SEANCE DU 31 OCTOBRE 2002



(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise. Je suis saisi d'un amendement n° 6 rectifié bis, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 72 de la Constitution :
« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa. »
Cet amendement est assorti de trois sous-amendements, présentés par MM. Peyronnet, Bel, Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste et rattachée.
Le sous-amendement n° 244 tend, dans la première phrase de l'amendement n° 6 rectifié bis, après les mots : « de la République », à insérer les mots, : « assurent l'organisation décentralisée de la République. Ces collectivités ».
Le sous-amendement n° 245 vise, dans la première phrase de cet amendement, après les mots : « les communes, », à insérer les mots : « les communautés à fiscalité propre, ».
Le sous-amendement n° 246 a pour objet, après les mots : « créée par la loi », de supprimer la fin de la seconde phrase de cet amendement.
Ces trois sous-amendements se substituent respectivement aux sous-amendements n° 217 rectifié, 243 et 218 rectifié, qui sont retirés.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 6 rectifié bis.
M. René Garrec, rapporteur. L'amendement n° 6 rectifié bis diffère de l'amendement initial adopté par la commission sur deux points : d'une part, il intègre les collectivités à statut particulier dans la liste des collectivités énumérées par l'article 72 de la Constitution, comme le souhaitait notre collègue Nicolas Alfonsi dans son sous-amendement n° 241, et, d'autre part, il supprime la référence à la consultation préalable des électeurs sur la création d'une collectivité. Cette disposition restera à l'article 5, et nous aurons donc l'occasion d'en reparler.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 244.
M. Michel Charasse. Le groupe socialiste présente sur cet amendement n° 6 rectifié bis trois sous-amendements, dont je défendrai le premier.
Le sous-amendement n° 244 vise, dans la première phrase de l'amendement n° 6 rectifié bis, à insérer, après les mots : « Les collectivités territoriales de la République », les mots : « assurent l'organisation décentralisée de la République. Ces collectivités, etc. ». C'est la reprise de ce que nous avons voté à l'article 1er, pour bien confirmer que l'organisation décentralisée de la République est assurée au niveau des collecivités territoriales de la République. (M. le ministre délégué sourit.) Je vois M. Devedjian sourire ! Hier, il nous a fait une démonstration brillante en comparant déconcentration et décentralisation. Si la déconcentration, c'est l'Etat, la décentralisation, ce sont les collectivités territoriales. Il importe donc de mettre en cohérence le titre XII de la Constitution, qui concerne les collectivités territoriales, avec l'article 1er et de faire figurer dans ce titre la mention selon laquelle « les collectivités territoriales de la République assurent l'organisation décentralisée de la République ». Ainsi, les choses seront claires.
M. Michel Mercier. Il y a d'autres choses !
M. Michel Charasse. M. Mercier dit qu'il y a d'autres choses. Mais l'article 72 de la Constitution, dans la rédaction proposée par l'amendement n° 6 rectifié bis , énumère les collectivités territoriales : « les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 ». La réécriture de la première phrase de l'amendement n° 6 rectifié bis couvre à mon avis tout.
M. Alain Gournac. Très bien ! Très clair !
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy, pour présenter le sous-amendement n° 245.
M. Pierre Mauroy. J'ai de la suite dans les idées ! Par conséquent, je propose d'ajouter, dans le texte qui nous est soumis par la commission, après les mots : « les communes », les mots : « les communautés à fiscalité propre ».
Je préciserai, d'une façon un peu solennelle, que j'ai eu à Marseille un dialogue sur ces questions avec le Premier ministre, qui m'a alors conseillé de rédiger avec M. Gaudin un amendement dans ce sens, en disant : je l'accepterai. C'était une sorte de mission qu'il me donnait.
M. Hoeffel avait rédigé un amendement, très bien conçu d'ailleurs, que, personnellement, j'étais prêt à voter. Puis M. Gaudin avec qui j'ai noué un dialogue, a rejoint M. Hoeffel. Mais l'amendement de M. Hoeffel, pfuitt !... L'amendement de MM. Hoeffel et Gaudin, pfuitt !... Est arrivé ensuite un autre amendement, signé par d'autres honorables sénateurs, et qui constituait déjà un repli. Enfin, nous est parvenu un amendement de superbe repli, qui mentionnait les groupements de communes, sans autre précision. Là, c'était vraiment de l'expérimentation à large envergure ! Il ne manquait plus que les groupements de marionnettes, de pipeaux, etc.
J'ai la plus grande considération pour les syndicats à vocation multiple ou à vocation unique, mais le problème n'est pas là. Le problème est celui des collectivités à fiscalité propre. En tout cas, monsieur le président, je voulais qu'on me donne acte de ce que j'étais prêt à remplir cette mission que m'avait confiée le Premier ministre. J'étais prêt au dialogue. Je remercie d'ailleurs MM. Hoeffel et Gaudin de leur compréhension.
En fait, j'ai cru comprendre que le Gouvernement ne souhaitait pas que nous aboutissions, et que la majorité, dans une assez grande confusion d'ailleurs, ne le souhaitait pas non plus.
Je tenais à ce que tout cela fût dit car, au moment où un grand dialogue a lieu dans le pays sur la décentralisation, il faut que les choses soient bien claires. S'il y a rupture, elle n'est pas de notre fait. Elle provient de la majorité. Je tiens à ce que ce soit dit au Premier ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter le sous-amendement n° 246.
M. Roland Courteau. Je me suis déjà largement exprimé tout à l'heure, au nom du groupe socialiste, sur l'amendement n° 132. Mais je tenais à dire ma stupéfaction qu'aucune réponse n'ait été donnée aux questions que nous avions posées lors de la présentation de cet amendement.
Nous avons tout juste compris que la commission et le Gouvernement étaient défavorables ; pas un mot pour répondre à nos interrogations quant à la possibilité donnée par la Constitution de substituer aux collectivités existantes une collectivité nouvellement créée ; pas un mot pour apaiser nos réelles inquiétudes sur une possible suppression des collectivités comme les communes ou les départements. Et pourtant, une brèche a bel et bien été ouverte à l'échelon constitutionnel pouvant conduire à leur suppression ! On ne daigne même pas nous répondre sur le fond ! Au moins, monsieur le président, les innombrables suspensions de séance et l'impression de flottement qui règne dans les rangs de la majorité nous auront-ils permis de reformuler nos inquiétudes sur ces dispositions dangereuses pour l'existence même des collectivités telles que les communes ou les départements.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, et je terminerai là-dessus : quelles sont vos intentions ? Laisserez-vous faire ? Laisserez-vous aller les choses ? Ou bien donnerez-vous votre soutien à notre sous-amendement, dont l'adoption écarterait un tel danger ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Monsieur Alfonsi, dans la mesure où votre sous-amendement n° 241 semble satisfait par l'amendement n° 6 rectifié bis de la commission, le retirez-vous ?
M. Nicolas Alfonsi. Je remercie le Gouvernement d'avoir bien voulu accepter ce sous-amendement, qui me paraît essentiel. Je remercie également la partie de notre assemblée qui a montré sa sollicitude envers la Corse, puisque ce sous-amendement a été présenté comme concernant la Corse, ce que je me refuse à considérer.
M. René Garrec, rapporteur. C'est en effet d'ordre général !
M. Nicolas Alfonsi. J'allais dire qu'il concerne d'autres collectivités à statut particulier. Pour ma part, je prends toujours la précaution de ne pas prononcer le nom de ma région.
En tout cas, je souhaite que l'amendement de la commission recueille un accord unanime de la Haute Assemblée.
M. le président. Le sous-amendement n° 241 est retiré.
Le sous-amendement n° 238 rectifié est devenu sans objet, de même que le sous-amendement n° 242.
Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 244, 245 et 246 ?
M. René Garrec, rapporteur. Le sous-amendement n° 244 est intéressant... mais il se contente de répéter ce qui est déjà mentionné à l'article 1er. Il me paraît donc inutile. La commission y est, par conséquent, défavorable.
La commission a déjà émis un avis défavorable sur la proposition contenue dans le sous-amendement n° 245, qui vise à faire figurer les EPCI à fiscalité propre dans la Constitution, en attendant l'amendement Hoeffel.
Le sous-amendement n° 246 tend à supprimer la possibilité de substituer une collectivité à des collectivités énumérées par la Constitution. Il est en ce sens contraire à la proposition de la commission des lois, qui a accepté une telle disposition pensant qu'elle introduirait de la souplesse dans le dispositif et permettrait une rationalisation de l'organisation territoriale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 rectifié bis ainsi que sur les sous-amendements n°s 244, 245 et 246 ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à l'amendement de la commission des lois.
S'agissant du sous-amendement n° 244, il pense que la répétition n'a pas de valeur en soi. Je ne crois pas que la Constitution - je l'ai déjà dit à propos d'autres propositions - s'enrichisse de la répétition à plusieurs reprises des mêmes principes.
Je laisserai M. Devedjian répondre à M. Pierre Mauroy puisque lui était à Marseille. Ayant été le témoin de la conversation que vous avez évoquée, monsieur Mauroy, il me semble bon que ce soit lui qui vous réponde, ce que je ne saurais faire.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 246, je dirai très clairement que les craintes qui se sont manifestées quant aux intentions de la majorité du Gouvernement sont complètement absurdes.
M. Jean-Pierre Sueur. Dans dix ou quinze ans, on en reparlera !
M. Dominique Perben, garde des sceaux, Il n'est pas question de supprimer, comme ça - je ne sais d'ailleurs pas avec quelle ambition ni pour quelle raison - telle ou telle catégorie de collectivités territoriales, collectivités territoriales dont le projet de loi confirme d'ailleurs l'existence dans la Constitution.
C'est la théorie du complot qui revient ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Le Gouvernement émet donc évidemment un avis défavorable sur ce sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales. Je voudrais simplement répondre à M. Pierre Mauroy.
J'étais comme lui à Marseille. Il a effectivement interpellé le Premier ministre sur la nécessité d'insérer dans la Constitution les groupements à fiscalité propre.
M. Mauroy avait notamment souligné qu'il était déraisonnable de priver les établissements à fiscalité propre du droit à l'expérimentation. Le Premier ministre lui avait donné raison en répondant qu'en effet il ne voyait pas pourquoi ces groupements seraient privés de ce droit.
Toutefois, monsieur Mauroy, M. le Premier ministre n'a pas dit pour autant que les établissements à fiscalité propre devaient prendre place à côté des autres collectivités, ne serait-ce que parce que ce ne sont pas des collectivités. Il a seulement fait droit à votre demande de les faire bénéficier de l'expérimentation.
Dans la suite du débat, le Gouvernement se montrera favorable à ce que ces groupements puissent bénéficier du droit à l'expérimentation. Ils entreront de cette manière dans la Constitution. L'accord qui vous a été donné par le Premier ministre sera ainsi respecté par le Gouvernement. (Très bien ! sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 244.
M. Michel Charasse. Quand on rédige des morceaux de Constitution, le temps passé n'est jamais inutile.
M. Gérard Longuet. C'est exact !
M. Michel Charasse. A aller trop vite, on risquerait de regretter plus tard d'avoir fait cela à la sauvette. Nous avons donc, à juste titre, passé un certain temps hier à discuter sur la question de savoir s'il fallait inscrire l'organisation décentralisée de la République à l'article 1er de la Constitution, éventuellement à l'article 2, comme le proposait initialement la commission des lois, ou à l'article 72. Finalement, le Sénat a tranché : ce sera à l'article 1er.
A ceux d'entre nous qui ont demandé s'il fallait comprendre que les organes centraux de l'Etat, la souveraineté, l'autorité juridiciaire, le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement seraient décentralisés, il a été répondu que non. Et M. Devedjian de nous expliquer qu'il ne fallait pas confondre la décentralisation et la déconcentration. Ce sont effectivement deux choses différentes.
Nous étions donc ici un certain nombre à craindre qu'on ne porte atteinte à la République.
M. Jean-Guy Branger. Oh !
M. Michel Charasse. Eh, tu dois tout à la République, toi aussi ! Heureusement qu'elle était là ! Et cela vaut également pour moi ! La « Gueuse », elle a des mérites de temps en temps !
Bref, on nous a dit qu'on n'allait pas toucher à la République. Il y a eu une discussion sur la question de savoir s'il fallait assouplir le principe d'égalité, si la République était bien toujours indivisible. Mais, enfin, on nous a affirmé qu'en mettant la fameuse phrase à l'article 1er, il n'y avait pas de risque, ou très peu...
Puisqu'il ne s'agit pas de décentraliser l'Etat et encore moins la République, alors qui met en oeuvre la décentralisation, sinon les collectivités territoriales ? Voilà pourquoi je propose qu'on le précise aussi à l'article 72.
Autrement dit, à l'article 1er, il est écrit que l'organisation de la République est décentralisée et je propose, moi, d'écrire à l'article 72 que les collectivités territoriales assurent l'organisation décentralisée de la République. Je ne vois pas qui d'autre pourrait le faire !
Alors, je ne comprends pas pourquoi on nous explique que ce n'est pas la peine de le préciser. Ou bien les choses sont parfaitement claires, ce sont les collectivités locales qui sont chargées de la décentralisation, on ne décentralise rien d'autre et, dans ce cas-là, il n'y a aucun inconvénient à faire figurer cette phrase à l'article 72 ; ou bien on a des arrière-pensées et l'on ne veut pas que les collectivités locales soient seules à s'occuper de la décentralisation. Si c'est le cas, j'aimerais bien savoir ce qu'on veut décentraliser d'autre dans la République et dans ses principes sacrés.
Mon sous-amendement est logique et rassurant. Mais peut-être n'a-t-on pas envie d'être logique ni, surtout, d'être rassurant. En tout cas, je maintiens mon sous-amendement. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 244.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 19:

Nombre de votants 314
Nombre de suffrages exprimés 283
Majorité absolue des suffrages 142
Pour l'adoption 82
Contre
201

La parole est à M. Paul Girod, contre le sous-amendement n° 245.
M. Paul Girod. Je suis contre l'introduction des groupements à fiscalité propre dans la Constitution, et ce pour deux raisons simples.
Premièrement, leur périmètre n'est pas définitif. Toutes les communes qui se sont agglomérées ont un droit de retrait ou peuvent demander le changement du périmètre.
Je me réjouis que le Gouvernement se propose d'ouvrir à ces organismes le droit à la dérogation et à l'expérimentation, mais il ne s'agit pas d'organismes dont les limites sont définitives et dont la nature est précisément identifiée. Ne serait-ce qu'à cause de cela, je pense qu'il n'y a pas lieu de les mentionner dans la Constitution.
Je sais bien que, pour un certain nombre d'élus, l'intercommunalité est devenue une fin, presque une religion, avec ses intégristes. Pour ma part, j'en reste à l'idée selon laquelle elle est un moyen intéressant, essentiel même, mais qu'il ne s'agit pas d'une collectivité territoriale au sens précis du terme.
Deuxième raison : dans l'état actuel des textes, les délégués des communes dans les structures intercommunales n'ont pas l'obligation légale de rendre compte de la totalité de ce qu'ils font en tant que responsables intercommunaux, même pas au conseil dont ils sont issus. La plupart le font, grâce au ciel !
M. Michel Charasse. Beaucoup, pas la plupart !
M. Jean-Pierre Masseret. Et ce n'est pas grâce au ciel ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Soit ! Grâce à eux !
En tout cas, ce n'est pas une obligation et il y a un certain degré d'irresponsabilité possible dans la gestion de ces organismes intercommunaux.
Telles sont les deux raisons pour lesquelles je suis contre ce sous-amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy, pour explication de vote.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le ministre délégué aux libertés locales, vous êtes un bon avocat.
M. Jean-Claude Peyronnet. On le dit ! (Sourires.)
M. Robert Del Picchia. On le sait ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Mauroy. Vous avez votre version de ce qui s'est passé à Marseille. Permettez-moi de vous rappeler que j'ai commencé mon intervention - qui a été ultrarapide - en disant : « Une idée, une observation. » J'ai défendu la thèse que je continue à défendre devant vous, c'est-à-dire la place des communautés à fiscalité propre. J'ai ajouté, l'espace d'une seconde, que des communes allaient expérimenter, mais que les communautés ne le pourraient pas.
M. le Premier ministre m'a répondu. Vous vous souvenez de l'éloge extraordinaire qu'il a fait des communautés urbaines, nous prenant à témoin, citant Lille, Strasbourg, Lyon, Marseille, Bordeaux. Alors, emporté par son élan, mais aussi, je l'espère, par sa conviction, il a dit : « Qu'il y ait un amendement Gaudin-Mauroy ! Cela aurait de la gueule ! » Tout le monde a compris - peut-être pas vous, mais je ne doute pas de votre parole - que cette suggestion portait non sur l'expérimentation, sujet alors tout à fait secondaire, mais sur les communautés à fiscalité propre. D'ailleurs, M. Hoeffel a effectivement déposé un amendement - depuis, il s'est envolé, comme l'amendement Hoeffel-Gaudin, mais on devrait pouvoir le retrouver - qui portait précisément sur les groupements à fiscalité propre.
M. Michel Charasse. Il l'a annoncé au congrès des maires !
M. Pierre Mauroy. Quand j'ai pris connaissance de cet amendement de M. Hoeffel, j'ai pensé avec joie que les choses avaient bien évolué !
M. Jean-Claude Gaudin a pris contact avec moi. Je lui ai dit que je ne déposerais pas d'amendement puisqu'il y avait l'amendement de M. Hoeffel. Cela l'arrangeait sans doute ! En tout cas, il l'a signé.
Il y a donc eu un deuxième amendement, signé par M. Hoeffel et par M. Gaudin, qui concernait toujours les groupements à fiscalité propre. Personnellement, j'aurais pu le signer ! Mais, je l'ai dit, ces amendements se sont ensuite envolés. Sont alors arrivés des amendements tout à fait différents. On a dégringolé très bas puisqu'on est descendue jusqu'aux simples groupements de communes, ce qui inclut notamment tous les syndicats intercommunaux.
Je souhaite seulement qu'on reconnaisse que, dans cette affaire, j'ai montré que j'étais un homme de dialogue, prêt à la concertation avec le Premier ministre.
Vous avez peut-être raison, monsieur le ministre délégué, de dire que l'acte II commence tout à fait différemment, mais je tenais à faire ce rappel, de manière qu'il apparaisse clairement que, dans cette espèce de tour de France sur la décentralisation, vous prenez la responsabilité de ne pas inclure les collectivités à fiscalité propre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je n'étais pas à Marseille. Je n'ai donc pas eu le plaisir d'être « caressé dans le sens du poil », par le Premier ministre, comme l'ont été les présidents de communautés urbaines. Cela doit être bien doux ! (Sourires.)
Monsieur le ministre délégué, je ne comprends pas bien votre position, ni celle du Premier ministre. Vous nous dites qu'il est impossible ou au moins prématuré que les communautés à fiscalité propre deviennent des collectivités à part entière, et je peux comprendre cette position. Mais vous nous dites dans le même temps, si je vous ai bien compris - en tout cas, le Premier ministre le dit - qu'elles vont pouvoir expérimenter.
Or voici ce que je lis dans votre texte : « Lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut confier à l'une d'entre elle le pouvoir de fixer les modalités de leur action commune ».
Je me demande donc à quel titre les communautés à fiscalité propre pourront expérimenter.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Amendez !
M. Jean-Claude Peyronnet. Dans le mesure où, pour l'instant, ce ne sont pas des collectivités à part entière, cela semble extrêmement difficile !
Au demeurant, si c'était possible, ce serait extrêmement grave ! En effet, comment une entité qui n'est pas une collectivité territoriale pourrait-elle fixer, pour des collectivités territoriales dûment reconnues comme telles, les modalités de leur action commune ? Il y a là une confusion et un danger extrêmes.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Remercions les auteurs du sous-amendement n° 245 d'avoir posé une question que nous ne pouvions pas ne pas évoquer à l'occasion de ce débat sur la décentralisation.
Il aurait en effet été invraisemblable de ne pas nous poser la question de la place des intercommunalités dans l'avenir.
Pour autant, monsieur Pierre Mauroy, je ne voterai pas aujourd'hui votre sous-amendement car il est, à mes yeux, parfaitement prématuré dans la mesure où il ne décrit pas très clairement ce que sont les intercommunalités à fiscalité directe dans votre esprit et quelles pourraient être leurs relations avec les autres types de collectivités locales. Il serait paradoxal, alors même que nous cherchons à renforcer le pouvoir des territoires et à clarifier leurs responsabilités, de créer un quatrième échelon qui provoquerait une relation ambiguë avec les échelons communal, départemental et régional.
Ce débat mériterait d'être clarifié et M. le ministre délégué, avec beaucoup de sagesse, a indiqué que la porte était ouverte et qu'il fallait y réfléchir pour avancer et progresser.
En définitive, se pose un problème de mariage : faut-il être trois, quatre ou deux ? Lorsque vous nous proposez d'instaurer une intercommunalité avec un statut constitutionnel, vous ne nous dites pas, en définitive, si vous souhaitez créer deux ou quatre niveaux. Or la question se poserait si nous adoptions ce sous-amendement.
En réalité, il existe trois acteurs dans l'intercommunalité et vous avez raison, monsieur Mauroy, d'écarter le SIVU, le syndicat intercommunal à vocation unique, et le SIVOM, le syndicat intercommunal à vocation multiple.
Tout d'abord, les intercommunalités rurales répondent au bon sens rural. Parmi les 36 000 communes, la plupart sont rurales et l'immense majorité d'entre elles a instauré des communautés de communes. Ces dernières élaborent de véritables projets partagés qui reposent sur l'engagement volontaire des conseils municipaux,...
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Gérard Longuet. ... lesquels n'entendent pas disparaître parce qu'un besoin de proximité se fait sentir.
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Gérard Longuet. Or ce besoin de proximité ne peut être traité par une équipe administrative à l'échelon cantonal.
Mais il me semble, monsieur Mauroy, que votre intention n'est pas de faire disparaître les communes rurales. En tout état de cause, nous n'en prendrions pas la responsabilité publiquement !
Pourquoi alors entretenir une ambiguïté en créant un quatrième échelon qui réduirait les maires à n'être que des exécutants des règlements de police, alors que le pouvoir se concentrerait au niveau de l'intercommunalité ?
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Gérard Longuet. A l'autre extrémité, se trouvent - telle la vôtre - les communautés urbaines, qui sont au nombre de quatorze en France.
Le fait de leur conférer un statut constitutionnel, tout en sachant que les trois autres niveaux ont des assemblées délibératives élues au suffrage universel direct, nous conduira inévitablement à nous interroger sur la nature, l'organisation et le mode de scrutin que nous retiendrons pour les intercommunalités urbaines.
Quelle place accorder à ces collectivités par rapport au département et à la région ?
Ce projet de loi constitutionnelle prévoit un statut particulier. Nous avons évoqué celui de la Corse, mais il y a aussi celui de Paris, qui est une ville-département. Nous pouvons parfaitement imaginer de faire oeuvre législative pour les treize à quatorze communautés urbaines de notre pays. Il n'y en aura guère plus. Nous pouvons explorer la voie du statut particulier, à condition, naturellement, de régler la question des relations entre ces collectivités urbaines et les collectivités régionales ou départementales qui sont leurs interlocuteurs, mais on imaginerait mal qu'elles ne partagent pas leurs responsabilités respectives.
Restent les communautés d'agglomération. Si vous donnez le sentiment aux élus que vous allez les faire « passer dans un entonnoir » qui les conduira à la fusion, vous prenez le risque, alors que nous en avons besoin, de paralyser le mouvement de construction des communautés d'agglomération.
Les communes-centres, qui ont des charges liées à leur centralité, doivent partager des recettes avec des communes périphériques dont les habitants vivent sur les services et les activités de la commune-centre.
Si vous donnez aujourd'hui le sentiment que vous voulez une fusion de fait, vous risquez de bloquer la politique d'agglomération, qui est absolument indispensable.
Je vous remercie d'avoir posé le problème, mais il est impossible de le régler aujourd'hui, surtout avec le dispositif que vous nous proposez, qui est trop brutal et qui ne correspond pas à la réalité française. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je tiens à vous rappeler notre profond attachement à la complémentarité entre communes et communautés. Ce qui risque de porter atteinte à l'existence future des communes, ce n'est pas notre sous-amendement, mais c'est le texte du Gouvernement tel qu'il est rédigé : « Toute autre catégorie de collectivité territoriale est créée par la loi. La loi peut également créer une collectivité à statut particulier, en lieu et place de celles mentionnées au présent alinéa. »
Nous ne faisons aucun procès à M. Perben ou à M. Devedjian à ce propos, mais la Constitution est faite pour durer longtemps. Or le texte que vous proposez pourrait mettre en cause les communes. On pourrait en effet leur substituer une forme d'intercommunalité qui deviendrait une nouvelle collectivité en vertu de la Constitution.
Par ailleurs, je veux répondre à l'argument juridique qui a été avancé par M. le garde des sceaux et M. le président de la commission des lois, et qui a été évoqué par M. Longuet à l'instant, selon lequel les communautés ne peuvent relever de la même catégorie juridique que les collectivités locales.
Trois critères définissent les collectivités territoriales. Premièrement, elles lèvent l'impôt.
M. Michel Charasse. Elles sont élues !
M. Jean-Pierre Sueur. On ne peut pas dire que les intercommunalités ne lèvent pas l'impôt. Elles lèvent l'impôt de plus en plus et, pour certaines d'entre elles, plus encore que certains départements ou certaines régions.
Deuxièmement, elles décident des dépenses.
Troisièmement, elles sont élues. On nous rétorque qu'elles ne le sont pas au suffrage direct, ce qui est vrai. Pourtant, dans cette assemblée, le scrutin indirect n'est pas considéré comme illégitime, ce serait paradoxal.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. C'est prévu !
M. Jean-Pierre Sueur. En fait, la raison pour laquelle certains soutiennent aujourd'hui qu'une collectivité locale ne peut pas procéder du scrutin indirect au second degré - M. Gélard nous l'a expliqué avec beaucoup de clarté en commission - tient à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Mais cet argument tombe car il s'agit en l'espèce de modifier la Constitution.
Si le Sénat adopte le sous-amendement que nous vous proposons, la Constitution sera modifiée par définition et, de ce fait, la jurisprudence future du Conseil constitutionnel ne pourra que s'inspirer de la nouvelle rédaction de la Constitution !
Je voulais simplement revenir sur le point de savoir si des arguments juridiques pouvaient être opposés au fait de faire figurer désormais dans la Constitution que les communautés seraient des collectivités locales de la République. Je pense qu'il n'y en a pas.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Masseret. Je suis embarrassé, mais mon embarras n'est pas votre souci, mes chers collègues et je le comprends ! En effet, je suis contre le sous-amendement soutenu par M. Mauroy, ce qui m'amène à être en accord avec M. Longuet, notamment, alors que je suis en opposition avec lui en Lorraine !
Selon ce sous-amendement, dès lors que les communautés de communes seront inscrites dans la Constitution, au même titre que le département, la commune ou la région, leur exécutif sera obligatoirement élu au suffrage universel direct. Or si aujourd'hui nous procédons à l'élection au suffrage universel direct des exécutifs des communautés de communes, nous tuons les communes. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Je ne vous demande pas de m'applaudir, mes chers collègues, j'exprime une opinion personnelle ! (Rires sur les mêmes travées.)
La richesse de la République française, ce sont les 36 000 communes qui la composent.
M. Alain Gournac. Oh, que oui !
M. Jean-Pierre Masseret. Ce n'est pas ringard que de défendre effectivement l'existence de ces communes.
Je sais que, dans ce sous-amendement, rien n'est indiqué quant à l'élection au suffrage universel ni quant à la suppression des communes, mais ce texte se place dans une logique.
Je combats donc radicalement ce sous-amendement comme je combats radicalement la proposition du Gouvernement, dès lors qu'elle fait peser sur l'ensemble des collectivités territoriales, notamment sur les communes, la menace d'une épée de Damoclès qui peut les amener à disparaître. Il s'agit là d'un vrai danger, effectivement.
Cette richesse, cette proximité, ces 500 000 élus, il faut les conserver. Si l'exécutif d'une intercommunalité est élu au suffrage universel direct, sa légitimité sera renforcée. Un élu est plus légitime lorsqu'il est élu avec 10 000, 15 000 ou 100 000 voix qu'avec 300 ou 400 seulement.
Voilà pourquoi je suis opposé, et j'en suis désolé, au sous-amendement que défend mon collègue M. Pierre Mauroy. Mais, s'il vous plaît, mes chers collègues, ne m'applaudissez pas, car cela passerait pour un coup politicien ! (Rires et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Pour apporter mon soutien à M. Pierre Mauroy et à mes collègues qui ont défendu à l'instant ce sous-amendement, je souhaitais rappeler que nous venons de vivre en France un certain nombre d'événements politiques et que, tous les jours, on nous dit que les Français ne comprennent plus grand-chose à la politique, qu'ils s'en désintéressent, qu'ils ne voient plus très bien de quoi s'occupent les collectivités et les hommes politiques, et que cela peut justifier nos inquiétudes pour l'avenir.
Ce qui peut rapprocher nos concitoyens de la politique, c'est ce qu'ils vivent au quotidien, et la gestion du quotidien, elle relève des compétences des collectivités locales.
Qu'est-ce qui marche bien aujourd'hui, mes chers collègues ? Que voient nos concitoyens autour d'eux ? Ils voient tout ce qui relève des compétences nouvelles assumées par l'intercommunalité.
Hier, nous avons évoqué les résultats de l'intercommunalité depuis trois ou quatre ans, sa montée en puissance considérable. Si quelque chose peut aujourd'hui rapprocher nos concitoyens de la politique, ce sont bien les actions conduites à l'échelle de l'intercommunalité. Alors, pourquoi une telle frilosité de la part du Gouvernement et de la majorité sénatoriale ?
Nous constatons un grand décalage entre ce texte qui fait état de la proximité, de la visibilité donnée à l'électeur, du contrôle qui est rendu possible sur l'action des élus et l'attitude du Gouvernement, qui semble négliger toutes les compétences prises en charge par les communautés de communes en matière de gestion des déchets ou de transports scolaires, par exemple ?
Nos concitoyens voient les résultats concrets. Ils peuvent contrôler l'efficacité des services. Tout cela va, me semble-t-il, dans le sens de la proximité recherchée.
De la même façon, la majorité sénatoriale affirme sa volonté de changer la conception de la politique et de libérer les initiatives sur le terrain. Mais qui libère les initiatives ? Quelles sont les collectivités qui investissent, créent de nouvelles activités et développent de nouvelles compétences ? Ce sont les communautés ! Elles engagent des politiques en direction des jeunes, de l'environnement, de l'action sociale, du tourisme et elles influent sur l'emploi. Bref, mes chers collègues, si vous me permettez l'expression : la France d'en bas est en marche à travers l'intercommunalité. Pourquoi aujourd'hui cette réaction de rejet, cette frilosité ?
Messieurs les ministres, en laissant de côté cette composante jeune, dynamique et créative de l'action sur nos territoires et en refusant de prendre en compte véritablement l'avenir, ne risquez-vous pas de donner raison à ces observateurs qui, aujourd'hui, dénoncent le manque de souffle, voire l'aspect ringard du présent projet de la constitutionnelle ! Ne craignez-vous pas que ce texte soit mal perçu et ses perspectives mal comprises ? N'y a-t-il pas une carence fondamentale de ce point de vue ? Nous le pensons réellement. C'est la raison pour laquelle ce sous-amendement a tout son sens. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini. M. Jean-Marc Todeschini. Mon explication de vote ressemble à celle de M. Masseret. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Je partage aussi l'analyse de M. Gérard Longuet - peut-être est-ce dû aux difficultés rencontrées en Lorraine dans certains secteurs, en Moselle notamment, pour la mise en place des communautés de communes - à l'exception de la conclusion, à savoir que M. Gérard Longuet va voter, comme l'a expliqué M. Jean-Pierre Sueur, un texte qui mettra en difficulté l'existence de certaines communes ou de certaines collectivités, alors que je voterai contre. En effet, je redoute à nouveau le débat sur le suffrage universel direct pour l'élection des intercommunalités.
Les élus, les maires et les populations sont favorables à l'intercommunalité, mais ils la veulent volontaire, dynamisme et au service des populations. Imposer une élection et donc rouvrir un débat que M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait écarté sur l'élection des intercommunalités au suffrage universel direct...
M. Pierre Mauroy. Mais non !
M. Jean-Marc Todeschini. C'est pourtant ma peur ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Laissez-moi finir !
Même si je comprends la position de M. Pierre Mauroy, qui veut avancer d'un grand pas pour les communautés urbaines, personnellement je ne souhaite pas que celles-ci imposent aux 36 000 communes leur organisation. Voilà pourquoi je suis opposé à ce sous-amendement. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Je ne souhaite pas prolonger abusivement le débat, mais je crois qu'il faut clarifier les choses. (M. Alain Gournac rit.)
M. Josselin de Rohan. Il faudrait clarifier la position des socialistes !
M. Michel Charasse. Je trouve que le débat sur le sous-amendement de M. Mauroy n'est pas clair...
Un sénateur du RPR. C'est vrai !
M. Michel Charasse. ... dans la mesure où nous avons plus parlé de ce qu'il ne contient pas que de ce qu'il contient !
Quand on lira nos débats, on se demandera d'abord quel était le sens de cette discussion sur la décentralisation. On se dira que les élus se sont partagé le pouvoir comme une mutuelle en fin d'année se partage les bénéfices. C'est la raison pour laquelle cela intéresse peu nos concitoyens, ne vous faites pas d'illusions !
On s'interrogera ensuite sur la question de savoir comment éviter la souveraineté nationale et comment contourner le suffrage universel en donnant le pouvoir à des minorités.
J'en viens au sous-amendement.
M. Mauroy propose de faire entrer les communautés à fiscalité propre dans la liste des collectivités territoriales.
M. Alain Gournac. C'est exact !
M. Michel Charasse. A ce niveau, il n'est pas question d'expérimentation. On en parlera par la suite.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui !
M. Michel Charasse. Nous verrons alors s'il y a un amendement de M. Hoeffel, un amendement de M. Gaudin et, éventuellement, un nouvel amendement de M. Mauroy. Ne nous embarquons donc pas dans ces considérations, car le fait de savoir si l'on peut mettre en oeuvre ce que M. le Premier ministre a proposé, à savoir l'expérimentation, n'est pas le sujet du sous-amendement. Ce sera l'objet d'une deuxième phase !
Par conséquent, nous devons procéder à un vote clair sur ce sujet (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) : voulons-nous, indépendamment de ce que M. Raffarin a pu dire sur l'expérimentation,...
M. Pierre Mauroy. Ah non !
M. Michel Charasse. Je suis désolé..., je suis en train de lire le sous-amendement qui a pour objet d'ajouter les communautés à fiscalité propre à la liste des collectivités territoriales. Et l'expérimentation des collectivités territoriales est évoquée dans la suite du projet de loi. Sinon, on peut discuter ainsi jusqu'à quatre heures, en parlant de ce qui n'est pas dans le texte et en ne parlant pas de ce qui est dedans !
Je voulais simplement, monsieur le président, clarifier la situation. Pour le reste, je pense, comme certains de mes collègues, qu'il ne peut y avoir de collectivités qu'élues au suffrage universel direct, mais c'est aussi une position du parti socialiste à long terme.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. Les communes - on le sait de longue date - sont naturellement amenées à coopérer dans le cadre de projets intercommunaux, pour le plus grand bien des populations. La coopération intercommunale a fait la preuve de son efficacité. Plus récemment, et notamment depuis la loi Chevènement, l'intercommunalité a franchi, effectivement, une nouvelle étape. C'est la montée en puissance incontestable, évoquée par M. François Marc, avec plus de 2 000 établissements publics et plus de 45 millions de Français concernés.
Je rappelle que nous n'avions pas voté la loi Chevènement pour deux raisons. La première raison, c'était l'obligation pour les communes de transférer une partie de leurs compétences à l'établissement public pour bénéficier de ressources financières supplémentaires de la DGF. La seconde raison, c'était l'aspect autoritaire du projet, qui prévoyait la possibilité d'imposer à une commune d'intégrer un établissement public. Cela a été notamment le cas de quatre municipalités de la communauté urbaine de Marseille, deux socialistes et deux communistes, qui ne souhaitaient pas faire partie de l'EPCI.
Faut-il voir figurer les EPCI dans la liste des collectivités territoriales de notre Constitution ? Au-delà des arguments juridiques avancés, cette proposition me semble pour le moins prématurée. Ne donnons pas le sentiment à nos maires d'un processus irréversible ! Je pense notamment à la question du suffrage universel direct. Je ne vois pas, d'ailleurs, comment Jean-Claude Gaudin a pu cosigner cet amendement, lui qui s'est engagé auprès des dix-sept autres maires de la communauté urbaine de Marseille à ne pas mettre le petit doigt dans l'élection au suffrage universel direct.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas le sujet !
M. Robert Bret. Certes, mais on voit bien, à travers le processus, vers quoi on se dirige. Monsieur Mauroy, tous les EPCI n'ont pas trente d'expérience !
De ce point de vue, il conviendrait de laisser du temps au temps et il serait donc plus raisonnable de procéder à une évaluation de la mise en oeuvre de la loi avant d'aller plus loin.
Pour ces raisons, nous ne voterons pas le sous-amendement proposé.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 245.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 20 : :

Nombre de votants 307
Nombre de suffrages exprimés 307154
Pour l'adoption 79
Contre 228

Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 246.
Mme Marie-Christine Blandin. Pendant que nous avions un débat appartenant un peu au passé et, dans nos rangs, éclairé par des difficultés qui se posent en Moselle, il ne faudrait pas relâcher notre attention sur le sous-amendement n° 246.
En effet, les trois sous-amendements...
M. Gérard Longuet. Ils sont concordataires !
Mme Marie-Christine Blandin. ... apportent une architecture, une clarté dans le millefeuille opaque, il faut bien le dire, que la commission des lois, par ses renoncements successifs, par des propositions impromptues...
M. Michel Charasse. Très bien !
Mme Marie-Christine Blandin. ... ou biodégradables, nous a construit. Je pourrais même les qualifier de propositions « lucifuges », puisque, dès qu'elles sont au contact des lueurs de cette salle, elles disparaissent ! (Rires admiratifs et applaudissements sur les travées socialistes. - Rires sur les autres travées.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. C'est Halloween !
Mme Marie-Christine Blandin. Je m'étonne de nos conditions de travail, puisque ces trois petits textes ont dû être écrits sur un coin de table, à la va-vite. Mais ils sont bons !
Je m'étonne aussi de la rigidité du Gouvernement. Messieurs les ministres, on vous dit que la phrase est ambiguë, qu'elle présente des risques et vous nous répondez en substance que ces risques ne sont pas dans vos intentions. Soit, nous vous en faisons crédit. La logique voudrait alors que vous approuviez la clarification qu'apporte notre sous-amendement n° 246, ce à quoi nous vous avons invités. Mais vous ne changez rien !
Pourtant, votre projet est mal écrit, j'ai le regret de le dire. En fait de décentralisation - et j'appelle l'attention de chacun sur ce point -, il donne à la loi, au Parlement l'arrogant pouvoir de rayer de la carte une collectivité, sans avis, ni information, ni consentement des élus locaux, et de parachuter de nouvelles structures. Est-ce l'envers du décor de la proximité ?
Puisque M. Longuet s'émouvait de l'entonnoir de l'intercommunalité, j'espère qu'avec ses amis il empêchera, par un vote favorable au sous-amendement n° 246, non pas l'entonnoir, mais le véritable rouleau compresseur arbitraire et centralisé que permettrait la rédaction actuelle ! (Applaudissements sur les través socialistes.)
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 246.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin a lieu.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 21:

Nombre de votants 307
Nombre de suffrages exprimés 307
Majorité absolue des suffrages 154
Pour l'adoption 106
Contre 201

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote sur l'amendement n° 6 rectifié bis .
M. Michel Charasse. Je souhaite intervenir sur l'introduction, dans le dispositif proposé par la commission, des collectivités à statut particulier, car, pour ma part, je ne sais pas ce que sont les collectivités à statut particulier. Je sais qu'ont un statut particulier Paris, qui est à la fois un département et une commune, la Corse, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Je sais donc quelles sont les collectivités à statut particulier, mais je ne connais pas la définition de la collectivité à statut particulier.
Les communes, on sait ce que c'est : c'est toute l'histoire de la France rurale, ce sont les paroisses. Les départements, on sait ce que c'est : c'est la base de la République en 1789-1790, c'est la base de l'Etat, c'est la loi de 1871, c'est même la loi de Tréveneuc en 1872, relative à l'appel aux conseils généraux quand tout est perdu... Les régions, on sait ce que c'est depuis la décentralisation Mitterrand-Mauroy-Defferre de 1982. Mais la « collectivité à statut particulier », je ne sais pas ce que c'est !
Alors, je me pose la question suivante : peut-on supprimer une région, un département, une commune ? Non, me semble-t-il, sauf si l'expérimentation supprime le principe d'égalité dans l'administration du territoire. Mais si on peut supprimer une commune, un département, une région, alors on peut aussi supprimer les collectivités à statut particulier et les rayer éventuellement de la Constitution.
Si on ne peut pas supprimer une région, un département, une commune, parce que le territoire doit être géré selon les mêmes règles de base, on ne peut pas non plus supprimer une collectivité territoriale à statut particulier.
Mais, chers amis, j'appelle votre attention sur un point : rien n'interdit de modifier le statut particulier d'une collectivité à statut particulier et de dire, par exemple, que, demain, la collectivité corse à statut particulier sera gérée conformément à la loi sur les régions de droit commun.
Un sénateur du groupe RPR. Eh oui !
M. Michel Charasse. Elle est toujours à statut particulier, mais son statut a de particulier d'être exactement le même que les collectivités qui ne sont pas à statut particulier ! L'introduction du statut particulier dans la Constitution n'apporte donc aucune garantie.
Si l'on veut être sûr que l'on ne pourra pas supprimer plus facilement les actuelles collectivités à statut particulier, si on les fait figurer dans le texte, qu'on ne pourrait demain supprimer une commune, un département, une région, alors vous faites comme pour les pingouins des Kerguelen à l'article 72-3 : faites-les rentrer dans la Constitution !
M. René Garrec, rapporteur. Les manchots !
M. Michel Charasse. Ou les manchots ! Les Terres australes françaises ! Pourquoi eux et pas la Corse !
Par conséquent, énumerez les collectivités à statut particulier, à savoir, Paris, la Corse, la Nouvelle-Calédonie qui elle est déjà dans la Constitution, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon !
Tout ça pour vous dire que, depuis un moment, on est en train de faire un certain nombre de choses qui ne servent absolument à rien ! (Exclamations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Je voudrais éviter que trop d'agilité intellectuelle ne conduise à la fébrilité. Qu'est-ce qu'une collectivité à statut particulier ? C'est une collectivité qui n'est ni une commune, ni un département, ni une région.
M. René Garrec, rapporteur. Voilà !
M. Nicolas Alfonsi. Si, demain, il faut modifier le statut d'une collectivité à statut particulier, on le fera en vertu d'autres dispositions qui prévoient que des règles et des modes d'organisation peuvent être modifiés dans le dispositif constitutionnel. Je crois que cette discussion tourne à l'absurde !
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Nicolas Alfonsi. Nous ne réclamons rien ; je parle au nom de mes collègues de Paris. Nous avons tous vocation, les uns et les autres, à être protégés, comme étaient protégés, j'y insiste, les départements, au moment où Lionel Jospin voulait les supprimer. Je note d'ailleurs une évolution très sensible du groupe socialiste sur ce point.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis .

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les autres amendements n'ont plus d'objet.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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