SEANCE DU 17 AVRIL 2001
M. le président.
Je suis saisi par Mme Bocandé, au nom de la commission, d'une motion n° 1
tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que la présente proposition de loi n'apporte que des réponses
partielles et inadaptées au souci légitime de promouvoir et de renforcer
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
« Considérant que le texte adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale
témoigne d'une conception archaïque et autoritaire de la place de la
négociation collective dans les relations sociales ; que l'instauration de
nouvelles obligations de négocier strictement encadrées apparaît difficilement
compatible avec la nécessaire autonomie des partenaires sociaux ; que
l'introduction d'une nouvelle sanction pénale ne constitue pas, à l'évidence,
le moyen approprié pour ouvrir un dialogue social serein et constructif en
matière d'égalité professionnelle ;
« Considérant que la présente proposition de loi n'aborde pas l'importante
question de l'articulation entre vie familiale et vie professionnelle qui
apparaît pourtant comme l'un des principaux vecteurs des inégalités entre les
femmes et les hommes dans le monde du travail ; que l'Assemblée nationale a,
par deux fois, repoussé les propositions concrètes et raisonnables du Sénat en
faveur d'une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle
;
« Considérant que la présente proposition de loi, dans la rédaction adoptée
par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, ne prévoit pas de dispositions
réellement susceptibles d'améliorer la représentation des femmes lors des
élections professionnelles ; qu'elle se contente d'énoncer de simples
déclarations de principe ;
« Considérant que le nouveau régime légal pour le travail de nuit se révèle
paradoxalement à la fois inutilement contraignant pour les entreprises et
insuffisamment protecteur pour les salariés ; qu'il n'accorde qu'une place trop
restreinte au dialogue social ; que les propositions constructives du Sénat en
la matière ont pour la plupart été ignorées par l'Assemblée nationale ;
« Considérant que le Sénat, en première et deuxième lecture, a tenu à
améliorer, à enrichir et à compléter la proposition de loi ; que les
améliorations, enrichissements et compléments du Sénat ont été pour l'essentiel
écartés par l'Assemblée nationale ;
« Considérant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a ainsi entendu
signifier qu'elle avait d'ores et déjà dit son dernier mot ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition
de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative à
l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (n° 208, 2000-2001).
»
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative
ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour
quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond
et le Gouvernement.
La parole est à Mme le rapporteur, auteur de la motion.
Mme Annick Bocandé,
rapporteur.
Je crois m'être déjà largement exprimée sur les raisons du
dépôt de cette motion. Je n'en dirai donc pas davantage.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Printz, contre la motion.
Mme Gisèle Printz.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable à l'occasion de la
nouvelle lecture d'un texte sur lequel il n'y a manifestement pas d'accord
possible entre les deux assemblées du Parlement apparaît comme une solution
technique d'une efficacité incontestable, permettant de ne pas prolonger
inutilement le débat. Voilà qui peut se comprendre aisément !
Il est néanmoins dommage que cette procédure soit utilisée dans le cas
présent, s'agissant d'un texte qui traite à la fois de l'égalité
professionnelle et de la protection des salariés qui travaillent la nuit.
En effet, il est fondamental que le travail de nuit soit strictement encadré
et, surtout, qu'il ne puisse y être recouru qu'à la condition qu'un accord
collectif ait été conclu. Il serait tout à fait choquant que l'on puisse se
passer de l'aval des représentants du personnel pour mettre en oeuvre une forme
de travail portant durablement atteinte, on le sait, à la santé des salariés
qui y sont soumis.
En cette matière, il est indispensable qu'une contrainte pèse sur l'employeur
pour protéger
a minima
la santé et la sécurité des travailleurs. La
limitation de la durée maximale du travail de nuit, l'instauration d'une
surveillance médicale renforcée, particulièrement en direction des femmes
enceintes, sont tout aussi nécessaires.
Il est également évident que, en l'absence d'association des représentants du
personnel, la mise en oeuvre de contreparties en termes de temps de repos et,
éventuellement, de salaire risquerait fort de rester lettre morte.
Ces garanties n'ont pu être inscrites lors du débat parlementaire que grâce à
la réflexion et à la contribution de chacun d'entre nous. Par conséquent, il
est toujours regrettable d'abréger, fût-ce pour des raisons de commodité, un
débat qui peut se révéler fructueux, même s'il est fondé sur la confrontation
d'idées nettement différentes.
En ce qui concerne l'égalité professionnelle, nous défendons en effet des
idées, voire des projets de société, tout à fait opposés. Il ne s'agit plus ici
de préciser les modalités du dialogue social, comme nous pouvons en débattre de
manière toujours intéressante avec Mme le rapporteur ; il s'agit, en
définitive, du rôle et de la place de la femme dans la société et, le cas
échéant, au sein de la famille qu'elle aura créée.
Nous estimons, en particulier, que la question de l'articulation entre la vie
professionnelle et la vie familiale, qui est fondamentale, ne doit pas être
traitée au détour d'un texte relatif à l'égalité professionnelle. Ce n'est pas
le même sujet : il convient d'assurer aux femmes, d'une part, l'égalité
professionnelle avec les hommes, et, d'autre part, un déroulement correct des
deux aspects, professionnel et familial, de leur vie.
En effet, de notre point de vue, si l'on mêle les deux éléments, les femmes
seront perdantes, et ce pour une raison simple : on nous dira, ou pis on ne
nous dira rien mais c'est ainsi que les choses se passeront, que, en raison de
la nécessité de mieux articuler vie professionnelle et vie familiale, nous les
femmes ne pourrons jamais prétendre à l'égalité professionnelle. Seules les
femmes de condition aisée, qui auront les moyens de faire accomplir par
d'autres qu'elles-mêmes les tâches ménagères, y parviendront peut-être. Cette
dichotomie ne ferait que renforcer les inégalité sociales, et ce n'est
évidemment pas ce que nous voulons.
Si la question de l'égalité professionnelle
stricto sensu
doit donc
faire l'objet d'une intervention législative, c'est un risque de vouloir agir
en même temps sur le second aspect que j'évoquais, sauf peut-être lors de
l'élaboration de la loi de finances, pour obtenir que des moyens suffisants
soient dégagés afin de favoriser le renforcement et la diversification des
modes de garde des enfants dont les deux parents travaillent.
Il est maintenant important d'inciter à une vraie prise de conscience au sein
de notre société. Les hommes sont, comme les femmes, responsables de
l'éducation des très jeunes enfants : c'est l'affaire autant du père que de la
mère. Ce que nous revendiquons, et que les pouvoirs publics doivent mettre en
place, c'est non pas seulement l'égalité professionnelle, mais aussi l'égalité
familiale.
Cette notion est en effet beaucoup plus juste et moins pernicieuse pour les
femmes que celle d'« articulation », qui ne sera jamais satisfaisante, car, pas
plus que les hommes, nous les femmes ne pouvons faire tenir deux vies en une
seule.
Il convient donc d'instaurer une égalité de droits mais aussi de devoirs et,
s'il le faut, rendre obligatoire la prise d'une partie du congé parental par le
père, comme cela se pratique déjà dans d'autres pays. Certes, et cela est
rassurant, les mentalités des jeunes parents évoluent, mais le poids des
traditions et la pression sociale, poussant notamment les pères à ne prendre
aucune fraction du congé parental, restent forts.
De même, les statistiques montrent que, en général, une femme qui est en congé
ou qui travaille à temps partiel accomplit la totalité des tâches ménagères.
Elle revient alors à son rôle traditionnel, dans lequel elle risque d'ailleurs
de s'enliser si elle reste trop longtemps éloignée du versant professionnel de
sa vie.
Sans doute aurions-nous pu poursuivre ce débat. Malheureusement, la motion
tendant à opposer la question préalable que la majorité du Sénat s'apprête à
voter va y mettre un terme. Nous le regrettons et nous voterons donc contre, ce
qui ne nous empêche pas d'exprimer notre accord, sur le fond, avec la
proposition de loi qui nous est soumise.
M. le président.
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement
la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée
n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Doublet.
M. Michel Doublet.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ainsi
que madame le rapporteur l'a souligné ce soir, le Sénat a une haute conception
du rôle des partenaires sociaux qu'à l'évidence la majorité de l'Assemblée
nationale ne partage pas.
Il aurait sans nul doute été plus judicieux de laisser les partenaires sociaux
entamer des négociations sur le thème de l'égalité professionnelle entre les
femmes et les hommes, ainsi qu'ils s'y sont engagés, plutôt que de mettre en
place une lourde procédure de négociation punie par une nouvelle sanction
pénale, ce qui n'est pas le moyen le plus approprié pour ouvrir un dialogue
social serein et constructif en matière d'égalité professionnelle.
Néanmoins, ce texte aborde un sujet essentiel, même s'il ne semble pas
apporter les réponses adéquates. Si les femmes sont de plus en plus prises en
considération dans de nombreux secteurs d'activité, les terrains à conquérir
restent très importants.
Concernant notamment les salaires, si l'écart de rémunération entre les deux
sexes à poste équivalent se réduit dans le privé, il demeure cependant élevé :
17 %.
Dans la fonction publique, il est frappant de constater que de telles
disparités sont au moins aussi importantes que celles qui existent dans le
privé, les femmes occupant bien souvent les emplois où les carrières sont
bloquées.
Notre groupe regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas considéré que
l'égalité des femmes dans le monde du travail passait tout d'abord par la
recherche de l'égalité en dehors de l'entreprise, là où naissent les
difficultés pour concilier harmonieusement vie familiale et vie
professionnelle.
Nous déplorons donc que les amendements défendus par la commission des
affaires sociales et adoptés par le Sénat lors des deux premières lectures, qui
allaient dans le bon sens en ouvrant de nouvelles pistes pour améliorer
véritablement la situation des femmes, aient été écartés trop rapidement.
Quant aux articles concernant le secteur public, il est également regrettable
que les dispositions tendant à améliorer le texte afin de tenir compte des
éventuelles difficultés d'application du principe de mixité dans certains corps
dont la représentation par sexe est très déséquilibrée aient été repoussées par
pur dogmatisme.
S'agissant de l'examen des dispositions portant sur le travail de nuit des
femmes, nous avons été plusieurs sur ces travées à dénoncer les méthodes
employées par le Gouvernement, qui ont été bien désinvoltes à l'égard de la
Haute Assemblée.
S'il est effectivement nécessaire de moderniser le cadre juridique actuel, il
est regrettable que la rédaction de l'Assemblée nationale aboutisse à mettre en
place des contreparties du travail de nuit qui contraignent les entreprises à
renégocier l'ensemble des accords conclus sur le temps de travail. Remettre en
cause des accords signés par les partenaires sociaux ne nous paraît pas de
nature à favoriser la paix sociale au sein d'une entreprise.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République votera
la question préalable présentée par Mme le rapporteur de la commission des
affaires sociales.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
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