présidence de M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale, aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Darniche.
M. Philippe Darniche. Monsieur le ministre, votre projet de loi, adopté à l'Assemblée nationale sans débat après le rejet d'une motion de censure, arrive aujourd'hui en discussion au Sénat. Rien que pour cela, mes chers collègues, je me réjouis...
Monsieur le ministre, la tradition républicaine de notre Haute Assemblée a toujours été fondée par une attitude tolérante d'écoute, de dialogue et de compréhension mutuelle. Si je n'approuve pas les gesticulations excessives en hémicycle, ni les attitudes d'obstruction parlementaire systématique, c'est en toute cordialité que je vous annonce que, en dépit du soutien loyal que j'apporte au Gouvernement depuis son arrivée, je n'adhère pas à votre projet de loi.
Monsieur le ministre, renforcer « d'en haut » la « logique majoritaire » des modes de scrutin n'est pas acceptable aux yeux des petits partis « d'en bas ». (MM. Michel Mercier et Louis Moinard acquiescent.) Comme nous le savons tous, le fondement - et la force - d'une démocratie moderne et vivante réside dans son exigence de pluralisme de courants d'idées et d'opinions.
En limitant la représentation de la diversité des opinions des Français, ce texte de loi porte clairement atteinte aux partis minoritaires en étouffant leur existence politique et financière, en bâillonnant leur discours et en favorisant durablement la « bipolarisation » de la vie politique française.
Or, dans notre pays, toutes les échéances électorales démontrent clairement que la « bipolarisation partisane » est déjà forte. La renforcer à nouveau donne aux citoyens l'impression d'être privés de la possibilité d'exprimer des idées qui peuvent être divergentes des grands courants majoritaires, mais qui peuvent être novatrices - voire originales - et ainsi donner du souffle à notre débat démocratique.
Vous avez choisi de passer en force alors même que la majorité actuelle détient tous les leviers institutionnels du pouvoir. Pourquoi donc continuer à verrouiller - je dirais même à « pressurer » - la diversité de notre vie politique ?
Tout m'amène à penser que, même dans les rangs de la majorité, un certain nombre de nos collègues se sentent contraints d'adopter ce texte alors qu'il ne l'approuvent pas réellement. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste et du groupe socialiste. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
Enfin, tout m'amène à constater qu'auprès des citoyens cette réforme n'est pas populaire, car elle est réductrice de la liberté d'expression, ce qui ne plaît jamais, ni aux électeurs ni à leurs représentants.
Monsieur le ministre, tous les citoyens qui contestent ce projet sont les abstentionnistes de demain. Cela va donc à l'encontre de ce que vous indiquiez tout à l'heure à cette même tribune lorsque vous nous disiez que ce texte avait entre autres objectifs celui de lutter contre l'abstention. Il s'agit d'un profond contresens : votre texte est perçu comme une réforme plus polémique que démocratique.
J'en viens maintenant à la problématique de la réforme du mode de scrutin aux élections européennes.
Le mode de scrutin actuel pour les élections européennes est simple, compréhensible et conforme à l'esprit des institutions françaises et européennes qui veut que le peuple français, de manière indivisible, soit représenté à Bruxelles.
De plus, il est en vigueur depuis 1979, ce qui correspond à un record de longévité pour une procédure française !
Désormais entré dans les habitudes, le mode de scrutin aux élections européennes devrait, selon le projet du Gouvernement, être modifié pour une seule raison officielle : mieux rapprocher l'élu des électeurs. Or, les représentants français au Parlement européen sont - et doivent demeurer à tout prix - de véritables représentants élus du peuple français, fidèles à leur pays pour défendre nos intérêts nationaux au sein des institutions européennes.
Monsieur le ministre, le système électoral que vous mettez en place est contraire à l'esprit de nos institutions et éloigne finalement l'élu de l'électeur encore plus qu'il ne les rapproche, car, en taillant à l'intérieur du territoire national des circonscriptions régionales - grandes ou petites -, vous allez placer sur la scène européenne des représentations élues d'entités subnationales.
De cette manière, vous donnerez prise à « l'Europe des régions », portant ainsi atteinte à l'unité de la République et, avec elle, à la conception de l'intérêt national dont elle est porteuse.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Philippe Darniche. Par ailleurs, la complexité du sytème proposé vous oblige à limiter, voire à supprimer, la tenue d'élections partielles et donc à laisser vacants, jusqu'au prochain renouvellement général, certains sièges de la représentation française au Parlement européen.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non ! C'est le suivant sur la liste qui est nommé !
M. Philippe Darniche. A mes yeux, cette solution est inadmissible, car elle est gravement contraire aux intérêts de la France. Nous ne pouvons nous permettre de laisser des sièges vacants à Strasbourg, surtout après la réduction du nombre de nos députés européens que nous a fait subir le traité de Nice.
Enfin, en réduisant la taille des circonscriptions par rapport à celle du territoire national entier, vous limitez la représentation de la diversité des opinions des Français sans raison d'intérêt général puisqu'il n'y a pas de gouvernement européen à soutenir.
M. Emmanuel Hamel. C'est heureux !
M. Philippe Darniche. Pourtant, je vous rappelle que le conseil des ministres européens a, le 25 juin dernier, demandé que l'institution éventuelle de circonscriptions régionales n'affecte pas globalement le caractère proportionnel du scrutin. Sur ce point, le projet du Gouvernement se trouve donc en infraction à la fois avec les principes constitutionnels et avec les textes européens.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Philippe Darniche. Ce projet de loi inintelligible pour nos concitoyens, qui auront des difficultés à s'investir dans un système complexe, engendrera, à n'en pas douter, des élus non représentatifs de la diversité des opinions, élus auxquels les électeurs ne s'identifieront pas forcément mieux qu'aujourd'hui.
C'est pourquoi, soucieux d'un plus grand gage de transparence et afin de favoriser activement la participation électorale par une plus grande visibilité des candidats, j'ai déposé, avec trois de mes collègues non inscrits, deux amendements visant à permettre, dans le cadre de la régionalisation du mode de scrutin, à chacune des listes présentes de se référer à un courant politique ou à son représentant national.
Comment, pour conclure brièvement, mes chers collègues, prendre sereinement le « pouls électoral » de notre pays si, périodiquement, nos dirigeants décident de changer de modèle de tensiomètre ?
Dans les faits, je considère que le souci du Gouvernement de « territorialiser » le mode de scrutin pour les élections européennes nous conduira à l'établissement d'une « Europe des régions »...
M. Henri de Richemont. On n'en veut pas !
M. Philippe Darniche. ... et à la marginalisation de l'Etat.
Je ne le souhaite pas, car cette amorce de la procédure électorale aboutirait inévitablement à la constitution de véritables listes européennes « transnationales » ne correspondant plus à l'esprit fondateur des traités, esprit selon lequel les députés européens représentent avant tout « les peuples des Etats réunis dans la Communauté ».
Plutôt que de favoriser des « régions institutionnalisées » ou de « simples individualismes partisans », j'entends défendre au sein d'une assemblée parlementaire qui m'est chère la représentation réelle des communautés nationales au sein d'un Parlement européen si éloigné des préoccupations de nos concitoyens. Dans les faits, l'éloignement ressenti par ceux-ci ne tient guère au mode de scrutin ; il tient surtout aux procédures de décision de l'Europe elle-même.
Rappelons d'ailleurs que la Grande-Bretagne, qui a toujours voté selon un scrutin régionalisé, est aussi le pays qui se sent le plus éloigné des institutions européennes.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Il faut suivre...
M. Philippe Darniche. Dans ces conditions, le meilleur moyen de rapprocher les institutions européennes des citoyens est de réformer les institutions elles-mêmes. J'invite donc le Gouvernement à réfléchir aux réformes utiles des institutions européennes qu'il devrait demander à la Convention...
M. Henri de Richemont. A M. Giscard d'Estaing !
M. Philippe Darniche. ... plutôt qu'à modifier notre mode de scrutin aux élections européennes. Enfin, je l'invite à demander énergiquement un droit de veto pour les parlements nationaux afin de revaloriser leur rôle.
M. Henri de Richemont. Bravo ! Très intelligent !
M. Philippe Darniche. C'est à mes yeux le meilleur moyen pour que les Français se sentent bien représentés ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Première remarque, monsieur Darniche, il n'y aura pas de vacance de siège au Parlement européen, puisque le suivant sur la liste remplacera automatiquement le parlementaire qui viendrait à manquer.
Seconde remarque, en Grande-Bretagne, le scrutin régional ne sera utilisé qu'aux prochaines élections, en 2004. Jusqu'à maintenant, les élections avaient lieu au scrutin majoritaire.
M. Gérard Longuet. Bonne remarque !
M. Henri de Richemont. Excellent ! Bravo ! Longue vie au rapporteur !
M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le ministre, en proposant la réforme de l'élection des conseillers régionaux et des parlementaires européens, vous voulez introduire, de manière artificielle et contrainte, la bipolarisation dans le paysage politique de notre pays - bien qu'elle ne corresponde ni à notre culture ni à nos traditions - et en finir avec le pluralisme qui, pourtant, donne à notre démocratie sa richesse et s'enracine profondément dans notre histoire. Désormais, l'électeur se trouvera contraint d'effectuer un choix entre deux formations politiques...
M. Henri de Richemont. C'est plus facile !
M. François Autain. ... au détriment de ses convictions profondes. L'image du politique, déjà passablement écornée, risque d'en faire les frais. On voudrait éloigner les Français de la politique qu'on n'agirait pas autrement !
Accessoirement, l'élimination de ses concurrents à droite consacrera l'omnipotence de l'UMP,...
M. Henri de Richemont. Mais non !
M. François Autain. ... qui n'a pourtant pas besoin de recourir à de tels procédés puisqu'elle détient d'ores et déjà tous les leviers du pouvoir, au point qu'on peut évoquer l'existence d'un « Etat UMP » qui n'a rien à envier à feu « l'Etat RPR ».
M. Patrice Gélard, rapporteur, et M. Henri de Richemont. Et l'« Etat socialiste » alors ?
M. François Autain. Vous le savez, je ne suis plus socialiste... (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Bizet. Pourquoi ?
M. Henri de Richemont. Que s'est-il passé ?
M. François Autain. Monsieur le ministre, les Français sont majoritairement opposés à cette modification des scrutins régionaux. Le Gouvernement nous dit que c'est le seul moyen d'obtenir des majorités stables au sein des conseils régionaux.
M. Henri de Richemont. C'est vrai !
M. François Autain. Mais vous savez comme moi que la prime de 25 % à la liste arrivée en tête, proposée par le gouvernement précédent, bien qu'il fût socialiste, permettait d'aboutir à ce même résultat.
Alors pourquoi ne pas donner sa chance à une réforme adoptée par le Parlement et qui devait être appliquée en 2004 ?
L'argument principal développé par le Gouvernement à propos de la réforme du mode de scrutin européen est l'absence de proximité des députés européens. C'est dans cet esprit que vous avez décidé, monsieur le ministre, de créer huit grandes régions ou, plus exactement, huit grandes zones définies arbitrairement,...
M. Gérard Longuet. Il n'y a rien à arbitrer !
M. François Autain. ... chacune regroupant - à l'exception de l'Ile-de-France -, deux ou plusieurs régions administratives.
Ces immenses circonscriptions n'ont aucune cohérence, car, enfin, comment un électeur de la Charente...
M. Henri de Richemont. La Charente, c'est moi !
M. François Autain. ... pourra-t-il se sentir proche d'un élu du Finistère ?
M. Henri de Richemont. C'est le littoral atlantique !
M. François Autain. En outre, personne n'a été capable d'expliquer comment les députés élus au sein de ces nouvelles circonscriptions pourront être répartis ensuite entre les régions administratives. Bref, ce mode de scrutin est incompréhensible et conduira tout naturellement à des taux d'abstention inégalés.
Pourtant, l'abstentionnisme est un des problèmes majeurs de notre démocratie. Cela se vérifie à chaque scrutin, et les élections du 21 avril dernier témoignent de l'aggravation du phénomène...
L'élimination des petites formations n'est pas une bonne manière de le traiter. Au contraire, il risque de l'amplifier. Cette réforme creusera encore un peu plus le fossé entre les citoyens et leurs représentants. Ce n'est pas comme cela, monsieur le ministre, que l'on rapprochera le Gouvernement de « la France d'en bas » !
Vous allez tirer de cette réforme un double avantage.
Premier avantage, les élections européennes sont traditionnellement des élections difficiles pour le parti auquel vous appartenez, surtout quand il est au pouvoir. La réforme, par la fragmentation de ces élections européennes en huit scrutins régionaux, ôtera une épine du pied au président de l'UMP qui, de ce fait, ne sera pas contraint, comme cela vous est arrivé dans le passé, monsieur le ministre, de conduire une liste nationale aux élections européennes, avec tous les inconvénients que cela peut quelquefois impliquer.
Second avantage, cette réforme empêchera que, à l'occasion des élections européennes de 2004, un vrai débat politique national puisse s'instaurer sur le projet de constitution européenne. Or ce débat est indispensable, car ce projet risque de marginaliser la France au sein d'un conglomérat où, sur les grands sujets, elle serait minoritaire, tandis que les institutions issues du traité de Maastricht - la Banque centrale européenne et le pacte de stabilité budgétaire - font la preuve de leur nocivité en plongeant, l'Europe dans la récession. (M. Emmanuel Hamel applaudit.)
M. Henri de Richemont. Vous avez voté le traité de Maastricht !
M. François Autain. Enfin, avec ce nouveau mode de scrutin, nos parlementaires européens représenteront non plus la France, mais une portion de son territoire. Leurs voix dispersées pèseront moins à Strasbourg et l'unité nationale sera émiettée dans une Europe des régions affaiblie.
Vous le savez bien, c'est la liberté des nations qui peut faire l'indépendance de l'Europe. La crise irakienne le démontre : c'est la France et l'Allemagne que l'on entend quand l'Europe est muette. Votre projet affaiblit la nation au plus mauvais moment ; les citoyens ont besoin d'un Etat fort pour les protéger des errements de la mondialisation, l'Europe a besoin de la force de ses Etats membres pour gagner sa liberté. Vous prenez le chemin inverse, monsieur le ministre, pour satisfaire à de simples calculs électoraux. C'est plus qu'une erreur, c'est une faute. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprimerai en tant que parlementaire ayant des convictions, certes,...
M. Charles Gautier. Quelles convictions ?
M. Gérard Longuet. ... mais aussi en tant que président, depuis dix ans, d'un conseil régional et président de l'Association des régions de France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ces responsabilités me passionnent et me procurent une expérience pratique de toutes les formes d'élections. Je n'aurai pas, à cet instant, la cruauté de rappeler à mes collègues de l'opposition l'élection de 1992, quand les socialistes avaient mêlé leurs voix à celles du Front national pour tenter, sans succès d'ailleurs, de faire élire leurs candidats ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
MM. Charles Gautier et Bernard Piras. C'est une honte !
M. Gérard Longuet. Que l'on me permette ce rappel historique !
Je crois que chacun s'accordera à reconnaître que la vie d'une institution démocratique dépend - c'est une évidence - du mode de scrutin retenu. Notre travail de législateur est donc fondateur pour l'avenir des régions françaises, thème que j'aborderai exclusivement ici.
De la même façon que la nature de la démocratie nationale est différente au Royaume-Uni, où l'on se prononce par un scrutin uninominal à un tour, de ce qu'elle est en Israël, où s'applique la représentation proportionnelle intégrale, le mode scrutin forge la nature et la dynamique d'une collectivité locale. En effet, être élu à la tête d'une municipalité après que l'on a conduit à la bataille une liste que l'on a constituée et après que les électeurs vous ont désigné, indirectement en apparence, directement en réalité, pour assumer le mandat de maire n'est pas la même chose qu'être élu par des conseillers régionaux président d'une assemblée régionale divisée en raison à la fois de la très grande dispersion liée à la proportionnelle et de la parcellisation départementale.
Monsieur le ministre, en faisant le choix d'une clarification - qui reprend d'ailleurs des projets antérieurs -, vous apportez aux régions de France l'élément qui n'est peut-être pas suffisant mais qui est en tout cas nécessaire pour disposer d'une dynamique politique, d'une autorité et, par conséquent, d'un exécutif à la hauteur des missions nouvelles qui les attendent.
En ma qualité de président de l'Association des régions de France, je me réjouis de l'émergence progressive du fait régional.
A cet égard, j'ai eu la sagesse de me reporter aux travaux du Sénat, en particulier aux travaux préparatoires sur les lois de 1985, cités par M. le rapporteur, et sur la loi de 1999, qui a été débattue à l'automne 1998, ainsi qu'aux travaux de la commission spéciale que la Haute Assemblée avait constituée en 1996 ; il est très intéressant de relever le saut qualitatif dû à l'apparition de la liste à dimension régionale. Or c'est la consécration d'une évolution extrêmement lente : on peut considérer en effet que, tout au long de la Ve République, de génération en génération, le fait régional a été d'abord présenté, proposé, accepté, pour se trouver aujourd'hui confirmé.
Dans les années soixante, on a ainsi assisté à la création de la DATAR, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, grand projet national d'aménagement du territoire porté à l'époque par Olivier Guichard, et, simultanément, à celle des circonscriptions d'action régionale, dépourvues naturellement de réalité politique.
En 1964, lorsque la réforme de l'organisation préfectorale a été mise en oeuvre, le ministre de l'intérieur de l'époque, M. Louis Joxe, a institué les CODER, les commissions de développement économique régional, précisant immédiatement que la région était non pas un nouvel échelon administratif, mais un lieu de proposition, d'animation, de réflexion.
Il faudra attendre 1972 pour que le président Pompidou, dans sa sagesse, propose la création de l'établissement public régional, mais, là encore, cette réalité régionale qui peu à peu se fait accepter dans le paysage français n'a pas de support politique.
La loi de mars 1982 est passionnante, mais elle ne traite pas du mode de scrutin régional. Ne sachant pas encore quelles seraient les responsabilités des régions, le législateur a considéré qu'il convenait d'attendre. On a en effet attendu trois ans, jusqu'en 1985, pour fixer les conditions, qui étaient pourtant prévues dans la loi initiale, du mode de désignation au suffrage universel des conseillers régionaux.
Nous assistons donc à une montée prudente et lente du fait régional, qui peu à peu s'impose. Pourquoi cette montée a-t-elle été aussi lente et prudente ?
Il fallait d'abord réconcilier - il est peut-être surprenant de le dire à cet instant - le fait régional et la République, et il aura fallu l'expérience des événements pour que cette réconciliation s'opère.
Si l'on se retourne sur l'histoire de notre République, on constate que, avant 1914, le fait régional est assurément promu par des hommes de conviction, mais dont les convictions républicaines sont modérées. Très souvent, il relève d'une approche girondine qui conteste l'autorité centrale, au moment même où la République cherche au contraire à consolider ses institutions.
Un second motif de prudence - je n'aurai d'ailleurs pas, à cet instant, la cruauté de revenir sur les régionalismes aventureux de la Bretagne, par exemple, ou sur les régionalismes incertains de la Lotharingie, voire sur le régionalisme politique de Charles Maurras en Provence - tient au fait que la région est souvent ressentie comme une machine qui pourrait se dresser contre la République ou se distinguer de cette dernière.
Il faudra attendre la victoire de 1918, la consolidation de la IIIe République et l'instauration définitive du système républicain en France pour que la République accepte de réfléchir au fait régional dans un climat apaisé. Vous avez eu raison de rappeler, monsieur le rapporteur, que le décret-loi de 1938, fondé sur le terrain économique, a permis de lancer l'idée du fait régional comme outil et non pas comme relais d'une action nationale déclinée sur l'ensemble du territoire.
Aujourd'hui, cette inquiétude sous-jacente réapparaît. Nous avons d'ailleurs eu des débats passionnants sur le sujet : devons-nous imaginer une Europe des régions ? La réponse est extrêmement claire : il n'en est pas question. La France est un projet collectif, les territoires participent à la déclinaison locale d'un projet collectif, et l'ambition des régions est en effet de participer au projet républicain. Elles comptent naturellement sur la République pour construire, dans l'espace européen, une solidarité. Les régions de France n'entendent pas « sauter » l'échelon républicain, elles veulent, bien au contraire, le consolider.
C'est la raison pour laquelle j'ai été très étonné, en me reportant aux travaux relatifs à la loi de 1985, à ceux de la commission spéciale de 1996 et aux travaux préparatoires sur la loi de 1999, qui a été débattue en 1998, de constater que personne, pas même les élus très régionalistes, n'avait proposé de retenir le cadre régional comme cadre d'élection. Il faudra attendre en effet la loi de 1999 pour que l'Assemblée nationale le propose - et je me réjouis, pour ma part, de cette initiative.
Votre texte, monsieur le ministre, clarifie très subtilement la situation.
Tout d'abord, des listes régionales sont prévues, et il s'agira donc d'élire des femmes et des hommes qui partageront une responsabilité autour d'un projet régional.
Par ailleurs, les résultats seront comptabilisés sur le plan régional, ce qui est absolument fondateur du fait régional. Cela permettra d'éviter, par exemple, qu'une liste qui ne représenterait qu'une grande agglomération ou qu'un département important prétende s'imposer comme acteur régional. Je me félicite de cette précaution, qui constitue l'une des conditions préalables à l'existence confirmée du fait régional.
Enfin, vous avez repris, monsieur le ministre, une formule qui est en apparence innocente mais qui, en fait, est elle aussi constitutive d'une réalité politique régionale : la désignation d'une seule tête de liste, même si elle a des déclinaisons départementales.
Il s'agit, je le répète, d'une clarification subtile, car vous n'avez pas méconnu l'attachement de nos compatriotes à la vie départementale, et vous avez même rappelé, dans votre intervention liminaire, la nécessité de maintenir le lien entre les territoires d'une région et de ne pas faire peser sur les territoires les plus faibles sur le plan démographique le poids des territoires les plus peuplés. Par le biais des sections départementales, vous garantissez la représentation des territoires les moins peuplés, indispensable à un aménagement du territoire équilibré.
J'ajoute que cette formule de la double proportionnelle, même si elle est quelque peu difficile à comprendre, a le mérite de donner un poids supplémentaire aux départements les moins peuplés - qui sont aussi, en général, ceux qui se mobilisent le plus fortement autour de leur intérêt collectif. En effet, la répartition des sièges pour chaque liste fera que ces départements, où la participation électorale est souvent plus importante, seront en mesure d'obtenir une représentation légèrement plus que proportionnelle à leur seul poids démographique.
Le président de l'Association des régions de France qui s'exprime à cet instant vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir ainsi confirmé politiquement l'émergence du fait régional dans un climat apaisé, où aucun échelon de collectivité locale - le débat constitutionnel l'a largement prouvé dans cette enceinte - n'a cherché à s'étendre au détriment d'un autre. Une sorte de consensus a ainsi pu se dégager, qui a pu paraître surprenant dans notre pays mais qui se révèle tout à fait fructueux, puisque le partage des responsabilités, pour la vie quotidienne de nos compatriotes, peut reposer utilement sur ces trois échelons que sont les communes - fussent-elles regroupées au sein de structures intercommunales -, les départements et les régions.
En ce qui concerne la pratique quotidienne d'un exécutif régional, votre réforme, monsieur le ministre, conforte ce dernier en plaçant sa consolidation sous le regard et l'autorité de l'électeur, et de personne d'autre. C'est bien l'électeur qui revient en force en tant qu'arbitre désignant l'exécutif régional.
On pourrait évidemment penser à cet instant que je m'exprime - c'est en partie vrai, pourquoi ne pas le dire ? - animé par l'esprit corporatiste des présidents d'exécutif régional, qui ont envie d'être plus à l'aise. Je vous avouerai que, en dix ans, j'ai connu une majorité absolue et une majorité relative... On se fait à tout, mais ce n'est pas bon pour l'institution. On peut survivre à la dispersion qu'induit la représentation proportionnelle, mais on survit en affaiblissant la collectivité dont on a la charge. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Par conséquent, les trois éléments de cette consolidation de l'exécutif régional me paraissent parfaitement pertinents.
Je reviendrai brièvement sur le premier de ces éléments, à savoir la désignation de la tête de liste. Lorsque l'on désigne celle-ci, on lui assigne inévitablement la mission de former une équipe et de bâtir un projet. La tête de liste est responsable et de l'équipe et du projet. Dans la dynamique d'une élection, des équipes et des projets s'opposent donc, se confrontent, se mesurent ; en définitive, l'électeur joue le rôle d'arbitre. Une telle clarté n'existait pas dans les systèmes précédents, où, chacun votant dans son département, la conjonction à l'échelon régional des résultats départementaux était incertaine.
Le deuxième élément de la consolidation de l'exécutif régional, c'est bien évidemment l'amplification majoritaire due à la prime de 25 %. Je voudrais souligner à votre suite, monsieur le ministre, que cette prime est suffisante, et qu'une prime de 50 % eût été excessive. Il importe que la vie démocratique des assemblées soit ouverte sans que l'on accepte pour autant le risque de l'instabilité. La prime de 25 % garantit des majorités suffisamment fortes. Cela nous amènera sans doute à nous demander, quand nous aurons le recul de l'expérience, s'il ne conviendrait pas d'en tirer les leçons pour ce qui concerne le mode de scrutin municipal dans les grandes villes.
Le troisième élément de la consolidation de l'exécutif régional est peut-être le plus important : il s'agit de confier la responsabilité de la constitution de l'exécutif régional à la seule autorité qui compte en démocratie, c'est-à-dire l'électeur. Pour avoir vécu plusieurs élections, heureuses ou malheureuses, dans les différentes régions de France, nous avons tous souffert de constater que l'arbitre de l'élection était non plus l'électeur, mais des femmes et des hommes qui menaient avec talent, parfois avec génie, des tractations de couloir sans avoir de comptes à rendre à personne, notamment pas à ceux qui les avaient élus. Cela était proprement inacceptable et a contribué, j'en suis convaincu, à dégrader l'image des exécutifs régionaux, en particulier au lendemain des élections de 1998.
Cela étant, encore faudrait-il que la participation de nos compatriotes aux élections régionales soit consolidée ! Là est l'enjeu de la bataille : cette réforme conduira-t-elle les électeurs à s'intéresser davantage aux élections régionales ?
M. Claude Estier. Ce n'est pas sûr !
M. Gérard Longuet. Ce n'est effectivement pas sûr, mais je voudrais vous soumettre l'analyse suivante.
S'il y a déclin de la participation, encore faut-il, dans notre pays, qui a l'habitude de la vie politique et qui d'ailleurs l'aime, considérer que les élections régionales - il n'y en a eu que trois au suffrage universel - se sont déroulées à chaque fois dans un contexte particulier.
En 1986, les élections législatives et régionales sont jumelées : la portée et l'enjeu des élections législatives rejaillissent naturellement de façon positive sur la mobilisation des électeurs pour les élections régionales. La forte participation électorale de 1986 est-elle due au scrutin régional ou à la constitution d'une Assemblée nationale ? Quelle que soit l'importance que j'accorde à la région, je pense que c'est avant tout la désignation de l'Assemblée nationale qui a amené les électeurs à prendre le chemin des isoloirs...
En 1992, les élections régionales précèdent d'un an les élections législatives et constituent une sorte de « tour de chauffe », de préparation : la participation est forte, mais elle l'est moins qu'en 1986, puisque les deux élections ne coïncident plus.
En 1998, si la participation est plus faible, c'est sans doute parce que les élections régionales interviennent un an après les élections législatives : les électeurs considèrent qu'ils se sont déjà suffisamment exprimés - bien ou mal, c'est un autre débat - et que le fait régional est, à cet instant, moins important que la constitution d'une majorité parlementaire.
Je ne crois donc pas qu'il faille tirer de l'évolution des chiffres autre chose que la constatation que les élections régionales ont moins d'importance que la constitution d'une majorité parlementaire.
En outre, au fur et à mesure de l'intégration de la proportionnelle dans la culture politique française - sous la Ve République, le recours à la proportionnelle s'était perdu, puisque les dernières élections législatives organisées selon cette modalité remontent à 1956, les élections de 1986 ne représentant qu'une parenthèse - une conséquence assez négative s'est fait jour : les listes sont de plus en plus nombreuses, tandis que les électeurs se raréfient !
Cela a abouti à une situation de moins en moins claire - Maurice Barrès parlait de « cette obscure clarté qui tombait sur l'hémicycle ». Ainsi, en 1986, une majorité absolue s'était dégagée dans quatorze des vingt-deux régions métropolitaines. En 1992, deux régions seulement disposaient d'une majorité absolue, quatre d'une majorité quasi homogène et seize d'une majorité dite « négociée ».
En 1998, la situation de dix-neuf régions métropolitaines était incertaine. Seules trois régions disposaient d'une majorité absolue. Les négociations visant à obtenir une majorité reposent sur le talent du coordinateur de l'exécutif, talent qui ne dépend pas toujours exclusivement de la pertinence du projet et du charisme. Nous avons besoin de clarté. Je dois reconnaître que ce scrutin proportionnel confus nous en privait et contribuait à éloigner les électeurs du fait régional. En effet, ces derniers ne retrouvaient pas dans la constitution des exécutifs ce qu'ils voulaient y mettre. Mais comment auraient-ils pu y retrouver quoi que ce soit puisque l'immense dispersion du système proportionnel ne permettait à personne de dégager des lignes de force ?
C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, l'idée de confier aux électeurs, à travers un scrutin proportionnel à deux tours, la responsabilité de constituer une majorité est la première des conditions nécessaires pour qu'ils reprennent le chemin des urnes à l'occasion des élections régionales.
La deuxième condition, que le Gouvernement, monsieur le ministre, est d'ailleurs en train de mettre en oeuvre, est naturellement de restituer du pouvoir aux régions. En effet, pourquoi les électeurs se mobiliseraient-ils pour une collectivité dans laquelle ils ont placé de larges espérances alors que, après seize ans de pratique de décentralisation, les pouvoirs de celle-ci apparaissent insuffisants ?
Puisqu'on décentralise, puisque la Constitution permettra l'ouverture d'un débat et qu'au printemps nous aurons l'occasion d'évaluer les textes de décentralisation, je suis certain que ce deuxième élément, à côté de la clarification du mode de scrutin, permettra aux électeurs de revenir vers l'élection régionale, à condition - et c'est ma troisième et dernière conviction, en forme de conclusion - que nous assumions le choix qui est explicitement contenu dans votre texte. En effet, entre l'éthique de responsabilité et la logique de représentation, vous avez fait le choix - et je le fais avec vous -, de l'éthique de responsabilité, plutôt que de la logique de représentation.
Pour ma part, je n'ai rien contre la logique de représentation, sauf lorsqu'il faut diriger une grande collectivité, construire un budget, prendre des décisions, orienter, parfois écarter et, par conséquent, décider, ce qui implique la constitution de majorités qui soient à la fois claires, stables et, pour l'électeur, suffisamment mobilisatrices parce que l'enjeu apparaît clairement à la veille du second tour.
Or c'est exactement ce que vous proposez, d'une façon qui, d'ailleurs, est peu différente de ce que vos prédécesseurs avaient imaginé, mais vous allez au bout de cette logique de clarté.
En général, la proportionnelle est un scrutin à un tour et le scrutin majoritaire comporte deux tours. Vous proposez une proportionnelle à deux tours. Même si cela peut paraître surprenant, c'est bien la façon de concilier l'éthique de responsabilité, qui appartient aux électeurs et qui s'exprime au deuxième tour, et la logique de représentation.
Qui sera exclu de ces élections ? Personne ! Faisons confiance au promoteur d'un projet régional pour construire sa liste en tenant compte du fait qu'il y aura deux tours de scrutin. Sur le fondement d'un projet et compte tenu de la prime majoritaire, il est évidemment pertinent d'associer largement. Après tout, que notre pays s'organise en un système d'alternance de majorités capables de diriger à l'échelon régional et, bien sûr, à l'échelon national, c'est plutôt rassurant !
Les électeurs s'écartent des isoloirs parce qu'ils ont le sentiment que les hommes qu'ils désignent n'ont pas de pouvoir. Vous leur permettez de choisir la majorité qui gouvernera les régions. C'est la raison principale pour laquelle, monsieur le ministre, au vu de mon expérience régionale, je me réjouis de ce projet de loi qui donnera à une institution publique que nous voulons renforcer les moyens politiques de sa responsabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)
M. Henri de Raincourt. Il a beaucoup de talent !
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma qualité de présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qui ne s'est pas saisie !
Mme Gisèle Gautier. ... je consacrerai mon intervention à l'effet de ce projet de loi sur l'objectif de parité. M. Henri de Richemont. Oh là là !
Mme Gisèle Gautier. Il ne s'agit, certes, que d'un aspect parmi d'autres du texte qui nous est soumis, mais je le crois essentiel.
Je l'avoue humblement, je fais partie de celles et de ceux, nombreux, qui, au départ, n'ont pas accueilli sans une certaine hésitation, au départ, l'idée d'une inscription dans la loi du principe de parité politique. Parce que ce principe pouvait apparaître philosophiquement discutable et contraire à l'universalisme républicain. Parce qu'il aurait été bien sûr plus satisfaisant de voir disparaître spontanément les blocages qui empêchent les femmes d'accéder aux responsabilités publiques sans pour autant être contraints de recourir à la voie législative.
Mme Hélène Luc. Parce qu'on ne vous laisse pas la place !
Mme Gisèle Gautier. Force est cependant de constater que, dans toutes les élections où ils ont été mis en oeuvre, les mécanismes de parité ont produit - je devrais dire « ont seuls été capables de produire » - des résultats positifs évidents et significatifs.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
Mme Gisèle Gautier. Pour exemple, je ne citerai que les élections municipales des 11 et 18 mars 2001, qui ont porté de 25,7 % à 47,4 %, c'est-à-dire quasiment le double, la proportion des femmes conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants.
M. Charles Gautier. Grâce à qui ?
Mme Gisèle Gautier. J'observe, à ce propos, que le dispositif paritaire a même eu un effet d'entraînement dans les petites communes, où il n'était pas applicable : le pourcentage de femmes élues y a pourtant progressé de dix points.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'accueille avec beaucoup de satisfaction le fait que le présent projet de loi, loin de remettre en cause les règles de parité fixées précédemment pour les élections régionales et européennes, les renforce.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans les exécutifs ?
Mme Gisèle Gautier. Il est en effet essentiel, comme vous l'avez d'ailleurs fortement souligné lors des débats à l'Assemblée nationale, que l'impératif de parité cesse d'être le monopole d'un côté ou de l'autre de l'échiquier politique, et devienne l'affaire de toutes et de tous.
La loi du 6 juin 2000, qui a favorisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, prévoyait une stricte alternance hommes-femmes sur les listes européennes. Le système était cependant moins contraignant pour les listes aux élections régionales puisque la parité ne s'appliquait que par groupes de six candidats, comme cela a été dit cet après-midi.
Désormais, c'est l'alternance stricte qui prévaut également pour les élections régionales.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sauf en Corse !
Mme Gisèle Gautier. Bien entendu, ce changement n'est pas sans conséquences.
Dans son rapport très documenté, notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois, indique que, d'après les simulations qui lui ont été communiquées, on aboutirait aujourd'hui, avec cette alternance complète, à 48,5 % de femmes dans les conseils régionaux, au lieu de 41,9 % dans l'hypothèse d'une parité de groupe de quatre au niveau des sections.
Il m'apparaît, au demeurant, que nous devons aller plus loin sur ce chemin, car il reste bien sûr beaucoup à faire. Les chiffres le prouvent.
Je pense d'abord, bien sûr, aux conseils généraux, où les femmes sont 9,7 %. C'est tout de même peu. Je ne méconnais pas les mérites du mode de scrutin cantonal, qui assure un lien direct entre le citoyen et l'électeur. Mais pour qu'il reste - et il doit le rester - un scrutin de proximité, comme cela a été demandé maintes fois par nos électeurs, il doit cesser de fonctionner, en ce qui concerne les femmes, comme un scrutin d'exclusion.
M. Bruno Sido. Oh !
Mme Gisèle Gautier. C'est pourquoi je vous proposerai, entre autres dispositions, un amendement permettant, à travers l'institution d'un suppléant du sexe opposé à celui du titulaire, de faire progresser la mixité dans les conseils généraux.
M. Henri de Richemont. Il n'y a pas de suppléant !
Mme Hélène Luc. Ils ne sont pas d'accord, vos collègues !
Mme Gisèle Gautier. Je pense aussi, et peut-être surtout, aux exécutifs locaux : 11 % de femmes parmi les maires, et moins encore si l'on prend en considération les seules communes de plus de 3 500 habitants ; deux femmes seulement - je dis bien « deux femmes » - sur les vingt-six présidents de conseils régionaux. Pour permettre, à moyen terme, d'évoluer vers une situation moins déséquilibrée, j'ai déposé, avec notre collègue Jean-Louis Masson, deux amendements : l'un vise à instaurer la parité entre les têtes de listes des sections départementales aux élections régionales ; l'autre prévoit que le nombre de vice-présidents de chaque sexe doit être au moins égal au tiers du total.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Gisèle Gautier. Deux autres chiffres éloquents ne peuvent nous laisser indifférents. Une seule femme - j'ai bien dit « une seule femme » - figure parmi les 101 présidents de conseils généraux et, si je me réfère aux indications données par notre collègue Marie-Jo Zimmermann à l'occasion du débat à l'Assemblée nationale, on dénombre moins de 10 % de femmes parmi les vice-présidents !
M. Henri de Richemont. Ce n'est pas notre faute !
Mme Gisèle Gautier. Enfin, il y a très peu de mixité à la tête des EPCI, les établissements publics de coopération intercommunale : d'après une statistique établie voilà un peu plus d'un an, sur quelque 2 000 EPCI à fiscalité propre, 108 seulement, soit 5 % du total, étaient présidés par des femmes, ce qui est également assez peu. On ne peut bien sûr s'en satisfaire, alors que, on le sait, un nombre croissant de grands dossiers se traitent désormais à l'échelon intercommunal.
Pour toutes ces raisons, je souhaite que ce projet de loi, qui maintient les acquis de la parité - je l'ai dit et je m'en réjouis - et les améliore même sur certains points, marque une nouvelle étape vers une plus grande mixité dans les fonctions de responsabilité politique. Je suis en effet convaincue, mes chers collègues, qu'une participation équilibrée des femmes à la vie publique est non seulement une question d'équité, mais également une affaire d'intérêt général.
Puisque nous sommes en fin de soirée, j'ajouterai que, si toutefois ces propositions étaient mal perçues, mal entendues, je me permettrais, monsieur le ministre, de resservir le plat jusqu'à ce que nous aboutissions à une solution satisfaisante ; mais je suis sûre que nous aurons satisfaction. (M. le ministre sourit.)
Pour conclure, permettez-moi de citer le sénateur socialiste François Labrousse. En 1922, lors des débats sur les droits politiques des femmes, il déclarait ceci : « Nous allons brusquement jeter dans la vie publique, sans apprentissage de civisme, des millions de sensibilités. » Permettre, monsieur le ministre, aux millions de sensibilités de s'exprimer aujourd'hui, voici notre tâche, afin de bâtir demain une France égalitaire en favorisant l'égalité de situation dans tous les domaines ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. C'est du pipo !
Mme Hélène Luc. On n'est pas près d'avoir 160 femmes au Sénat !
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai quelques très brèves observations sur le texte qui nous est soumis.
Auparavant, j'évoquerai un souvenir personnel : la discussion, voilà vingt-cinq ans, du projet de loi portant à 12 % des inscrits le seuil pour être présent au second tour des élections législatives. A une autre tribune, j'avais alors déclaré à M. Poniatowski que ce projet faisait irrésistiblement penser au rhinocéros de la fable, dont il fallait absolument se débarrasser ! Il s'agissait bien sûr, en l'occurrence, du RPR.
Ce précédent devrait vous faire réfléchir. La capacité de résistance que vous avez montrée hier pourrait, aujourd'hui, être celle des partis que vous entendez, par ce dispositif, faire disparaître de la carte, en imposant une bipolarisation que vous avez peu de chance d'obtenir. Nous sommes, en effet, dans le cadre d'élections régionales où il importe, avant tout, que la diversité puisse être représentée au sein de nos collectivités. Aussi, l'exercice que vous nous imposez risque, à terme, de se retourner contre vous.
En effet, les arguments qui nous sont présentés pour expliquer la réforme des modes de scrutin régionaux et européens manquent singulièrement de consistance face à la réalité politique. Sur ce point, je salue la démonstration qui a été faite voilà un instant par notre collègue Bernard Frimat, tant elle était dense et serrée.
M. le rapporteur considère que la réforme a d'abord pour objet de permettre l'apparition de majorités cohérentes. Selon le rapport écrit, dix-neuf régions sur vingt-quatre auraient ainsi connu, voilà cinq ans, une situation difficile. En le lisant, on pourrait croire que nos régions sont en situation de blocage institutionnel permanent.
M. Roger Karoutchi. C'est le cas !
M. Nicolas Alfonsi. Comme la majorité de nos concitoyens, je ne partage pas ce sentiment. S'il est exact que les élections de 1998 ont été l'occasion de spectacles affligeants, il est certain que l'opinion et les électeurs, auxquels il faut faire plus confiance qu'aux textes, se sont chargés dans les trois régions concernées - je pense en particulier à la région Rhône-Alpes - de remettre spontanément de l'ordre là où des comportements pervers s'étaient manifestés.
Je le répète, le prix à payer pour effacer une prétendue instabilité régionale, qui globalement n'existe pas, est trop élevé pour que ce texte puisse avoir notre assentiment, alors même que la prime de 25 % - les simulations auraient pu le montrer - prévue dans le nouveau dispositif suffirait à elle seule à gommer les causes d'instabilité.
Je ne m'attarderai pas sur les arguments qui ont été avancés pour justifier les dispositions relatives aux élections européennes.
En terminant, je m'arrêterai sur un problème que j'ai évoqué en commission, que M. le ministre a évoqué également à cette tribune et qui a été relayé par M. le rapporteur. Il s'agit du problème de la parité, non pas le concept de parité évoqué sur le plan général, voilà un instant, par Mme Gautier, mais la parité du point de vue de la discrimination qui est imposée à la Corse.
Voilà deux ans, le texte de Lionel Jospin mettait sur la même ligne le texte corse concernant l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse et le texte national - appelons-le ainsi même si le terme est impropre -, car cela permet de bien comprendre le problème. C'était le millefeuille « trois-trois ».
Le texte actuel porte le millefeuille, si j'ose dire, à une alternance stricte, et ne prévoit rien pour la Corse. Il y là un véritable problème. C'est celui non pas du principe de la parité, mais du principe de l'égalité, de l'égal accès des candidats aux mandats. Dans le droit positif en vigueur, les femmes sont pénalisées en Corse. Pourquoi cette discrimination ? Pourquoi « trois-trois », au lieu de « un-un » ?
J'ai le sentiment que ce problème est détachable - car je devine à l'avance votre argument - de la question de la collectivité à statut particulier. Une collectivité à statut particulier trouve ses causes dans l'identité, souvent artificielle d'ailleurs, et dans l'insularité. Bref, elle est justifiée par d'autres causes, mais elle ne saurait conduire à une inégalité de traitement.
Votre texte passe sous silence cette disposition. L'adaptation prévue à l'article 9 confine presque au raffinement, puisque vous oubliez en quelque sorte l'assimilation totale des textes sur la parité. Quand il s'agit de désigner des conseillers et d'établir une moyenne d'âge, vous poussez le raffinement en prévoyant que les sièges seront attribués à la liste dont les candidats auront la moyenne d'âge la plus élevée, et non plus la moins élevée, et, en cas d'égalité de suffrages, au plus âgé des candidats, mais vous ne prévoyez pas de modifier le droit applicable en Corse. Pourquoi une telle discrimination ? En effet, sur des problèmes moins importants, notamment les questions d'âge, vous incitez fortement pour provoquer l'assimilation. Il y a donc un problème et une injustice. Il serait opportun que vous puissiez nous donner des indications sur ce point. Quelle est la cause de cet oubli ? Il y a là un mystère que je n'explique pas.
Encore une fois, ce problème est détachable. Il s'agit de l'exercice d'un droit qui ne se confond pas avec un statut particulier. Et si demain, contrairement à vos propos, il n'y a pas de texte spécifique sur la Corse, que se passera-t-il ?
Ce problème nous interpelle parce que nous sommes conscients du caractère anormal de la situation. Nous savons que, en l'état actuel du texte, nous n'avons pas nécessairement les moyens de faire annuler par le Conseil constitutionnel des dispositions qui, par définition, n'existent pas. Nous ne savons pas très bien comment rétablir la justice dans ces domaines.
Est-ce un oubli de votre part ? Si oui, vous avez toujours la possibilité de le réparer. Si vous ne pouvez le réparer aujourd'hui puisque vous avez dit que ces dispositions ne pourront pas être amendées, vous devez nous dire clairement si vous avez l'intention de le réparer ultérieurement. En revanche, si cet oubli est volontaire, vous devez nous préciser les raisons qui ont justifié cette discrimination. En effet, personnellement, je peux vous dire les conséquences qui ne manqueraient pas de se produire si nous laissions la situation en l'état.
Il y aurait d'abord une conséquence technique.
Si, sur le plan national, la moitié des sièges de conseillers régionaux seront bien occupés par des femmes, le système plus libéral que nous avons en Corse conduira à la démultiplication des listes et à l'application de la règle du millefeuille « trois-trois » ; vous le savez, la plupart des groupes sont composés de trois ou quatre personnes, qui sont des hommes.
La deuxième conséquence, politique, est beaucoup plus grave : nous sommes en train d'introduire une discrimination qui, plus tard, sera invoquée par la famille nationaliste. Celle-ci ne manquera pas de réclamer, comme elle le fait en permanence, une discrimination à l'encontre des gendarmes, des fonctionnaires, etc., qui, selon eux, ne doivent pas participer au vote en Corse. Ce serait la première brèche de cet ordre qui serait introduite dans le dispositif législatif ; il importe d'y accorder la plus grande attention.
Troisième conséquence, enfin : le principe de la parité inscrit à l'article 3 de la Constitution serait violé. En effet, pour y satisfaire, nous devons nous doter des meilleurs moyens. Or, en Corse, nous prenons le chemin inverse, ce qui me consterne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! Il faudrait amender pour qu'il puisse y avoir une commission mixte paritaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où les bruits de bottes dans le Golfe inquiètent nos concitoyens, la France est confrontée à une situation qui lui impose de se situer à la dimension de l'Histoire.
Nous devons en effet défendre les principes et les valeurs qui fondent notre république et qui éclairent le monde depuis de très longues années.
Quel cruel décalage, mes chers collègues, monsieur le ministre, avec notre débat du jour puisque nous discutons aujourd'hui d'une réforme des scrutins dont les grandes lignes suscitent une légitime indignation de tous les démocrates ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Noël Guérini. Le 21 avril, les Français ont tranché en choisissant de reconduire Jacques Chirac au poste de Président de la République et en confirmant ce choix aux législatives en lui donnant largement les moyens de mener à bien son action.
Or, depuis, si la feuille de route définie par le Premier ministre épouse le même tracé de ligne droite, le dénivelé de la côte à gravir s'est durci.
Certes, le contexte international n'est pas favorable. Mais, en collant trop aux dogmes immuables d'un MEDEF qui croit détenir l'omniscience en matière économique, le Gouvernement a déjà malheureusement péché par excès de confiance.
Ces questions sont celles qui préoccupent les Français alors que les plans sociaux se multiplient, que le chômage est reparti à la hausse, principalement chez les jeunes qui voient l'avenir s'obscurcir.
M. Bruno Sido. Quel est le rapport avec le mode de scrutin ?
M. Jean-Noël Guérini. Ces questions sont celles que nous devons aborder, en parlant franchement des retraites, sans nous laisser bercer par la petite musique d'une communication qui masque l'indécision et les retours en arrière.
La politique - ce n'est pas à cette sage assemblée que je l'apprendrai - est une affaire de symboles. Dans le choix des méthodes et des priorités, chaque avancée est un message fort transmis à une opinion sensible. Aujourd'hui, les Français doutent. Ils ne sentent pas le vent du changement débarrasser l'avenir de ses nuages menaçants.
Vous avez cru, monsieur le ministre, pouvoir régler une crise politique profonde en vous appuyant sur de prosaïques règles de comptabilité des voix. C'est une erreur, l'expression étonnante d'une naïveté dans l'appréhension de la sensibilité de l'opinion.
Ce n'est pas en cassant le thermomètre que l'on fait disparaître la fièvre. Ce n'est pas en réduisant à sa plus simple expression bipolaire la représentation politique française que l'on pourra expurger, comme par magie, le malaise qui s'exprime lors des scrutins.
Comment ne pas s'interroger sur un Premier ministre qui, trois cent vingt-quatre jours après le 5 mai, applique l'article 49-3 de la Constitution pour imposer à l'Assemblée nationale une réforme scellée par la mauvaise foi ? (Oh ! sur les travées de l'UMP.)
Comment ne pas s'inquiéter de la volonté hégémonique qui apparaît dans les moindres détails d'un projet de loi où la mauvaise foi et l'hypocrisie sont érigées en système ? Comment ne pas s'insurger de ce coup de force qui est une attaque en règle contre le pluralisme et vise à imposer une bipolarisation dont les Français ne veulent pas ?
M. Hilaire Flandre. Qu'est-ce que vous en savez ?
M. Jean-Noël Guérini. Les Français n'aiment pas les prises d'otages idéologiques, et le fait de kidnapper, comme le fait ce projet de loi, des millions de voix exprimant une vision de la société, ne fera que renforcer la fracture civique de notre pays.
M. Bruno Sido. Je ne le crois pas !
M. Jean-Noël Guérini. Qu'est devenue la « petite musique » de M. Raffarin ? Qu'a-t-on fait des messages émis par la nation se réveillant au lendemain du 21 avril ? Que s'est-il passé pour que l'on décrète l'urgence et que l'on ressorte les ciseaux, je dirais même la hache, pour préparer les futures échéances électorales ?
M. Josselin de Rohan. Treize mille amendements !
M. Jean-Noël Guérini. Nous sommes loin, hélas ! des paroles fermes et décidées, soucieuses de retisser le lien social d'un pays déboussolé par la force de l'extrême droite.
Nous sommes loin, hélas ! des aspirations de millions de Français unis contre la haine et le rejet de l'autre.
Nous sommes loin, hélas ! des exigences exprimées par les Français depuis plusieurs années.
Il est très commode, en abusant de sa position dominante, de changer les règles du jeu sans l'accord de tous les joueurs, en fixant soi-même une règle méprisant la démocratie et le pluralisme.
M. Jean-Pierre Masseret. Oui !
M. Hilaire Flandre. Vous voulez que l'on vous parle de 1986 !
M. Jean-Noël Guérini. On le fait pour les prochaines élections : les régionales, les européennes,...
M. Bruno Sido. Les cantonales en Bouches-du-Rhône !
M. Jean-Noël Guérini. ... et, surprise, on le fait aussi pour les élections cantonales. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Mais, mes chers collègues, pour un seul département : les Bouches-du-Rhône !
M. Bruno Sido. C'est normal !
M. Jean-Noël Guérini. Etrange exception française, étrange choix, étrange décision !
M. Josselin de Rohan. Et Gaston, qu'est-ce qu'il faisait ?
M. Jean-Noël Guérini. Qu'importe la culture politique de notre pays, qu'importent les attentes des citoyens, qu'importe le respect de la diversité politique !
Comment peut-on imaginer réconcilier les Français avec la vie politique en sortant des ciseaux à Marseille,...
M. Bruno Sido. Vous ne l'avez jamais fait ?
M. Jean-Noël Guérini. ... en imposant des seuils extravagants pour pouvoir se maintenir au second tour des régionales, en recomposant une carte des régions pour escamoter le débat fondamental des élections européennes ?
Le respect du suffrage universel et de l'intérêt général méritait mieux que ces tripatouillages qui s'effectuent dans la précipitation et le secret d'un appareil politique dévoué aux exigences des maires de Bordeaux et de Marseille.
Pourtant, les beaux esprits de l'Union pour la majorité présidentielle, qui nous ont expliqué doctement qu'il était vital pour le respect de la démocratie de redécouper la carte cantonale des Bouches-du-Rhône, devraient savoir que l'on ne change pas une représentation politique par décret.
Ces beaux esprits devraient aussi se souvenir que l'on ne gagne pas une élection en tripatouillant les modes de scrutin. (Exclamations et rires sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard César. Vous en savez quelque chose !
M. Josselin de Rohan. Elle est bonne, celle-là !
M. Bruno Sido. Vous êtes grand faiseur en la matière !
M. Josselin de Rohan. Et Gaston ?
M. Jean-Noël Guérini. Mes chers collègues, soyez prudents !
Ces beaux esprits devraient aussi prendre conscience qu'en remodelant à leur convenance les cantons à Marseille, qu'en changeant les modes de scrutin des élections régionales et des élections européennes...
M. Josselin de Rohan. Les municipales de Marseille !
M. Jean-Noël Guérini. ... ils commettent une terrible faute politique. Il est impossible de séparer ces trois démarches. Elles répondent aux mêmes objectifs ; elles ont la même ambition ; elles adaptent sur des scrutins différents les mêmes méthodes : le sectarisme, la mauvaise foi et la manipulation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - M. Robert Bret applaudit également.)
Mais le traitement d'exception que l'on fait subir à ce département, alors que tant d'autres méritaient prioritairement la même remise à niveau démographique, est une faute politique grave.
M. Gérard César. C'est aux électeurs de le dire !
M. Jean-Noël Guérini. Vous avez préféré, monsieur le ministre, le traitement d'exception, si suspect sur le fond, à une approche plus globale des disparités démographiques dans les départements français. Cette affaire, sous son apparence d'équité démographique, n'est pas à l'honneur du Gouvernement, et vous aurez beaucoup de mal à convaincre l'opinion publique du contraire.
S'il était nécessaire de rétablir l'égalité des citoyens devant le suffrage universel, pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne l'a-t-on pas fait dans le Var ou dans les Alpes-Maritimes ?
S'il était nécessaire de recomposer la carte cantonale afin de « mettre au diapason » les évolutions démographiques, pourquoi ne s'est-on pas intéressé aux dix départements français qui présentent des anomalies plus importantes que celles qui sont enregistrées à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône ?
Les chiffres sont pourtant explicites, mes chers collègues : dans le Var, le vote de certains électeurs compte quarante-six fois plus que le vote d'autres électeurs. Dans les Alpes-Maritimes, ce rapport est de un à trente-cinq. Dans les Bouches-du-Rhône - j'ai l'honnêteté de vous le dire -, il est de un à vingt-six.
M. Bruno Sido. Seulement !
M. Jean-Noël Guérini. Bien sûr, j'ai oublié de préciser que ces disparités servent avantageusement la majorité actuelle. Voilà pourquoi le tripatouillage commandé par le maire de Marseille au ministre de l'intérieur ne respecte pas la démocratie.
M. Bruno Sido. Allons, allons !
M. Jean-Noël Guérini. Décidément, nous sommes loin de la démarche exemplaire qui avait été engagée à Lyon, sous la houlette de Jean-Pierre Chevènement et de Lionel Jospin.
M. Bruno Sido. Comme par hasard !
M. Josselin de Rohan. Ils s'entendaient encore !
M. Jean-Noël Guérini. Dans le Rhône, à la suite d'une plainte d'un électeur, la carte cantonale avait été préparée dans la clarté et la transparence, n'est-ce pas, monsieur Mercier ?
Autres temps, autres moeurs... ou plutôt, pour être plus près de la réalité, voici revenues les sinistres habitudes et les vieux démons d'une droite qui apprécie plus que tout les « talents de couturière » dont M. Pasqua a su faire preuve naguère.
M. Hilaire Flandre. Je vous raconterai comment cela s'est passé dans les Ardennes !
M. Jean-Noël Guérini. Au demeurant, la révision de la carte cantonale de tous les départements présentant des anomalies inacceptables est une absolue nécessité pour moderniser notre démocratie.
M. Bruno Sido. Même dans les Bouches-du-Rhône !
M. Jean-Noël Guérini. Quelle occasion gâchée au lendemain de la terrible année 2002 !
Nous avions alors l'opportunité d'engager ensemble, dans la concertation et le dialogue, un remodelage pertinent et honnête de la carte cantonale de l'ensemble du territoire, et pas seulement des Bouches-du-Rhône !
A l'heure de la nouvelle étape de la décentralisation, la perception des conseils généraux, des cantons et des seuls élus qui, avec les députés, gagnent leur siège dans des scrutins uninominaux, en aurait été favorisée, notamment dans les zones urbaines.
En tant que parlementaire républicain, mais aussi en tant que citoyen et électeur, je ne peux que m'indigner de tels procédés, opaques et indignes de notre démocratie.
Que les circonscriptions électorales évoluent selon les changements démographiques, quoi de plus normal !
Mais pourquoi ne s'intéresser qu'aux seuls cantons des Bouches-du-Rhône alors que les recensements de 1990 et de 1999 attestent d'inégalités flagrantes entre circonscriptions cantonales... et législatives !
En respectant la démocratie, dans la plus absolue transparence, il aurait été possible d'agir autrement, comme je l'ai précisé dans un courrier saisissant le Président de la République.
Hélas ! fidèle aux petits arrangements entre amis, M. Raffarin se devait de faire un cadeau d'entrée à l'UMP à M. Gaudin. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Ce cadeau est une faute. Mais vous en commettrez aussi avec les dispositions du projet de loi portant sur les régionales et les européennes.
Sans doute, non content des astuces utilisées pour remodeler la carte cantonale des Bouches-du-Rhône, on a considéré qu'il fallait aussi offrir un modeste présent pour rassurer et satisfaire le président de l'UMP.
Après avoir fondu la droite au sein d'un parti unique, le maire de Bordeaux, qui ne retient de sa tentation de Venise qu'un machiavélisme de mauvais aloi, a décidé de couper les ailes à François Bayrou. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
MM. Gérard César et Josselin de Rohan. C'est nul !
M. Bruno Sido. C'est mesquin !
M. Jean-Noël Guérini. Mettre à mal l'UDF exigeait une excuse : la menace du Front national était un bel argument, qui a fourni le plus beau des prétextes.
Appuyée par le choeur des élus du Sud, vos amis, qui connaissent parfaitement la droite extrême après avoir souvent travaillé avec elle, l'UMP, étouffant sans peine quelques voix discordantes, a placé la barre bien haut pour les régionales.
Imposer 20 % des suffrages exprimés au premier tour pour ouvrir la porte du choix de second tour, voilà un bien mauvais service rendu au pluralisme !
Il s'agit non plus d'un seuil, mais d'un couperet, favorisant une bipolarisation qui n'est pas inscrite dans les gènes de notre République.
Sous prétexte d'assurer aux régions des majorités stables, objectif que remplissait le projet du précédent gouvernement, vous entendez imposer un remodelage du paysage politique et, dans le même temps, vous privez de représentation près de 60 % des électeurs français. Est-ce donc cela que s'occuper de la France d'en bas ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Avons-nous quelque chose à gagner à cette logique binaire ? Avons-nous quelque chose à gagner à ce mépris du débat et de la démocratie ? (Murmures d'approbation sur les travées du groupe socialiste.) Avons-nous quelque chose à gagner à bâillonner ceux qui se reconnaissent dans les petits partis ?
A ces errements s'ajoutent des erreurs autrement plus graves !
A propos du projet de loi, sur lequel vous avez empêché les élus de se prononcer en recourant au 49-3, vous écrivez : « Devant la baisse déjà ancienne mais continue de la participation électorale, le but poursuivi par le Gouvernement est, d'une part, de renforcer la responsabilité de l'élu devant l'électeur et, d'autre part, de redonner, autant que faire se peut, de la clarté à l'expression du suffrage. » Qui pourra affirmer sans sourire que cet objectif sera atteint avec l'usine à gaz que vous nous proposez pour les élections européennes ?
M. Josselin de Rohan. C'était votre projet !
M. Jean-Noël Guérini. Qui pourra accepter d'être privé du choix logique de la démocratie aux élections régionales ? Qui pourra reconnaître cette clarté dans la mise en forme d'une carte cantonale des Bouches-du-Rhône préparée sur les ordinateurs de l'UMP en fonction des résultats de chaque bureau de vote ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)
Ces agissements sont coupables, regrettables et inquiétants.
Nous regrettons tous la montée progressive et continue de l'abstention. Nous sommes inquiets face à l'incivisme. Nous combattons tous pour renforcer la citoyenneté. Et voilà que l'UMP, avide de pouvoir, foule au pied les principes mêmes qui régissent notre République. Comment pouvez-vous imaginer cadenasser ainsi la démocratie ?
M. Hilaire Flandre. Il gagne à être connu !
M. Bruno Sido. Il devrait venir plus souvent !
M. Jean-Noël Guérini. Comment les libéraux que vous êtes, mes chers collègues, peuvent-ils se fondre dans un système où le parti unique dicte sa loi ? Comment pouvez-vous envisager de faire taire les voix qui ne pensent pas comme vous en prenant des décrets iniques destinés à imposer une pensée unique ? Comment comptez-vous réformer la France par la grâce du 49-3 ?
Comptez-vous abolir la singularité française ? Comptez-vous tourner longtemps le dos à l'attachement républicain, à l'égalité et au rôle de l'action publique ?
Mes chers collègues, monsieur le ministre, l'exigence démocratique à laquelle vous semblez tenir ne peut souffrir la moindre faiblesse. Dès qu'elle prête le flanc à la critique, dès qu'elle montre le visage de la suspicion, dès qu'elle se révèle en contradiction avec elle-même, elle ne fait que s'éloigner de l'objectif qu'elle se fixe : réconcilier les citoyens de notre pays avec la politique pour leur proposer des choix de société clairs et ambitieux.
Monsieur le ministre, vous n'avez pas vraiment pris conscience, je le crains, de l'état de déstabilisation dans lequel se trouvent les citoyens de notre pays. Cette réforme des scrutins est une insulte à leur intelligence. Vous pensez à tort qu'ils accepteront un tel tour de passe-passe alors qu'ils sont attachés à l'expression de la diversité des opinions.
Vous n'avez pas le sens de l'équilibre, de la mesure. Vous oubliez que Jacques Chirac n'a obtenu que 19 % au soir du 21 avril dernier. Vous oubliez que Lionel Jospin n'a obtenu que 16,5 % au soir du premier tour de l'élection présidentielle.
M. Hilaire Flandre. On n'a pas oublié !
M. Bruno Sido. On s'en réjouit !
M. Jean-Noël Guérini. Peut-on considérer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la diversité politique française peut être ramenée à ces deux grands pôles, à l'exclusion de tous les autres ?
Vous faites un total contresens sur le sujet : vous imposez aux Français un mode d'expression politique qui va se traduire par un reflux civique plus accentué encore que vous ne l'imaginez.
Ce passage en force sur une réforme des scrutins, qui conditionnera la représentation politique française en 2004, n'augure pas, une réconciliation entre la France d'en bas et ses élus. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
En politique, monsieur le ministre, mes chers collègues, le succès est parfois aveuglant. Après neuf mois de gouvernement, vous avez perdu de vue les attentes que les Français ont exprimées au soir du 21 avril dernier.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Venant d'un socialiste, c'est curieux ! Il faut avoir le sens de l'humour !
M. Jean-Noël Guérini. Le contenu équivoque de cette réforme des modes de scrutin en est la preuve flagrante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de l'heure tardive, mon intervention sera brève et je me contenterai de poser deux questions.
M. Gérard Longuet. Très bien ! Bravo !
M. Yves Détraigne. La première : pourquoi ce projet de loi ; la seconde : pourquoi un système électoral aussi complexe ?
Pourquoi ce projet de loi ? Plusieurs motifs ont été avancés pour justifier sa présentation aujourd'hui devant le Parlement.
S'il s'agit, sur la partie relative à l'aide publique aux partis politiques, d'éviter un effet d'aubaine consistant pour certains partis, comme lors des élections des dernières années, à se créer pour la circonstance et à présenter des candidats dans une cinquantaine de circonscriptions aux seules fins de bénéficier de fonds publics et nullement pour participer au débat, on ne peut alors qu'approuver le projet de loi. Tout texte visant à moraliser la vie publique ne peut que recevoir notre appui.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Yves Détraigne. S'il s'agit de rendre plus cohérente la durée des mandats d'élus locaux et d'aligner la durée du mandat de conseiller régional sur celle des mandats de conseiller général ou de conseiller municipal, là aussi, on ne peut qu'être d'accord.
S'il s'agit d'introduire la parité dans les élections régionales, comme cela a été fait pour les scrutins municipaux, on ne peut évidemment qu'être d'accord, encore que l'on peut se demander pourquoi on n'a pas repris le système simple qui a bien fonctionné pour les scrutins municipaux plutôt que le procédé de stricte alternance dont on a vu, à l'occasion du dernier renouvellement sénatorial, qu'il avait, dans certains départements, conduit à une inflation des listes de candidats de même tendance.
S'il s'agit de dégager une majorité claire pour gouverner dans les régions, permettez-moi de rappeler que cette question a été réglée par le vote de la loi du 19 janvier 1999, certes imparfaite et nécessitant quelques ajustements mais dont, curieusement, de nombreux observateurs et même d'élus régionaux semblent avoir oublié l'existence. Est-il vraiment opportun de réformer une loi qui n'a encore jamais été appliquée ?
S'il s'agit, enfin, de rapprocher les élus des électeurs pour les élections régionales, on ne peut que se féliciter de l'intention, certes, mais, en même temps, regretter que nous soit proposé un système des plus complexes et, par voie de conséquence, largement incompréhensible pour l'électeur, même si vous avez essayé, monsieur le ministre, de nous le décrypter.
J'en viens à ma seconde question : pourquoi un système électoral aussi complexe pour les élections régionales ?
N'ayant - comme d'ailleurs, je le crains, nombre de personnes, voire d'élus - pas compris grand-chose à ce que pourrait donner concrètement la répartition des sièges entre les sections départementales à la simple lecture du projet de loi, j'ai ressorti mes archives des dernières élections régionales en Champagne-Ardenne - c'est ma région - et j'ai passé une partie de mon dimanche après-midi à appliquer soigneusement, scrupuleusement, pour éviter de me tromper, le système de répartition des sièges qui nous est proposé dans le projet de loi aux résultats réels qui avaient été constatés dans la région en 1998.
J'ai ainsi constaté - et je m'en réjouis ! - que, dans cette région, à laquelle il est attribué quarante-neuf sièges et où la droite parlementaire est majoritaire par rapport à la gauche - sans pour autant, comme dans beaucoup d'autres régions, cela a été dit, détenir la majorité des sièges -, l'objectif de dégager une majorité claire est atteint puisque la droite disposerait, avec le nouveau mode de scrutin et de répartition des sièges, de trente et un des quarante-neuf sièges.
M. Henri de Raincourt. C'est tout ? (Sourires.)
M. Yves Détraigne. C'est déjà cela ! (Nouveaux sourires.)
La prime majoritaire joue donc pleinement son rôle, comme lors des élections municipales, et je crois qu'il faut s'en réjouir.
Toutefois, lorsque l'on examine la répartition des sièges entre les quatre sections départementales qui composent la région Champagne-Ardenne, on constate alors, toujours sur la base des chiffres réels de 1998, que le département de la Marne, pour lequel le présent projet de loi prévoit des listes de vingt et un candidats, se verrait attribuer, en réalité, vingt-deux sièges, ce qui - vous en conviendrez - est tout de même difficile à expliquer aux électeurs.
M. Bruno Sido. C'est beaucoup trop !
M. Yves Détraigne. Je comprends cette réflexion émanant d'un Haut-Marnais ! (Sourires.)
Notre collègue Bernard Frimat nous a expliqué tout à l'heure les dérives ou les bizarreries auxquelles pouvait conduire le système de répartition des sièges entre les sections départementales. Eh bien ! involontairement, j'ai trouvé un exemple concret que je connais bien et où se produirait effectivement ce type de bizarrerie.
Et c'est là, monsieur le ministre, mes chers collègues, que réside ma véritable inquiétude. Comment peut-on espérer rapprocher les élus des citoyens avec un système de répartition des sièges parfaitement incompréhensible pour le grand public et qui risque, dans bien des cas, de donner à l'électeur le sentiment d'arrangements inavouables entre partis et entre départements et, pour tout dire, le sentiment d'avoir été dupé ?
M. Jean Bizet. Mais non !
M. Yves Détraigne. Avec de telles dispositions, je crains fort que, au moment où nos concitoyens nous attendent sur des réformes de fond essentielles pour relever l'économie de notre pays et pour préserver les générations à venir, le Gouvernement et le Parlement ne donnent une fois de plus le sentiment d'être déconnectés des réalités et de préférer s'adonner à des jeux politiques plutôt que d'affronter les vrais problèmes.
Voilà pourquoi je suis convaincu que le débat sur ce projet de loi est indispensable et que refuser par avance tout amendement serait une grave erreur. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'actualité de nos débats est tout de même étonnante. La planète retient son souffle à la veille d'un conflit qui déséquilibrera durablement le Moyen-Orient et le dialogue entre les peuples. On ne compte plus les territoires de France victimes de licenciements massifs. Et le Gouvernement nous propose de changer les modes de scutin... Ce n'est sûrement pas ce qui préoccupe en ce moment les Français !
Parlementaires, nous jouerons néanmoins notre rôle en abordant sur le fond cette proposition de réforme. Nous essaierons même de lui donner une raison d'être : le choc démocratique du 21 avril, qui seul pourrait justifier des modifications allant dans le sens de l'avertissement donné par les électeurs.
Souvenons-nous : au premier tour de l'élection présidentielles, 28,40 % des Français n'ont pas voté, ne trouvant pas de motivation suffisante pour appuyer tel ou tel candidat ; 26,83 % d'entre eux ont choisi des votes extrêmes, les uns honorables, les autres déshonorants, mais tous faisant un choix de parti non représenté au Parlement.
La leçon fut cinglante : une autre façon de faire de la politique et de mener les affaires publiques était attendue et l'avertissement valait pour tous les partis représentés sur ces travées, le mien y compris. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Devant l'urgence démocratique, la gauche sut prendre ses responsabilités pour conduire au redressement du second tour. Le discours du candidat Chirac donna acte aux Français de leurs attentes légitimes.
Le contenu du texte qui nous est aujourd'hui proposé est une véritable négation de cet engagement : on y glane la priorité aux plus âgés quand les jeunes piaffent d'être reconnus ; la restauration de cumuls abandonnés quand 68 % des Français se disent en faveur du mandat unique ; de nouveaux découpages géographiques, alors que chacun appelle de ses voeux la lisibilité de l'identité régionale ; la prime au parti dominant, alors que les votes ont manifesté l'impérieuse nécessité d'alternatives fécondes et de représentants politiques plus ouverts au dialogue. Mais rien sur la réforme du Sénat, notamment sur la mise à niveau de la durée du mandat.
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est pour plus tard !
Mme Marie-Christine Blandin. En guise de dialogue, l'Assemblée nationale s'est vue infliger le 49-3.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Elle l'a cherché !
Mme Marie-Christine Blandin. Espérons que les quelques jours de débat au Sénat seront davantage respectés !
Venons-en à vos propositions et, en premier lieu, à l'élévation des seuils pour accéder à la fusion ou pour permettre le maintien au second tour.
L'élimination probable de candidats portés par des partis autres que les deux premiers va priver de débouché politique des centaines de milliers d'électeurs, aggravant le divorce entre les habitants et la classe politique.
Qui plus est, si se reproduisait localement le spectre du 21 avril, cela voudrait dire que vous préférez des régions UMP-FN plutôt que les assemblées régionales que nous connaissons actuellement.
Votre projet place la barre régionale à 5 % des suffrages exprimés pour la fusion et à 10 % pour le maintien au second tour - 10 % non pas des suffrages exprimés mais des électeurs inscrits ! - c'est-à-dire que vous ne voyez pas d'inconvénient, par les temps qui courent, à renvoyer chez eux deux à trois cinquièmes de la population sans qu'un seul élu ne puisse porter leur opinion.
Certes, les petits partis pourront, de façon préventive, se réfugier sous l'aile protectrice - ou étouffante - des plus grands...
M. Josselin de Rohan. Du parti socialiste ?
Mme Marie-Christine Blandin. ... mais pour quel résultat ? Avoir des postes, avoir des mandats ? Mais ce n'est pas pour cela que les gens votent, c'est pour que leurs idées soient défendues, pour que leurs propositions soient mises en oeuvre !
Sans le jeu de la proportionnelle, le rapport de force n'existe plus et les contrats qui permettent la mise en oeuvre de projets non portés par le parti dominant ne peuvent plus se construire. C'est sûrement, à court terme, plus reposant pour le parti dominant. Les assemblées sont moins conflictuelles. Les questions gênantes disparaissent. La communication est unique. Les justificatifs ne sont plus à donner. Le mandat de l'exécutif devient chèque en blanc jusqu'aux prochaines échéances électorales.
C'est ainsi que fut installée dans les lycées et dans les bâtiments publics l'amiante, dans le silence assourdissant de certitudes non ébranlées, sous l'oeil vigilant des lobbies. Ce n'est qu'un exemple !
M. Josselin de Rohan. Ah bon !
M. Gérard César. Quel rapprochement !
Mme Marie-Christine Blandin. Puisse-t-il vous alarmer tant le consensus est aujourd'hui grand pour reconnaître l'erreur passée et les souffrances de milliers de personnes contaminées !
Oui, monsieur le ministre, il est pénible pour un exécutif régional de subir les questions, les interpellations, les amendements, les rappels aux règlements, et ce encore plus quant la majorité est fragile. Mais cela s'appelle la démocratie ! C'est là que naissent les nouvelles idées, les bonnes inflexions, les suggestions pertinentes.
C'est là que des gens oubliés, comme les chômeurs, les immigrés, les associations de quartiers, les femmes mêmes, vont trouver la mise en oeuvre de projets qui les concernent, car il y a plus d'intelligence dans cent têtes que dans vingt.
La biodiversité, c'est bon pour la planète, mais c'est bon aussi pour les assemblées politiques. Aujourd'hui, le président Chirac prononce à Johannesbourg de brillants discours sur le développement durale. Qu'en était-il de votre estime pour ces idées il y a vingt ans ? Certains ne les considéraient-ils pas comme les élucubrations d'écologistes minoritaires ? Or, dans nos villes, de droite comme de gauche, se répandent les tris sélectifs, les tramways, les bus au gaz et les pistes cyclables.
Reprenez les comptes rendus des débats passés et vous verrez que souvent des minoritaires firent naître ces projets. Pourquoi aujourd'hui voulez-vous vous en débarrasser ? Pour avoir tout le pouvoir, tous les postes et ne plus être dérangés dans vos certitudes ? Personne n'a la science infuse, ni les majoritaires ni les minoritaires, mais ce qui est certain, c'est que l'humanité a progressé par l'écoute de l'autre.
Il vous reste - ou l'entend dans les couloirs - l'argument de l'évitement de l'extrême droite. Il est vrai que les alliances contre la démocratie de 1998 en Rhône-Alpes, en Bourgogne, en Picardie et en Languedoc-Roussillon, contrairement au courage manifesté par Marc Censi en Midi-Pyrénées ou par la droite en Nord - Pas-de-Calais, peuvent vous avoir fait perdre confiance dans la pugnacité ou dans l'éthique de certains de vos amis.
Mais l'extrême droite ne se combat pas par les règles électorales, elle se jugule par des politiques publiques transparentes, participatives et respectueuses des pauvres.
Minoritaires, nous l'avons fait dans notre région, sans prime majoritaire ni 49-3. Dans le débat, parfois dans le conflit, six budgets furent votés. La région s'en sortit moins endettée, moins bétonnée, moins amiantée.
Non seulement l'extrême droite ne se combat pas par l'érosion de la proportionnelle, mais le scrutin de type majoritaire ne l'a pas empêchée de grossir et de franchir le seuil des 50 % à Orange, à Toulon et à Marignane. Elle a alors pu s'installer confortablement dans les règles dites démocratiques de la prime majoritaire municipale, hors de portée de son opposition.
Une étude commandée avant 1998 par les présidents de région à l'association des présidents de conseils régionaux sur les effets du changement des modes de scrutin avait couché sur le papier tous les scénarios d'assemblées régionales, à diversité d'électeurs semblable, selon que l'on travaille sur les inscrits ou les exprimés, selon que l'on élève ou abaisse les seuils, selon que l'on augmente ou diminue la prime majoritaire.
Les auteurs concluaient : « On ne peut qu'être effrayé devant la diversité des majorités que l'on peut faire émerger à partir d'un même vote des électeurs. »
Pour le Parlement européen, alors que le mode de scrutin en vigueur construisait une représentation française diversifiée et juste à partir de listes couvrant la nation, vous procédez par votre projet à des découpages arbitraires de la France.
Ces entités de « grandes régions » trop peuplées pour une quelconque proximité, trop hétéroclites pour une quelconque culture commune, n'auront que des mauvais effets. Ainsi, en réduisant le corps électoral, elles diminueront les effets bénéfiques de la proportionnelle aux dépens des petits partis, comme d'habitude. Elles feront apparaître de nouveaux territoires, complètement artificiels, elles brouilleront l'image de la décentralisation. Enfin, en faisant émerger des listes et têtes de listes locales, elles empêcheront la clarté du débat national sur l'Europe.
Grande sera la tentation pour les uns de parler de leur port, pour les autres de leur vigne, alors que nous devrions tous être mobilisés sur des débats clairs : l'Europe sociale, sa Constitution, l'élargissement, la culture, le projet collectif, solidaire, ambitieux, et non l'inventaire des infrastructures à faire financer.
Les régions, l'Europe, lieux de création et d'enjeux pour demain, échelles pertinentes d'action politique au sens noble, commençaient à avoir une image claire pour nos concitoyens.
Ces deux entités, probablement les plus déterminantes pour l'avenir, devenaient lisibles et connues. Votre projet va rendre confus le schéma et opaque le débat. Il tourne le dos aux besoins de demain.
Le monde est complexe. Vouloir en simplifier la représentation par l'hégémonie serait un acte de développement non durable.
Il se dit qu'après le 49-3 à l'Assemblée votre majorité, comme l'a fait la commission des lois, irait vers le vote conforme. Ce serait faire bien peu de cas de nos remarques, du travail du Parlement et de nos nuits... Ce serait éteindre l'ultime lieu de débat parlementaire qu'est la commission mixte paritaire.
Avec l'accord du président de séance, je souhaite maintenant user de mon droit de réponse.
M. de Raincourt a cru bon, tout à l'heure, de me mettre personnellement en cause au travers de la présidence Verte de la région Nord - Pas-de-Calais de 1992 à 1998, assimilant cet exemple à une sorte de déni de démocratie.
Monsieur de Raincourt, c'est faire bien peu de cas de la façon dont a été animée cette région pendant six ans par les Verts et les socialistes, parmi lesquels notre brillant collègue Bernard Frimat, c'est-à-dire par ceux qui ont obtenu le plus de voix des électeurs, dans le respect des droits de l'opposition, sans prime majoritaire ni 49-3. Vous avez confondu une présidence à gestion autocratique - ce n'était pas la nôtre - et une animation démocratique. Nous n'avons pas les mêmes valeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Henri deRaincourt.
M. Henri de Raincourt. Je veux simplement dire à notre collègue Mme Blandin que si, tout à l'heure, mes propos ont pu l'offenser, je lui présente à l'évidence mes plus vives excuses.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Néanmoins (Rires sur les travées de l'UMP), ...
M. Bernard Frimat. C'était parfait jusque-là !
M. Henri de Raincourt. ... le Journal officiel règlera très rapidement la question. On ne va pas en faire une histoire !
J'ai dit très précisément : « Les exemples ne manquent pas. Je pourrais citer celui de la région Nord - Pas-de-Calais. En 1992, le parti socialiste obtint vingt-sept sièges, le parti communiste quinze et les Verts huit avec à peine plus de 6 % des suffrages exprimés. Parvenant difficile à trouver un candidat issu de leurs rangs pour la présidence de la région, nos collègues socialistes et communistes...
M. Bernard Frimat. Ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas le problème !
M. Henri de Raincourt. ... se sont mis d'accord pour porter à la tête de l'exécutif régional une candidate écologiste ici présente et que je salue, qui est devenue depuis notre collègue mais qui n'avait pourtant recueilli qu'environ 6 % des suffrages. Où est la clarté du système ? »
Ce qui nous différencie, madame, c'est que, pour ma part, je n'ai porté aucun jugement sur les six années durant lesquelles vous avez présidé cette assemblée régionale.
Mme Marie-Christine Blandin. C'est pourtant cela qui compte !
M. Henri de Raincourt. J'ai simplement pris acte des conditions dans lesquelles l'élection du président du conseil régional s'était déroulée, sans même porter le moindre jugement de valeur, simplement pour montrer qu'en matière de clarté et de démocratie, il était surprenant que celui qui représente 6 % des suffrages dirige la région. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du l'UMP.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne veux en aucun cas abuser de votre patience à cette heure tardive, mais il serait discourtois que le Gouvernement ne prenne pas quelques instants pour répondre aux différents orateurs, d'autant que tous, quelles que soient leurs opinions, ont eu à coeur - et je les en remercie - de conduire un raisonnement et de défendre leurs arguments.
Nous ne sommes pas d'accord sur tout, c'est entendu, c'est évident, mais il me semble que la Haute Assemblée a donné, dans cet échange d'arguments, un exemple de sérénité dont le Gouvernement se devait de tenir compte, car tous les arguments ont été présentés avec courtoisie.
Je vais reprendre un par un les quatre arguments principaux qui ont été avancés contre le texte du Gouvernement.
Premier argument, ce texte risque de faire disparaître les minorités, ce dernier terme n'étant pas péjoratif puisqu'il est pris au sens de courant minoritaire.
Si ce risque existait, cela ne concernerait que les élections régionales et pas les élections européennes. Chacun en est convenu : le découpage en huit grandes circonscriptions interrégionales ne fera en rien disparaître les minorités, car ce qu'il est possible de faire dans une circonscription unique le sera tout autant dans huit circonscriptions.
Par conséquent, l'argument principal contre le texte, à savoir la disparition des minorités, peut poser un problème pour les élections régionales, mais ne peut rompre le consensus qui existe entre nous sur les élections européennes.
Il est d'ailleurs inexact d'affirmer que les minorités risquent de disparaître à l'issue des élections régionales. En effet, le seuil de 5 % ouvre le droit à la fusion. Or la liste qui est arrivée en tête au premier tour a tout intérêt à proposer la fusion à la liste minoritaire qui appartient à sa propre famille politique ou à son propre camp, parce qu'il vaut toujours mieux se partager à deux 25 % de sièges en plus.
Le dispositif proposé par le Gouvernement donne donc au contraire l'assurance pour les courants minoritaires de pouvoir s'additionner à la liste majoritaire afin de pouvoir prétendre bénéficier de la prime de 25 %. (Tout à fait ! sur les travées de l'UMP. - M. Bruno Sido applaudit.)
M. Jean-François Humbert. Evidemment !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. On ne peut donc en aucun cas dire que les minorités disparaîtront puisque les capacités de rassemblement autour de la liste arrivée en tête offrent la garantie de bénéficier de cette prime de 25 %. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Il faut donc mettre en perspective les trois pourcentages qui sont critiqués, à savoir les 10 % des électeurs inscrits pour être au second tour, les 5 % des suffrages exprimés pour pouvoir fusionner et la prime de 25 %.
Pour obtenir la prime de 25 %, il faudra rassembler, chacun le comprend, et cela me permet de répondre au deuxième argument qui a été avancé, de manière tout à fait légitime, sur le bipartisme.
Je n'ai jamais été persuadé que le bipartisme corresponde à la tradition française. Mais les dispositions qui vous sont proposées visent non pas le bipartisme mais l'obligation de former une coalition. Et, en démontrant l'importance des minorités, je le prouve.
A l'image de l'Allemagne, qui connaît non pas le bipartisme mais les gouvernements de coalition, nos régions connaîtront des coalitions, lesquelles, au lieu de se constituer au troisième tour, se concluront entre le premier et le second tour. C'est le seul changement que nous souhaitons introduire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bernard Saugey. Dans la clarté !
M. Bernard Frimat. C'était la loi de 1999 !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'admets volontiers que l'on soit en désaccord, mais j'ai voulu démontrer que l'argument de la disparition des minorités ne tient pas et que l'argument du bipartisme imposé ne tient pas davantage.
Certes, deux blocs de coalition s'affronteront au second tour, mais cela ne signifie pas qu'il s'agit d'un bipartisme.
Dans le même ordre d'idées, on ne peut pas prétendre que l'Allemagne vit sous le régime du bipartisme alors que, depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la quasi-totalité des gouvernements allemands sont des gouvernements de coalition. Il y a donc deux blocs chacun étant animé par une force dominante.
Je suis favorable à ce système. En revanche, je suis réservé sur l'idée du bipartisme qui n'existe d'ailleurs que dans les pays qui connaissent le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Encore que cela ne soit pas tout à fait le cas.
Chacun sait bien, en effet, qu'en Grande-Bretagne le parti libéral existe et réalise régulièrement de 10 à 15 % de voix selon les élections. Quant aux Etats-Unis d'Amérique du Nord, chacun le sait également, il y a toujours, quel que soit le cas de figure, un troisième candidat à l'élection présidentielle.
Affirmer que les minorités disparaîtront lors des élections régionales n'est pas exact, et dire que nous imposons le bipartisme ne l'est pas davantage.
Le troisième argument auquel je tiens à répondre - mais je caricature quelque peu, je le reconnais, dans un souci de synthèse - porte sur l'Europe des régions.
Ce reproche nous a été adressé y compris par ceux, et c'est parfaitement leur droit, qui ont toujours milité pour l'Europe des régions. (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
S'agissant du scrutin européen, je le rappelle, nous proposons non pas des circonscriptions régionales mais des circonscriptions interrégionales. Va-t-on nous accuser de vouloir faire l'Europe des régions interrégionales ? Cela n'a pas de sens !
Quand on me dit - mais je ne veux prendre personne à partie - qu'un parlementaire européen élu de plusieurs régions ne pourra pas défendre les intérêts de la France, je réponds que cela n'a aucun sens ! Cela voudrait dire en effet que les 577 députés élus chacun dans une circonscription sont incapables de parler au nom de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je ne vois pas au nom de quoi, lorsqu'on est l'un des 577 députés ou des 321 sénateurs, on ne pourrait pas parler au nom de la communauté nationale. Cela n'a pas de sens. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Par ailleurs, la politique du Gouvernement est parfaitement connue : nous ne voulons pas de l'Europe des régions.
Enfin, le quatrième argument qui a été mis en avant concerne l'abstention.
C'est un argument très intéressant. Mais convenons que, si c'est l'abstention qui vous gêne, il faut changer de système puisque l'abstention, c'est la situation d'aujourd'hui. C'est l'abstention qu'il faut combattre, une abstention qui a atteint 48 % en 1998 et 52 % en 1999 ; il est donc clair qu'il faut changer le système.
Et, selon moi - Gérard Longuet a eu raison de le souligner -, l'abstention reculera avec ce mode de scrutin puisque, avant l'élection, les électeurs sauront qui pourra être le président de la région et avec quelle équipe. En vérité, les électeurs se mobiliseront parce qu'ils auront parfaitement identifié qui pourra être président - même s'il n'est pas élu au suffrage universel direct - et quelle équipe pourra diriger la région. C'est un argument déterminant pour voter. (Tout à fait ! sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce système présente un deuxième avantage : les électeurs sauront quels élus de leur département pourront siéger au conseil régional.
Ce système offre en prime aux électeurs la possibilité de voter pour des personnes qu'ils connaissent. Cela ne peut qu'aller dans le sens de leur mobilisation.
Il en va de même pour les élections européennes. Jusqu'à présent, permettez-moi de le dire, pas un électeur ne savait pour qui il votait précisément puisqu'il votait pour des candidats inscrits sur une liste établie par les états-majors des partis politiques. (Tout à fait ! sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et au conseil général ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quant à la remarque qui m'a été adressée sur la difficulté des élections européennes, je répondrai que je la connais : j'ai obtenu 13 %, ce qui n'est pas énorme, mais vous connaissez ce proverbe : « Quand je m'ausculte, je m'inquiète ; quand je me compare, je me rassure. » (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Sans être désagréable à l'égard de qui que ce soit et sans viser personne (nouveaux rires sur les mêmes travées) - je n'ai aucune raison d'être désagréable à l'égard de quiconque à cette heure - je dirai que l'abstention n'est pas, me semble-t-il, un argument déterminant.
Reste maintenant le seul point de désaccord.
J'ai entendu Mme Blandin dire que nous n'avions pas les mêmes valeurs ! Quelle arrogance !
M. Bruno Sido. Au nom de quoi ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quand elle dit : « Nous n'avons pas les mêmes valeurs », elle entend : « Les miennes sont positives et les vôtres sont négatives. » Pour ma part, madame, je ne vous fais pas ce procès !
En fait, vous dites que nous n'avons pas les mêmes valeurs parce que vous auriez préféré - ce qui est parfaitement votre droit -, à la règle des 10 % des inscrits, la règle des 10 % des suffrages exprimés, par exemple.
Si votre échelle de valeurs s'appuie sur ce seul point, c'est que, franchement, vous placez les valeurs à un niveau où je ne les mets pas moi-même. (Bravo ! sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Christine Blandin. Je m'adressais à M. de Raincourt, non à vous !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai suivi avec passion, mais aussi avec difficulté, le débat entre M. de Raincourt et vous-même. J'ai essayé de m'accrocher pour me porter à votre niveau ! (Rires sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous retourne le compliment : si l'on devait se fonder sur la façon dont, avec vos amis, vous passez des week-ends entiers pour tenter de dégager une majorité au sein du congrès des Verts - et je vous admire d'y participer, madame -, je reconnais que nous n'avons pas les mêmes valeurs : pour notre part, nous ne souhaitons cette situation ni pour notre région ni pour le Parlement européen ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Claude Estier. Ne soyez pas désagréable !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas une insulte que de dire cela !
Mme Hélène Luc. C'est également le cas dans votre parti, monsieur Sarkozy !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ajoute que, pour obtenir la majorité au sein des Verts, il faut, me semble-t-il, recueillir les deux tiers des voix. Je ne suis pas persuadé que cela permette de dégager des majorités stables, transparentes et qui accouchent dans l'enthousiasme général ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Le Gouvernement n'a donc pas voulu suivre cet exemple.
Je tiens à évoquer maintenant l'analyse juridique excellente, ce qui n'étonnera personne, de M. le rapporteur Patrice Gélard, et je me réjouis à l'avance de toutes les séances que nous allons passer ensemble en semaine. (Rires sur les travées de l'UMP.) Elles seront un épanouissement dont je ferai naturellement mon miel, monsieur le doyen.
Si j'ai employé l'expression « en semaine », c'est parce que vous avez appelé à réfléchir à la question du vote en semaine. Je sais bien que cela se pratique en Grande-Bretagne, mais j'attire l'attention de la Haute Assemblée sur le fait que les 320 000 bénévoles que nous avons déjà bien du mal à recruter le dimanche seraient encore plus difficilement mobilisables en semaine !
En revanche, la mesure concernant les horaires d'ouverture des bureaux de vote sera transposée en droit français par décret pour nous permettre de revenir à des horaires normaux et ne pas empoisonner tout le monde lors des opérations de vote. La seule obligation, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous le savez, c'est d'imposer l'embargo sur les résultats.
Franchement, est-il bien utile de laisser les bureaux ouverts jusqu'à vingt-deux heures alors qu'on sait bien qu'il n'y a plus personne après vingt heures, en ville, et après dix-huit heures, dans les campagnes ? Je crois que nous devrons rechercher la simplicité.
Pour le vote des Français de l'étranger aux élections européennes, vous avez raison également. Avec les huit circonscriptions, ils ne pourront pas voter dans les consulats comme ils peuvent le faire pour l'élection présidentielle. Nous serons donc amenés à trouver des solutions, comme vous l'avez demandé. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
Monsieur Bret, je ne voudrais pas engager une polémique avec vous. J'ai écouté l'ensemble de vos propos. Pour être franc, je vous dirai que j'ai fait en sorte de ne pas les entendre pour garder à ce débat la sérénité qui convenait. (Rires sur les travées de l'UMP.)
Monsieur Bret, je suis très ennuyé de vous dire qu'après toutes ces heures de débat, et malgré la sympathie que j'éprouve pour l'homme, pour les idées, ça ne passe toujours pas ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Robert Bret. Vous me rassurez !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai enregistré vos propos, mais j'ai fait bien attention à ce qu'ils ne s'ancrent pas trop ! Sans vouloir être désagréable, je dirai que, si nous voulions fixer les niveaux successifs du parti communiste comme niveau équitable pour être au deuxième tour, cela poserait des problèmes. (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Hélène Luc. Peut-être n'avez vous pas réussi à comprendre ce qu'il vous a dit ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas une remarque désagréable ! C'est arrivé à tout le monde d'avoir des problèmes ! Dans la mesure où l'on a rappelé les miens, je voulais dire, par un juste retour des choses, que je n'étais pas le seul à en avoir eu. Mais, dans mon cas, il s'agissait du passé alors que, pour vous, c'est le présent. Le passé, ce sont des mauvais souvenirs, le présent, c'est plus difficile à le gérer. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Mme Josiane Mathon. Cela peut se reproduire !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur de Raincourt, je voudrais vous dire que la clarté de votre propos a séduit la Haute Assemblée. Je partage entièrement votre point de vue. Avec beaucoup de précision et de calme, comme au scalpel, vous avez montré, exemples à l'appui, que nombre des critiques qui étaient faites à ce texte étaient en réalité des critiques d'opportunité, comparables à celles d'un débat politique classique.
Comme il faut absolument trouver quelque chose à reprocher au Gouvernement, on se déchaîne sur cette loi électorale, comme on a pris tout à l'heure à partie ces malheureux pupitres qui n'avaient rien fait à personne.
Monsieur de Raincourt, le Gouvernement a repris à son compte votre argumentation.
Monsieur Mercier, je voudrais vous remercier. En effet, avec l'habileté et le sens de la mesure qui vous caractérisent, vous avez défendu les idées de votre groupe sans que personne ne puisse y trouver à redire et d'une façon qui n'a déplu à personne dans la majorité, notamment pas au Gouvernement. C'est un exploit auquel je veux rendre hommage.
M. Philippe Arnaud. Bravo ! monsieur Mercier.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Pour le reste, il y aurait beaucoup d'autres choses à dire.
Ma situation n'est pas toujours simple, et j'ai énormément de sympathie pour la façon dont vous avez exercé votre mission. Cela ne mérite pas une très grande explication entre nous : nous nous sommes compris. Tout cela demandera beaucoup de maîtrise de la part de la majorité dont vous faites partie.
Or vous le savez, en matière électorale, les règles sont une chose, la pratique en est une autre.
M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. En vérité, nous serons départagés, les uns comme les autres, sur la façon dont nous saurons faire vivre la démocratie.
Je vais peut-être étonner M. Guérini, mais je pense que tout cela est une affaire d'état d'esprit, et ce d'abord dans la majorité. Or je crois avoir compris que l'on rencontre à l'UMP, comme chez l'immense majorité des responsables de l'UDF, la volonté de travailler ensemble. L'UDF n'a pas la volonté de détruire, elle a la volonté de construire.
Nous proposons de construire. Il faut le faire avant le second tour parce que, après, ce sera trop tard !
Je ne doute donc pas, monsieur Mercier, que nous aurons bien des occasions de nous retrouver et de nous entendre.
M. Baylet a tenu sur le texte des propos mesurés et globalement négatifs. Il y a tout de même trouvé quelques éléments importants. Le Gouvernement a bien enregistré tout ce qu'il a dit.
Monsieur Frimat, je dois dire que si je ne partage pas votre opinion, j'ai trouvé que vous l'aviez défendue avec une sagacité intellectuelle et un souci de la démonstration qui étaient plaisants et qui, en tout cas, nous ont tous obligés à réfléchir et à affûter nos arguments.
Là encore, notre discussion se poursuivra à l'occasion de l'examen des articles, mais je veux vous dire très sincèrement à quel point j'ai apprécié le ton et le souci de la démonstration de votre intervention.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et l'argumentation !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Après tout, il y avait chez vous moins d'incantation que chez d'autres orateurs, et parfois la clarté de la démonstration fait plus que la violence de l'incantation ; je tenais à vous le dire. (MM. Claude Estier et Jean-Pierre Sueur s'exclament.) J'espère que ces compliments ne vous créeront pas d'ennuis au sein de votre groupe ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
En tout cas, vous avez été un porte-parole de l'opposition que le Gouvernement a apprécié et qui a apporté une touche très constructive au débat. Puissiez-vous inspirer le groupe socialiste de l'Assemblée nationale ! Ce serait une utile évolution.
M. Claude Estier. Vous appréciez, mais vous n'en tenez aucun compte !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous ne retenez aucun amendement !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Estier, le compliment ne vous était pas adressé ! (Rires sur les travées de l'UMP.) N'essayez pas de faire croire que tel était le cas !
Je partage nombre des propos qui ont été tenus par M. Darniche. Cependant, il me permettra de le dire, il est un argument avec lequel je ne suis pas d'accord : il a dit que le texte était incompréhensible. Je ne vois pas pourquoi ! Un esprit comme le sien ne peut pas monter à la tribune de la Haute Assemblée pour dire qu'il n'a pas compris ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.) D'ailleurs, je ne vois pas ce qu'il n'arrive pas à comprendre. C'est très simple ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Au lieu d'être élus sur une circonscription, la France, les députés européen, seront élus dans huit circonscriptions qui seront l'addition de plusieurs régions. En quoi est-ce compliqué ?
Pour le scrutin proportionnel, rien n'est changé. Vous voyez comme c'est compliqué !
Quant aux conseillers régionaux, au lieu d'être élus comme aujourd'hui à l'échelon des départements, ils seront élus dans une circonscription régionale. C'est donc le score qui aura été réalisé dans la région qui s'appliquera. Mais pour éviter les listes de cent cinquante ou de deux cents candidats sur les bulletins de vote, auxquelles personne ne comprendra rien, on est obligé de présenter des candidats pour la région par section départementale. Honnêtement, ce n'est pas très compliqué ! Par conséquent, dans votre département, monsieur le sénateur, on reconnaîtra une tête de liste régionale avec la liste des candidats du département qui iront à la région. Quel est le problème ?
Monsieur Darniche, je suis donc à votre disposition !
J'admets que, s'agissant de la répartition, c'est un peu plus complexe. Mais on ne demandera pas l'avis des électeurs : tout se fera dans les mairies ou dans les préfectures ! D'ailleurs, ce ne sont pas les électeurs de votre canton ou de votre mairie qui déterminent au moyen d'une règle à calcul le plus fort reste et la plus forte moyenne. De ce point de vue, le mode de scrutin ne change pas.
D'après M. Autain, nous voudrions en finir avec le pluralisme. Il s'agit là d'un exercice de style imposé. Je ne lui en voudrai pas pour si peu. (Rires sur les travées de l'UMP.) Je me suis déjà expliqué sur les 13 %. Les parlementaires européens ne représenteraient plus la France ! C'est une grande bizarrerie que je n'arrive toujours pas à comprendre : être élu sur une liste de quatre-vingts candidats sur toute la France permettrait de représenter la France, alors qu'être élu sur une liste de douze candidats dans l'une des huit circonscriptions interrégionales ne le permettrait pas ! Pourtant, comme l'a très bien dit M. le rapporteur, aux prochaines élections avec les Anglais, la totalité des grandes démocraties adopteront un mode de scrutin régional. Monsieur Autain, c'est comme si vous alliez dire aux Allemands que les élus des Länder ne représentent pas l'Allemagne ! Je préfère que ce soit vous plutôt que moi qui le leur disiez, car vous risquez d'être mal reçu. Je n'ai pas l'impression que les élus des Länder aient le sentiment de ne pas défendre les intérêts de l'Allemagne.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'aimerais beaucoup que nos partenaires européens s'inspirent du comportement des parlementaires allemands. Je ne vois pas où se trouve la contradiction entre l'ancrage régional et la représentation des intérêts.
M. Longuet a fait une démonstration extrêmement intéressante, qui m'a d'ailleurs permis d'apprendre beaucoup de choses, et je l'en remercie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une distribution de prix ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai beaucoup apprécié les références historiques qu'il a évoquées et, surtout, la passion qu'il met à défendre le fait régional : il est un excellent président de l'Association des régions de France, l'ARF, ce qu'il a confirmé encore aujourd'hui.
M. Longuet a parlé des régions avec beaucoup de talent. Il a remis les pendules à l'heure sur la question de l'Europe des régions. Il a affirmé avec beaucoup de force - et démontré, me semble-t-il - que cette réforme allait faire diminuer l'abstention.
Messieurs Longuet et de Raincourt, le Gouvernement partage tout à fait le point de vue que vous avez exprimé dans vos discours. Il y a donc lieu, à cette heure, d'éviter les redites, même si bien des choses resteraient à préciser.
Mme Gautier a dit, avec beaucoup de courage -...
Mme Hélène Luc. Elle en a besoin !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... c'était même très émouvant - qu'elle n'avait été convaincue de la nécessité de la parité qu'au vu des résultats de la loi qui avait été votée. C'est d'une grande honnêteté ! Le Gouvernement partage pleinement sa préoccupation : le projet de loi renforce considérablement la parité. C'était essentiel, même si la parité n'est pas facile à mettre en oeuvre pour tout le monde, notamment pour ceux qui doivent constituer les listes électorales. Mais cela rééquilibrera la représentation féminine.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Elle n'a pas dit que cela !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ai résumé son propos, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Sourires.) Il est vrai que je suis plus sourcilleux avec vous. C'est une question de confiance !
Monsieur Alfonsi, vous avez déploré que le texte ne prévoie aucune mesure pour la Corse. Je m'en suis expliqué ! S'agissant de la parité, je ne suis pas sûr d'avoir compris votre propos, car l'intention du Gouvernement est bien, le moment venu, de faire régner les mêmes règles en Corse que sur le continent.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi pas dans cette loi ?
M. Nicolas Alfonsi. Pourquoi pas tout de suite ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je pourrais vous retourner la question, monsieur Alfonsi ! Vous êtes depuis longtemps un représentant éminent et de qualité de la Corse. Pourquoi les formations politiques en Corse n'ont-elles pas spontanément mis en oeuvre la parité qu'elles nous réclament aujourd'hui avec tant de force ?
Je n'aurai d'ailleurs pas la cruauté de vous demander, parce que vous n'y êtes pour rien, combien de femmes siègent au conseil général de Corse-du-Sud. C'est une question de loi !
M. Nicolas Alfonsi. C'est un argument décisif !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est un argument qui permet de dire : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » S'agissant du Gouvernement, monsieur Alfonsi, vous ne serez pas déçu : il n'est pas question que les règles en matière de parité ne s'appliquent pas en Corse le moment venu.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, avec l'autorisation de M. le ministres.
M. Nicolas Alfonsi. Le problème que j'ai soulevé n'est en rien propre à la collectivité territoriale de Corse. Il s'agit de l'égal accès des femmes et des hommes, sur l'ensemble du territoire de la République, aux postes de conseiller régional.
Vous avez la possibilité d'introduire dès aujourd'hui la parité en Corse, comme au niveau national, c'est-à-dire d'appliquer la règle du mille-feuille « un-un ». Vous ne le faites pas - et vous ne le ferez pas davantage demain - au motif que, s'agissant d'un problème qui concerne la collectivité, vous ne pouvez pas vous engager sur le texte que vous déposerez !
Parce que ne pouvez pas vous engager, vous invoquez une sombre histoire de conseil général de Corse-du-Sud. Cela ne relève pas du débat ! Il s'agit de l'application de la même règle à l'ensemble du territoire républicain ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Alfonsi, si j'ai bien compris, quand l'argument fait mal, il faut répondre tout de suite !
M. Nicolas Alfonsi. Il ne fait pas mal !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quand vous dites que je ne peux pas m'engager, vous parlez au nom du Gouvernement. Je ne suis pas certain que vous en soyez un porte-parole autorisé ! (Sourires.)
Vous m'avez posé une question : pourquoi la parité ne s'appliquerait-elle pas en Corse comme sur le continent ?
M. Nicolas Alfonsi. C'est détachable !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je réponds donc à cette question : la parité s'appliquera en Corse comme sur le continent. C'est un premier élément !
Vous m'avez reproché de ne pas prendre d'engagement. Je viens d'en prendre un devant vous. C'est le deuxième élément !
Pourquoi prendre cet engagement demain plutôt que dans le cadre de ce débat, m'avez-vous demandé. C'est simple : quoi qu'on en pense, un débat institutionnel est latent en Corse ; il sera purgé dans les semaines à venir. Ce débat s'accompagne d'une discussion connexe sur le mode de scrutin. Il faudra bien trancher le débat institutionnel et poser la question du mode de scrutin en Corse. Il serait tout de même curieux que j'indique aujourd'hui, dans le présent texte, que la parité doit s'appliquer sur un mode de scrutin qu'on ne connaît pas encore et pour une institution qu'on ne connaît pas davantage !
Pour certains, qui raisonnent juste, me semble-t-il, ce serait mettre la charrue devant les boeufs. J'ai préféré faire les choses dans l'ordre. Mais puisqu'un parlementaire éminent de Corse m'interroge, je l'assure de la volonté du Gouvernement d'appliquer en Corse comme sur le continent les mêmes règles de parité.
Je crois que notre querelle, si querelle il y avait, se trouve ainsi amicalement purgée.
Dois-je répondre à M. Guérini, qui est intervenu avec le talent qui est le sien ? Je n'en suis pas sûr, car ses propos, plus piquants que d'habitude, ont fait montre d'un agacement en ce qui concerne le redécoupage.
En vérité, je le lui ai dit, nous avons agi comme le précédent gouvernement l'avait fait avec Lyon. Chacun le comprend ! Le précédent gouvernement s'était fait rappeler à l'ordre par le Conseil d'Etat pour avoir maintenu dans la ville de Lyon des cantons qui étaient très inégaux en termes de population.
D'ailleurs, j'ai soumis au Conseil d'Etat le projet de redécoupage du département des Bouches-du-Rhône et il a émis un avis favorable sans faire la moindre remarque. Avec beaucoup d'honnêteté, vous avez dit, monsieur Guérini, qu'il y avait un écart de un à vingt-six. Excusez du peu !
Cela signifie-t-il qu'il n'y avait pas d'autres cas ? A l'évidence, j'aurais pu en trouver d'autres ! Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? La raison en est simple : vous m'avez rappelé, dans le cadre du débat de politique générale, qu'il ne fallait modifier ni le redécoupage cantonal ni les modes de scrutin la dernière année avant les élections. Ce que l'on peut faire pour un département, on ne peut pas le faire pour l'ensemble de la France ! Cela concerne aussi les élections législatives.
Parmi toutes les villes de plus de trente mille habitants - c'est mon dernier argument -, Marseille est celle où les écarts de voix étaient les plus importants. M. Guérini pourrait me demander, à juste titre, pourquoi je ne l'ai pas fait pour un certain nombre d'autres départements. C'est parce que je ne voulais pas engager le redécoupage généralisé ! Mais il ne peut pas me dire que ce n'était pas nécessaire à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône. Si le désaccord porte sur le fait qu'il aurait fallu le faire soit pour tout le monde, soit pour personne, on peut en débattre ! En revanche, la légitimité de le faire à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône ne peut être discutée !
M. Gérard César. Comme à Lyon !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Détraigne, vous avez dit qu'il ne fallait pas réformer le projet Jospin, parce qu'il ne s'était pas appliqué.
M. Jean-Jacques Hyest. Il valait mieux ne pas l'appliquer !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas un argument suffisant ! Ne pas réformer des lois parce qu'elles n'ont pas été appliquées par une majorité précédente n'est pas tout à fait notre conception. Nous ne sommes pas obligés de reprendre in extenso tous les textes de nos prédécesseurs ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Pour l'essentiel, je me suis inspiré du texte de M. Jospin, ce qui met d'ailleurs en difficulté le parti socialiste. Il faudra m'expliquer quelle est la différence entre le texte du Gouvernement et celui des socialistes s'agissant des élections européennes. Heureusement qu'il y a l'affaire des 10 % des inscrits ! Sinon, comme c'est du copié collé, j'aimerais bien que vous m'indiquiez les différences qui méritent une telle opposition ! D'ailleurs, le projet Jospin, c'était celui de M. Barnier. Par conséquent, en la matière, nous n'avons pas inventé le fil à couper le beurre !
S'agissant de la complexité des dispositions, je m'en suis déjà expliqué.
Enfin, en ce qui concerne l'intervention de Mme Blandin, je crois avoir fait valoir un certain nombre d'arguments en début de discussion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de m'excuser d'avoir été trop long. (Mais non ! sur les travées de l'UMP.) Je crois que, malgré tout, le débat devant la Haute Assemblée a été utile. Il eût été profondément dommageable que nous n'ayons pas cet échange d'arguments. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
M. Claude Estier. Heureusement que l'article 49-3 ne s'applique pas au Sénat !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Monsieur Dreyfus-Schmidt, si vous m'aviez fait l'honneur d'être présent en séance pour écouter mon discours, vous auriez été utilement informé et nous aurions peut-être gagné du temps dans la discussion générale. Pour ma part, j'ai entendu chacun d'entre vous, car la courtoisie n'enlève rien à la force des convictions. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.