SEANCE DU 17 AVRIL 2001
M. Jean-Pierre Raffarin.
Où est le ministre de l'intérieur ?
M. Louis Moinard.
A l'extérieur !
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est une manoeuvre subalterne !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le 3 avril dernier, l'Assemblée nationale a
confirmé en nouvelle lecture son vote initial du 20 décembre 2000...
M. Hilaire Flandre.
Sans surprise !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... et a rétabli le texte de la
proposition de loi organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale qu'elle avait déjà adopté.
Je ne reviendrai pas sur les nombreuses interventions qui été prononcées en
première lecture au Sénat.
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est dommage !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je voudrais simplement rappeler
les principaux éléments qui, aux yeux du Gouvernement, doivent conduire à
l'adoption de cette proposition de loi.
Quelle est la justification de ce texte ?
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il n'y en a aucune !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
La proposition de loi organique
est fondée, monsieur Raffarin, sur un principe clair : l'élection
présidentielle est, depuis la réforme de 1962, l'acte politique essentiel. Elle
est ressentie comme telle par les Français, ainsi que le montre d'ailleurs
l'examen comparé des taux de participation aux différentes élections : c'est à
cette occasion que nos compatriotes s'expriment le plus largement.
Les circonstances que vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, ont
conduit à un calendrier étrange et inédit, où l'élection présidentielle serait
précédée de quelques semaines par l'élection de l'Assemblée nationale.
Cette conjoncture ne sera d'ailleurs pas propre à 2002. En effet,
l'instauration du mandat de cinq ans pour l'élection du Président de la
République crée les conditions d'une situation où le calendrier de 2002
pourrait se reproduire à chaque échéance, en 2007, en 2012 et au-delà.
Cette situation comporte de graves inconvénients, du point de vue tant
institutionnel que technique.
Tout d'abord, la clarté du choix des Français conduit à ce que ceux-ci élisent
un Président et, par cette élection, choisissent les grandes options du
quinquennat qui doit suivre, sans que les élections législatives servent, par
accident, de primaires à l'élection présidentielle, puisqu'elles sont
organisées dans le cadre de 577 circonscriptions.
Par ailleurs, la clarté du choix des Français peut-elle supporter la
désignation d'un Premier ministre et la formation d'un gouvernement au mois
d'avril, quelques jours avant l'élection présidentielle ? Quelle validité
aurait le programme de ce gouvernement réduit à expédier les affaires courantes
dans l'attente du résultat de l'élection présidentielle ?
M. Hilaire Flandre.
Il serait en vacances !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
La logique de nos institutions
consiste donc à permettre aux Français d'effectuer un choix politique logique
et clair, et non à maintenir leur expression dans un calendrier générateur de
confusion.
C'est ce qu'ont compris les promoteurs de la proposition de loi organique,
qui, je le rappelle, sont des personnalités connaissant bien la pratique de nos
institutions au plus haut niveau et appartenant à des formations politiques
diverses.
Ce n'est pas pour autant une vision présidentialiste de nos institutions qu'il
s'agit de promouvoir.
M. Hilaire Flandre.
Ah !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Le Gouvernement est, pour sa
part, très attaché au respect des prérogatives du Parlement, et il en a fait la
démonstration depuis le début de cette législature.
(Exclamations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Henri de Richemont.
L'urgence appelle l'urgence !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Une seule règle : l'urgence !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
L'initiative parlementaire,
mesdames, messieurs les sénateurs, n'a jamais été aussi forte, sous la Ve
République, qu'au cours de ces dernières années ; les textes législatifs, pour
un tiers d'entre eux, sont d'origine parlementaire, et quand ils sont d'origine
gouvernementale, le droit d'amendement s'exerce pleinement,...
M. Jean-Pierre Raffarin.
Heureusement !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... ce qui est la règle
constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Merci !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je rappellerai également que le
Gouvernement n'a jamais recouru aux dispositions de l'article 49, alinéa 3, de
la Constitution pour imposer ses vues à l'Assemblée nationale. Cette lecture
parlementaire de la Constitution ne conduit cependant pas à négliger une
réalité, celle de la logique de nos institutions, qui impose de restituer au
calendrier électoral une cohérence que les circonstances lui ont fait
perdre.
Outre la question de l'équilibre et de la logique institutionnelle, il faut
souligner que, si l'ordre rationnel du calendrier électoral n'était pas
rétabli, les difficultés techniques du calendrier actuel, soulignées d'ailleurs
par le Conseil constitutionnel,...
M. Henri de Richemont.
Jospin disait le contraire !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... seraient, en ce qui
concerne l'organisation de l'élection présidentielle, pérennisées et aggravées,
comme le Gouvernement l'a démontré en premièrelecture.
La solution à ces difficultés existe, puisque la proposition de loi organique
votée par l'Assemblée nationale ouvre la possibilité de résoudre le problème
posé par un calendrier électoral qui n'est pas viable.
Ce texte prévoit, dans la rédaction issue de l'amendement déposé par M.
Blessig, député du groupe UDF, et votée en première lecture par l'Assemblée
nationale, de fixer la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale
au troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection.
Cette formulation permet de séparer les opérations électorales des deux
scrutins présidentiel et législatif, tout en respectant les impératifs de
clarté politique qui veulent que, dans une telle configuration, les candidats
aux élections législatives connaissent, au moment du dépôt des candidatures, le
résultat de l'élection présidentielle.
Cette rédaction présente donc l'avantage de permettre que les dépôts de
candidatures aux élections législatives s'effectuent non seulement après que
seront connus les résultats officieux de l'élection présidentielle, mais
également après la proclamation officielle du résultat par le Conseil
constitutionnel. Elle offre donc, sur ce plan, toutes les garanties.
J'ajoute qu'il ne saurait être fait reproche à l'Assemblée nationale de
reculer excessivement la date d'expiration de ses pouvoirs, puisque l'assemblée
actuelle a été élue les 25 mai et 1er juin 1997 et que ses pouvoirs
expireraient le 18 juin 2002 : il s'agirait donc d'une législature complète de
cinq ans, de juin 1997 à juin 2002.
M. Hilaire Flandre.
Cinq ans et trois semaines !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Nul ne sait bien sûr ce qui ce
passera en 2002 lors de ces élections.
M. Gérard César.
Eh oui !
M. Serge Vinçon.
Vous serez battus !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je voudrais reprendre ici les
propos qu'a tenus M. Arthuis devant cette assemblée : « Seules comptent
aujourd'hui la préservation, la consolidation même de nos institutions - le
reste n'est qu'illusion. »
M. Jean Chérioux.
Quel noble projet de votre part !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Cette appréciation, qui a été
développée au Sénat mais qui n'a pas été retenue lors de la première lecture,
est également celle du Gouvernement.
En première lecture, le Sénat a souhaité compléter cette proposition de loi
organique par différentes dispositions qui, comme le président Jacques Larché
vient de l'indiquer dans son rappel au règlement, modifiaient sa nature même et
en faisaient un texte relatif au Sénat.
A cet égard, je voudrais simplement formuler quelques observations.
Tout d'abord, le recours à l'article 46 de la Constitution ne fait pas
obstacle à l'article 45 de celle-ci, c'est-à-dire à la prérogative qu'a le
Gouvernement de faire jouer la procédure de la commission mixte paritaire. Je
l'avais rappelé à l'occasion des débats.
Par ailleurs, les dispositions que le Sénat a adoptées en première lecture
sont incontestablement des « cavaliers » législatifs qui ne concernent pas
directement la proposition de loi en question. Si l'on suivait le raisonnement
qui a été présenté à cette occasion, le Sénat pourrait ainsi, en introduisant
des dispositions qui le concerneraient, paralyser l'adoption de toute
proposition organique et empêcher l'Assemblée nationale d'avoir le dernier mot.
Ce serait là, en quelque sorte, l'exercice d'un droit de veto sur tout texte
organique. Je ne crois pas que le constituant ait voulu, dans ce domaine, aller
en ce sens.
M. Jacques Larché nous a dit que l'on ne pouvait avoir, à ce stade de la
procédure, un avis sur cette question, puisque le Conseil constitutionnel ne
sera saisi - s'il l'est - qu'
a posteriori.
MM. Jacques Larché,
président de la commission des lois
et
Guy Cabanel.
Il le sera !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Dans le cours de la procédure,
aucun avis ne peut donc être donné sur la qualification de loi organique
relative au Sénat.
Faut-il alors se reporter à la doctrine ? De ce point de vue, je vous invite,
mesdames, messieurs les sénateurs, à consulter un excellent article intitulé :
« Le Conseil constitutionnel, organe du pouvoir d'Etat ». L'auteur de cet
excellent article rejette justement « l'idée que serait une loi organique
relative au Sénat toute loi qui concernerait entre autres sujets le Sénat ou
les sénateurs, donc par exemple la loi relative aux incompatibilités
parlementaires ». Il ne s'agit ici, de ma part, que d'une citation.
Cet excellent auteur...
M. Jean-Pierre Raffarin.
Lequel ?
M. Jean Chérioux.
Des noms !
(Sourires.)
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... poursuit ainsi son
raisonnement : « Toute loi - organique, bien sûr - concernant le Sénat nous
paraît donc devoir être soumise à l'interrogation suivante : le projet
modifie-t-il la situation actuelle d'une assemblée par rapport à l'autre ?
Etablit-il des prérogatives ou une organisation particulière pour l'une ou
l'autre des deux assemblées ? Alors, elle doit être considérée comme relative
au Sénat ».
Avouez, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne sommes pas dans un tel
cas. Le texte que nous examinons aujourd'hui ne prévoit en effet ni
dispositions ni prérogatives particulières relatives au Sénat, puisque, si
l'Assemblée nationale avait retenu les dispositions introduites par le Sénat,
il se serait agi d'une proposition de loi organique relative à l'ensemble du
Parlement.
C'est d'ailleurs l'interprétation qui a été retenue par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 11 juillet 1985, quand il estimait que
l'augmentation du nombre des députés, qui minorait le poids du Sénat au
Congrès, ne pouvait être considérée comme une disposition relative au Sénat,
dans la mesure où elle ne privait d'aucun droit ou prérogative les sénateurs en
tant que tels.
Quant à l'identité de l'excellent auteur que j'évoquais, je puis maintenant
vous indiquer que cet article, paru en 1972 dans
L'Actualité juridique,
était signé par M. Jacques Larché, professeur associé de droit public à
l'université de Paris - Val-de-Marne.
(Sourires.)
M. Henri de Raincourt.
Ah !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Démonstration est donc faite
par la doctrine, monsieur Larché, que nous ne pouvons, en l'occurrence, retenir
la qualification de « texte relatif au Sénat ».
M. Henri de Raincourt.
Il a bien appris son cours !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vous devriez lire les écrits de M. Jacques Larché plus souvent !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Puis-je vous interrompre, monsieur
le ministre ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je vous en prie, monsieur
Larché.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le
ministre.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je vous remercie, monsieur le
ministre, de m'avoir si abondamment cité et d'avoir,
in fine,
rappelé
que cet article datait de 1972.
M. Gérard César.
Trente ans après !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Permettez-moi de formuler une double
remarque.
En premier lieu, j'ai été, mais d'une manière cinglante ! démenti par le
Conseil constitutionnel en 1985. Je m'en suis relevé, mais enfin...
(Sourires.)
En second lieu, en 1972, je n'étais pas sénateur !
M. Henri de Raincourt.
Et voilà !
M. Jean Delaneau.
Cela change tout !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tout s'apprend !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Après cette intervention du
président Jacques Larché, après avoir rappelé les bons auteurs, comme nous
disions à l'Université, je me permets de vous demander, au nom du Gouvernement,
mesdames, messieurs les sénateurs, pour le bon fonctionnement de nos
institutions mais aussi pour l'expression claire du suffrage des Français,
c'est-à-dire du peuple souverain, de voter le texte qui a été adopté en
nouvelle lecture par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Jean Delaneau.
Voilà un voeu pieu !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Jospin à la manoeuvre !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
ministre, nous sommes heureux de vous voir parmi nous tout en regrettant
l'absence de M. le ministre de l'intérieur, paraît-il, occupé ailleurs.
M. Hilaire Flandre.
La Somme !
M. René-Georges Laurin.
C'est très bien !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Nous en sommes d'autant plus heureux que vous avez suivi
notre débat de première lecture presque de bout en bout.
Il m'avait été donné, en première lecture, de marquer ma surprise face aux
propos tenus tant par M. le président de l'Assemblée nationale que par M. le
ministre des relations avec le Parlement. Ils ont en effet l'un et l'autre
constesté au Sénat le droit d'exercer ses prérogatives à propos d'un texte
relatif à l'Assemblée nationale.
Le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale s'est cru
cette fois autorisé à porter, dans le rapport dont il a la charge, une
appréciation plus globale sur notre assemblée en des termes que les diplomates,
familiers de la litote, qualifieraient d'inamicaux. Je ne résiste pas au désir
de livrer à votre appréciation ce morceau d'anthologie citoyen.
« On peut s'interroger, écrit M. Bernard Roman - car c'est bien d'un écrit
qu'il s'agit et non d'un dérapage verbal sans conséquence - sur la légitimité
d'une assemblée qui ne peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement
ni davantage être dissoute, à défendre l'équilibre même du régime parlementaire
dans lequel elle ne joue à l'évidence qu'un rôle second. On pourrait ajouter
que son élection au suffrage universel, qui ne lui donne qu'une représentation
relative, ne l'habilite guère à se draper dans le voile de la vertu
républicaine outragée ni à revêtir les habits de défenseurs des institutions.
»
M. Henri de Raincourt.
C'est charmant !
M. Henri de Richemont.
C'est scandaleux !
M. Jean-Pierre Raffarin.
La stratégie est claire !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Tant qu'à s'interroger, je me suis posé la question de savoir
si notre estimé collègue n'avait pas puisé, au fil de ses lectures, son
inspiration dans un propos tenu un jour à la Chambre des députés. Permettez-moi
de vous citer ce propos ; « La Chambre Haute, qui est nommée au suffrage
restreint par des électeurs sans mandat
(Exclamations sur les travées du
RPR),
se trouve néanmoins investie du privilège de résister à la
représentation directe du suffrage universel. Il y a, dans cette institution,
une dérogation criante aux principes du droit démocratique qui est notre droit
commun. »
Et de qui émanait cette philippique ? Je vous le donne en mille... du général
Boulanger lui-même, le 4 juin 1888 très précisément !
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le président Mitterrand, Pierre Mendès-France, pour leur part, dépassant, en
homme d'Etat qu'ils étaient, eux, le déplaisir que pouvaient leur causer
parfois certaines des prises de position de notre institution, n'hésitaient pas
à porter sur elle une tout autre appréciation, dont on pourra trouver trace
dans mon rapport écrit.
Avant eux, Georges Clemenceau, grand pourfendeur de la Seconde Chambre
lorsqu'il siégeait sur les rives de la Seine, avait tôt fait de réviser son
jugement après avoir été élu sénateur du Var. « Les événements m'ont appris,
écrivait-il, qu'il fallait donner au peuple le temps de la réflexion... Le
temps de la réflexion, c'est le Sénat ! »
Et qui sait si, un jour, M. Roman ne trouvera pas, lui aussi, comme notre
illustre prédécesseur, son chemin de Damas après avoir pris place dans cet
hémicycle !
M. Hilaire Flandre.
Dieu nous en préserve !
(Sourires.)
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
A dire le vrai, venant d'une personnalité d'ordinaire
courtoise, un tel manquement à la bienséance de règle entre nos deux assemblées
ne saurait s'expliquer qu'en réaction à la pertinence de notre argumentation,
développée ici même en première lecture.
(Bravo ! et applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR ainsi que sur certaines
travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Cette argumentation, balayée le 3 avril dernier sans avoir été réellement
contredite, les trois mois écoulés depuis la première séance consacrée ici même
à la proposition de loi organique ont permis à votre commission des lois de la
conforter, mieux même, de la nourrir, à l'endroit d'un texte qui, trouvant sa
source dans une considération de pure opportunité, se heurte à des difficultés
pratiques et pose des problèmes juridiques d'importance.
Sans autres précédents que ceux de 1917 et de 1940, justifiés l'un et l'autre
par des raisons de force majeure, l'initiative parlementaire d'inspiration
gouvernementale aurait pour effet de prolonger l'existence de l'assemblée élue
en 1997 de plus de deux mois, cette durée dépassant de quelques jours,
nonobstant, sur ce point, les affirmations des membres du Gouvernement, la
période de cinq ans prévue pour le mandat des députés.
M. Jean-Pierre Raffarin.
De trois semaines !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Appel est alors fait pour justifier une telle mesure
d'exception, à l'esprit des institutions, à leur prétendue logique.
A en croire M. le ministre de l'intérieur, à en croire M. Roman, qui ont
plaidé la thèse de la prééminence présidentielle avec l'ardeur propre aux
néophytes, cet esprit, cette logique interdiraient que des élections
législatives aient lieu avant le scrutin présidentiel. Or - maints orateurs
l'ont souligné ici même voilà quelques semaines - il existe deux lectures de la
Constitution.
A l'appréciation de M. Michel Debré, exégète contesté aujourd'hui par le
pouvoir, bien que père fondateur, est venue s'ajouter, en février 1993, celle
du comité consultatif pour la révision de la Constitution mis en place par le
président Mitterrand et présidé par le doyen Vedel.
« De l'avis général - lit-on dès le début de ce rapport - la Constitution de
1958 est grammaticalement susceptible de plusieurs lectures. Le comité ne s'est
pas cru investi de la mission de les trancher. Il n'a voulu ni réinterpréter ni
réinventer la Constitution. Une interprétation aurait méconnu une donnée
juridique fondamentale : les institutions politiques d'un pays ne se
définissent pas seulement par la Constitution écrite et les lois qui la mettent
en oeuvre, mais aussi par la pratique politique. »
Or, point n'est besoin d'être un constitutionnaliste distingué pour constater
que, depuis 1986, l'une et l'autre lecture se sont équitablement partagées le
temps. Au demeurant, et ce n'est pas là le moindre des paradoxes, M. le Premier
ministre, arc-bouté sur l'article 20 de la Constitution, ne cesse de rappeler,
par le verbe et le comportement, que la réalité des pouvoirs se trouve à
l'hôtel Matignon, évidence difficilement contestable aujourd'hui.
Aussi bien le texte en discussion constitue-t-il une authentique
réinterprétation, pour des raisons de pure opportunité, de la
Constitution,...
M. Henri de Richemont.
D'opportunité, en effet...
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
... une réinterprétation qui ne saurait en aucun cas répondre
aux objectifs qui lui sont assignés.
L'organisation des élections législatives en juin ne permettrait pas d'éviter
un nouveau bouleversement du calendrier en cas d'interruption prématurée du
mandat d'un président de la République.
Mieux encore, comme je l'ai déjà souligné en première lecture, dès 2007, la
concomitance d'élections municipales, cantonales, législatives, présidentielles
viendra mettre à bas cette belle construction dont on voit bien qu'elle a pour
seule et unique motivation l'échéance de 2002.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Le président Badinter a démontré, lors du débat relatif au quinquennat, que
seul le décès du président Georges Pompidou faisait que l'élection
présidentielle avait lieu au mois de mai. Dès lors, si l'on veut que le scrutin
présidentiel précède durablement les élections législatives, c'est pour
l'expiration du mandat du Président de la République qu'il convient de prévoir
une date fixe.
Cette solution, tous les constitutionnalistes - le doyen Vedel, le professeur
Carcassonne, le président Maus - l'ont faite leur, les deux premiers allant
jusqu'à proposer la date du 15 mars.
Mais une telle modification, de nature constitutionnelle, eût impliqué la
recherche d'un consensus - authentique, celui-là ! - et n'aurait pu être
appliquée dès l'an prochain, d'où la préférence donnée à une formule purement
circonstancielle, génératrice de difficultés pratiques non négligeables.
Le choix du troisième mardi de juin comme date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale ne peut que compliquer l'élaboration du budget, déjà fort
avancée, comme en témoigne un lumineux rapport de notre rapporteur général
Philippe Marini, publié le 29 septembre dernier. Les lettres de cadrage
n'ont-elles pas été adressées cette année aux différents ministères dès le
vendredi 13 avril !
De surcroît, la très grande proximité de la date retenue avec celle de la
clôture de la session ordinaire laisse augurer la convocation de l'une de ces
sessions extraordinaires qu'une réforme constitutionnelle avait précisément eu
pour ambition d'écarter.
La disposition proposée en première lecture par le Sénat avait, elle, le
mérite de la simplicité. Lorsque des élections législatives sont organisées
avant une élection présidentielle, le second tour ne peut précéder de moins de
vingt-huit jours le premier tour de l'élection présidentielle. Cela permettait
à la fois d'éviter tout bouleversement de nos règles institutionnelles et de
tenir compte des recommandations faites, le 23 juillet 2000, par le Conseil
constitutionnel à propos des parrainages.
Le plus piquant de l'affaire est que, sur ce point, contrairement aux
certitudes affichées le 3 avril par M. le ministre de l'intérieur à la tribune
de l'Assemblée nationale, la formule adoptée par cette dernière est de nature,
précisément, à poser un problème sur ce point.
Les dernières élections municipales ont en effet mis en lumière que l'élection
des maires n'intervenant qu'à la fin du mois de mars, il sera, dans ces
conditions, matériellement impossible en 2007 aux maires nouvellement élus de
renvoyer au Conseil constitutionnel dans les premiers jours d'avril un
formulaire de parrainage qui ne pourra leur être adressé qu'après leur élection
à la première magistrature.
Mais, de toute évidence, ni le Gouvernement ni l'Assemblée nationale n'étaient
décidés à reculer devant les difficultés.
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
Les difficultés sont de deux ordres car aux difficultés d'ordre pratique qui
viennent d'être énoncées s'en ajoutent d'autres - et de poids ! - de nature
juridique.
Elles tiennent tout à la fois à la procédure pour l'adoption de la proposition
de loi organique, à l'absence de tout motif d'intérêt général et à des
conséquences qui ne semblent pas avoir été perçues sur deux aspects non
négligeables intéressant précisément les membres de l'Assemblée nationale.
Pour ce qui est, d'abord, de la procédure, le Sénat ayant adopté plusieurs
amendements relatifs à ces inéligibilités applicables aux députés et donc aux
sénateurs, en vertu de l'article LO 296 du code électoral, la proposition de
loi relevait de l'article 46, alinéa 4, de la Constitution, comme l'a rappelé
précédemment le président de la commission des lois.
Il a toujours été admis qu'en pareil cas l'article 45 de la Constitution,
prévoyant notamment la tenue de commissions mixtes paritaires, n'est pas
applicable et que la navette doit se poursuivre jusqu'à ce qu'intervienne un
accord entre les deux assemblées.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision datant du 11 janvier 1990, a
bien marqué la distinction fondamentale entre les prescriptions des troisième
et quatrième alinéas de l'article 46 de la Constitution, les dispositions de
caractère organique non relatives au Sénat étant seules justiciables de la
procédure prévue à l'article 45.
La convocation d'une commission mixte paritaire par le Gouvernement apparaît,
dès lors, pour ce qu'elle est : une tentative de « passage en force », faute,
pour lui - j'insite sur ce point - d'avoir songé, comme il en avait la
possibilité, à recourir sur l'instant à la procédure dite du « vote bloqué »
sur un texte excluant tous les amendements relatifs au Sénat.
M. Claude Estier.
Qu'auriez-vous dit à ce moment-là !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
A ce vice de procédure s'ajoute l'absence de tout motif
d'intérêt général.
Comme il avait été rappelé en première lecture, le Conseil constitutionnel a
admis à trois reprises - en 1990, en 1994 et en 1996 - la prolongation de la
durée d'un mandat électif. Mais, outre qu'il s'agissait d'assemblées locales,
les décisions positives de cette haute instance prenaient appui sur des
considérations d'intérêt général.
Ainsi en allait-il de la volonté de favoriser une plus forte participation au
scrutin ou d'assurer la continuité de l'administration préfectorale, d'éviter
des difficultés de mise en oeuvre d'une élection présidentielle, ou bien
d'éviter la concomitance du recrutement des membres d'une assemblée
territoriale et de l'examen, par le Parlement, d'une réforme du statut du
territoire en cause.
Or, dans le cas présent, une lecture attentive des exposés des motifs des
propositions de loi fait apparaître que l'unique justification de la réforme
souhaitée est la « logique » des institutions, qui voudrait que l'élection
présidentielle précédât les élections législatives. Vous en conviendrez, mes
chers collègues, une interprétation de la Constitution ne saurait constituer un
motif d'intérêt général justifiant une dérogation au principe d'égalité.
Certes, M. le ministre a tenté, au cours du débat, d'invoquer des difficultés
pour le parrainage des candidats à l'élection présidentielle en se référant aux
observations présentées en juillet 2000 par le Conseil constitutionnel.
Or, indépendamment du fait que, comme cela a été indiqué précédemment, la mise
en oeuvre de cette recommandation ne soulève aucune difficulté, il est plaisant
de noter que non seulement le projet de loi organique déposé en septembre
dernier - dont nous avons débattu ici quelques mois plus tard - pour y donner
suite ne prévoyait aucune mesure relative aux dates des élections, mais que,
mieux encore, le Gouvernement s'est opposé, lors de la discussion de ce texte
au Palais-Bourbon, à un amendement tendant à modifier le calendrier électoral
de 2002 !
Quant à la justification de l'inversion par le souci de satisfaire une
prétendue préférence du Conseil constitutionnel pour un parrainage par des
députés nouvellement élus plutôt que par des sortants, elle prête à sourire
car, en tout état de cause, seuls ces derniers pourront, à l'évidence,
parrainer un candidat à l'élection présidentielle, que les élections
législatives aient lieu avant ou après l'élection présidentielle.
Tout cela démontre à l'envi qu'en un tel domaine la précipitation est mauvaise
conseillère et qu'à revêtir subitement du noble vêtement d'une préoccupation
constitutionnelle une motivation de pure opportunité on s'expose à ce qu'il
faut bien appeler des bévues.
L'examen, par le Conseil d'Etat, d'un projet de loi eût offert une garantie de
sérieux et - qui sait ? - ouvert la voie, comme l'indiquait tout à l'heure le
président de la commission, à la possibilité d'un référendum permettant au
peuple souverain, que vous avez invoqué tout à l'heure, monsieur le ministre,
seul mandataire des députés, de se prononcer sur la prolongation éventuelle de
leur mandat.
Vice de procédure, absence de tout motif d'intérêt général ne sont pas les
seules faiblesses d'ordre juridique de la proposition de loi organique.
S'y ajoutent, en effet, deux conséquences sérieuses que, dans sa hâte d'en
finir avec cette méchante affaire, l'Assemblée nationale paraît n'avoir pas
même perçues. Elles ont trait, l'une au financement des campagnes électorales,
l'autre au remplacement des députés démissionnaires pour cause de cumul.
Aux termes de l'article L. 52-4 du code électoral, la période d'un an au cours
de laquelle une association de financement ou un mandataire financier peuvent
recueillir des fonds est d'ores et déjà ouverte, dans la perspective
d'élections législatives devant se dérouler en mars 2002.
Si cette date devait être modifiée, les opérations déjà intervenues ou à
intervenir entre mars et juin 2001 se trouveront frappées d'illégalité.
En 1990, en 1994, lors de la prolongation de la durée du mandat d'élus locaux,
le législateur prenait, lui, le temps de la réflexion, et avait prolongé
d'autant la période de collecte des fonds.
Rien de tel ici, si bien que l'adoption du texte pourrait placer bon nombre de
candidats potentiels en situation d'illégalité.
Cette grave négligence n'est pas la seule.
Il en existe une autre, sur laquelle plusieurs démissions d'ores et déjà
intervenues pour cause de cumul - celle de M. Santini, celle de M. Douste-Blazy
pour le siège des Hautes-Pyrénées - jettent une lumière crue.
L'article LO 178 du code électoral emporte - on le sait - qu'aucune élection
partielle ne peut avoir lieu dans les douze mois qui précèdent l'expiration des
pouvoirs de l'Assemblée nationale.
De valeur organique, cette disposition a pour origine cette idée que
l'Assemblée nationale doit être au complet et que le Gouvernement ne doit avoir
aucune influence sur sa composition. Elle se caractérise par son
automaticité.
La date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale étant, en l'état,
fixée au 1er mardi d'avril 2002, la dernière date possible pour l'organisation
d'élections partielles était le 1er avril 2001, et, de fait, trois ont eu lieu
à cette date.
Si la proposition dont nous dénonçons les failles entre en vigueur, le délai
ne courra qu'à dater du 18 juin 2001. Or un délai de cinq semaines - délai
minimal - est requis pour la convocation des électeurs.
En pratique, la date d'entrée en vigueur de la proposition de loi organique
sera fonction de la demande, ou non, par le Premier ministre, de son examen en
urgence par le Conseil constitutionnel comme de l'utilisation, ou non, par le
Président de la République du délai de promulgation que lui octroie la
Constitution.
La possibilité d'organiser ou non les élections dans les circonscriptions
privées de représentants dépendra donc d'une décision du pouvoir exécutif.
En première lecture, la commission des lois vous avait, mes chers collègues,
proposé des modifications à la proposition de loi organique.
Vous les aviez faites vôtres.
Or, non seulement elles n'ont pas été retenues par l'Assemblée nationale - ce
qui était son droit le plus strict - mais elles n'ont pas même été examinées,
et cette culture du mépris à l'endroit du Sénat est pour le moins fâcheuse.
Le dialogue entre les deux assemblées prévu par la Constitution s'étant
trouvé, de ce fait, rompu, il vous est proposé cette fois de marquer qu'il n'y
a pas lieu de poursuivre la délibération et d'adopter, de ce fait, une motion
tendant à opposer la question préalable.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur
certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Rappel au règlement