SEANCE DU 17 DECEMBRE 2001
M. le président.
L'amendement n° 39, présenté par MM. Oudin, de Rohan, de Richemont, Legendre,
Gérard et Trillard, est ainsi libellé :
« Après l'article 20, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le 10 de l'article 38 du code général des impôts, il est inséré un
alinéa ainsi rédigé :
« 11. Ne sont pas prises en compte pour le calcul du bénéfice net visé aux 1
et 2 ci-dessus, les indemnisations versées au titre de l'aide à la reconversion
aux propriétaires de navires touchés par l'interdiction définitive des filets
maillants dérivants. »
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
L'examen de cet amendement intervient à un moment particulièrement judicieux,
puisque se tient actuellement à Bruxelles le conseil des ministres « pêche »,
qui doit prendre un certain nombre de décisions pouvant se révéler relativement
défavorables pour nos marins pêcheurs.
Le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 8 juin 1998, un règlement
interdisant l'utilisation des filets maillants dérivants destinés à la capture
de plusieurs espèces de thons et d'espadons. Cette interdiction prendra effet à
compter du 1er janvier 2002, donc dans quelques jours, et concerne
essentiellement les marins pêcheurs de l'île d'Yeu.
Compte tenu des conséquences économiques et sociales défavorables de cette
mesure pour les flotilles de pêche françaises, le Conseil de l'Union européenne
a adopté, le 17 décembre 1998, une décision instituant une mesure spécifique
d'aide à la reconversion en faveur des pêcheurs et des propriétaires de navires
touchés par l'interdiction.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche a, par la suite, diffusé une
circulaire, en date du 10 novembre 2000, visant à détailler les principes
régissant l'application de la mesure de reconversion et à préciser la procédure
retenue pour permettre le versement de l'aide à chacun des bénéficiaires.
Cela appelle quelques observations.
Premièrement, la mesure d'accompagnement adoptée au bénéfice des propriétaires
de navires présente un caractère indemnitaire indéniable.
En effet, la prime forfaitaire individuelle prévue a pour objet de compenser
le préjudice subi par les propriétaires de navires du fait de l'arrêt de la
pêche aux filets maillants dérivants. Elle doit donc être considérée comme une
indemnité versée par l'Etat à titre de dommages et intérêts. Or l'objectif ne
semble pas réellement atteint, dans la mesure où le traitement fiscal de
l'indemnité contribue à amoindrir le montant de celle-ci.
Deuxièmement, l'imposition de l'indemnisation accordée aux propriétaires de
navires n'est pas conforme à l'objectif de reconversion fixé par l'Union
européenne.
Les propriétaires des navires armateurs exercent, dans la grande majorité des
cas, en nom propre, et, pour quelques-uns d'entre eux, en sociétés. Leur régime
fiscal est donc respectivement celui de l'imposition sur le revenu au titre des
bénéfices industriels et commerciaux ou celui de l'imposition sur les
sociétés.
Les propriétaires de navires exerçant en sociétés soumises à l'impôt sur les
sociétés verront donc leur indemnité imposée dans les conditions de droit
commun, le taux de prélèvement s'élevant à 35,33 % des revenus.
En ce qui concerne les propriétaires non assujettis à l'impôt sur les
sociétés, les indemnités seront, en principe, à prendre en compte dans les
résultats de l'exercice 2001, lesquels sont déclarés dans la catégorie des
bénéfices industriels et commerciaux et ajoutés aux autres revenus du foyer
fiscal de chacun des propriétaires de navires.
Une telle imposition, particulièrement dramatique pour les intéressés, est
contraire à l'esprit dans lequel l'indemnisation a été décidée par le Conseil
de l'Union européenne.
En effet, ce dernier a pris sa décision non seulement pour promouvoir la
reconversion de certaines activités de pêche, mais également pour pallier les
conséquences économiques et sociales défavorables qu'entraînera l'interdiction
des filets maillants dérivants.
Par ailleurs, on se retrouve dans une situation absurde, où l'Etat verse une
indemnité qu'il finance pour moitié seulement et se voit retourner, au titre de
l'imposition, près de la moitié du montant de l'indemnité en question.
Troisièmement, les opérateurs de pêche français subissent une discrimination
de traitement par rapport à leurs homologues italiens également touchés par
l'interdiction du filet maillant dérivant.
En effet, l'Etat italien n'a pas hésité, en vertu d'un décret-loi du 31 mai
1999, à exonérer d'impôt la prime versée aux marins comme aux propriétaires de
navires ni même à octroyer une prime supplémentaire visant à couvrir les
charges sociales engendrées.
Le présent amendement a donc pour objet de prévoir, dans un souci de cohérence
et d'équité, une exonération totale de l'indemnité versée par l'Etat aux
propriétaires de navires, comme l'a fait le gouvernement italien dans l'optique
du plan de reconversion « Spadare ». Il s'agit de donner aux opérateurs de la
pêche les moyens économiques nécessaires à la réussite d'une reconversion
imposée par l'Union européenne et qui, au demeurant, reste encore très
hypothétique.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Avant de se prononcer, la commission souhaiterait
entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je comprends parfaitement les préoccupations exprimées
par M. Oudin, mais je ne peux accepter sa proposition en l'état.
En effet, sur le principe, l'imposition des indemnisations versées, au titre
de l'aide à la reconversion, aux propriétaires de navires touchés par
l'interdiction définitive des filets maillants dérivants n'est que la
contrepartie, en application de l'article 38 du code général des impôts, de la
déduction des charges engagées du fait de cette réglementation.
Par ailleurs, adopter la mesure présentée serait de nature à entraîner des
demandes reconventionnelles - elles sont déjà nombreuses - visant à
l'exonération de toutes les subventions publiques. Le coût serait par
conséquent très élevé.
Cela étant, le Gouvernement est tout à fait conscient, monsieur le sénateur,
qu'il s'agit là d'un sujet sensible. C'est pourquoi la question du régime
fiscal à appliquer à ces aides est actuellement à l'étude, afin notamment
d'examiner dans quelle mesure celles-ci pourraient être imposées selon le
régime des plus-values professionnelles.
Cette analyse conduirait, en application de l'article 151
septies
du
code général des impôts, à une exonération du profit réalisé, le cas échéant,
par les entreprises relevant de l'impôt sur le revenu et dont les recettes,
appréciées toutes taxes comprises, n'excèdent pas un million de francs si
l'activité a été exercée pendant au moins cinq ans. Dans les autres situations,
les entreprises assujetties à l'impôt sur le revenu seraient taxables au taux
réduit de 16 %, majoré de 10 % au titre des prélèvements sociaux.
Par conséquent, monsieur le sénateur, au bénéfice de ces explications et dans
l'attente du résultat de l'examen que j'évoquais, je souhaiterais que vous
retiriez l'amendement n° 39.
M. le président.
Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je remarquerai tout d'abord que la question soulevée
semble être attentivement étudiée par l'administration.
Par ailleurs, si le dispositif préconisé par M. Oudin était instauré, cela
entraînerait un effet de contagion fiscale à d'autres secteurs professionnels,
industriels ou agricoles, pouvant être appelés à bénéficier d'aides
indemnitaires. Or, jusqu'à présent, le principe appliqué pour tous les secteurs
a été d'assujettir les indemnisations aux différents impôts, qu'il s'agisse de
l'impôt sur le revenu des personnes physiques ou de l'impôt sur les sociétés :
nous en avons vu une illustration à propos de la crise due à l'épizootie
d'encéphalopathie spongiforme bovine.
Cela étant, la commission partage bien entendu les préoccupations des auteurs
de l'amendement. Elle considère que ce sujet doit être traité dans de brefs
délais, mais s'interroge sur la méthode proposée : cela la conduit à demander
le retrait de l'amendement.
M. le président.
Maintenez-vous l'amendement n° 39, monsieur Oudin ?
M. Jacques Oudin.
Nos malheureux marins pêcheurs se trouvent dans une situation tout à fait
étonnante, extrêmement difficile.
En effet, au-delà de toutes les considérations scientifiques, on leur interdit
d'utiliser les filets maillants dérivants, alors que les pêcheurs de la mer
Baltique ou certains de leurs collègues irlandais ont été autorisés à les
employer.
La décision d'interdiction a été prise pour des raisons politiques,
semble-t-il, et il s'agit maintenant d'indemniser les professionnels concernés,
d'autant que les quotas de pêche et les taux admissibles de capture alloués à
ceux-ci vont être réduits.
J'espère que les dispositions qui seront prises cette nuit à Bruxelles par le
conseil des ministres « pêche » ne seront pas trop négatives. Quoi qu'il en
soit, nous sommes le 17 décembre, et la mesure d'interdiction des filets
maillants dérivants s'appliquera à compter du 1er janvier 2002 ; or nous ne
savons pas encore exactement quel mode de versement et de fiscalisation sera
mis en oeuvre. Je trouve cela tout à fait déplorable et inquiétant.
De plus, je répète que l'Etat italien n'a pas hésité, en vertu d'un décret-loi
du 31 mai 1999, à exonérer d'impôts la prime versée aux marins comme aux
propriétaires de navire, ni même à octroyer une prime supplémentaire visant à
couvrir les charges sociales.
Cela étant, je veux bien entendre les explications de Mme le secrétaire
d'Etat, qui nous affirme que le problème est à l'étude - il ne reste plus que
quelques jours avant les fêtes de fin d'année -, et retirer l'amendement.
Cependant, je le fais à contrecoeur, car des décisions infondées sont prises
dans certains secteurs sans même que la question des indemnités compensatrices
soit réglée.
M. le président.
L'amendement n° 39 est retiré.
Article 20 bis