PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif aux responsabilités locales.
M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 346, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales (n° 4, 2003-2004). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décentralisation, ce devrait être la séparation des pouvoirs...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non ! Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Ça commence mal !
M. Jean-Pierre Sueur. ... de manière que chacun comprenne, dans la République, qui fait quoi, qui est responsable de quoi.
La vérité, c'est que nous passons insensiblement de la séparation des pouvoirs à la confusion des pouvoirs. En effet, il est très difficile de ne pas remarquer, d'abord, que ce projet de loi accroît la complexité, la confusion et l'opacité.
Il y avait déjà les financements croisés, la multiplication des contrats et conventions de toutes natures pour lesquels l'histoire, sous tous ses aspects, porte ses responsabilités. Vous venez d'ajouter l'expérimentation qui va permettre à chaque collectivité, pour une durée de huit ans, de se doter de toutes compétences. Vous ajoutez également pas moins de quarante conventions...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Voyons, plus !
M. Jean-Pierre Sueur. ... peut-être davantage, qui vont encore compliquer la situation. De plus, l'article 101 du projet de loi permettra à toute institution intercommunale d'exercer toutes compétences de la région et du département.
Au terme de ce processus, il sera vraiment impossible pour les citoyens de s'y retrouver.
Il est vrai que la réalité est complexe. Il est vrai aussi qu'il n'est pas possible d'établir une séparation absolue entre les différents champs de compétences. Est-il pour autant nécessaire d'en arriver à ce degré de complexité ? C'est l'un des arguments que je souhaitais développer à l'appui de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je souhaitais également insister sur l'absence de dessein clair quant à l'avenir de nos collectivités locales. Il est vrai que le département voit ses compétences largement accrues - vous l'avez d'ailleurs dit, monsieur le ministre - et que la région voit elle aussi ses compétences étendues. Mais elle ne connaît sans doute pas le développement qu'elle aurait pu espérer.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Ce n'est pas l'avis de certains de vos collègues !
M. Jean-Pierre Sueur. Et surtout, nous n'assistons pas à la mutation tellement nécessaire qui nous permettra, dans l'Europe, de faire entendre la voix de régions et d'intercommunalités fortes.
Il faudrait enfin que les conseils des agglomérations soient élus au suffrage universel, de manière qu'il y ait la démocratie là où il y a des dépenses importantes et des responsabilités lourdes.
Le budget de communautés urbaines comme celles de Lille-Roubaix-Tourcoing ou de Lyon dépasse 2 milliards d'euros. Il est donc plus élevé que celui d'un certain nombre de nos régions. Pourtant, le citoyen reste éloigné de ce niveaux de décision alors que, nous le savons, dans notre Europe, il faut des régions fortes, des agglomérations fortes et légitimées par le suffrage universel.
J'aurais pu soutenir ces deux arguments, mais, monsieur le ministre, après avoir entendu votre discours cet après-midi et celui de M. Sarkozy hier, j'ai choisi de me concentrer sur une seule question : la question financière.
En effet, monsieur le ministre, de ce point de vue, nous ne pouvons pas souscrire à cette décentralisation à l'aveuglette que vous nous proposez.
Nous connaissons les charges qui seront transférées, mais nous ne connaissons pas les ressources, et cela en dépit des déclarations qui ont été faites.
En premier lieu, la réforme constitutionnelle que vous invoquez sans cesse n'est pas de nature à limiter les transferts de charges de l'Etat vers les collectivités territoriales selon le bon vouloir des gouvernements.
L'affaire de l'allocation spécifique de solidarité en est une parfaire illustration. La Constitution tend certes à garantir les collectivités locales contre les transferts de compétences non compensés, mais elle n'empêche pas le Gouvernement d'imposer des charges nouvelles aux collectivités locales, que ce soit par la voie législative ou par la voie réglementaire.
En effet, la réduction de la période de versement de l'ASS n'est pas un transfert de compétences, c'est une évidence. Elle n'est pas plus une création ou une extension de compétences. Dès lors, elle n'est pas protégée par le juge constitutionnel. Pourtant, elle conduit très concrètement à alourdir les charges des départements par l'augmentation mécanique du nombre de RMIstes qu'elle va engendrer.
Je prendrai également l'exemple des transports en commun. Dans le projet de loi de finances pour 2004, vous proposez - et c'est très grave - de retirer les crédits destinés aux projets de transports en commun en site propre. Les agglomérations concernées vont avoir de très graves problèmes financiers. Il n'existe donc pas de garantie, chacun en conviendra !
En second lieu, pour ce qui est de la fiscalité, vous évoquez la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Je vous fait tout d'abord observer que les départements ne pourront pas se prémunir contre les évolutions négatives de la TIPP, car la fraction qui leur est attribuée par l'article 40 de la loi de finances est fixe, ce qui est en totale contradiction, vous en conviendrez, avec les excellents propos de notre excellent président M. Christian Poncelet, qui a déclaré : « Transférer le produit d'un impôt sans qu'il soit possible d'en moduler le taux équivaudrait à l'octroi d'une dotation. » Or, c'est exactement ce qui se passe. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Par ailleurs, la question de la TIPP est conditionnée à l'accord de Bruxelles. Or, M. Sarkozy ne nous a pas dit, et vous non plus, monsieur le ministre, où en sont les discussions avec les autorités européennes à ce sujet.
Comme nous ne le savons pas, nous considérons qu'il y a un manque d'information considérable sur l'un des moyens de financement que vous invoquez et qui, aujourd'hui, est encore largement aléatoire.
M. Sarkozy nous a annoncé ensuite, de manière quelque peu triomphante, le transfert d'une partie du produit de la TIPP aux régions. Je voudrais vous poser une question très simple à ce propos, monsieur le ministre, et les élus locaux seront très sensibles à votre réponse : quelle partie ?
Que signifie : « une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers » dont les régions vont pouvoir moduler le taux ? 5 % c'est une partie, 40 % aussi et 80 % également.
Nous avons déjà eu de grands débats sur la notion de « part déterminante » des recettes fiscales et des autres ressources propres des collectivités locales, qui devait permettre d'assurer leur autonomie financière.
Certes, le qualificatif « déterminant » est inscrit dans la Constitution, mais nous avons toujours dit que cela ne signifiait rien, et nous aurons l'occasion d'en reparler.
Concernant la part de TIPP, monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des engagements ? Pouvez-vous nous dire s'il s'agira d'au moins la moitié, d'au moins les deux tiers ou d'au moins les trois quarts de cette taxe, pour que nous sachions ce que cela veut dire ?
Mes chers collègues, il serait très léger de délibérer sur ce texte si nous n'obtenions pas de réponse à cette question simple.
Je poursuis avec la taxe sur les conventions d'assurances dont vont bénéficier les départements.
D'abord, j'observe que le transfert du produit de cette taxe ne s'accompagnerait pas d'une liberté totale de vote des taux, puisque ceux-ci seront encadrés par la loi, ce qui est contraire, une fois encore, aux déclarations de notre président, M. Poncelet ; je tiens à attirer à nouveau votre attention sur ce point.
Mais, surtout, je relève que M. Nicolas Sarkozy a déclaré hier : « Le Gouvernement va donner une preuve supplémentaire de sa bonne volonté en transférant aux départements une partie de la taxe sur les conventions d'assurances. »
Je vous demande donc, monsieur le ministre,...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Quelle partie ?
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez compris ! Je vois que vous êtes un excellent élève. Je me permets, disais-je, de vous poser cette question :...
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Pas trop difficile !
M. Jean-Pierre Sueur. A combien évaluez-vous cette partie ? S'agit-il de 5 %, 20 % ou 50 % ?
Vous comprenez bien que, même si nous formulons ces interrogations avec le sourire, c'est néanmoins un point qui intéresse assurément l'ensemble des élus locaux de ce pays. Nous attendons donc vos réponses avec impatience, monsieur le ministre.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. La réponse est facile !
M. Jean-Pierre Sueur. Enfin, je veux aborder la question de la péréquation, parce que l'on nous fait fort sonner que, désormais, la péréquation figure dans la Constitution.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est une bonne chose !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est une bonne chose, il est vrai.
Mais il n'est pas possible, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'accepter de nouveaux transferts de charges importants sans progrès de la péréquation.
Je ne prendrai qu'un exemple à l'appui de mon propos. Tout à l'heure, M. Alduy évoquait la question des hôpitaux. Les régions vont pouvoir, si elles le souhaitent, investir dans le domaine hospitalier. Mais lorsque l'on aborde le sujet avec les représentants des régions, ils soulèvent immédiatement l'objection suivante : si les régions qui en ont la possibilité financière seront sans doute très heureuses d'investir dans le domaine hospitalier, les régions qui n'ont pas les moyens financiers suffisants ne pourront pas le faire sans qu'il soit procédé à une autre distribution des ressources, donc à une péréquation.
Cet exemple peut être reproduit à de multiples exemplaires si l'on considère l'ensemble des compétences que vous proposez de transférer.
Au moment où vous dites « péréquation, péréquation ! », nous, nous considérons ce que vous faites, puisque vous avez le privilège de présenter le projet de loi de finances pour 2004.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas à l'ordre du jour !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est tout à fait l'ordre du jour, monsieur Gélard !
Ainsi, en lisant le projet de loi de finances pour 2004, on s'aperçoit que l'ensemble des ressources des collectivités locales provenant de l'Etat diminue de 0,3 % en volume. Ainsi, au moment où vous parlez de péréquation, vous donnez moins aux collectivités locales dans leur ensemble.
Mais, me répondrez-vous, c'est là une vision globale ; c'est la répartition qu'il faut examiner. Précisément, vous avez eu l'occasion de dire que vous aviez choisi d'affecter à la dotation de solidarité urbaine et à la dotation de solidarité rurale, la DSU et la DSR, donc à deux dotations de péréquation, l'ensemble de la régulation de la DGF pour cette année.
Je vous ferai remarquer que c'est contraire à la loi, en particulier aux articles L. 1613-2 et L. 2334-1 du code général des collectivités territoriales. Mais ne nous arrêtons pas à cela.
Dans le même temps, monsieur le ministre, pour l'année 2004, alors que vous affectez 45 millions d'euros de la régulation de la DGF à la DSU et à la DSR, l'Etat réduit ses abondements à la DSU et à la DSR de 47,5% par rapport à l'année dernière.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'était un abondement !
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous livre les chiffres : si les abondements de l'Etat à la DSU et à la DSR s'élevaient à 68,5 millions d'euros en 2003, ils ne sont plus que de 36 millions d'euros en 2004, soit une baisse de 47,5 %.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je le répète, c'était un abondement !
M. Jean-Pierre Sueur. Autrement dit, ce que vous donnez d'une main, vous le reprenez très largement de l'autre, et il y a moins de péréquation que l'année dernière.
Vous nous dites : qu'à cela ne tienne ! Nous lançons une puissante réforme de la DGF, au terme de laquelle il y aura une dotation forfaitaire et une dotation de péréquation. Il y aura donc de la péréquation.
Mais, en examinant cette DGF « nouvelle formule », je constate que vous aviez une opportunité à saisir puisque, cette année, la hausse de la DGF des EPCI est moindre que les années précédentes : elle était de 22 % en 2002, elle n'est plus que de 10,44 % en 2003. Vous auriez pu en profiter pour augmenter les dotations de la DSU et de la DSR. Or vous les diminuez.
Avec ce nouveau dispositif, vous intégrez dans la DGF, par exemple, la compensation de la part salaire de la taxe professionnelle. A y regarder de près, on s'aperçoit que cela sera très défavorable aux zones urbaines, au profit de la masse, et que ce sera très défavorable aux zones urbaines qui comptent des quartiers en difficulté et qui doivent payer le prix de la politique de la ville.
Or, vous savez qu'en dépit de la loi de M. Borloo nous nous retrouvons avec un budget de la ville en diminution de 8 % et avec un budget du logement qui est, lui aussi, en diminution. Dans ces conditions, comment va-t-on faire pour trouver les moyens financiers nécessaires à la mise en oeuvre de cette politique de la ville et des quartiers ? En effet, je pense vous avoir démontré que, en réalité, il n'y a pas de péréquation. Aujourd'hui, disons la vérité, la péréquation ne représente guère plus de 5 % à 6 % de la masse de la DGF. C'est notoirement insuffisant.
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous avez raison ! Mais il y a ceux qui veulent que ça change.
M. Jean-Pierre Sueur. On peut faire le procès du passé, on peut le faire longuement et de tous les côtés.
En tout cas, au moment où vous proposez ces importants transferts de charges, il n'est pas possible d'avoir un discours aussi léger, aussi court, aussi creux que celui que vous tenez sur la fiscalité locale et sur la péréquation.
Puisque j'ai souvent cité M. le président du Sénat, je conclurai en rappelant ce propos récent de M. Poncelet : « La décentralisation doit s'effectuer sur des bases financières saines, sûres, sereines. »
Eh bien, monsieur le ministre, les bases sur lesquelles repose votre projet de loi ne sont ni saines, ni sûres, ni sereines. C'est pourquoi nous vous proposons, mes chers collègues, de voter la motion opposant la question préalable que nous soumettons à vos suffrages. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission des lois est évidemment contre cette motion, qui repose sur des arguments financiers pour le moins spécieux. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Il est tout d'abord reproché au Gouvernement de ne pas communiquer d'éléments précis sur les ressources qui seront transférées aux collectivités territoriales.
Il faut tout de même rappeler que l'impossibilité de prévoir les modalités de la compensation financière des transferts de compétences aux collectivités dans le texte même opérant ces transferts résulte de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui, je le rappelle pour les esprits distraits, a été votée sous la précédente législature. Ce n'est donc pas ce gouvernement qui a imposé ces règles.
Le Gouvernement, par ailleurs - mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre -, a donné tout de même des informations relativement précises sur les ressources financières qui seront transférées aux collectivités : une part modulable du produit de la TIPP aux régions, une part non modulable du produit de cette taxe et la taxe sur les conventions d'assurance aux départements.
M. Jean-Pierre Sueur. Une partie ! J'ai demandé ce que cela signifiait.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Les indications ont été fournies alors même que le Gouvernement n'avait pas à les donner dans ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai pas eu le temps de les enregistrer.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. C'est bien ce que je dis !
Il semble donc logique d'attendre que le Parlement ait déterminé l'étendue des transferts de compétences avant de procéder à l'évaluation précise de la compensation financière.
M. François Marc. La facture !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Nous avons eu une discussion très intéressante en commission - vous vous en souvenez, mes chers collègues - sur le calendrier d'une décision d'achat d'un véhicule particulier. Il nous a semblé qu'il fallait d'abord se mettre d'accord sur l'objet concerné avant de se soucier de savoir comment il devait être financé.
Mais oui, il y a des règles constitutionnelles ! On a l'air de considérer que la Constitution, ce n'est rien. Pour nous, ces règles qui sont désormais inscrites dans la Constitution sont intangibles. Elles sont gravées dans le marbre.
On nous rebat les oreilles avec la précédente décentralisation. Mais je n'ai pas le souvenir qu'on ait inscrit alors dans la Constitution les règles précises qui déterminent l'obligation de transférer les ressources correspondantes à tout transfert de charges.
Puisqu'on évoque la décentralisation de 1982, j'en profite pour répondre à ceux qui se plaignent en disant que, lors des premières lois de décentralisation, il n'y a pas eu les problèmes que l'on constate aujourd'hui. Par ailleurs, on nous reprochait tout à l'heure, à nous élus de la majorité d'aujourd'hui, de nous être ralliés à l'idée de décentralisation. Mais la décentralisation de 1982 n'a pas été préparée dans les mêmes conditions que celle-ci. Vous semblez oublier qu'elle a été décrétée sans donner lieu à une concertation préalable, laquelle cette fois-ci a duré un année.
M. Jean-Pierre Sueur. Elle a été votée par le Parlement ! Le vote du Parlement donne naissance à une loi et non à un décret !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Nous n'avons donc pas eu le temps, à l'époque, d'être convaincus par les arguments du Gouvernement. Cette fois-ci, il a pris le temps de la discussion, et je regrette que vous n'ayez pas pris tout ce temps pour écouter ce qui se disait.
M. Jean-Pierre Sueur. On a beaucoup discuté en 1982, comme en 1983, en 1984 et en 1992 !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Vous dites que les moyens consacrés par l'Etat aux compétences transférées sont insuffisants. C'est évident, tout le monde le sait, mais ce que nous pensons profondément, c'est qu'avec les mêmes moyens, même insuffisants, les collectivités locales feront mieux que l'Etat.
Par conséquent, si elles souhaitent faire davantage - c'est là que réside la grandeur de l'exercice des mandats locaux -, elles le décideront librement. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Enfin, dernier point de ma réponse, les collectivités territoriales doivent disposer de ressources fiscales. Je vous invite, encore une fois, à l'introspection et à la modestie, si vous me le permettez, car les recettes fiscales des collectivités territoriales ont été amputées de 15 milliards d'euros sous la précédente législature.
M. Eric Doligé. Oh la la ! ce n'est pas possible ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Il ne faudrait donc tout de même pas l'oublier !
Pour mettre fin à ces errements, la révision constitutionnelle du 28 mars dernier a prévu que les ressources propres des collectivités territoriales devaient représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.
M. Jean-Pierre Sueur. Cela veut dire quoi ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Par ailleurs, on ne peut pas feindre non plus d'ignorer que le conseil des ministres a examiné, le 21 octobre dernier, un projet de loi organique garantissant aux collectivités territoriales que le niveau d'autonomie fiscale atteint en 2003 constituera un plancher. Ce texte sera probablement adopté avant même que le Parlement n'achève la discussion du présent projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je ferai d'abord observer que les arguments du M. Sueur portent, pour l'essentiel, sur le projet de loi de finances et nullement sur ce qui fait l'objet de notre débat...
M. Jean-Pierre Sueur. Mais si !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il me paraît assez singulier de vouloir faire voter une motion tendant à opposer la question préalable à partir d'un texte de loi qui n'est pas en discussion.
M. Paul Loridant. C'est de la prospective !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Cela étant, j'en viens au fond de votre propos.
Monsieur le sénateur, votre introduction sur la séparation des pouvoirs était tout à fait surréaliste. La France n'a jamais vécu dans la séparation des pouvoirs, jamais au grand jamais, et le projet de loi relatif aux responsabilités locales ne vise pas cet objet. On pourrait idéalement imaginer qu'elle fasse l'objet d'une réforme constitutionnelle mais elle n'a jamais existé et n'existera jamais.
Franchement, j'ai eu l'impression d'être au cinéma car ce que vous décrivez n'a absolument rien à voir avec la réalité constitutionnelle de notre pays. Depuis la Révolution, la France n'a jamais connu la séparation verticale des pouvoirs.
Ensuite, vous avez dit, monsieur Sueur, que le système était opaque, complexe et qu'il le serait encore plus avec ce texte.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non, je ne le crois pas !
Vous avez poursuivi en soulignant que l'expérimentation augmentait l'opacité du texte. Je vous rappellerai que l'expérimentation a été initiée pour le secteur ferroviaire en 1996 et que le gouvernement Jospin, l'ayant estimée bonne, l'a généralisée. Par la suite, dans la loi sur la démocratie de proximité de M. Vaillant, votée en 2001, l'expérimentation a été prévue dans trois domaines.
M. Jean-Pierre Sueur. C'était dans des conditions différentes !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui, sans aucun encadrement !
Votre discours récurrent sur le fait que l'expérimentation pourrait porter atteinte à l'égalité trouve sa meilleure illustration dans la loi sur la démocratie de proximité, qui ne prévoit aucun encadrement à l'expérimentation de la loi.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas vrai !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Il ne suffit pas de dire que ce n'est pas vrai ; si l'on se reporte au texte, on est bien obligé de constater que c'est évident.
Ensuite, vous avez stigmatisé l'appel à compétences prévu à l'article 101 du projet de loi en disant que les conventions allaient en quelque sorte créer l'obscurité.
Il est tout de même très singulier d'être ainsi contre la liberté contractuelle, qui est le fondement d'une société de liberté. Pour ma part, je préfère le contrat au coup de sifflet !
M. Jean-Pierre Sueur. Moi aussi !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Alors, ne condamnez pas le fait que les collectivités locales puissent passer des contrats entre elles. D'ailleurs, fort heureusement, elles le font d'ores et déjà de manière très fréquente : c'est même toute la souplesse que l'on peut avoir dans une gestion administrative par ailleurs trop rigide.
Nous permettons donc, par l'appel à compétences, l'application du principe de subsidiarité qui figure dans la Constitution en faisant en sorte que des compétences puissent effectivement être déléguées.
M. Jean-Pierre Sueur. Par toute collectivité et à toute collectivité ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Par toute collectivité - y compris les EPCI, que vous trouvez mal lotis - sous son contrôle, dans le cadre conventionnel, et sans qu'il soit porté atteinte au fait qu'elle conserve la compétence visée, car ce qui est délégué peut naturellement être repris à l'issue de la convention ou si celle-ci n'est pas respectée.
Il n'y a donc là aucune source d'opacité. C'est au contraire une forme de gestion normale dans une société de liberté.
Vous-même, j'en suis sûr, préférez le contrat au règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. S'agissant du contrat, c'est M. Hoeffel qui a énoncé l'argument le plus fort, et j'avoue que je n'y avais pas songé avant. De manière extrêmement judicieuse, il a en effet expliqué, dans son intervention, que le contrat constituait la meilleure garantie contre la tutelle.
J'ai entendu, de-ci de-là, surtout chez vos amis, certains exprimer des craintes de tutelle. Eh bien, à ceux-là je réponds que le contrat, qui définit le périmètre juridique de chacun, est une vraie garantie...
M. Jean-Pierre Sueur. Le contrat n'est pas l'embrouillamini !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... et le Gouvernement fait sien cet excellent argument de M. Hoeffel.
M. Eric Doligé. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je reviens sur la question du suffrage universel pour les EPCI, à propos de laquelle j'avais cru donner tout à l'heure quelques explications, mais vous n'y avez pas répondu. Vous vous êtes borné à regretter à nouveau l'absence de vote au suffrage universel.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est ma position !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est votre droit le plus triste.
M. Jean-Pierre Sueur. Le plus strict ! (Sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le plus strict mais aussi le plus triste (Nouveaux sourires) parce que vous vous contentez de répéter sans argumenter. Or un débat n'a d'intérêt et ne peut progresser que si chacun avance des arguments auxquels l'autre peut répondre. Pour ma part, j'avais apporté quelques arguments. Vous pouviez les combattre, mais vous ne l'avez pas fait.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vais le faire !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En ce qui concerne l'ASS, vous nous condamnez à vous répéter ce que nous avons déjà dit. Nicolas Sarkozy vous a expliqué qu'une clause de rendez-vous permettrait de prendre en compte ce qui aura été observé.
Je conviens volontiers que la modification du dispositif aura sans doute des effets sur le nombre de RMIstes. Mais, ces effets, je vous le dis en toute honnêteté, je suis incapable de les mesurer. Si vous, vous en êtes capable, c'est que vous êtes très fort, que vous lisez dans le marc de café !
M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai jamais dit cela !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Comme le Gouvernement ne lit pas dans le marc de café, il vous déclare qu'une clause de rendez-vous permettra de faire les comptes. Il prendra en charge ce qui devra être pris en charge. On ne peut pas être plus loyal !
M. Paul Loridant. Paroles verbales !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous demandez par ailleurs quelle partie de la TIPP sera transférée. J'ai envie de vous faire la réponse de l'adjudant à propos du temps de recul du canon.
M. Gérard Longuet. Du temps de refroidissement !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. M. Longuet est un artilleur...
M. Gérard Longuet. Un artilleur de Metz ! (Sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... et il sait donc que le temps de refroidissement du canon, c'est un certain temps ! Eh bien, pour la part de la TIPP qui sera transférée, c'est la même chose ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Donc, il n'y a pas de réponse ! On est dans le flou le plus total !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Permettez que je vous explique ! Je vais vous mettre les points sur les « i », mais j'avais imaginé qu'avec votre esprit subtil vous aviez trouvé l'explication tout seul !
La part de TIPP qui sera employée à financer les compétences transférées sera celle qui, précisément, permet de les financer. C'est évident ! Pour les régions, on va évaluer quel est le montant correspondant aux compétences transférées. Dès lors qu'on aura ce chiffre, on leur donnera, à due concurrence, le pourcentage de la recette produite par la TIPP - 24 milliards à 25 milliards d'euros -, nécessaire au financement de ces compétences. C'est aussi simple que cela !
M. Jean-Pierre Sueur. La part de l'Etat, ce sera le reste. Elle sera aléatoire !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Bien sûr, la part de l'Etat sera résiduelle et la part des régions sera la part nécessaire au financement des compétences transférées, conformément à la loi.
M. Jean-Pierre Sueur. Même chose pour l'assurance ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui, naturellement !
Les transferts de fiscalité étant destinés à financer les transferts de compétences, ils ont lieu à due concurrence du coût de ces derniers. Cela suppose de procéder à l'évaluation et dans des conditions de loyauté offrant toutes les garanties.
M. Jean-Pierre Sueur. Sous quelle autorité ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Monsieur Sueur, je sais bien que la répétition est la source de la pédagogie - tous les enseignants s'accordent pour le dire - mais je croyais que cela concernait plutôt les enfants et que je n'aurais donc pas à en faire ici un tel usage ! (Sourires.)
Cela étant, je répète bien volontiers que l'évaluation du coût des transferts sera faite dans les conditions que le Sénat, saisi en premier lieu, puis le Parlement dans son ensemble voudront bien fixer. On ne peut être de meilleure foi !
J'en viens maintenant au point qui ne fait pas l'objet de notre débat, ni, en principe, de votre question préalable, à savoir la péréquation, dont vous dites qu'elle diminue cette année.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. En vérité, pour 2003, elle a augmenté de 3 %.
M. Jean-Pierre Sueur. Qu'est-ce qui a augmenté de 3 % ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. La DSU a augmenté de 3 %. Pour l'an prochain, elle augmentera de 1,5 %. Je vous le concède, c'est moins qu'en 2003, mais c'est tout de même trois fois le taux de croissance.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous parlez en valeur nominale ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Mais je viens de vous le dire, monsieur Sueur : la croissance est de 0,5 % et la DSU augmente de 1,5 %. L'effort est tout de même très net compte tenu de la considérable dégradation de la situation économique par rapport à l'année dernière.
En tout état de cause, le débat quantitatif est au faux débat. La péréquation est globalement assez ridicule dans son montant.
Toutefois, nous, nous ne nous contentons pas de le déplorer ; nous nous donnons les moyens de changer cela dès la loi de finances pour 2004. Bien sûr, nous ne sommes pas au bout du processus, mais nous agissons ! Nous avons réformé la Constitution, nous commençons à en tirer les conséquences dans la loi de finances et nous finaliserons l'année prochaine.
La question est aussi de savoir à qui la péréquation est destinée. Il y a des collectivités qui bénéficient de la péréquation alors que d'autres mériteraient d'en bénéficier davantage. On peut donc parfaitement reprendre la péréquation dans le sens d'une plus grande équité, au profit de ceux dont la situation s'est dégradée depuis vingt ans tandis que d'autres ont connu une évolution plus favorable.
Enfin, je veux répondre à M. Dreyfus-Schmidt, qui n'est malheureusement plus là ; mais je suis sûr qu'il lira ma réponse dans le Journal officiel, car je le sais consciencieux.
J'ai évoqué les quatre départements qui avaient augmenté leurs impôts de la manière la plus importante, notamment le Gers, cher à mon coeur, qui a établi un record avec 21 %. La gauche n'a cessé de dire que c'était la décentralisation qui faisait augmenter les impôts locaux. Ce n'est évidemment pas vrai puisqu'il n'y a pas un centime de décentralisé à ce jour. On sait parfaitement - Jean-Pierre Schosteck en a parlé - pour quelles raisons la fiscalité locale a augmenté.
Puisque M. Glavany a déclaré qu'il fallait réhabiliter l'impôt, j'ai voulu lui rendre hommage en disant que la gauche tenait ses engagements et qu'elle réhabilitait effectivement l'impôt en détenant le record à cet égard.
M. Eric Doligé. Très bien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Tout à l'heure, M. Dreyfus-Schmidt a affirmé que les quatre départements cités pour avoir le plus augmenté l'impôt étaient en fait les départements les plus pauvres.
M. Bernard Frimat. C'est M. Domeizel qui l'a affirmé !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Que ce soit M. Dreyfus-Schmidt ou M. Domeizel, ce n'est pas vrai.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il faut aussi prendre en compte les années précédentes !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Bien sûr, je conviens que ce sont des départements pauvres, mais ce ne sont pas les plus pauvres.
C'est la Lozère qui est le département le plus pauvre de France. Or elle ne figure pas dans ce triste palmarès.
M. Jean-Claude Peyronnet. Le plus pauvre, c'est la Creuse !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je regrette, mais la direction générale des collectivités locales prend en compte le potentiel fiscal et, selon ce critère parfaitement objectif, c'est la Lozère qui est le département le plus pauvre de France.
La Creuse est le deuxième et, elle, figure parmi les quatre départements qui ont le plus augmenté leur fiscalité. Vient ensuite le Cantal, qui n'y figure pas. Le Gers, quatrième département le plus pauvre, s'y trouve. Le cinquième, l'Aveyron - hommage en soit rendu à Jean Puech -, n'y est pas. Le sixième, le Lot, n'y est pas non plus. Le septième, la Haute-Corse, y est. Le huitième, les Hautes-Alpes, n'y est pas !
Voilà ce qui ressort des chiffres du ministère de l'intérieur. (M. Jean-Claude Peyronnet brandit un document.) Monsieur le sénateur, ce rapport fait apparaître un classement établi après pondération. M. Jean François-Poncet nous a expliqué hier soir, et de manière fort intéressante d'ailleurs, quels critères devraient être pris en compte dans la péréquation. Moi, je vous parle de la pauvreté au regard de la ressource fiscale stricto sensu et du classement - toujours le même, hélas ! - de nos collectivités départementales sous cet aspect.
Autrement dit, un département peut être pauvre et ne pas pressurer sa population pour autant. Il est vrai que, lorsqu'on préfère réhabiliter l'impôt plutôt que le travail, cela produit des effets pervers ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste. - M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Je voudrais simplement faire deux remarques très brèves.
Premièrement, nous examinons un projet de loi relatif aux collectivités locales et non pas un projet de loi de finances bis. Par conséquent, nous ne pouvons pas tenir compte de certaines propositions fort intéressantes qui ont été formulées parce qu'elles relèvent strictement de la loi de finances. C'et donc lors de l'examen d'un prochain projet de loi de finances que nous pourrons étudier en détail ces propositions.
M. Paul Loridant. Manque de sagesse !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Deuxièmement, je ne vois pas comment le Sénat, après la révision constitutionnelle qui a prévu qu'il serait saisi en premier des textes concernant les collectivités locales, pourrait décider de se laver les mains, d'abandonner cette prérogative et de laisser aux députés le soin d'examiner le contenu de ce texte. Ce serait manquer complètement à notre mission sénatoriale.
Ne serait-ce que pour ces deux raisons, monsieur Sueur, nous ne pouvons pas vous suivre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je n'avais pas l'intention d'intervenir, mais un certain nombre d'affirmations m'amènent à le faire.
Sur la question de l'augmentation de la fiscalité départementale, il n'est tout de même pas très honnête de nous dire - au demeurant, ce n'est pas la première fois que nous entendons cet argument - que ce sont quatre départements dirigés par des socialistes qui ont le plus augmenté leurs impôts.
C'est vrai pour cette année. Mais regardez ce qui s'est passé l'année dernière ! Certains ont anticipé !
M. Josselin de Rohan. Oui, le Finistère !
M. Jean-Claude Peyronnet. Demandez à M. Jean François-Poncet ! Voyez la Savoie !
L'honnêteté voudrait que l'on compte sur deux ans, voire sur trois ans. Je ne sais pas ce que fera la Lozère l'année prochaine ou dans deux ans, mais certains ont différé, préférant passer le cap par l'emprunt.
Il ne sert à rien de se lancer des invectives. Car ce n'est pas par plaisir que le Gers ou la Creuse ont augmenté leurs impôts dans des proportions importantes. Dans mon département, qui n'est pas parmi les plus pauvres, sans révision des bases légales, nous avons dû augmenter la fiscalité de 11,4 %.
Bien sûr, il faut prendre en compte le potentiel fiscal, mais aussi la structure d'âge de la population. Avec ces deux critères, à quelques exceptions près - je pense notamment au département d'Ille-et-Vilaine -, vous trouvez presque tous les départements qui sont effectivement obligés d'augmenter leur fiscalité. Si un département a à la fois un potentiel fiscal faible et beaucoup de personnes de plus de soixante-dix ans, il n'a pas d'autre choix !
Par ailleurs, M. Sueur a insisté sur les conséquences graves que pourraient entraîner les difficultés de péréquation, en particulier sur les hôpitaux.
Vous nous dites que l'expérimentation est volontaire. Certes, mais la Constitution prévoit que, si cette expérimentation s'avère positive, elle est étendue à l'ensemble du territoire. Cela veut dire que, après quatre ou cinq ans, un certain nombre de départements ou de régions pauvres vont connaître les plus grandes difficultés, parce que ce qui avait fait l'objet de l'expérimentation leur sera imposé. Il faudra bien, alors, prévoir une péréquation.
S'agissant de la TIPP, je suis stupéfait d'entendre que la part dévolue à l'Etat sera résiduelle. Au demeurant, c'est bien le reflet de la conception de l'Etat qui est celle du Gouvernement !
Ma question est très précise, monsieur le ministre : avez-vous l'assurance formelle que vous pouvez moduler la TIPP ? Pouvez-vous nous affirmer que les autorités européennes vont accepter une modulation de la TIPP ?
M. Paul Loridant. Il ne le peut pas !
M. Jean-Claude Peyronnet. A défaut d'une telle assurance, vous risquez à tout le moins une remontrance forte de la part du Conseil constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour explication de vote.
M. Roland Muzeau. Le groupe communiste républicain et citoyen votera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par le groupe socialiste. Nous la voterons, car nous sommes convaincus, que le Gouvernement minimise la réalité du transfert de charges et, surtout, qu'il renvoie à plus tard les transferts de compétences et même l'évaluation de leur niveau.
Le Gouvernement et M. le rapporteur de la commission des lois mettent en avant une obligation constitutionnelle en la matière.
Qui fera respecter cette obligation ? Le Parlement ? Non, ce sera le Conseil constitutionnel, cet organisme dépourvu - qui peut le nier ? - de légitimité démocratique.
M. Gélard, dont personne ne contestera les compétences en matière constitutionnelle, a exposé son point de vue en commission des lois la semaine dernière. Voici ce qui figure dans le bulletin des commissions : « Après avoir expliqué que le montant des ressources transférées aux collectivités territoriales serait fixé chaque année par la loi des finances et qu'il était impossible de le prévoir dès à présent, M. Gélard a précisé que l'article 72-2 de la Constitution garantissait désormais aux collectivités territoriales une compensation des transferts de charges par l'attribution de ressources équivalentes à celles que l'Etat consacrait à leur exercice et, d'autre part, que le Conseil constitutionnel pourrait assurer le respect de ce principe en cas de saisine sur la loi de finances. »
M. Gélard ne me contredira pas si j'affirme que, selon son raisonnement, s'il n'y a pas de saisine - puisque celle-ci n'est pas automatique, elle doit être le fait du Président de la République, du Premier ministre, du président de l'une des deux assemblées ou de soixante sénateurs ou soixante députés -, il pourra y avoir transfert de compétences sans transfert de ressources aux collectivités territoriales.
Cette faille montre bien que la nécessaire concomitance que M. Gélard évoquait lui-même voilà un an doit être établie et chiffrée au moment de la décision du transfert.
L'existence de cette faille doit entraîner d'emblée le rejet d'un texte qui ouvre clairement, sur le plan juridique, la possibilité d'une asphyxie des collectivités territoriales.
Cette asphyxie, c'est la mort lente du service public à la française, de sa générosité, de son équité. Là se trouve l'enjeu fondamental de ce projet.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc sans hésitation cette motion à l'encontre d'un texte en apparence fourre-tout mais qui obéit en fait aux dogmes du libéralisme le plus pur : mise en concurrence, rentabilité, réduction des dépenses publiques.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 346 tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, du groupe socialiste et, l'autre, de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptages des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 34
:
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Pour | 114 |
Contre | 199 |