SEANCE DU 30 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 31 AA. - I. - L'article L. 111-9 du code des juridictions financières
est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le jugement des comptes et l'examen de la gestion des établissements publics
nationaux peuvent être délégués aux chambres régionales des comptes par arrêté
du premier président de la Cour des comptes pris après avis du procureur
général près la Cour des comptes et des présidents des chambres régionales des
comptes intéressées. »
« II. - Le dernier alinéa de l'article L. 131-1 du même code est supprimé.
« III. - Les articles L. 131-4 et L. 231-4 du même code sont abrogés. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 24, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 31 AA. »
L'amendement n° 7, présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Compléter
in fine
l'article 31 AA par un paragraphe ainsi rédigé :
« IV. - A l'article L. 250-11 du même code, avant la référence : "L. 131-1",
est insérée la référence : "L. 111-9,". »
L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission,
est ainsi libellé :
« Compléter
in fine
l'article 31 AA par un paragraphe ainsi rédigé :
« V. - A l'article L. 211-4 du même code, les mots : "ou leurs établissements
publics" sont remplacés par les mots : ", leurs établissements publics ou les
établissements publics nationaux dont le contrôle leur a été délégué en
application de l'article L. 111-9". »
La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 24.
M. Michel Charasse.
Cette disposition a été introduite par l'Assemblée nationale. Elle permet au
Premier président de la Cour des comptes de faire office, à son niveau, de «
gare de triage », c'est-à-dire de décider que telle affaire concernant tel
établissement public sera jugée par la Cour et que telle autre sera renvoyée à
une ou plusieurs chambres régionales des comptes.
Or, ce dispositif a été condamné par le Conseil constitutionnel à propos d'un
texte presque analogue concernant l'organisation des juridictions de l'ordre
judiciaire, en 1975, sur un recours formé par le groupe socialiste du Sénat de
l'époque.
Le Conseil constitutionnel a dit que des affaires de même nature, qui
comportaient les mêmes caractéristiques, devaient être jugées selon des
procédures analogues et par une juridiction composée de même manière.
Or, dans le cas particulier, vous le constatez, mes chers collègues, ce qu'a
voulu faire l'Assemblée nationale - je ne le condamne pas - qui peut avoir son
intérêt dans le cadre d'une bonne administration des affaires par la Cour des
comptes, notamment pour éviter l'encombrement, est contraire au principe
d'égalité devant la loi et devant les juridictions.
De surcroît, la Constitution réserve la création et l'organisation des ordres
de juridiction au seul Parlement, et à personne d'autre.
Telles sont les raisons pour lesquelles, afin de nous conformer à la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, je propose de supprimer l'article 31
AA.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur
l'amendement n° 24 et présenter les amendements n°s 7 et 8 rectifié.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Comme je l'ai indiqué dans mon rapport, le droit actuel n'est
pas satisfaisant.
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Le critère de partage des compétences entre la Cour des
comptes et les chambres régionales, exclusivement financier, a pour conséquence
de soumettre les établissements publics nationaux d'une même catégorie, et
parfois situés dans une même région, au contrôle soit de la Cour, soit de la
chambre régionale.
M. Michel Charasse.
Et voilà !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Comme M. Charasse vient de le rappeler, cette situation est
en effet discutable au regard du principe même d'égalité.
Voilà pourquoi la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 24, ce
qui devrait permettre à la commission mixte paritaire de résoudre ce
problème.
Le fait que la commission donne un avis favorable sur cet amendement devrait
normalement permettre de dégager un consensus assez large dans cette enceinte.
(Sourires.)
M. Emmanuel Hamel.
Bien évidemment !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Aussi, je retire les deux amendements déposés par la
commission.
M. le président.
Les amendements n°s 7 et 8 rectifié sont retirés.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 24 ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
La décision du Conseil constitutionnel à laquelle il
vient d'être fait référence vise le cas où un président d'une juridiction
décide, au cas par cas, si l'affaire est jugée par un juge unique ou par une
formation collégiale,...
M. Michel Charasse.
Cela revient au même !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... ce qui, en effet, met en cause le principe
d'égalité devant la justice.
Mais, par l'article 31 AA, il s'agit bien, pour le législateur, de permettre
la délégation aux chambres régionales des comptes du jugement des comptes et de
l'examen de la gestion de tous les établissements publics nationaux de même
nature...
M. Michel Charasse.
Où est-ce écrit ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... et qui répondent aux mêmes critères, tels qu'ils
sont fixés à l'article R. 131-7 du code des juridictions financières.
Par conséquent, je suis défavorable à l'amendement n° 24 et j'aurais été
favorable aux amendements n°s 7 et 8 rectifié.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 24.
M. Pierre Fauchon.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Je suis favorable à cet amendement, qui concerne des questions de principe
tout à fait fondamentales.
Je me permets de faire observer à Mme la secrétaire d'Etat que je ne suis pas
du tout son raisonnement. Ce qui a été annulé par le Conseil constitutionnel,
c'est l'hypothèse dans laquelle un président de tribunal renvoyait une affaire
devant un seul juge, mais au sein du même tribunal. Certes, c'était contraire
aux principes, mais cela était beaucoup moins choquant que ce que l'on propose
aujourd'hui. En effet, on sait bien que, dès lors que dans une formation
collègiale le président a désigné un rapporteur, dans la pratique et dans une
assez large mesure, on est presque dans une situation de juge unique, étant
donné le contexte de surcharge d'activité de nos tribunaux. Les collègues
membres de la commission plurielle suivent à peu près toujours leur
rapporteur.
Sur la forme, c'était donc choquant, et le Conseil constitutionnel a sans
doute eu raison de nous le rappeler. Mais, sur le fond, c'était moins grave.
Aujourd'hui, il s'agit de permettre au chef supérieur d'une juridiction de
décider quelle sera la juridiction compétente. Il ne s'agit plus de désigner un
homme au sein d'un tribunal ; il s'agit de désigner la juridiction qui va
devenir compétente pour connaître une affaire. C'est encore plus contraire à
l'état de droit, qui veut qu'en matière pénale spécialement, ou dans les
matière similaires, la détermination de la juridiction compétente résulte de
règles générales qui s'appliquent à tous et qui interdisent qu'un particulier
puisse dire : « Dans ce cas, ce sera tel tribunal plutôt que tel autre ! »
Si un tel choix était possible, on imagine les commentaires qui pourraient
s'ensuivre : « Pourquoi dans ce cas le Premier président a-t-il choisi de
déléguer le jugement à telle chambre régionale et pourquoi ne l'a-t-il pas fait
dans tel autre ? » On ouvrirait ainsi la voie à la suspicion. Je me félicite
donc que cet amendement ait été déposé et je souhaite qu'il soit voté.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Autant je suis satisfait du soutien qu'a reçu mon amendement tant de la part
de la commission des lois que de plusieurs de nos collègues, autant je suis
surpris par le manque de précision de la réponse de Mme le secrétaire
d'Etat.
Madame, l'important, dans la décision du Conseil constitutionnel, c'est la
conséquence qu'il en a tiré, à savoir que les affaires de même nature devaient
être jugées par des juridictions analogues, c'est-à-dire ayant la même
composition et donc relevant du même ordre de juridiction.
Or, si l'article 31 AA est adopté, certains établissements nationaux seront
contrôlés par la Cour des comptes alors que, sur décision du Premier président
de celle-ci, certains autres le seront par des chambres régionales des
comptes.
Vous dites, madame le secrétaire d'Etat, qu'il s'agira dans ce second cas
d'établissements « de même nature » ; mais cela ne figure pas dans le texte.
A la limite, si le Premier président devait déléguer tout ou rien, ce serait
différent : on pourrait considérer que le principe d'égalité n'est pas mis en
cause, si ce n'est que le législateur aurait délégué ses pouvoirs législatifs
au Premier président de la Cour des comptes. Or, la Constitution de 1958 ne
prévoit pas de délégation du pouvoir législatif en dehors de la procédure des
ordonnances, et cette délégation a lieu non pas au profit d'un magistrat, si
élevé soit-il dans l'ordre hiérarchique, mais au profit du pouvoir exécutif.
Par conséquent, je maintiens que la disposition qui figure en cet article est
contraire à la Constitution en tant qu'elle porte atteinte au principe
d'égalité et qu'elle conduit le législateur à déléguer ses pouvoirs en matière
de définition des ordres de juridiction, ce qui relève du domaine de la loi.
C'est pourquoi, je le répète, je suis très surpris de la position du
Gouvernement.
Bien entendu, si, lors de la commission mixte paritaire, comme l'a très
justement souligné M. le rapporteur, une solution intermédiaire respectant le
droit et les règles constitutionnelles pouvait être trouvée, j'en serais
ravi.
Mais, en l'état, ce texte n'est pas acceptable d'un point de vue juridique,
quoiqu'on puisse penser de l'aspect pratique que l'Assemblée nationale a
peut-être voulu privilégier en adoptant cette disposition. Je condamne non pas
ses intentions, mais le résultat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je ne veux pas allonger inutilement le débat mais,
ayant été interpellée par M. Charasse...
M. Michel Charasse.
Amicalement !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat...
sur un point très important, je souhaite préciser
mon point de vue.
Je me suis exprimée tout à l'heure en me référant à l'article R. 131-7 du code
des juridictions financières.
M. Michel Charasse.
C'est un décret ; il peut dire ce qu'il veut !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Il y est dit que les comptes des établissements
publics nationaux dont les recettes ordinaires, telles qu'elles figurent à ces
comptes, ne dépassent pas les seuils déterminés par un arrêté sont jugés en
premier ressort par la chambre régionale des comptes.
Il y est dit aussi que tout compte d'un établissement public national dont le
jugement entre dans la compétence d'une chambre régionale des comptes en
application des dispositions de l'alinéa précédent demeure, même si les
recettes ordinaires de cet établissement viennent à dépasser le seuil prévu,
soumis au contrôle en premier ressort de cette juridiction jusqu'à
l'intervention de l'arrêté portant révision de ces seuils.
Cela signifie que, lorsque l'on a affaire à une catégorie d'établissements
homogènes comme les universités, par exemple, le contrôle de certains
établissements ne peut être confié aux chambres régionales des comptes alors
que le contrôle des autres le serait à la Cour des comptes, et
réciproquement.
Certes, ces catégories peuvent évoluer dans le temps et, après avoir été du
ressort des chambres régionales des comptes, être du ressort de la Cour des
comptes, mais, en un même instant, tous les établissements d'une même catégorie
doivent être soumis au même niveau de juridiction.
Je crois que le texte est clair à cet égard.
M. Michel Charasse.
Mais non, ce n'est pas dit dans l'article !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 24, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 31 AA est supprimé.
M. Jean Chérioux.
Le Sénat fait du droit !
Article 31 A