SEANCE DU 13 FEVRIER 2002
ACCORD AVEC L'ITALIE RELATIF
AUX TUNNELS DU MONT-BLANC
ET DU FRÉJUS
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 181, 2001-2002)
autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République
italienne relatif au contrôle de la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc
et du Fréjus. [Rapport (n° 206, 2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a discuté, le 23 octobre
2001, le projet de loi relatif à la sécurité des infrastructures. Je me suis
engagé devant vous, vous vous en souvenez, à faire promulguer ce texte très
rapidement. Cela a été fait le 3 janvier 2002. Cette loi modifie, entre autres,
l'article 118-4 du code de la route, en autorisant l'extension juridique de la
compétence territoriale des agents et officiers de police judiciaire, et
l'application des procédures de consignation et d'amendes forfaitaires hors du
territoire national.
Pour que cette mesure prenne son effet, la loi impose qu'une convention
internationale soit conclue entre les deux Etats concernés. Tel est l'objet du
texte que je vous propose de ratifier aujourd'hui. Il porte sur la première
convention de ce type, qui a naturellement été signée, pour commencer, avec
l'Italie, compte tenu de l'enjeu particulier du contrôle de la circulation dans
les tunnels franco-italiens.
Cet accord a été conclu sous forme d'un échange de lettres, signées par les
ministres des affaires étrangères français et italien, les 4 et 6 octobre
dernier, annexées au présent projet de loi.
Il a pour objet d'autoriser les agents des forces de l'ordre de chaque Etat à
intercepter et à verbaliser, à la sortie des tunnels transfrontaliers du
Mont-Blanc et du Fréjus située sur le territoire de l'autre Etat, les
contrevenants ayant commis des infractions aux règles de la circulation dans la
partie du tunnel située sur leur propre territoire.
En l'absence d'un tel texte, la verbalisation des infractions dans ces
ouvrages transfrontaliers repose sur des dispositifs de contrôle automatiques
et sur des contrôles exercés sur la moitié du linéaire de chaque sens de
circulation de l'ouvrage.
Le dispositif global proposé permet donc de réprimer les comportements
dangereux en tout point de l'ouvrage, avec toutes les facilités de contrôle et
de verbalisation nécessaires. Il assure la cohérence de la chaîne de contrôles
et de sanctions de la circulation des tunnels.
Pour bien comprendre la grande utilité de ce texte aujourd'hui, permettez-moi
de la resituer dans le contexte des conditions de transport dans les Alpes.
A la suite du dramatique accident survenu le 24 mars 1999 dans le tunnel du
Mont-Blanc et des autres accidents graves qui se sont produits en Autriche et
dans le tunnel du Gothard en Suisse, les gouvernements français et italien ont
pris l'engagement d'assurer la circulation dans leurs ouvrages transfrontaliers
dans des conditions de très haute sécurité.
Atteindre ces objectifs est d'autant plus important que la construction
européenne accroît les flux d'échanges nord-sud et transalpins de transports de
marchandises. La nouvelle politique globale des transports que le Gouvernement
a définie pour l'ensemble du territoire, notamment en ce qui concerne les Alpes
et les Pyrénées, en tient compte.
Pour les liaisons transalpines, je ne reviens pas sur les décisions majeures
que constituent l'expérimentation d'une autoroute ferroviaire en 2002, puis sa
confortation d'ici à 2006, et la future grande liaison Lyon-Turin, qui sera
ouverte au fret avant 2012. Pour donner un ordre d'idées, c'est l'équivalent
d'un million de camions qui utiliseront le rail et ne passeront plus par la
route.
Votre Haute Assemblée examinera, dans les jours prochains, la ratification de
l'accord de Turin portant sur cet ensemble de décisions.
Sans attendre, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc permettra, par ailleurs,
de délester le tunnel du Fréjus et, par conséquent, Chambéry et la vallée de la
Maurienne.
Je rappelle encore quelques chiffres : depuis la fermeture du tunnel du
Mont-Blanc, 1 600 000 camions passent par Chambéry et par le tunnel du Fréjus,
c'est-à-dire la quasi-totalité du trafic alpin.
Il s'agit donc bien de garantir la plus grande sécurité possible aux usagers
empruntant les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. La réalisation de cet
objectif a nécessité, s'agissant du tunnel du Mont-Blanc, trois types de
mesures : de nouvelles structures, un nouveau dispositif technique, un nouveau
règlement de circulation.
Sur le premier point, un comité de sécurité, composé de spécialistes français
et italiens des questions liées à la protection et à la lutte contre l'incendie
dans les tunnels, a été créé auprès de la commission intergouvernementale de
contrôle du tunnel. Ce comité aura notamment à constater l'achèvement des
travaux de sécurité et à valider le dernier exercice à organiser dans le
tunnel. Les retards qui sont pris actuellement sont la conséquence des fissures
qui ont été détectées.
Au préalable, ce comité a défini les conditions générales d'organisation des
secours : des pompiers présents en permanence à chaque tête du tunnel et en son
milieu, ainsi que des équipiers « sécurité » chargés d'organiser l'évacuation
éventuelle des usagers. Au total, quatorze personnes assureront jusqu'au milieu
de la nuit les secours permanents de ce tunnel. C'est plus que dans tous les
autres tunnels français, voire européens.
Nous avons aussi choisi, en leur apportant les moyens financiers nécessaires,
de faire appel aux services publics départementaux de pompiers plutôt qu'à des
sociétés privées.
Quant à l'unité de gendarmerie du tunnel du Mont-Blanc, trente gendarmes
supplémentaires lui ont été affectés.
Par ailleurs, conformément aux recommandations du rapport commun rédigé par
les deux commissions administratives d'enquête italienne et française, les
sociétés concessionnaires ont mis en place, le 31 mars 2000, une structure
unique et commune d'exploitation du tunnel sous la forme d'un groupement
européen d'intérêt économique, que les deux Etats ont reconnu par un échange de
lettres diplomatiques le 14 avril 2000.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les nouvelles structures en
charge, notamment, de la sécurité.
En ce qui concerne le nouveau dispositif technique, les deux gouvernements ont
souhaité que les travaux de remise en état du tunnel soient conduits de manière
à assurer l'unicité de leur conception et de leur réalisation. Ils ont donc
donné délégation à la commission intergouvernementale pour approuver, après
avis favorable du comité de sécurité, l'exécution par les sociétés
concessionnaires des travaux de réparation et d'équipement du tunnel.
Les deux gouvernements ont également décidé de soumettre le tunnel du
Mont-Blanc aux prescriptions techniques de la nouvelle circulaire française du
25 août 2000 relative à la sécurité des tunnels routiers, qui reprend sur de
nombreux points les conclusions du rapport de M. Kert, député. Celui-ci a
d'ailleurs reconnu récemment l'efficacité des travaux réalisés dans le tunnel
du Mont-Blanc en matière de sécurité.
Enfin, j'en viens au dernier des trois points que j'ai cités : l'exigence de
sécurité a conduit à revoir les règles de circulation des véhicules dans le
tunnel. Le nouveau règlement de circulation a été approuvé, au nom des
gouvernements français et italien, par un échange de lettres diplomatiques avec
mon collègue transalpin, les 17 et 24 janvier 2002.
Vous le voyez, nous avons placé la sécurité au coeur de multiples dispositifs.
Restait à l'inscrire dans les conditions mêmes de réouverture du tunnel. Cette
dernière, je l'ai déjà dit, s'effectuera de manière progressive, avec d'abord
une circulation des véhicules légers, puis une circulation à l'alternat des
poids lourds.
Ce règlement impose, en particulier, une distance de sécurité entre les
véhicules de 150 mètres en marche et de 100 mètres à l'arrêt, ainsi qu'une
vitesse de 50 kilomètres-heure minimum et de 70 kilomètres-heure maximum.
Les mêmes règles de circulation ont été imposées depuis 1999 au tunnel du
Fréjus. Des mesures complémentaires de sécurité y sont en cours de mise en
oeuvre, telles que la pose d'un dispositif central de guidage des usagers et la
réalisation d'importants travaux, notamment pour la construction de nouveaux
abris.
Des mesures d'alternat seront appliquées aussi souvent que ces travaux les
rendront nécessaires et des patrouilles de sécurité renforcées seront dotées
d'équipements de premier secours. Enfin, les poids lourds les plus polluants
seront interdits six mois après la réouverture du tunnel du Mont-Blanc.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par les lettres
qu'ils ont échangées sur le contrôle de la circulation dans les tunnels du
Mont-Blanc et du Fréjus, le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République italienne contribuent à garantir une sécurité
optimale de la circulation dans ces deux ouvrages majeurs, indispensables tout
à la fois aux relations entre nos deux pays et à la circulation dans l'ensemble
de l'Europe.
Je suis convaincu que vous aurez à coeur d'autoriser la ratification de cet
accord et je vous en remercie par avance.
(Applaudissements sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, sans revenir sur les détails du dispositif de cet accord, déjà
brillamment présentés par M. le ministre, je souhaiterais simplement souligner
combien la conclusion de cet accord et son application effective, la plus
rapide possible, paraissent nécessaire à la commission des affaires étrangères
du Sénat.
En effet, la situation qui prévalait jusqu'ici n'était absolument pas
satisfaisante, et il était temps de la faire évoluer. Ainsi, les forces de
police n'avaient pas à leur disposition les outils juridiques leur permettant
de réprimer les infractions aux règles de circulation à l'intérieur de ces deux
tunnels transfrontaliers, leurs capacités de répression dépendant du lieu où
est commise l'infraction.
Grâce à cet accord et aux moyens techniques nouveaux dont a été doté le tunnel
du Mont-Blanc, ce ne sera désormais plus le cas : la surveillance du tunnel
sera nettement améliorée, les gendarmes français pourront, à la sortie
italienne du tunnel, interpeller un conducteur qui aura commis une infraction
dans la partie française et les carabiniers italiens pourront réciproquement
faire de même à la sortie française.
Si cet accord ne peut qu'être approuvé quant à ses objectifs, monsieur le
ministre, les conditions de sa mise en oeuvre et de son application suscitent,
hélas ! quelques interrogations majeures.
Après l'accident survenu dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999, la France et
l'Italie, dans un accord du 14 avril 2000, se sont engagées « à redéfinir la
police de la circulation et les règles de sécurité et à les mettre en oeuvre
avant la réouverture du tunnel ».
Par conséquent, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, si l'entrée
en vigueur du présent accord est l'une des conditions de la réouverture du
tunnel du Mont-Blanc, son application paraissant nécessaire pour permettre aux
forces de police de faire respecter les normes de sécurité, notamment les
limitations de vitesse et les distances de sécurité que vous avez évoquées tout
à l'heure ?
Par ailleurs, une meilleure surveillance de la circulation dans les tunnels du
Mont-Blanc et du Fréjus nécessite des effectifs supplémentaires. Vous nous avez
dit à l'instant, monsieur le ministre, qu'étaient affectés à cette opération
trente gendarmes supplémentaires. Mais d'où viennent-ils ? La gendarmerie qui
en a la responsabilité a estimé ce besoin à plus de vingt gendarmes par tunnel,
ce qui fait quarante gendarmes. Un premier renforcement est intervenu au 1er
juillet 2001. Cependant, et c'est très important, la gendarmerie n'a pas vu son
budget augmenter en conséquence, et elle a dû procéder, pour une grande partie,
à des redéploiements.
Pour appliquer l'accord que nous examinons aujourd'hui, une présence
vingt-quatre heures sur vingt-quatre de l'autre côté du tunnel est nécessaire,
ce qui exige la présence de douze hommes supplémentaires pour chaque tunnel.
Pouvez-vous nous indiquer précisément, monsieur le ministre, si les moyens
nouveaux qui sont indispensables seront débloqués, soit par une contribution de
l'Etat, soit par une contribution de la société concessionnaire, afin que la
sécurité soit assurée dans ces tunnels et que leur surveillance ne soit pas
fonction de la disponibilité des personnels ?
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. Philippe François,
rapporteur.
C'est une question essentielle, monsieur le ministre, à la
solution de laquelle la gendarmerie attache grand prix. Après les récents
malheurs que la gendarmerie a connus, il est opportun que cette question
reçoive une réponse précise, dans l'intérêt des usagers des tunnels et pour la
gendarmerie elle-même, qui doit avoir les moyens d'exercer ses missions.
Enfin, monsieur le ministre, je ne suis pas sûr que le ministère de la justice
ait pleinement pris conscience de la nécessité de doter les tribunaux
compétents des moyens nécessaires à la poursuite et à la condamnation rapide
des infractions constatées à l'intérieur des tunnels. Il est probable, en
effet, que le renforcement de la surveillance et l'évolution de la
réglementation conduiront à une forte augmentation du nombre des procès-verbaux
et du contentieux, un contentieux d'autant plus complexe que de nombreux
conducteurs seront étrangers. Pouvez-vous nous indiquer les solutions
envisagées pour faire face à ces deux difficultés ?
En conclusion, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission
des affaires étrangères, et sous réserve des observations que je viens de
formuler, d'approuver cet accord, qui permettra une meilleure surveillance de
la circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Vial.
M. Jean-Pierre Vial.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accident
survenu dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999, qui a causé la mort de
trente-neuf personnes, a relancé le débat sur la sécurité dans les tunnels et
suscité une réelle prise de conscience des pouvoirs publics concernant le
contrôle de la circulation et la sécurité.
L'incendie du tunnel du Gothard, qui, lui, a provoqué la mort de onze
personnes, n'a fait que confirmer ce que tout le monde savait depuis longtemps
: même avec les tunnels les mieux équipés et les plus sûrs du monde, un trafic
routier de marchandises toujours plus intense, allié à une concurrence acharnée
entre transporteurs - en l'espèce, le chauffeur routier, turc, ne disposait pas
de permis de travail et s'était endormi - ne peut que mener à des accidents
dramatiques.
Aussi, le véritable débat est avant tout celui de la politique des
transports.
Le Livre blanc européen prévoit de faire payer à la route ses coûts externes
pour financer d'autres modes de transport, comme le rail, ce que les
transporteurs routiers sont prêts à accepter, à condition que cet argent soit
bien attribué au développement du ferroutage, notamment.
Depuis environ une dizaine d'années, l'Union européenne s'est métamorphosée en
créant un marché unique et en faisant tomber les barrières entre Etats membres.
La libre circulation des personnes et celle des marchandises sont deux des
pivots de la croissance future de ce marché unique.
Pour que ce marché trouve toute la dimension qu'il mérite, l'Union européenne
doit mettre en place un système de transports adéquat. Jusqu'à aujourd'hui,
l'ambition affichée par l'Union européenne a été de réaliser un réseau intégré
de transports transeuropéen qui réponde aux demandes d'un environnement mieux
défendu et de déplacements plus sécurisés et plus rapides.
Selon les experts, une économie saine des transports présente obligatoirement
des avantages. Je ferai juste un rappel : les transports participent pour 6,5 %
au produit national brut des Etats de l'Union et emploient 6 millions de
personnes.
La politique des transports a été l'objet de nombreux colloques, séminaires et
rapports, dont ceux de Jacques Oudin, respectivement intitulés
Le
financement des infra-structures de transport : conduire la France vers
l'avenir
et
La politique commune des transports.
La consommation d'énergie dans les transports représente 30 % de la
consommation totale de l'Union ; le transport routier en est responsable à 84 %
; il contribue pour 75 % à la production totale de CO2, qui, comme chacun le
sait, est loin d'être étranger à l'effet de serre.
A ce titre, plus que tout autre, le secteur des transports doit assumer une
double responsabilité. Il doit, d'une part, participer à un développement
économique plus équilibré et à un progrès social partagé, impliquant
l'utilisation la plus rigoureuse des ressources disponibles et la réduction de
tous les gaspillages ; la mobilité des personnes et des marchandises constitue
un élément essentiel de ce modèle de développement. Il doit, d'autre part,
chercher, dans une perspective de développement durable, à réduire l'ensemble
des nuisances provoquées par les activités de transport.
Ainsi, on s'aperçoit que le développement continu du marché unique, le retour
à la croissance dans tous les Etats de l'Union et la perspective de
l'élargissement sont les facteurs structurels et durables qui dynamisent la
demande de transports en Europe.
Si l'on prend pour repères les années 1990 à 1997, on constate que le PIB
européen a progressé annuellement de 1,8 % en moyenne, alors que le trafic de
passagers augmentait de 2 % par an et le trafic des marchandises, de 2,4 % par
an.
Or, pour les marchandises, le trafic intérieur à l'Europe entre 1990 et 1997 a
augmenté de 29 % pour la route, de 22 % pour la mer et de 10 % pour le réseau
fluvial. Pour le rail, il a diminué de 7 % sur la même période, même si, depuis
1994, le chemin de fer a connu un nouvel essor, mais avec une nouvelle
régression en 2001.
Hier, on a pu regretter la frilosité de l'Europe concernant cette politique.
Pourtant prévue par le traité de Rome, la politique communautaire des
transports n'a jamais été vraiment activée. Ce n'est qu'en 1985, lorsque le
Parlement européen a obtenu de la Cour de justice des Communautés européennes
la condamnation du Conseil pour défaut d'action dans le domaine des transports,
qu'une certaine prise de conscience a eu lieu.
Aujourd'hui, le coût total des quatorze projets relevant des réseaux
transeuropéens est estimé à 103 milliards d'euros. Actuellement, le financement
n'est assuré qu'à hauteur de 47,5 milliards d'euros, soit 46 % des besoins.
Quant au taux d'exécution effectif, il n'est encore que de 25 %, et l'Europe
exhorte les Etats à accélérer le programme.
Quel doit être le rôle de notre pays ?
La France aurait dû jouer un rôle majeur dans cette politique. En effet, notre
pays est un point de passage obligé pour les grandes liaisons en Europe.
Avec cette donnée géopolitique fondamentale qui confère à la France une
responsabilité particulière en Europe, on peut se demander quelles priorités le
Gouvernement a réellement et concrètement choisies, au-delà des projets qui
attendent leur financement pour être véritablement engagés.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Lesquels ?
M. Jean-Pierre Vial.
J'y viens, monsieur le ministre ! Et, comme j'ai cru comprendre que vous
alliez être parmi nous en Savoie, dans quelques jours, pour une
inauguration,...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Oui !
M. Jean-Pierre Vial.
... j'espère bien qu'à cette occasion vous pourrez répondre à la question que
je vous pose aujourd'hui.
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vial.
Le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échanges de
lettres entre les gouvernements français et italien relatif au contrôle de la
circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, que vous soumettez
aujourd'hui au Sénat, pourrait paraître répondre à l'une de ces exigences.
Quoi de plus normal, au stade où nous en sommes de la construction européenne
et, de surcroît, l'année de la mise en place de la monnaie unique, que de
considérer que nos Etats se doivent une coopération réciproque pour poursuivre
les infractions commises sur l'autre territoire ? D'autant qu'il ne s'agit que
de relever les infractions aux seules règles de la circulation, lesquelles, de
surcroît, continueront de relever des tribunaux compétents de l'Etat sur le
territoire duquel elles auront été commises.
Pourtant, pour évidentes et banales que paraissent ces mesures - bien loin
d'un droit pénal européen - l'importance du dispositif qui nous est soumis
semble résider plus dans ce qui n'est pas dit que dans ce qui est écrit.
Dans les annexes de ce projet de loi, la partie essentielle de l'accord est
bien mise en évidence : « Ce nouveau dispositif de contrôle s'avère d'autant
plus indispensable que le trafic quotidien dans le tunnel du Fréjus s'élève,
depuis la fermeture du tunnel du Mont-Blanc, à 4 300 poids lourds et 3 300
voitures, et que la fréquentation du tunnel du Mont-Blanc après sa réouverture
est estimée à 1 700 poids lourds et 3 200 véhicules légers par jour ».
Monsieur le ministre, au détour d'une mesure qui peut relever de la plus
nécessaire et indispensable coopération entre nos polices, n'y a-t-il pas là
dissimulation d'un dispositif de régulation qui ne veut pas être annoncé
officiellement ?
Comment, en effet, prétendre que le trafic des poids lourds serait d'un tiers
pour le tunnel du Mont-Blanc et de deux tiers sur le tunnel du Fréjus, alors
qu'il était équilibré auparavant, si des mesures de régulation ne sont pas
mises en oeuvre ?
Qu'il s'agisse de mesures de régulation technique qui permettraient de limiter
l'accès des poids lourds au tunnel du Mont-Blanc ou de mesures de régulation
réglementaire qui interdiraient l'accès du tunnel du Mont-Blanc à certains
transports, aucune de ces mesures ne justifie le silence qui reviendrait à
imposer l'essentiel du trafic poids lourds international aux populations
savoyardes - vous me permettrez de penser particulièrement à celles qui me sont
chères -,...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vial.
... qui sont concernées par l'itinéraire du tunnel du Fréjus.
Quand on demande à des populations de répondre à des exigences et à des
solidarités nationales, voire internationale, encore faut-il leur accorder un
respect identique ; les populations de toutes les vallées de France se
valent.
Cette régulation déguisée, monsieur le ministre, fait apparaître la vraie
nécessité des contraintes liées au transport de marchandises lors du
franchissement de l'Arc alpin en l'espèce. A ce stade de la construction
européenne, de surcroît, au cours de l'année internationale des montagnes, et
après le drame du tunnel du Mont-Blanc hier, l'accident du Saint-Gothard
récemment et celui du tunnel du Fréjus voilà quelques jours, la vraie
régulation du trafic de l'Arc alpin passe par une vraie solidarité, une
complémentarité et un équilibre des trafics entre les différents
franchissements de Trévise à Vintimille en passant par le Brenner et le
Saint-Gothard.
C'est parce que nous sommes bien loin d'une telle démarche - j'allais dire de
telles exigences - que j'exprime, monsieur le ministre, au nom des Savoyards
notamment, cette légitime préoccupation.
Celle-ci serait encore moins vive si nous n'avions aucune inquiétude sur
l'avenir.
Au trafic d'aujourd'hui succédera en effet celui de demain, qui ne cessera de
croître inexorablement, avec ses conséquences sur la sécurité.
Vous m'objecterez que le formidable projet de liaison ferroviaire
France-Italie constitue aujourd'hui la seule alternative crédible au « tout
routier » entre la France et l'Italie. Permettez-moi de m'interroger sur ce
point précis.
Certes, au mois de janvier 2001, sous l'impulsion décisive du Président de la
République, le sommet franco-italien annonçait la décision irréversible de la
réalisation du tunnel de base France-Italie pour un franchissement en 2015.
Le sommet suivant de Périgueux confirmait cette volonté, avançant même le
calendrier à 2012. Je sais la part que vous avez prise à cette décision.
Hier, vous annonciez votre volonté de voir doubler, dans un premier temps, le
transport de marchandises pour le voir passer de 10 à 20 millions de tonnes par
an, avant d'atteindre 40 millions de tonnes par an en 2015.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
En 2012 !
M. Jean-Pierre Vial.
Je fais la conversion, monsieur le ministre : 2012 ! Vous aggravez la
situation !
Or, malgré ce discours, le transport de marchandises SNCF a régressé en 2001,
et seule une politique ambitieuse et volontariste peut renverser cette
tendance.
Plus inquiétant encore : à ce jour, malgré la création du pôle alpin, qui
n'est rien d'autre que la mobilisation des financements, c'est-à-dire des
sociétés autoroutières alpines, qui d'ailleurs ont été créés, pour l'essentiel,
grâce à la volonté des collectivités locales, l'Etat ne s'est toujours pas
engagé sur le moindre financement. L'on connaît très précisément les volontés,
fortes et actuelles, qui s'opposent à ce projet, malgré les travaux de
reconnaissance déjà engagés.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que, si le projet de loi qui nous est
soumis aujourd'hui doit être adopté par nécessité, les appréhensions, les
craintes, les inquiétudes soient grandes de voir l'Etat ne pas assumer jusqu'au
bout ses responsabilités dans l'enjeu national et international que représente
le franchissement des Alpes.
M. le président.
La parole est à Mme David.
Mme Annie David.
Monsieur le président, monsieur le ministre, des chers collègues, la
réouverture du tunnel du Mont-Blanc à la circulation des voitures et des poids
lourds est une nécessité.
A la suite de la catastrophe survenue le 24 mars 1999, qui a causé la mort de
trente-neuf personnes, et après la fermeture du tunnel, le détournement du
trafic des poids lourds vers le tunnel du Fréjus engorge la vallée de la
Maurienne, en même temps qu'il est source de nuisances pour les habitants et
l'environnement.
Comme l'a souligné M. Vial, près de 3 300 voitures et 4 300 poids lourds
empruntent chaque jour le tunnel du Fréjus depuis la fermeture du tunnel du
Mont-Blanc. Par souci d'équité vis-à-vis de ces populations, le rééquilibrage
du trafic est nécessaire. Il exige la réouverture du tunnel du Mont-Blanc.
Mais nous savons aussi que cette réouverture suppose qu'un haut degré de
sécurité soit garanti.
Vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, et d'importantes mesures
techniques de sécurité ont été mises en place, que vous avez évoquées à
l'instant : le renforcement des dispositifs de lutte contre les incendies, la
mise en place d'une surveillance électronique permettant de détecter toute
anomalie possible, l'aménagement tous les trois cents mètres d'abris reliés à
une galerie d'évacuation vers l'extérieur.
A cela s'ajoutent des dispositions draconiennes en matière de sécurité
routière. A l'intérieur du tunnel, la vitesse de circulation est limitée à
soixante-dix kilomètres à l'heure. Les distances de sécurité sont fixées à cent
cinquante mètres entre deux véhicules en circulation et à cent mètres entre les
véhicules à l'arrêt.
Seront interdits à la circulation les transports de matières dangereuses, les
véhicules hors gabarit et les véhicules les plus polluants selon les normes
établies par la convention alpine.
La mise en place d'une régulation alternée de la circulation des poids lourds
se traduira aussi par une réduction d'environ 30 % du trafic de camions,
contribuant à diminuer la pollution atmosphérique. On estime en effet que, par
rapport à la situation antérieure, les niveaux d'oxyde d'azote seront deux fois
moindres.
Monsieur le ministre, vous avez par ailleurs confirmé que des normes strictes
de circulation s'appliqueront dans les deux tunnels en conformité avec la loi
sur l'air.
Enfin, vous avez souhaité que soit créé un comité de contrôle de la sécurité,
de la régulation et de l'environnement des tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc,
composé d'élus, d'associations et de professionnels, afin de veiller, en toute
indépendance, au respect des engagements pris en faveur de la sécurité et de
l'environnement.
Reste que l'amélioration de la sécurité à l'intérieur du tunnel exigeait aussi
le renforcement de la politique de coordination en matière de contrôle et de
répression des infractions entre la France et l'Italie. Tel est l'objet de
notre débat de ce jour.
Comme l'indique M. Philippe François dans son rapport, l'actuel dispositif
juridique entre les deux Etats ne permet pas aux polices française et italienne
« d'intercepter et de verbaliser sur le territoire de l'autre Etat les
contrevenants ayant commis des infractions aux règles de la circulation dans la
partie du tunnel située sur le territoire de leur Etat ».
Pour remédier à cette situation, l'évolution du droit est donc nécessaire.
L'échange de lettres des 4 et 6 octobre 2001 a permis d'aboutir à un accord
entre les gouvernements français et italien, relatif au contrôle de la
circulation dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce projet de loi, qui
autorise l'approbation de cet accord sans lequel toute politique efficace en
matière de contrôle et de répression des infractions serait compromise, alors
qu'elle est indispensable pour assurer effectivement la sécurité à l'intérieur
des tunnels.
Il n'en demeure pas moins, et nous le savons tous, qu'aussi bien en matière de
renforcement de la sécurité que de préservation de l'environnement, le
développement du fret ferroviaire est essentiel.
Vous en avez fait, monsieur le ministre, depuis votre arrivée au Gouvernement,
l'une des orientations prioritaires de votre politique. A maintes reprises, le
groupe communiste républicain et citoyen a souligné les efforts que vous avez
menés en faveur d'une politique des transports s'inscrivant en rupture avec les
années de dérive du « tout routier ».
Cette inversion de tendance en faveur d'un rééquilibrage rail-route s'inscrit
bien évidemment dans le long terme, et le chemin à parcourir reste long. Chacun
peut cependant constater les résultats obtenus en ce qui concerne le
franchissement des Alpes.
L'expérimentation du ferroutage sur la ligne classique Dijon-Modane-Turin se
concrétisera, dès mars 2002, par la mise en circulation des wagons spéciaux
Modalhor dans le cadre de leur homologation. Les premières navettes
ferroviaires seront mises en service dès 2006. Elles permettront d'alléger
considérablement le trafic routier en attendant la mise en service de la
nouvelle ligne Lyon-Turin.
Cette nouvelle ligne, consacrée aux marchandises, qui sera achevée à l'horizon
2012-2015, est significative de la réorientation de la politique des transports
en faveur du fret ferroviaire.
Globalement, entre 2002 et 2012, environ un million de poids lourds
délesteront annuellement la route au profit du rail.
L'on sait par ailleurs que les sociétés d'autoroutes participeront au
financement des travaux. Faire financer, en partie, le développement du rail
par la route, permet d'assurer, sur le long terme, la viabilité de toute
politique des transports visant la réorientation des flux de trafic de
marchandises vers le rail. C'est, là encore, se donner les moyens de respecter
l'objectif de doubler le fret ferroviaire d'ici à dix ans.
Je l'ai dit tout à l'heure, la réouverture du tunnel du Mont-Blanc aux poids
lourds nous semble indispensable, ne serait-ce, j'y insiste, que par équité au
regard des habitants de la vallée de la Maurienne.
Elle doit évidemment être fondée sur des engagements fermes quant à la
sécurité des personnes et de l'environnement.
Je tenais à vous faire part de nos préoccupations, monsieur le ministre, en
espérant que vous les partagez.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où
nous débattons à nouveau du problème de la sécurité des moyens de transport,
qu'il s'agisse du transport de marchandises ou de passagers, je tiens à
m'exprimer, au nom des élus de Savoie et de Haute-Savoie, en m'inscrivant dans
le droit-fil des propos qu'a tenus tout à l'heure notre collègue Jean-Pierre
Vial, sénateur de la Savoie.
Je veux réaffirmer à cette tribune que les parlementaires, les élus et
l'ensemble des populations de nos départements savoyards sont parfaitement
conscients de la nécessité de tout mettre en oeuvre pour donner la priorité à
la régulation et à la sécurité et assurer, ensuite, la réouverture du tunnel du
Mont-Blanc dans un premier temps aux voitures de tourisme et, dans un second
temps, au transport de marchandises.
Certains ont laissé entendre que nous étions prêts à sacrifier la sécurité à
une réouverture précipitée ou hâtive de ce tunnel.
C'est pourquoi je rappelle avec force la position des élus de nos départements
savoyards, rejoints par l'ensemble des élus de la nation, par le Gouvernement
et par le ministre. Je sais gré à Mme David d'avoir eu le courage de dire qu'il
fallait rouvrir le tunnel du Mont-Blanc aux poids lourds, dès lors que les
conditions de sécurité auront été respectées et mises en oeuvre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Pierre Hérisson.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour vous poser quelques questions,
monsieur le ministre. Certes, nous examinons aujourd'hui un projet de loi
visant à l'approbation d'un accord international et à la modification d'un
article du code de la route qui donnera la possibilité de sanctionner et de
verbaliser les infractions au code de la route à l'intérieur des tunnels
franco-italiens.
Toutefois, vous avancez souvent, et avec un optimisme que nous ne partageons
pas toujours, le projet d'ouverture de l'autoroute ferroviaire ou du tunnel
Lyon-Turin pour 2010.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Pour 2012 !
M. Pierre Hérisson.
Vous avez dit tout à l'heure : « avant 2010 » !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Pas du tout ! M.
Vial a parlé de 2015. J'ai rectifié pour dire 2012. Pas 2010 !
M. Pierre Hérisson.
Nous en prenons acte. Permettez-moi de formuler quelques observations à ce
sujet.
Tout d'abord, je rappellerai ici, sous le contrôle de mon collègue Jean-Pierre
Vial, également élu de la Savoie, que, selon l'excellent ouvrage
La Guerre
des tunnels,
il a fallu quarante-cinq ans pour définir un itinéraire et
réaliser le tunnel sous le mont Blanc. A l'origine, il s'agissait d'une étude
ferroviaire qui s'est transformée, au fil du temps, en une étude puis en un
ouvrage routiers. Il faut donc être particulièrement prudent sur le calendrier
de réalisation d'un tel ouvrage.
Il faut également prendre en compte, si l'on en croit les experts,
l'augmentation considérable, d'ici à 2015, du trafic de marchandises au sein de
l'Europe « ouverte ». Ainsi, le million de camions que vous avez évoqués
correspondra quasiment à l'augmentation du trafic de marchandises de l'ensemble
des pays européens. Il ne permettra pas une diminution du trafic par rapport à
celui de l'année 2000, année de référence pour les statistiques et l'expertise
que je viens d'évoquer.
Je tiens également à faire remarquer que nous passons trop sous silence le
fait que la nature des marchandises transportées a changé.
Quelles seront les marchandises à transporter en 2010 ou 2012 ? Le transfert
du ferroviaire vers la route est dû non seulement au délai d'acheminement des
marchandises mais aussi au changement de nature de ces dernières, qui sont
aujourd'hui à flux tendu. Pour parler simplement, l'essentiel des stocks des
entreprises de production industrielle se trouve sur la route, sur le réseau
ferroviaire ou sur la mer. Il faut donc engager une réflexion.
A cet égard, permettez-moi de dire que nous ne prenons pas suffisamment en
compte les trois paramètres que je viens d'évoquer.
Il est également impératif d'organiser un véritable débat non plus sur la loi
d'orientation des transports intérieurs mais sur une orientation des transports
au sein de l'Union européenne, compte tenu des enjeux, ainsi que sur une
répartition équitable du trafic de marchandises entre le ferroviaire, la mer et
la route. Nous manquons cruellement d'un grand débat à l'échelon européen et
dans chaque pays sur ce sujet.
Au fil des mois, depuis la catastrophe du 24 mars 1999, nous avons plutôt géré
le problème au coup par coup par des textes législatifs, réglementaires ou
techniques au lieu de prendre des dispositions susceptibles de faire évoluer
rapidement la situation. Faut-il également introduire dans la réglementation la
spécialisation des tubes routiers, les uns étant réservés au trafic de
marchandises, les autres, au trafic de voyageurs ? Le trafic des passagers
doit-il demeurer la victime innocente du trafic des marchandises ?
Il convient de se pencher sur le problème de la réalisation à certains
endroits d'un deuxième tube réservé aux véhicules légers à proximité des tubes
qui seraient spécialisés pour les marchandises.
Pour conclure, j'indique que j'approuve, par nécessité, le projet de loi qui
nous est soumis aujourd'hui, tout en faisant miennes les réserves qui ont été
émises par notre excellent rapporteur, M. Philippe François.
Mais, au-delà de ce texte, je pense que le problème qui est posé est celui de
l'avenir du transport et des conséquences du trafic routier sur les vallées
alpines, et en l'occurrence, dans le tunnel du Mont-Blanc et le tunnel du
Fréjus. Nous ne pouvons nous contenter de la situation actuelle, même si nous
prenons toutes les précautions. Vous nous avez confirmé, monsieur le ministre,
que d'ici à 2012, des mesures seront prises. J'espère que nous trouverons des
solutions raisonnables pour l'avenir, afin de prévenir un risque majeur qui met
en cause la vie même de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je voudrais tout
d'abord remercier M. le rapporteur d'approuver un texte qui sera, à mon sens,
très utile.
Cela étant, à sa question pertinente de savoir si l'entrée en vigueur de
l'accord est l'une des conditions de la réouverture du tunnel du Mont-Blanc,
laquelle aurait déjà dû intervenir la semaine dernière pour les véhicules
légers, puis au poids lourds en alternat dans un second temps si des fissures
n'étaient pas apparues, je répondrai simplement que les tunnels du Fréjus et du
Mont-Blanc avaient été ouverts à la circulation sans qu'un tel accord ait été
ratifié. Ce fait ne peut être contredit.
Il est vrai, cependant, que nous avons souhaité améliorer la capacité
d'intervention des forces de l'ordre françaises et italiennes, parce que nous
voulons renforcer les moyens non seulement de contrôle mais aussi de dissuasion
vis-à-vis de ceux qui considéreraient qu'ils pourraient échapper à la sanction
sous prétexte que leur interception à l'intérieur du tunnel risquerait de
provoquer un accident.
Ce dispositif supplémentaire correspond à ce que je crois être une ardente
obligation. Dès lors que le Parlement l'aura ratifié, cet accord sera
applicable dès la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, ce qui est une très
bonne chose. Mme David a également souligné ce problème : nous devons être en
mesure à la fois de contrôler les interdistances et la vitesse, et
d'intercepter les contrevenants. Les sanctions seront dissuasives, croyez-moi,
et les infractions coûteront cher. Il vaudra mieux respecter les règles, parce
qu'il n'y aura, j'y insiste, aucune tolérance.
En ce qui concerne la question des effectifs, qui a également été évoquée, je
veux d'abord indiquer que les gendarmes sont déjà en place aux tunnels du
Mont-Blanc et du Fréjus. Le redéploiement auquel il a été procédé dans le cadre
des services résulte d'un accord intervenu, à l'échelon national, entre la
police de l'air et des frontières, et la gendarmerie. La sécurité sera
améliorée grâce à un renforcement des effectifs. Ainsi, quarante-huit gendarmes
au total seront affectés au tunnel du Mont-Blanc, et non pas trente comme vous
l'avez affirmé, monsieur le rapporteur.
Quoi qu'il en soit, je ferai part de vos observations et de vos inquiétudes à
Mme la ministre de la justice. L'accord vise à mettre en oeuvre un dispositif
dissuasif, afin de prévenir les infractions. Il ne s'agit pas de donner la
priorité à la répression, mais, le cas échéant, les sanctions seront sévères.
Ces dernières relevant du domaine contraventionnel, les tribunaux ne seront
sollicités qu'en cas de recours, lesquels, de par la rédaction du texte,
n'auront que peu de chances d'aboutir. Les premiers contentieux pourront être
traités par subsidiarité par les chambres dont relèvent directement les
contrevenants français. Sur ce plan, le point sera fait dès cette année et, si
cela se révèle nécessaire, monsieur le rapporteur, un accroissement des moyens
pourra être décidé lors de la discussion du projet de loi de finances pour
2003. J'espère vous avoir ainsi répondu à propos d'une question que j'ai
évoquée avec Mme la ministre de la justice.
Peut-être sommes-nous dans une période où il est bon de choisir son camp et
son candidat.
(Sourires.)
Cela étant, je suis sûr que vous n'aviez pas
de telles arrière-pensées, monsieur Vial, quand vous vous êtes exprimé ! Avant
le 29 janvier, il y a eu le 19 janvier, et je crois que vous étiez
présent...
M. Jean-Pierre Vial.
Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
... lorsque le
Premier ministre est venu expliquer sur place que le Gouvernement était résolu
à faire une priorité de la politique ferroviaire et du ferroutage. Je pourrais
vous rappeler ses propos, mais je ne veux pas m'engager dans une telle
démarche, monsieur Vial, car je suis persuadé que vous ne souhaitez pas que ce
débat tombe dans l'électoralisme. Nous nous comprenons sans aucun doute...
(Sourires.)
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Vous avez de
mauvaises pensées !
M. Pierre Hérisson.
Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. de Villepin
est d'accord avec moi !
(Rires.)
En tout état de cause, vous aurez pu constater que je me bats, y compris sur
le plan européen, puisque le gouvernement auquel j'appartiens a contribué à ce
que le Livre blanc européen pour les transports soit enfin publié, et ce en
septembre 2001. La question de l'internalisation des coûts externes est une
vraie question.
Le doublement du trafic ferroviaire a été évoqué, notamment par Mme David. Il
ne s'agit que d'une étape, car, à travers les Alpes et les Pyrénées, ce trafic
devra être, à terme, multiplié par cinq ou six ! Sinon, ces zones sensibles
seront menacées d'asphyxie ! Le développement du transport par voie ferrée ne
suffira d'ailleurs pas, même s'il est essentiel ; il conviendra aussi de
recourir au cabotage maritime. J'ai ainsi obtenu que nous nous engagions dans
cette voie avec l'Espagne et l'Italie, afin de diversifier les modes de
transport utilisés pour le contournement ou le franchissement des Alpes et des
Pyrénées.
Tel est le combat dans lequel, mesdames, messieurs les sénateurs, le
Gouvernement s'est engagé. Vous pouvez penser ce que vous voulez de notre
action mais ne croyez pas que je n'aie pas pris ce problème à bras-le-corps !
Le maximum a été fait, je vous l'assure ! Ainsi, dans les contrats de plan
Etat-région, les crédits alloués au transport ferroviaire ont été multipliés
par huit, voire par dix, par rapport aux contrats de plan précédents ! Les
choses évoluent donc, et je m'en félicite.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
C'est émouvant !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est la réalité
! Je partage tout à fait les préoccupations de Mme David et de M. Vial
s'agissant du rééquilibrage des modes de traversée des Alpes.
En ce qui concerne la Savoie, j'ai obtenu - c'était une condition que j'avais
posée à mes interlocuteurs italiens - l'interdiction des camions « euro zéro »
à la réouverture du tunnel du Mont-Blanc et au Fréjus six mois plus tard. Les
camions les plus anciens, c'est-à-dire les plus polluants, seront donc exclus
du trafic.
S'agissant de la répartition des trafics entre le tunnel du Mont-Blanc et
celui du Fréjus, madame David et monsieur Vial, nous n'atteindrons pas la
parité, car les tunnels et les conditions ne sont pas les mêmes. Cependant, dès
la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, d'abord aux voitures, puis aux poids
lourds en alternat, la situation sera bien meilleure qu'elle ne l'était
auparavant dans les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise.
Bien entendu, le ferroutage devra être développé, mais le wagon Modalhor va
seulement être homologué. Je sais bien que l'on parle du ferroutage depuis
vingt ou trente ans, mais j'ai relu des livres de cette époque, écrits par des
gens compétents, où le mot « ferroutage » ne figure pas. Ces auteurs
prescrivaient voilà trente ans de transporter les camions et les voitures par
le rail, mais cela n'a pas été fait. Ils en rêvaient, nous l'avons fait !
(Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste. - Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. Alain Gournac.
Il est sensationnel !
M. Jacques Valade.
Pas vous, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mais si ! Je
pourrais également évoquer le TGV Est-européen, le viaduc de Millau, le TGV
Rhin-Rhône, entre autres réalisations !
M. Alain Gournac.
Heureusement que vous êtes là, monsieur le ministre !
M. Pierre Hérisson.
Cela existait il y a trente ans dans les livres !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
N'est-ce pas la
vérité ?
M. Gérard César.
C'est la Bible !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Lorsque le
système Modalhor aura été homologué, ce qui devrait être acquis dès la fin de
l'année, 50 000 camions pourront être transportés par voie ferrée avant
l'achèvement de la réalisation des travaux sur la ligne historique, notamment
des camions-citernes et de petites unités. Par la suite, ce sont 300 000
camions par an qui pourront emprunter la ligne historique.
Simultanément, nous creusons sous les Alpes ce fameux tunnel de cinquante-deux
kilomètres. Nous avons prévu le financement de la réalisation de cet ouvrage, y
compris en utilisant les dividendes retirés de l'exploitation des autoroutes.
Nous mettons donc véritablement en place une politique de développement du
ferroutage.
Par ailleurs, Mme David a eu raison d'évoquer le comité de suivi de la
sécurité et de l'environnement. Je crois en effet que le nouvel équilibre dans
le transport alpin doit être contrôlé et que nous devons pouvoir être avertis
en permanence et en toute transparence des efforts qu'il serait, le cas
échéant, nécessaire de consentir. La dimension démocratique et citoyenne du
dispositif est donc essentielle, et je vous confirme, madame David, que ce
comité sera installé dès le mois prochain, c'est-à-dire en mars 2002, par M. le
préfet de région.
Je pourrais répondre à M. Hérisson sur les flux tendus.
M. Pierre Hérisson.
J'aimerais bien !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est un vrai
débat.
M. Pierre Hérisson.
Effectivement !
Un sénateur du RPR.
C'est le vrai débat !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je vous connais,
vous l'abordez toujours sous l'angle de vos conceptions libérales.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Calmez-vous ! Voyez où le
libéralisme a conduit en Grande-Bretagne !
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Pierre Hérisson.
Mauvais exemple !
M. Alain Gournac.
On en est loin !
M. Jacques Valade.
Les Britanniques roulent à gauche !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Certes, ils
roulent à gauche, mais ils ne mènent pas vraiment une politique de gauche !
J'en termine. Il faut introduire des services nouveaux, comme les autoroutes
ferroviaires, qui permettent d'allier la souplesse de la route et les avantages
du train comme la préservation de l'environnement. Des logistiques nouvelles
doivent être mises en oeuvre pour obtenir une plus grande efficacité dans les
transports. Monsieur le sénateur, je vous confirme,...
M. Louis Moinard.
Et la continuité du service ?
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
..., pour la
réalisation de la ligne, l'objectif de 2012 que nous nous sommes fixé.
M. Pierre Hérisson.
Tout à l'heure, vous nous avez dit 2010 !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
M. Gayssot sera
encore ministre !
(Sourires).
M. Pierre Hérisson.
Bien sûr !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je vous promets
que, si je suis encore ministre
(Rires sur toutes les travées)
, le
projet verra le jour avant 2012. Mais je suis obligé de respecter les
procédures.
M. Jacques Valade.
Les procédures démocratiques !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Il y a en effet
des règles. Nous avons fait l'impossible pour accélérer le processus. La
première fois que nous avons évoqué ensemble ce sujet - M. Vial l'a d'ailleurs
confirmé -, c'est l'année 2015 qui avait été retenue.
M. Pierre Hérisson.
Exact !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Nous avons
étudié le dossier et demandé, parce que nous y tenions, et pas simplement pour
le plaisir de faire une déclaration, que, dans la mesure du possible, la
réalisation de ce projet soit avancée à 2012. Quand la Conférence
intergouvernementale nous a confirmé cette possibilité, nous l'avons annoncée.
C'est dans cette perspective que se situe notre démarche.
Bien entendu, tout ce qui pourra être accompli pour réduire encore les délais
sera fait. Mais je ne veux pas tricher avec la vérité, nous devons à la fois
développer la ligne historique et engager des travaux sur la nouvelle ligne
Lyon-Turin.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire. Quand est
survenue la catastrophe du Mont-Blanc, je me suis immédiatement rendu sur place
et j'y suis resté quinze heures. J'ai vécu dans la douleur ce drame, dont on ne
mesurait pas encore l'ampleur. En effet, on parlait alors de deux morts, ce qui
était déjà trop. Or on a finalement dénombré trente-neuf victimes. C'est
également à leurs familles que je pense !
Dans la démarche qui est la nôtre et que nous exprimons avec notre
proposition, nous manifestons aussi le souci de tirer le plus d'enseignements
possible pour éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise. Aussi, je vous
remercie d'avoir dit que vous apporteriez votre soutien à cette convention
internationale.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.