous n'accomplissons pas notre travail de parlementaires et,
j'ose le dire, particulièrement de membres du Sénat. Voilà où en est ma
réflexion.
J'ai bien entendu le Gouvernement, notamment Mme la scrétaire d'Etat. J'ai
compris le contenu implicite de l'amendement n° 625 présenté par le
Gouvernement. Je suis prêt à reconnaître que ce texte, dont nous discuterons ce
soir, contient des avancées considérables. En effet, aligner les pratiques
bancaires sur le droit à la consommation, c'est un réel progrès. Il fallait
avoir le courage de proposer cette disposition et de la faire voter par le
Parlement. Toutefois, je reste, pour l'instant, dubitatif. En effet, si la
proposition visant à instaurer un service universel bancaire ouvert à tous, que
j'ai moi-même soutenue et que je pourrais soutenir encore, me séduit, je suis
conscient des difficultés d'application qu'elle pose. C'est pourquoi je veux
revenir à l'essentiel, au plus urgent : mettre fin à l'exclusion bancaire de
quelques millions de citoyens.
Et, pour aller droit au but : quel sera le contenu du décret ; sortira-t-on de
la pétition de principe, donnera-t-on effectivité à ce droit au compte et aux
moyens de paiement pour l'ensemble des Français ? Qui financera ? Qui
contrôlera ? Qu'est-ce qui fera que les établissements qui s'en dispenseront
seront pénalisés ? Comment évitera-t-on que La Poste fasse, et une fois de
plus, par souci du service public, par tradition, par culture, par devoir et
par esprit de responsabilité, les frais d'une telle avancée, si avancée il y
a.
Aussi, avant de me déterminer, je demande solennellement à M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie ainsi qu'à Mme la secrétaire d'Etat
de nous dire comment prochainement -- puisque, dit-on, un décret sera bientôt
publié pour permettre de concrétiser cet article 137 - nous allons pouvoir
avancer dans ce domaine.
Je ne suis pas l'homme du tout ou rien. Je sais par mon expérience, déjà
ancienne, de parlementaire et par mon expérience, plus ancienne encore, de
maire qu'il faut parfois procéder par petits pas. Encore faut-il qu'un signal
soit donné, non pas aux banques, mais à tous ceux que préoccupe le problème de
l'exclusion bancaire, et je souhaite beaucoup, monsieur le ministre, que ce
soit le moment.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
J'ai déjà fait part des réactions de la commission sur
l'amendement n° 334 visant à instaurer un « service universel bancaire ». Nous
avons présenté le sous-amendement n° 611 pour substituer à cette expression la
notion de « service de base bancaire ».
S'agissant de l'amendement n° 336, la commission a bien noté que la liste des
prestations comprises dans le service de base bancaire est essentiellement
composée des opérations d'ouverture de comptes et d'accès aux liquidités sur
ces comptes.
Cette définition du service de base n'appelle pas de réserve de notre part.
Cependant, notre sous-amendement n° 612 vient préciser le champ d'application,
dans l'esprit de ce que j'annonçais tout à l'heure. Nous pensons qu'il faut
s'adresser aux publics les plus fragilisés, c'est-à-dire aux titulaires des
actuels minima sociaux : revenu minimum d'insertion, allocation de solidarité
spécifique minimum vieillesse et, allocation pour adulte handicapé.
Je précise que, dans l'esprit de la majorité de la commission des finances, la
référence au revenu minimum d'insertion et à l'allocation de solidarité
spécifique s'entend dans le cadre de la proposition de loi que nous avons
déposée voilà quelques mois pour transformer ces allocations d'assistance en «
revenu minimum d'activité ». Il ne s'agit donc pas, dans notre esprit, de créer
une trappe à pauvreté supplémentaire, de créer un frein supplémentaire à la
reprise du travail et de l'activité. C'est donc en ayant à l'esprit notre
conception d'activation des dépenses d'assistance que nous formulons cette
proposition destinée aux publics les plus fragilisés. Tel est l'objet de notre
sous-amendement n° 612.
En ce qui concerne l'amendement n° 336, la commission émet un avis favorable,
sous réserve de l'adoption de son sous-amendement n° 612.
S'agissant de l'amendement n° 338, la commission émet, là encore, un avis
favorable, sous réserve de l'adoption de son sous-amendement n° 613.
J'en viens aux amendements déposés par nos collègues MM. Delfau, Baylet,
Collin, Mouly et Pelletier. Si ces amendements ont un tronc commun avec les
amendements de M. Gérard Larcher, ils comportent une liste d'opérations quelque
peu différente. En effet, parmi ces opéations figurent des prêts dits à faible
montant à vocation sociale, selon des conditions fixées par décret en Conseil
d'Etat, ainsi que des prêts d'honneur sans intérêt pour tout créateur
d'entreprise dont le dossier sera déclaré éligible par une commission
décentralisée, selon les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, ainsi
qu'aux entreprises de moins de cinquante salariés qui veulent investir pour
leur développement. Il s'agit, selon nous, d'une ouverture beaucoup plus grande
à des opérations à risques. Cela nous paraît sortir de la vocation d'un service
de base.
Par ailleurs, M. Delfau et ses collègues font reposer le financement sur la
Caisse des dépôts et consignations. Cela représenterait une charge indue pour
cet établissement au moment même où l'on veut, à juste titre, madame le
secrétaire d'Etat, adapter ses structures pour qu'il puisse, sans renier son
statut, prendre réellement sa place dans la compétition.
En résumé, les différents amendements déposés par M. Gérard Delfau et ses
collègues appellent, pour les raisons que j'ai indiquées, des avis défavorables
de la part de la comission.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 334, le sous-amendement n°
611 et l'amendement n° 415 ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Avant de donner l'avis du Gouvernement, je ferai
quelques remarques aux auteurs de ces propositions.
Monsieur Larcher, si on examine bien votre proposition, on constate qu'elle
engendre deux conséquences négatives importantes.
La première : en prévoyant la gratuité d'un certain nombre de prestations
limitativement énumérées, cette disposition risque - et c'est son paradoxe -
d'avaliser la facturation des autres prestations et tout particulièrement des
chèques payants. Or le Gouvernement a indiqué - et je crois que c'est avec
courage, qu'il l'a fait, contrairement à ce que vous avez indiqué tout à
l'heure - qu'il n'était pas favorable au chèque payant, non pas dans le cadre
d'une sorte de jeu avec le monde bancaire car il connaît le coût effectif du
traitement de certaines opérations, mais parce que les populations les plus
défavorisées, qui sont aussi celles qui font le moins d'opérations, utilisent,
elles, le chèque : autoriser les chèques payants, c'est permettre la
facturation des services auxquels ces personnes ont recours.
Certes, monsieur Larcher, vous présentez d'autres amendements, mais une
deuxième conséquence nous incite à ne pas vous suivre : en instaurant un fonds,
vous instaurez en fait aussi une taxe parafiscale.
(M. Larcher s'exclame.)
Il faudra bien un financement : le fonds ne fonctionnera pas sans que qui
que ce soit ne verse quoi que ce soit !
Il me semble, si j'ai bien compris votre proposition - et je crois l'avoir
comprise - qu'il y a donc un fonds, qui est certes réparti en fonction du
caractère plus ou moins favorisé des différents opérateurs ; mais il bien
évident que c'est le consommateur,
in fine,
qui financera ce fonds. En
effet, je ne vois pas comment les établissements qui auront à verser cette
contribution - ne l'appelons pas « taxe parafiscale », si vous le voulez - ne
la répercuteraient pas sur les prix. En fait, la disposition que vous proposez
engendrera une augmentation du prix de l'ensemble des services bancaires or,
comme vous faites un service bancaire gratuit universel, qui paiera
in
fine
? Les consommateurs qui n'entreront pas dans votre épure. C'est par
conséquent un jeu dangereux à la fois pour les chèques et pour le service
lui-même, dans la mesure où les consommateurs ne souhaitent pas que les
services bancaires « flambent », si vous me permettez cette expression.
Monsieur Delfau, vous dites à juste raison que le décret d'application que
vous attendiez n'a pas été publié. Je peux néanmoins vous assurer que les
choses vont évoluer rapidement. Nous avons voulu - M. le rapporteur le
rappelait tout à l'heure - que, dans l'esprit de la charte bancaire, dans
l'esprit de l'engagement des contrôles de qualité, dans l'esprit de tout ce qui
a pu être négocié, y compris au Conseil national du crédit et du titre,
s'engage une véritable négociation entre les partenaires bancaires et les
associations de consommateurs, afin de pouvoir « décortiquer » aussi finement
que possible la tarification actuelle des services bancaires et ce qu'elle
pourrait être dans l'avenir et voir quel système pourrait permettre à nos
concitoyens les plus démunis de payer le moins possible, voire rien du tout.
Cette négociation a abouti à des positions que vous connaissez aussi bien que
moi : d'une part, celle de M. Gérard Larcher, qui prévoit un certain nombre
d'engagements par rapport aux chèques payants ; d'autre part, celle des
défenseurs d'un service de base bancaire plus restreint.
La négociation n'ayant pas permis de déterminer un service qui nous convienne
complètement, nous allons maintenant publier un décret, lequel doit comprendre,
nous semble-t-il, divers éléments : l'ouverture et la tenue des comptes de
dépôt, la délivrance, à la demande de l'usager, d'un relevé d'identité bancaire
ou postal - comme Michel Charasse l'a dit, c'est extrêmement important -,
l'envoi mensuel au moins d'un relevé des opérations, ce qui permet à la
personne de bien suivre son compte, la réalisation des opérations de caisse,
les dépôts et retraits d'espèces aux guichets de l'organisme teneur de compte,
l'encaissement de chèques ou de virements bancaires ou postaux, la mise à
disposition d'une carte permettant des retraits d'espèces dans les
distributeurs automatiques de billets de l'organisme teneur de compte - vous
avez raison, monsieur le sénateur, l'organisme teneur de compte n'est peut-être
pas à proximité immédiate du domicile, et il faut donc prévoir cette carte de
retrait dans les distributeurs automatiques - et la mise à disposition d'une
carte de crédit à demande d'autorisation systématique, si l'organisme teneur de
compte est en mesure de la délivrer. En effet, lors des débats intervenus dans
cette enceinte sur le surendettement - je me souviens en particulier des
interventions de Paul Loridant et d'Odette Terrade -, il a été demandé que,
dans les situations les plus difficiles, même si elles sont temporaires, le
surendettement soit évité et que les organismes bancaires - cela a d'ailleurs
été demandé collectivement - soient responsabilisés dans ces dossiers du
surendettement. Si la mise à disposition d'une carte n'est pas soumise aux
règles que je viens d'énoncer, qui sera responsable d'un éventuel
surendettement ? Par conséquent, nous répondons à votre souci concernant la
responsabilité du surendettement.
La mise à disposition de cette carte de crédit ne doit bien évidemment pas
exclure le paiement par prélèvement au moyen d'un titre interbancaire de
paiement - Michel Charasse rappelait tout à l'heure les obligations pour les
sommes de plus de 20 000 francs ; là, nous ne sommes pas dans cette épure, car
il s'agit du règlement des frais liés à la vie quotidienne - ainsi que par
virement bancaire ou postal - il faut au moins deux possibilités de virements,
car nous n'habitons pas tous à proximité du fournisseur d'eau ou d'électricité
-, la délivrance à la demande de deux chèques de banque par mois - c'est
important pour les raisons que j'ai déjà indiquées -, des moyens de
consultation à distance du solde du compte - il n'y a pas de raison d'exclure
de cette technologie, qui permet de savoir en temps et en heure où l'on en est
exactement de son compte, les personnes rencontrant des difficultés - et, bien
sûr, la possibilité d'effectuer un changement d'adresse.
Ce décret devrait donc être publié dans les semaines qui viennent, après avoir
bien évidemment été soumis au Conseil d'Etat. Ce doit être un acte fort de la
prise en compte des personnes connaissant le plus de difficultés.
A côté de celles-là, on trouve également des personnes dont la situation est
certes moins difficile, mais qui peuvent avoir des problèmes personnels, y
compris de lecture des services proposés par la banque. Ici même, lors du débat
sur le texte relatif à la lute contre le surendettement, vous aviez été
nombreux, sur toutes les travées, à attirer l'attention du Gouvernement sur le
fait que les services bancaires sont souvent « achetés », alors même que
l'usager n'en a pas besoin : je pense notamment aux cartes qui permettent de
voyager, et qui ne sont d'aucune utilité quand leur détenteur ne voyage pas,
ainsi qu'aux cartes à débit différé, qui ne servent pas à leur détenteur si ce
dernier a décidé de gérer son compte au jour le jour !
Le Gouvernement pense donc lier, d'une part, le traitement des cas des
personnes les plus en difficulté, dont il doit se préoccuper au premier chef -
et cela relève non pas de la relation système bancaire-clients mais de la
responsabilité du Gouvernement - en faisant aboutir le droit au compte et,
d'autre part, l'ouverture de l'ensemble des banques à une forme de bonne
négociation permanente avec l'ensemble de leurs usagers, ce qui passe par le
code de la consommation et les propositions que nous avons déposées tout à
l'heure.
Monsieur le président, compte tenu du fait que ces propositions n'ont pas
encore pu être examinées par la commission des finances, il serait à mon avis
sage de réserver le vote sur les divers amendements qui concernent le même
sujet. C'est en tout cas la demande que formule le Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de réserve ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Monsieur le président, nous devons à mon avis savoir gré à
Mme le secrétaire d'Etat de son exposé sur la place de la banque dans la
société contemporaine et sur la préparation d'un décret à venir, toutes choses
qui nous documentent très utilement.
Néanmoins, je n'ai pas entendu l'avis du Gouvernement sur les amendements et
le sous-amendement présentés, alors que cet avis serait utile au Sénat pour se
former un jugement. Madame le secrétaire d'Etat, êtes-vous favorable ou
défavorable au service de base bancaire pour les plus démunis ? C'est la
question qui vous est posée, et il vous faut y répondre !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement, compte tenu des propositions qu'il a
faites et des propos que j'ai tenus sur le décret relatif au droit au compte,
souhaite le retrait ou, à défaut, le rejet des amendements. Le financement du
service tel qu'il est proposé - et vous avez excellemment défini cela tout à
l'heure, monsieur le rapporteur général - n'est en effet pas assuré !
M. le président.
Quel est, en définitive, l'avis de la commission sur la demande de réserve
formulée par le Gouvernement ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Avis défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la demande de réserve des amendements n°s 334 et 415 et du
sous-amendement n°s 611.
(La réserve n'est pas ordonnée.)
M. le président.
Je vais donc mettre aux voix le sous-amendement n° 611.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Notre discussion porte, en fait, sur divers articles. Or il y avait une
discussion commune sur les amendements n°s 336, 417, 448 rectifié, 418
rectifié, 450 rectifié et 421. M. Delfau a présenté les amendements n°s 418
rectifié et 421 ; quant à M. Gérard Larcher, il a défendu l'amendement n° 336.
Pour ma part, j'ai déposé des amendements qui sont des cousins germains,
parfois des frères, de ceux de MM. Delfau ou Gérard Larcher, et qui n'ont pas
été présentés alors même que les avis ont en partie été donnés.
Je souhaite donc pouvoir maintenant présenter conjointement les amendements
n°s 448 rectifié et 450 rectifié, qui font partie de la discussion de fond
commune sur les services bancaires de base.
M. le président.
Monsieur Loridant, nous ne pouvons procéder de la sorte, sous peine de
bouleverser trop la discussion, qui n'est déjà pas simple. C'est uniquement
pour gagner du temps que M. Gérard Larcher, défendant son amendement n° 336,
qui était appelé en premier, s'est également exprimé sur ses autres
amendements.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Je suis très embarrassé par le déroulement de cette discussion, monsieur le
président.
En effet, le Gouvernement nous a fourni des éléments nouveaux importants, mais
nous n'avons pas eu le temps de les examiner et la commission n'a pas pu s'en
saisir.
Par ailleurs - je le dis à M. le rapporteur - le sous-amendement n° 611
bouleverse totalement la philosophie de l'amendement n° 334 de nos collègues
Gérard Larcher et Pierre Hérisson, ou alors je ne comprends rien et je ne sais
ni lire ni entendre.
J'ai distingué, depuis le début de cette discussion, le service universel
bancaire gratuit et ouvert à tous d'un service restreint de compte sécurisé,
que j'appelle « service bancaire de base ». Or, tout d'un coup, on nous demande
d'approuver les deux dispositifs à la fois. Je dis que ce n'est pas digne du
Sénat, et je ne me prononcerai pas, parce que je n'ai pas le moyen de savoir
sur quoi je me prononce.
M. Gérard Larcher.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Je voudrais d'abord remercier la commission des finances, son rapporteur et
son président de la manière dont ils ont abordé l'examen des amendements que
nous avons déposés. Ces propositions d'amendement ont fait l'objet d'une
discussion approfondie en commission et ici même en séance publique, discussion
qui était nécessaire.
Le sous-amendement n° 611 que, naturellement, je voterai est d'une philosophie
différente de celle qui inspire le service universel. Mais ce qui compte, c'est
le résultat. Le résultat, c'est que plus de trois millions de nos concitoyens
vont bénéficier d'un service.
Madame la secrétaire d'Etat, qu'est-ce que poser un acte fort ? Entre un
décret et l'introduction dans la loi, l'acte fort est celui que nous allons
faire maintenant en direction de ces populations. L'annonce du décret me
réjouit parce que, vous le savez, nous l'attendions depuis des mois. Mais
l'introduction dans la loi a une autre signification et une autre force.
Voilà pourquoi, pour ne pas prolonger davantage nos débats, monsieur le
président, je renverrai M. Delfau à mon texte pour l'explication du fonds de
compensation. Mme la secrétaire d'Etat a compris que ce n'était pas fiscal,
mais que c'était comparable au fonds des télécommunications, que je connais
assez bien pour en avoir débattu ici.
Voilà pourquoi, sur l'ensemble du texte, je suivrai la commission des
finances, même si j'aurais souhaité le service universel.
Moi aussi, je crains l'effet de seuil, que le décret n'évite pas au demeurant.
C'est la raison pour laquelle, si j'accepte l'idée d'un revenu minimum
d'activité, je considère que nous devons revoir toute la philosophie de
l'insertion. Mais c'est un autre sujet que celui dont nous débattons cet
après-midi, et c'est pourquoi je me range, pour l'heure, à l'approche de la
commission des finances.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 611, repoussé par le Gouvernement.
M. Paul Loridant.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
M. Marc Massion.
Et le groupe socialiste refuse de participer au vote.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 334, accepté par la
commission et repoussé par le Gouvernement.
M. Paul Loridant.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
M. Marc Massion.
Et le groupe socialiste refuse de participer au vote.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le
projet de loi, après l'article 8, et l'amendement n° 415 n'a plus d'objet.
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