PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 80 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : été 2003, le drame ! Fruit pour une part, hélas ! d'une indifférence trop oublieuse de la fraternité affichée par la devise républicaine dont nous sommes pourtant si fiers. Point n'est besoin d'épiloguer longuement sur les chiffres : près de 15.000 personnes âgées sont décédées cet été, et, d'ici à 2020, la population de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans doublera ; elles sont aujourd'hui 3.500 000.

« L'obligation nationale d'assurer l'égalité des droits et des chances pour les personnes handicapées, comme l'accroissement et la diversité des situations de dépendance appellent des réponses adaptées », ainsi s'exprimait le Premier ministre. Nous y voilà, monsieur le ministre, du moins pour une part, car - cela a été dit - ce projet de loi n'a pas la prétention de résoudre de manière définitive les problèmes que pose l'évolution démographique à notre société. Mais cela n'ôte rien à l'ambition des programmes et des projets pluriannuels que vous développez en faveur des personnes âgées.

J'avoue cependant que j'aurais souhaité, pour ma part, un environnement législatif plus clair et plus affirmé. Je m'explique : il y a ainsi l'important dossier de la réforme de l'assurance maladie, dont nous ne connaîtrons que plus tard le contenu, même si les choses avancent ; il y a le rapport Briet-Jamet, fréquemment évoqué, sans qu'en aient été tirées toutes les conclusions à ce jour ; il y a la loi relative aux responsabilités locales, que l'on aurait souhaité voir avancer ; il y a encore la loi à venir sur le handicap, modifiant la loi de 1975, dont nous ne connaissons pas le contenu et à l'occasion de laquelle nous aurons à décider précisément, fondamentalement, concrètement du sort et de la place faite parmi nous aux personnes handicapées.

Lors d'une assemblée générale des directeurs de centres d'aide par le travail de l'Union nationale des entreprises de travail, j'ai eu l'occasion d'exprimer mon étonnement de voir englobées dans le présent texte les personnes âgées et les personnes handicapées.

M. Georges Mouly. Il prévoit, certes, des mesures de solidarité pour l'autonomie des uns et des autres, des mesures de lutte en faveur de nos concitoyens en perte d'autonomie. Concrètement, pour l'essentiel, une somme est affectée au financement de la prestation de compensation, qui a été défendue éloquemment par Mme la secrétaire d'Etat.

Fort bien ! Mais il faut tellement plus : nous avons à répondre à des situations très diverses pour garantir la dignité de toute personne handicapée. J'ai retenu, madame la secrétaire d'Etat, dans votre intervention de qualité quelques expressions telles que « recherche d'autonomie des personnes handicapées », « offre de biens et de services à leur portée », « liberté de choix du mode de vie », « réponses adaptées ». Il convient d'affirmer, au-delà de la solidarité comptable, la nécessité d'un nouveau mode de gouvernance.

C'est dire l'importance du sujet, et le Président de la République ne s'y est pas trompé, qui a fait de la politique en faveur des personnes handicapées une des priorités nationales. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. C'est de la propagande !

M. Georges Mouly. C'est un véritable chantier, que nous aurons à aborder plus précisément en d'autres temps.

Vous comprendrez, dans ces conditions, que mes réflexions portent sur la politique en faveur des personnes âgées.

Je me livre ici à un constat chiffré et je ne cherche pas une querelle qui serait, en cet instant, stérile et déplacée. Notre attention a déjà été appelée sur la nécessité de parfaire le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie. Plus globalement, il s'agit du financement du plan de solidarité.

Le besoin en la matière va inexorablement s'accroître, d'où l'importance de l'engagement que nous avons à prendre en ce jour. Nous devons avoir conscience qu'il constituera le premier jalon d'une réforme qui est appelée, j'allais dire « condamnée », à être plus ambitieuse, même si les éléments visés dans le présent projet de loi sont importants.

Les contraintes internationales, l'exigence de compétitivité, le poids déjà considérable des prélèvements obligatoires, le nécessaire maintien du pouvoir d'achat, tels sont les éléments qui ont fait naître l'idée de la fameuse journée de solidarité, à propos de laquelle il se dit et s'écrit tant de choses.

Je veux bien croire, pour ma part, à la sincérité de telle ou telle critique, mais il me semble qu'il faut savoir raison garder, et cela ne me paraît pas toujours le cas.

J'ai entendu parler de journée « acte de charité ». Pourquoi pas ?

M. Guy Fischer. Hold up !

M. Georges Mouly. Mais j'ai aussi entendu tout à l'heure, le terme de « corvée ». J'avoue que cela me peine - je vous le dis comme je le ressens - d'entendre qualifier de « corvée » une journée supplémentaire de travail.

M. Gilbert Chabroux. C'est ce qu'a dit Alain Madelin !

M. Georges Mouly. Que penseraient les jeunes générations si elles l'entendaient ? Comme leçon de civisme, il y a mieux !

M. Roland Muzeau. Eh bien oui !

M. Georges Mouly. Le principe même de la suppression d'un jour férié, dont le choix n'est pas, en définitive, imposé - et je défendrai un amendement à cet égard, monsieur le ministre - est réalité chez l'un de nos voisins - cela a été rappelé également - dont le gouvernement, que l'on ne saurait qualifier de libéral,...

M. Georges Mouly. ...prend de surcroît, mes chers collègues, les mesures que l'on sait concernant le temps de travail et l'âge de la retraite !

M. Paul Blanc. Bien sûr !

M. Georges Mouly. Il s'agit donc d'une journée de solidarité, et la décision doit être prise en toute lucidité et connaissance de cause, en ayant conscience des limites de la mesure. Le rapporteur de la commission des affaires sociales convient que « la neutralité économique n'est pas acquise » ou encore que le pari le plus ambitieux que doit gagner la mesure est de réussir son insertion dans le droit social, ce qui n'est pas évident.

Pour l'heure, je veux délibérément y voir un appel à la générosité, aux antipodes d'un individualisme trop répandu, d'un corporatisme qui fait trop souvent fi, avouez-le, de l'intérêt général, celui de la nation et, par conséquent - c'est un peu paradoxal - celui de chacun des citoyens qui la composent.

Cet appel à une attitude solidaire n'est à mes yeux ni rétrograde ni moralisateur. Elle n'est pas demandée aux seuls salariés, d'ailleurs.

M. Georges Mouly. Je n'insiste pas davantage sur ce point, faisant mienne l'analyse de notre rapporteur André Lardeux en la matière.

Il convient cependant de souligner que l'instauration de cette journée permet en tout cas le financement pérenne - ce qui n'est pas rien ! - d'une politique en faveur de l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, en garantissant l'étanchéité entre les deux secteurs.

La mesure crée une base institutionnelle pour la prise en charge du vieillissement ; elle apporte une réponse à la question du lien social. L'isolement des recettes ainsi dégagées dans les comptes de la nouvelle caisse nationale de solidarité pour l'autonomie assure leur affectation aux dépenses qui justifient la création de cette caisse.

On est loin, avouez-le, des traditionnelles ponctions effectuées, année après année, sur la branche famille, par exemple.

M. Paul Blanc. Le FOREC !

M. Georges Mouly. Il s'agit en l'occurrence de recettes isolées et d'une caisse spécifique. C'est bien !

Il nous est proposé d'adopter le principe d'une compensation aux collectivités territoriales. C'est une mesure de sagesse et de précaution, sur laquelle M. le rapporteur a insisté.

Les collectivités territoriales n'ont en effet nullement besoin de courir quelque risque supplémentaire que ce soit en la matière. Elles font déjà beaucoup, les départements en particulier, en faveur des personnes âgées, grâce à un maillage serré du terrain, par des structures administratives, associatives, des professionnels, des bénévoles.

Je m'arrête un instant sur ce point car ce maillage constitue déjà pour une grande part un possible réseau d'alerte : les besoins et les situations sont connus grâce à une telle politique de proximité.

Le cadre est défini par la loi : c'est le schéma départemental de gérontologie, le schéma des établissements et des services. La loi du 2 janvier 2002 a précisé et renforcé le cadre d'intervention. Ce schéma apprécie la nature, le niveau, l'évolution des besoins sociaux et médicosociaux. Il représente déjà quelque peu l'esquisse du fichier dont il est question.

Il dresse également un bilan quantitatif et qualitatif de l'offre sociale et médicosociale existante. Il détermine les perspectives dans les objectifs de développement de l'offre. Il précise le cadre de la coopération et de la coordination des établissements et des services. Il définit les critères d'évaluation des actions conduites.

J'arrête là, l'heure n'étant pas à décliner dans le détail la mise en oeuvre de tels objectifs, mais convenez que les conditions de nature à permettre de connaître les personnes âgées isolées, leurs conditions de vie et leurs besoins sont plus qu'initiées - je pense que ce sentiment est partagé.

Outre le maillage par les instances de gérontologie cantonales avec points d'information, il y a aussi la téléassistance vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; il y a encore, autour de la personne âgée et dans l'optique essentielle de son maintien à domicile, les comités locaux d'information et de coordination, les CLIC, remarquables instruments qui permettent de bien identifier les besoins de la personne et d'y répondre, en partenariat avec toutes les parties concernées.

Les CLIC sont aidés par l'Etat. Or cette aide est allée en diminuant cette année. Veillons bien, monsieur le ministre, à ce que la décentralisation n'hypothèque en rien la qualité du service ainsi rendu !

Dans le cadre de l'approfondissement c'est une réponse apportée en direction de la décentralisation il est prévu de confier au seul département le pilotage opérationnel du dispositif CLIC, reconnu comme facteur de renforcement de la cohérence des politiques publiques de proximité en faveur des personnes âgées. C'est tout un programme, c'est tout une politique. Le cofinancement est un gage de succès.

Je formulerai un appel pressant, monsieur le ministre : que l'Etat ne se désengage pas ! Et que ne diminuent pas les moyens donnés aux associations qui oeuvrent en faveur des personnes handicapées. D'aucunes connaissent, vous le savez, des difficultés.

Me suis-je éloigné du sujet qui nous mobilise ici ? J'ai dit mon approbation du rapport et j'espère que l'on verra dans mon propos le souci de montrer que ce qui est déjà en place pour la mise en oeuvre, dès ce jour, d'une bonne part de ce qui constitue le but de l'effort demandé aux Français mérite aide et encouragement. C'est en quelque sorte un appel, monsieur le ministre.

Un effort est demandé à nos concitoyens. Je l'approuve, persuadé que certains, beaucoup peut-être, parmi nos générations apprécieront un jour ce que l'on fait aujourd'hui. Ils s'estimeront alors heureux d'être bénéficiaires d'une générosité que nous aurons su mettre en place avec l'espoir - qui n'est peut-être pas illusoire - que, devant les problèmes humains et les moyens mis en oeuvre, les bonnes volontés de divers horizons sauront se mobiliser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en février 2003, l'urgence financière à laquelle devaient faire face les départements servait à justifier que, au détour d'une proposition de loi initiée par les présidents des conseils généraux que compte le Sénat et d'un décret, les droits des personnes âgées dépendantes soient restreints.

Occultant les enjeux sociaux, économiques et démographiques du vieillissement de la population, contraint par sa vision comptable de la question, le Gouvernement tournait alors le dos à des solutions solides et pérennes de nature à asseoir le droit à une prise en charge de la perte d'autonomie.

A la place du débat, nécessairement plus global, sur la place des personnes vieillissantes dans notre société que nous aurions dû avoir à l'occasion du bilan d'évaluation de la loi fondatrice de l'APA dans la perspective de faire définitivement basculer cette allocation dans le champ de la sécurité sociale, nous avons eu droit, à l'époque, à des échanges sur des mesurettes financières de courte vue.

Aujourd'hui, une fois encore, l'urgence sert d'alibi au Gouvernement. Si ce dernier se devait d'agir, à la suite du drame sanitaire de l'été dernier, pouvait-il pour autant s'affranchir d'une véritable réflexion, nécessairement transversale, sur les politiques menées en direction des personnes âgées et personnes handicapées, sur le financement à long terme de ces politiques ?

Assurément la réponse est non, sauf à vouloir brouiller les pistes, éluder la question essentielle, en l'occurrence celle de la création d'un cinquième risque, celui de la dépendance ou de la perte d'autonomie, sans discrimination quant à l'âge de la personne et quelle qu'en soit l'origine.

Pressé de faire oublier sa gestion calamiteuse de la canicule et de diluer la responsabilité de son Gouvernement, qui, je le rappelle tout de même, avait décidé quelques mois plus tôt le gel de crédits destinés à la médicalisation des établissements accueillant des personnes âgées, M. Raffarin a lancé l'idée de faire appel à une journée de solidarité afin de financer un programme d'action en faveur des personnes âgées et personnes handicapées en perte d'autonomie.

Cette réforme qualifiée « d'historique », affichée comme permettant pour la première fois une prise en charge globale de la dépendance, répondant aux nouveaux besoins par de nouveaux droits et par la création d'une nouvelle branche de la protection sociale a fait un « flop ».

« Raté !» titrait Le Parisien, le 7 novembre, après la présentation par Jean-Pierre Raffarin du plan de solidarité pour l'autonomie, notant, comme l'ensemble des observateurs, « la déception des professionnels, qui jugent les mesures insuffisantes, la colère des syndicats, les demandes de dérogations du patronat, l'hostilité, y compris dans la majorité ».

M. le rapporteur feint de ne pas comprendre pourquoi le présent texte, participant à la mise en musique de ce plan de solidarité pour l'autonomie, à peine publié, « ait subi un tir de barrage de critiques acerbes contestant l'adéquation des réponses qu'il présente ».

Je crois que nous sommes tous conscients des raisons qui motivent un tel rejet de votre conception, somme toute assez particulière, de la solidarité nationale.

Le compte rendu des auditions, menées au pas de charge, sur le projet de loi rappelle, s'il en était encore besoin, que l'avis négatif unanime rendu par l'ensemble des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale sur la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie était motivé, sur la forme, par le manque manifeste de concertation initiale et l'absence de lisibilité de la politique du Gouvernement.

Et vous semblez oublier, mes chers collègues, que, même sur vos bancs, l'UDF ayant voté contre le projet de loi, nombre de parlementaires ont effectivement considéré qu'il n'était pas satisfaisant d'aborder de manière aussi éclatée la question de la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées - n'est-ce pas, monsieur Blanc , question en discussion dans différents textes.

D'aucuns, dont nous sommes, ont demandé au Gouvernement le report de l'examen du présent projet de loi, qui intervient manifestement trop tôt. M. Raffarin est resté sourd à cette requête, allant même jusqu'à déclarer l'urgence sur un texte dont on sait qu'une des principales dispositions, la création de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, est quasiment déjà obsolète !

Dans ces conditions, le rôle du Parlement semble bien mince et celui de la commission semble réduit, comme le regrette notre rapporteur, à « formuler un avis de portée générale sur le principe même de l'institution d'une journée de solidarité et sur la création d'une caisse dédiée au financement de la dépendance ».

Refusant ce faux-semblant de débat, mon ami Roland Muzeau défendra tout à l'heure, pour le groupe communiste républicain et citoyen, une motion tendant au renvoi du projet de loi en commission.

Comment, en effet, se prononcer sur un texte aux contours incertains, dont l'exposé des motifs renvoie à deux autres projets de lois le soin de préciser, d'une part, les contours définitifs de la CNSA, une fois rendues les conclusions de MM. Briet et Jamet, et, d'autre part, les dépenses couvertes par cette caisse et la nature de ses missions.

Comment, également, ne pas s'inquiéter du morcellement des mesures, de la construction en parallèle de nos politiques sociales séparant les personnes âgées et les personnes handicapées alors que, comme l'a justement rappelé le Conseil économique et social dans un rapport récent, les défis que nous devons relever, appellent des réponses plus cohérentes, sans barrière d'âge, plus universelles et plus solidaires ?

Le projet de loi relatif à l'égalité des droits et des chances, à la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui a institué une prestation de compensation, texte encore en navette, madame la secrétaire d'Etat, laisse entier le sujet du financement de cette prestation, qui relève des futures missions de la CNSA.

Quant au projet de loi sur les responsabilités locales, au parcours parlementaire heurté, le moins que l'on puisse dire, c'est que lui non plus n'est pas sans lien avec le présent texte, notamment par le renforcement qu'il opère du rôle des départements, désormais seuls compétents pour élaborer les schémas départementaux d'organisation sociale et médicosociale.

Rien de surprenant, mes chers collègues, que s'expriment au grand jour un certain nombre d'inquiétudes concernant les velléités de certains présidents de conseils généraux désireux de se voir transférer la totalité de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie, médicosocial, d'autant que le document d'étape de MM. Briet et Jamet envisage avec bienveillance cette orientation.

Comment enfin, mes chers collègues, envisager de déconnecter les choix de société que nous devons faire, les problématiques auxquelles nous sommes confrontés de ceux qui président à la réforme de l'assurance maladie ?

J'en viens au fond. Vous n'êtes pas sans savoir, mes chers collègues, comme l'a indiqué le président du conseil d'administration de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, devant la commission des affaires sociales, que « le risque de destruction de la sécurité sociale et de rupture du pacte de solidarité » n'est pas sans inquiéter.

La prise de position des organismes de sécurité sociale contre le nouvel organisme imaginé par le Gouvernement s'explique principalement par leur déception de voir votre texte, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, s'écarter de l'objectif d'intégrer dans le champ de la sécurité sociale la perte d'autonomie comme un aléa nouveau. Et là, nous divergeons fondamentalement.

Les associations qui, elles, ont exprimé de nombreuses interrogations à l'égard de cet organisme, dénommé, à dessein je le crains et non sans ambiguïté « caisse », en référence aux caisses de sécurité sociale, mais qui s'apparente plutôt à un fonds de financement, ne se sont pas laissé berner par cet affichage, pas plus qu'elles ne se sont laissé duper par l'habillage de ce projet de loi.

Qu'il s'agisse du dispositif de veille et d'alerte destiné à la protection des personnes, qui aurait pu faire l'objet de mesures réglementaires, ou qu'il s'agisse de la pérennisation du financement de l'APA, qui ne nécessitait pas de façon urgente la mise en place d'une caisse, provisoirement, le fonds de financement de l'APA aurait pu être maintenu, comme vous en convenez d'ailleurs, monsieur le rapporteur.

Quel qu'ait pu être l'effort de communication entourant les mesures que la journée de solidarité permet de financer, mesures évidemment utiles pour palier notamment l'insuffisance chronique de moyens en personnels d'accompagnement et de soins dans le secteur de l'hébergement ou de l'aide à domicile des personnes âgées, quelles que soient les précautions de langage prises, les intentions du Gouvernement transpirent ; elles sont pour le moins explicites.

Le Premier Ministre n'a-t-il pas déclaré lui-même, dès novembre 2003, que « cette nouvelle caisse n'a pas vocation à gérer le risque dépendance » mais à rassembler les moyens mobilisés par l'Etat et l'assurance maladie pour contribuer à prendre en charge les personnes handicapées et âgées en déléguant les moyens financiers aux départements, qui seront responsables, y compris financièrement, de la mise en oeuvre globale de la politique de dépendance ».

Bref, quelles que soient vos déclarations, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, avec ce projet de loi vous n'atteignez pas votre objectif. En effet, il ne remet pas nos politiques publiques en phase avec notre démographie.

L'examen de deux de ses dispositions phares, l'instauration de la journée de solidarité et la création, en dehors du champ de la sécurité sociale, d'une caisse captant les financements, révèle le manque d'ambition du Gouvernement pour répondre durablement aux questions posées par les réalités démographiques et sanitaires, par la persistance de situations d'exclusion et de discrimination dont sont victimes les personnes en situation de dépendance et qui portent atteinte à la cohésion sociale.

Le rapporteur de la commission des affaires sociales, notre collègue André Lardeux, a d'ailleurs beaucoup de mal à nous convaincre.

M. André Lardeux, rapporteur. Je ne désespère pas !

M. Guy Fischer. Le rapporteur pour avis de la commission des finances, M. Adrien Gouteyron, a posé plus de trente de questions !

M. Robert Bret. Très critiques !

M. Roland Muzeau. C'était cruel !

M. le président. Cela prouve simplement qu'il est curieux ! (Sourires.)

M. Guy Fischer. Ces rapporteurs ont d'ailleurs beaucoup de mal à nous convaincre, peut-être parce que eux-mêmes ne sont pas vraiment convaincus, du fait que ce texte peut relever le défi du vieillissement de la population.

Sinon, comment expliquer leur insistance à encourager la prévoyance individuelle ?

Il est assez symptomatique de constater que les seuls ajouts substantiels que la majorité de la commission des affaires sociales se soit autorisée à faire concernent la transposition, dans ce projet de loi, de plusieurs articles de la proposition de loi déposée par le très libéral M. Vasselle et largement cosignée par des sénateurs siégeant sur les travées de droite. Cette proposition visait à privilégier, non pas la généralisation de la prise en charge de la dépendance par des mécanismes collectifs, solidaires, via un financement mutualisé, mais le développement de l'assurance individuelle dépendance, qu'avait soutenue notre collègue Paul Blanc.

M. Paul Blanc. Tout à fait !

M. Guy Fischer. C'est une solution que nous rejetons avec force, mais j'y reviendrai.

Par ailleurs - c'est la raison essentielle de notre opposition déterminée à ce projet de loi - nous refusons et le mode de financement et les options retenues en matière de politique de prise en charge et de compensation de la dépendance.

S'agissant tout d'abord du mode de financement, vous convenez avec nous, monsieur le rapporteur, que « le projet de loi n'assure pas le financement à long terme de la dépendance ». C'est le moins que l'on puisse dire. Comment d'ailleurs en serait-il autrement ?

Les recettes annuelles escomptées de la suppression d'un jour férié sont estimées à 1,8 milliard d'euros, alors que le seul budget du handicap est, pour sa part, évalué à 24 milliards d'euros, n'est-ce pas, madame la secrétaire d'Etat ?

A l'inverse de vous, mes chers collègues, nous considérons l'option retenue en matière de financement, mettant à contribution une fois encore principalement les seuls revenus d'activité même s'il est prévu à la marge de percevoir un prélèvement sur les revenus du capital, comme contestable dans son principe.

Cette journée de travail supplémentaire non rémunérée est une véritable aubaine pour les entreprises. Le MEDEF obtient au passage satisfaction sur les 35 heures, qu'il désire « dynamiter » depuis fort longtemps. M. le Premier ministre nous annonce d'ailleurs que le dynamitage aura lieu à l'automne. Et l'on ne manque pas, monsieur le ministre, de mettre en exergue ce choix symbolique, « aboutissant pour la première fois depuis plus de vingt ans à ce que la durée du temps de travail en France soit majorée en application d'une décision législative ».

Insuffisant, contesté dans son principe, le mode de financement retenu est également profondément injuste.

Certaines catégories de nos concitoyens - les travailleurs indépendants, les professions libérales, les artisans, les commerçants ou les exploitants agricoles - sont, pour leur part, exonérées de ce « devoir de solidarité ».

M. Paul Blanc. Ils ne font pas que trente-cinq heures !

M. Guy Fischer. Dans le même temps, on libérera les tarifs des spécialistes !

S'agissant de la mise en place de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, nos positions sont, là encore, diamétralement opposées.

Les amendements introduits à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du rapporteur, visant à apporter un début de réponse aux interrogations fortes quant à la définition des missions de la CNSA et à ses contours institutionnels, avec l'ébauche de sa composition, n'ont rien changé au fond.

Il ne pouvait d'ailleurs en être autrement, dans la mesure où la mission Briet-Jamet n'est pas terminée.

Subsistent donc des ambiguïtés certaines sur le statut de cette caisse. Est-elle vraiment une caisse, un simple fonds ou une agence ? Telle sont les interrogations que m'a confiées M. Jamet.

Restent également des incertitudes profondes quant à la nature, à l'ampleur et aux modalités des transferts de charges envisagés.

En revanche, une chose est sûre : bien que vous vous en défendiez, monsieur le rapporteur, la création précoce, voire prématurée, de cette caisse hypothèque largement l'issue de la concertation qui doit déboucher sur la mise en place d'un socle durable pour l'organisation de la prise en charge de la dépendance.

Non sans contradiction, vous admettez que le passage menant sur la voie de la gestion de la dépendance par la sécurité sociale « est désormais étroit ».

Au regard des premières conclusions du rapport de MM. Briet et Jamet optant pour que le département pilote et assume financièrement la charge des politiques menées en faveur des personnes âgées et des personnes dépendantes, cette voie est désormais sans issue.

Je souhaite que, lors de nos échanges, vous soyez en mesure, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, de nous dire si, oui ou non, vous partagez les observations de ces experts, qui considèrent que, « compte tenu de sa nature, la CNSA ne peut être assimilée à un organisme de sécurité sociale faisant l'objet d'une gestion à caractère paritaire, pas plus qu'elle ne peut être assimilée à un simple fonds de financement, compte tenu de sa nature ». Quel rôle aura-t-elle vraiment ?

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont fondamentalement opposés à ce projet de loi « alibi ».

Pour l'essentiel, nous défendrons des amendements de suppression tout en proposant la prise en charge de la dépendance, dans le cadre d'un cinquième risque de la sécurité sociale, géré par la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Rodolphe Désiré.

M. Rodolphe Désiré. Monsieur le ministre, le texte que vous présentez a partagé le groupe du RDSE, où la pluralité est la règle.

Au-delà des divergences, nous retiendrons l'essence du débat, qui est de répondre en urgence au problème soulevé par la vulnérabilité des moins autonomes de nos concitoyens, laquelle est à l'origine des nombreux décès constatés lors de la canicule de l'été dernier.

Il s'agit bien d'une question de solidarité nationale face au délitement du lien social et familial, principale source dans notre société urbaine et moderne de l'esseulement des personnes âgées et handicapées.

Cette mutation dans les rapports humains, stigmate des sociétés contemporaines dites développées, atteint de plus en plus, hélas ! nos départements d'outre-mer, où l'exiguïté du territoire et les traditions n'excluent plus des comportements moins solidaires.

Par le biais du présent projet de loi, le Gouvernement aborde donc un véritable problème de société parmi tant d'autres.

On comprend le sens, de surcroît à l'approche de l'été, de la définition d'un plan de veille et d'alerte, de nature à rassurer et à protéger les populations à risques.

On ne peut qu'approuver l'idée de création d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, dont l'objectif devrait être de garantir à long terme le financement de l'autonomie des personnes âgées et handicapées. Il semble cependant qu'une simple ligne budgétaire eût amplement suffi à répondre à ce louable objectif.

Néanmoins, ce projet de loi en précède plusieurs autres, parmi lesquels la réforme de l'assurance maladie, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, diminuant ainsi la lisibilité des intentions du Gouvernement en matière de prise en charge de la dépendance.

La rapidité se justifie certes sur le plan sanitaire, mais ne risque-t-elle pas d'atténuer l'efficacité du texte ?

Le souci de concilier contribution nationale et préservation du pouvoir d'achat est sans conteste une position pragmatique et de compromis dans le contexte actuel.

Toutefois, dans la mesure où la contribution de 0,3% demandée à tous les employeurs en contrepartie de la suppression d'un jour chômé apparaît comme une cotisation supplémentaire, le risque de complication qui s'ensuivra pour les entreprises, notamment en termes de préservation de l'emploi, a-t-il été intégralement examiné ?

Le groupe du RDSE a, sur ce point, pris l'initiative de déposer quelques amendements visant à soulager ces entreprises.

En ce qui concerne le mode de financement retenu, à savoir l'affectation de la taxation de sept heures d'activité par salarié, le Gouvernement souhaite privilégier la négociation collective dans le choix de la journée de solidarité. Toutefois, aucun syndicat ne semble prêt à signer un accord qui oblige les salariés à travailler un jour de plus sans une augmentation de rémunération.

Les sénateurs du groupe du RDSE se rappellent la création en 1956 de la vignette automobile, qui était destinée à alimenter le fonds national de solidarité devant garantir un revenu minimum à toute personne âgée de plus de soixante-cinq ans et dont le produit fut, dès 1973, reversé au budget de l'Etat avant d'être, en 1984, transféré au budget des départements, libres d'en fixer le montant.

Enfin, le principe même de la solidarité nationale, qui nécessite l'implication de tous, est nié puisque la mesure porte exclusivement sur la contribution des salariés et des entreprises.

Parce que nos concitoyens en situation de dépendance sont en droit de compter sur la solidarité nationale, des dispositions doivent être prises pour leur assurer une protection de manière pérenne. Or ce texte est loin de répondre à cette préoccupation.

En conclusion, j'annonce dès maintenant que M. Jacques Pelletier, qui a présidé la mission commune d'information sur la canicule, proposera des amendements visant à améliorer ce projet de loi.

Monsieur le ministre, je l'ai déjà dit, les sénateurs du groupe du RDSE sont partagés sur ce texte : certains, pensant probablement, à l'instar d'un philosophe chinois, que « mieux vaut allumer une chandelle que de maudire l'obscurité », vont voter pour ce texte ; d'autres, dont moi-même, demeurant dans un profond doute quant à son efficacité, s'abstiendront.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, voilà un projet de loi sur lequel vous avez obtenu l'unanimité. Mais l'unanimité... contre vous : ce texte a en effet rassemblé contre lui l'ensemble des organisations syndicales de salariés, les partis de l'opposition, le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, les caisses nationales du régime général, l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, et la Caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, l'UDF, les évêques de France, l'opinion publique, même l'UMP,... et même vous, monsieur le président, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances. (M. le président fait un signe de dénégation.)

A cet égard, j'invite tous mes collègues à lire le rapport de la commission des finances et les interventions de notre collègue Philippe Marini, rapporteur général, de M. Arthuis, son président, et de M. Mercier, pour comprendre combien, au sein de votre propre majorité, monsieur le ministre, on se pose de nombreuses questions.

M. Hubert Falco, ministre délégué. C'est normal !

M. Claude Domeizel. C'est un vent général de contestation qui souffle ça et là, à l'évocation de ce projet de loi.

Certes, à l'Assemblée nationale, les députés de l'UMP ont su, avec discipline, taire leurs divergences et ont voté en faveur de ce texte - j'imagine à contrecoeur - pour ne pas en rajouter dans ce désordre assourdissant de déclarations et de contre-déclarations : non, la journée de solidarité ne sera pas forcément appliquée ; oui, elle sera maintenue ; oui, le texte sera reporté ; non, il sera voté dans les temps...

Vous n'avez pas non plus jugé utile, monsieur le ministre, de saisir le Conseil économique et social, lieu de débat privilégié entre les divers milieux socioprofessionnels, dont l'objectif est de parvenir à un consensus dans l'intérêt général.

Pire, vous n'avez même pas tenu compte des avis du Conseil économique et social émis dans un rapport intitulé : « Pour une prise en charge collective, quel que soit leur âge, des personnes en situation de handicap » ! Quel gâchis ! Le projet de loi a devancé la parution dudit rapport.

Inopportunité, inadaptation et incohérence sont les maîtres mots de votre projet de loi.

Il est inopportun, car il précède de façon incompréhensible la réforme annoncée de l'assurance maladie alors qu'il doit en faire partie ou, du moins, en découler.

Par ailleurs, il vient se télescoper avec le projet de loi relatif à l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées et des personnes âgées, le projet de loi relatif à la santé publique, le projet de loi relatif aux responsabilités locales.

Vous avez atteint les sommets de l'incohérence, conséquence de la hâte inappropriée au contexte et de la gêne causée par les promesses appuyées du Président de la République.

Par ce texte, vous entendez instituer une journée que vous osez appeler « de solidarité », alors que, tout au contraire, vous mettez à mal le pacte de solidarité nationale.

Revenons à l'analyse de ce projet de loi.

« Illisible », « mal ficelé »,  « problème pris à l'envers »,  « inexplicable sur le terrain » : ce ne sont pas des membres de l'opposition qui s'expriment ainsi, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mais vos propres troupes, car tous les avis convergent au sujet de ce texte dérisoire n'apportant aucune solution à long terme.

Comme pour faire pardonner les carences et l'absence de réactivité du Gouvernement, mais aussi le silence du Président de la République, ce texte a été bâti dans l'empressement après la canicule de l'été 2003.

J'ai fait partie de la mission d'information sénatoriale qui a enquêté sur cette catastrophe.

Dans mon intervention publique du 10 février 2004, j'évoquais, au nom de mes collègues socialistes, la mise en évidence de l'insuffisante fiabilité de notre système de veille, d'alerte et de gestion du risque sanitaire, mais, surtout, je notais que le Gouvernement faisait mine de découvrir, à l'aune de cette catastrophe, un problème majeur de société auquel il fallait réagir vite.

Et c'est ce même gouvernement qui venait de rogner les crédits de l'allocation personnalisée d'autonomie mise en place par le gouvernement précédent : le gouvernement de Lionel Jospin avait, en effet, pris conscience de la forte demande sociale en matière de lutte contre l'isolement des personnes âgées.

M. André Lardeux, rapporteur. Il n'avait pas trouvé le moyen de la financer !

M. Claude Domeizel. Mais oui ! A votre arrivée, souvenez-vous : votre bon vieux réflexe libéral n'en a retenu que les conséquences financières...

C'est encore vous qui, sans vergogne, avez restreint les budgets des établissements pour personnes âgées, réduit de moitié le financement 2003 du plan pluriannuel visant à augmenter les personnels dans les maisons de retraite, abandonné le plan gériatrique mis en place par Bernard Kouchner et Paulette Guinchard-Kunstler et, aujourd'hui, vous voudriez nous faire croire que vous avez pris conscience du problème ! Vous voudriez faire croire aux Français que ce projet de loi constitue un « plan Marshall » en faveur des personnes âgées dépendantes !

Que s'est-il passé pour que vous vous agitiez ainsi ? Ce furent 15 000 décès au cours de l'été !

Imaginez ce qui se serait passé si l'APA n'avait pas existé !

Certes, vous avez tout d'abord tenté de culpabiliser les familles, qui auraient oublié de faire jouer la solidarité familiale. Sociologues et professionnels de l'aide sociale à domicile ont, heureusement, rétabli la vérité en notant que le défaut de solidarité familiale concernait une marge infime de la population.

Il est vrai que la culpabilisation est un levier que vous savez bien utiliser quand vous voulez faire passer une mesure qui va pénaliser nos concitoyens, les travailleurs en particulier. Le fameux jour férié travaillé en est un exemple.

Pour la sécurité sociale, M. Douste-Blazy ne vient-il pas de réutiliser la culpabilisation en lançant à la figure des assurés ce ridicule argument du nombre de cartes Vitale ?

M. Guy Fischer. Oh oui ! ça, c'est la meilleure ! Il y aurait des millions de cartes Vitale !

M. Claude Domeizel. Toutes ces manoeuvres sont grotesques.

Le projet de loi débute bizarrement par un article dont le lien avec le titre Ier reste à démontrer : il concerne le dispositif de veille.

Vous proposez un plan d'alerte et de veille à l'échelon départemental, arrêté conjointement par le préfet et le conseil général, aux termes duquel sont prévues, d'une part, la coordination des secours, et, d'autre part, l'instauration, à l'échelon des communes, d'un dispositif de repérage des personnes susceptibles d'être secourues en priorité. Ce plan sans inventivité, articulé en plans « bleu, blanc, rouge » et niveaux de 1 à 4, a - je vous l'accorde - le mérite d'exister, mais le pouvoir réglementaire aurait suffi pour cela.

D'ailleurs, sans attendre l'adoption définitive du présent projet de loi, le 5 mai dernier, à grands renforts médiatiques, vous avez mis en place ce plan.

A partir de là, à quoi sert l'article 1er ? Nous assistons en tout cas à une belle cacophonie !

Le plan « canicule », déclenché à l'alerte 3 ou 4, n'exige pas, hormis le financement destiné aux urgences et celui qui vise à améliorer le parc des climatiseurs dans les maisons de retraite et les hôpitaux, de budget particulier, mais repose sur la coordination des moyens existant déjà.

Ce plan est tardif et les maisons de retraite ne disposent souvent pas des moyens financiers nécessaires.

Selon les spécialistes, il est impossible, avant l'été, d'atteindre l'objectif d'une pièce climatisée par établissement.

Vous-même, monsieur le ministre  - je l'ai lu dans un quotidien local  -  avez reconnu que 68 % des maisons de retraite privées et 54 % des maisons de retraite publiques seulement avaient décidé de s'équiper,...

M. Hubert Falco, ministre délégué. Avant que j'intervienne !

M. Claude Domeizel. ...ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs, que les réalisations seront effectuées avant l'été.

Dans un rapprochement d'analyse peu banal, l'association des directeurs d'établissement d'hébergement pour personnes âgées, l'ADEHPA, et le groupement économique sanitaire électricité climatique, le GESEC, qui fédère 260 entreprises de génie climatique, ont décidé d'alerter ensemble les pouvoirs publics sur l'impossibilité de rafraîchir une pièce par maison de retraite avant juin.

Pour le GESEC, depuis la canicule d'août 2003, la demande très forte a allongé les délais d'interventions ; les entreprises ne disposent pas de la main-d'oeuvre qualifiée et les stocks ne sont réassortis qu'au bout de longues semaines.

Pour l'association des directeurs d'établissements, la mesure n'étant pas financée, l'immense majorité des établissements n'a pu engager de commandes. Cette association rappelle, par ailleurs, que l'installation de la climatisation exige à la fois une réflexion sur l'ensemble du bâti, soit une expertise thermique, et une organisation au quotidien pour accompagner les résidents dans la pièce « rafraîchie ».

Or nous constatons qu'aucun réel effort financier n'a été décidé en qui concerne le renfort en personnel. Après l'alerte et la vigilance, il faut que les moyens humains suivent. Pourtant, nous n'avons que vaguement entendu parler d'une embauche possible d'intérimaires.

Nous constatons que cette annonce très floue va dans le sens de la recrudescence constatée des emplois non qualifiés, encouragés par des mesures d'allégements de charges ou de libéralisation des contraintes du droit du travail.

Le Gouvernement est là en phase avec sa politique de dévalorisation du travail.

J'en viens maintenant au titre II, plus précisément à l'article 2, qui vise à instituer une journée de solidarité sous la forme d'une journée de travail supplémentaire.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, votre gouvernement n'a de cesse de culpabiliser les Français : voilà des paresseux qui délaissent leurs ascendants, qui ne travaillent que 35 heures, qui veulent partir à la retraite trop tôt, qui épargnent au lieu de consommer, qui se forment sur leur temps de travail, et qui, notamment dans le secteur hospitalier, prennent des vacances l'été !

Ils ont cependant oublié d'être bêtes.

Selon un récent sondage, 60 % des Français refusent d'être les dindons de la farce et, dans les 40 % restant, nous trouvons, bien sûr, ceux qui ne sont pas concernés, les agriculteurs, les commerçants, les artisans, les professions libérales, qui n'emploient aucun salarié, et les retraités.

Au début de mon propos, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, j'évoquais la quasi-unanimité qui s'est faite contre votre projet de loi. Je n'ai pas parlé du MEDEF, qui semble satisfait, même s'il proteste, mollement et pour la forme, contre la surtaxe de 0,3 % imposée aux entreprises.

En réalité, le patronat se frotte les mains : voilà, de façon déguisée, une nouvelle attaque contre les 35 heures ! Grâce à cet article et prenant prétexte des 15 000 morts de la canicule, vous allongez subrepticement la durée légale de travail, de 1600 heures à 1607 heures, et le nombre légal annuel maximum de jours travaillés de 217 à 218 jours, reportant d'autant le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

« Le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité », au départ instituée le lundi de Pentecôte, le jour de la corrida de Nîmes (sourires.), pour le moment renvoyé aux accords de branches ou d'entreprises, « ne donne pas lieu à rémunération » : cela peut se traduire par 14 demi-heures, 28 quarts d'heures, ou encore un peu moins de deux minutes par journée travaillée.

La « défausse » sur les accords de branches ou d'entreprises rendront la mise en oeuvre de ce dispositif complètement aléatoire.

Les heures de la journée de solidarité ne s'imputeront ni sur le contingent d'heures supplémentaires ni sur celui d'heures complémentaires pour les salariés à temps partiel et ne donneront pas lieu à repos compensateur. La perte est donc plus importante pour le salarié que celle d'une simple journée et, par conséquent, le profit un peu plus important pour l'employeur, surtout si l'on admet que le rapport d'une journée de travail supplémentaire sur la production annuelle est estimé à 0,45 % et non pas à 0,3 %.

Le député UDF Hervé Morin, qui ne peut être qualifié de « proche des socialistes », a parlé de « corvée ». (M. le ministre manifeste son scepticisme.)

Monsieur le ministre, je répète qu'il ne peut être qualifié de « proche des socialistes » !

Nous ne sommes effectivement pas loin de la « corvée », car, selon le Petit Larousse, la « corvée » était un « travail gratuit qui était dû par le paysan au seigneur ou au roi ».

M. André Lardeux, rapporteur. Ce n'est pas pour le seigneur, c'est pour les seniors !

M. Claude Domeizel. Comment ne pas comprendre aisément que les associations de personnes handicapées aient vu, dans la suppression d'un jour férié, une mesure « stigmatisante », en quelque sorte une charité imposée qui risque de provoquer impopularité et ressentiment ?

Enfin, si j'étais un peu taquin, ce qui n'est pas mon cas (sourires), je vous demanderais si la mesure s'appliquera aussi les années bissextiles...Réfléchissez un peu !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Nous ne réfléchissons pas, c'est trop intellectuel pour nous ! (Nouveaux Sourires.)

M. Claude Domeizel. Quant aux fonctions publiques, qui n'ont pas vocation à engranger des bénéfices, comment financeront-elles cette nouvelle contribution ?

Elle aggravera un peu plus les difficultés financières des hôpitaux : ils devront verser 0,3 % des salaires de leurs personnel quand, déjà, ils ont beaucoup de difficultés.

M. Hubert Falco, ministre délégué. Grâce aux 35 heures !

M. Claude Domeizel. Ce ne sont pas les 35 heures qui ont aggravé les difficultés des hôpitaux !

Pour les collectivités locales, elle se traduira par un traditionnel transfert de charges ou, dit autrement, une augmentation visible ou masquée de la fiscalité.

Vous me direz, monsieur le ministre, que les collectivités locales sont habituées à ces largesses imposées. Aux ponctions effectuées par le biais de la CNRACL, permettez-moi d'en ajouter une dont on ne parle jamais : le taux de cotisation d'assurance maladie appliqué aux collectivités locales est de 11,5 % de la masse salariale, alors qu'il n'est que de 9,70 % pour l'Etat. Oui, mes chers collègues, les collectivités locales paient 1,80 % de plus que l'Etat ! A cela va s'ajouter 0,3 %...

Ce faisant, les salariés seront doublement taxé : une fois par la journée de travail non rémunérée, une seconde par l'impôt local.

Je dirai à présent un mot sur la contribution de l'Etat en tant qu'employeur.

Il faudra s'assurer que, par le biais de tuyauteries complexes, l'Etat ne s'en trouve finalement pas exonéré.

Je ne fais pas là du mauvais esprit ! C'est l'expérience qui nous conduits à ce genre de précautions.

Je n'entrerai pas dans les détails techniques d'application de ce dispositif, mais je constate que, sur le plan juridique, ce système porte atteinte, non seulement à l'égalité du citoyen, mais aussi aux fondements du droit du travail. Il cause également un grave préjudice au principe d'égalité du citoyen, puisque le prélèvement n'est pas universel, mais repose uniquement sur les salariés.

J'ajoute à cela que, selon une étude de l'OFCE, l'Office français des conjonctures économiques, parue le 22 octobre 2003, la suppression d'un jour férié peut être nuisible à l'emploi si elle ne se situe pas en période de plein emploi.

Vous mettez en avant, pour justifier ce dispositif, par définition inégalitaire, l'expérience déjà réalisée en Allemagne depuis 1995. Mais ce que vous ne dites pas, c'est que, en Allemagne, la « journée de solidarité » a soulevé de très vives oppositions de toutes parts.

M. André Lardeux, rapporteur. Elle a néanmoins été instituée !

M. Claude Domeizel. Examinons maintenant le plan de financement de prise en charge de la dépendance. Une nouvelle caisse serait créée : la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. D'après le Premier ministre, 9 milliards d'euros seraient entièrement affectés à cette caisse d'ici à 2008.

Notons au passage que, en année pleine, le nouveau dispositif de journée ou d'heures de solidarité représente près de 2 milliards d'euros, somme qui correspond - comme par hasard ! - aux diminutions d'impôt sur le revenu que le Gouvernement a consenties depuis 2002.

On peut aussi opposer, d'un côté, l'effort exigé des seuls salariés ou le forfait d'un euro par feuille de soins dont il est de plus en plus question, de l'autre, les baisses d'impôt et l'amnistie fiscale proposée par le Premier ministre pour les contribuables fortunés qui voudraient rapatrier leurs capitaux en France.

Le titre III du présent projet de loi crée donc, sous la forme d'un établissement public national à caractère administratif, la CNSA - voilà un nouveau sigle - qui aura pour seul rôle de contribuer au financement de la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Mais à quoi va servir cette caisse ? Nous ne sommes pas les seuls à nous poser cette question, sans obtenir, d'ailleurs, de réponses claires.

Cette nouvelle caisse se substituera-t-elle au fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, le FFAPA, dont les droits et obligations lui sont transférés ? Rassemblera-t-elle les moyens mobilisés par l'Etat et l'assurance maladie pour prendre en charge la dépendance des personnes âgées et handicapées ?

M. le Premier ministre nous dit, s'agissant de la CNSA, que, différente des caisses de sécurité sociale, elle « déléguera les moyens financiers aux départements qui seront responsables de la mise en oeuvre globale de la politique de dépendance ».

Nous voilà face à un nouveau sujet d'inquiétudes. On peut en effet se demander, d'une part, où se trouve la frontière entre la dépendance et la maladie, d'autre part, si nous n'assistons pas à la remise en cause d'une gestion paritaire qui aurait pu être maintenue au sein de la sécurité sociale.

Cette loi est dangereuse, car elle enfonce un premier coin pour faire éclater la sécurité sociale.

Nous comprenons surtout que des intérêts économiques puissants ne souhaitent pas que la dépendance soit gérée par des partenaires sociaux ; ils préfèrent s'appuyer sur des ressources spécifiques et sur une responsabilité des collectivités territoriales, tout en se réservant, en cas de besoin, la possibilité de développer l'assurance privée.

Ce système risque d'introduire de nouvelles inégalités dans le traitement de la dépendance : les assurances privées pour ceux qui ont les moyens, la CNSA pour les indigents.

Se profile donc à l'horizon une dualité du système, qui épouse celui de l'assurance maladie. La crainte unanimement exprimée est celle d'un démembrement de la solidarité nationale, auquel s'ajoute la création de nouvelles inégalités du citoyen dépendant. En effet, ce dernier sera traité différemment selon qu'il habitera ou non dans un département bénéficiant de ressources suffisantes pour mettre en oeuvre une politique offensive en matière de dépendance.

Je ne vois pas, mes chers collègues, comment, en toute lucidité, nous pourrions accepter ce projet de loi élaboré sans concertation et dans la précipitation, au lendemain de la canicule. Ce n'est pas une loi qui peut effacer les défaillances du Gouvernement !

Il n'y a pas de cohérence non plus dans le calendrier adopté. La discussion du projet de loi intervient avant le grand débat sur l'assurance maladie ; rien n'est précisé sur les relations entre la CNSA et l'assurance maladie, sur son financement partiel et incertain.

Un prochain rapport de MM. Briet et Jamet doit être publié en juin pour nous éclairer : pourquoi ne pas l'avoir attendu ? Comment voter, alors que nous ignorons tout de l'avenir de ce dispositif ?

Ce projet de loi méritait un report, ce que certains députés de l'UMP n'ont pas manqué de réclamer.

La manifestation de colère des Français lors des récentes élections régionales et cantonales n'y a donc rien fait ! Le Gouvernement reste sourd à tous les signes évidents de mise en garde. Après des retours en arrière peu glorieux - la restauration, les buralistes, la recherche, les « recalculés », pas encore les intermittents, mais cela ne saurait tarder -, assisterons-nous encore à une volte-face navrée ?

Je pense qu'il serait plus judicieux que le Gouvernement prenne le temps de revoir sa copie plutôt que d'engager obstinément le pays dans une voie sans issue.

M. Alain Vasselle. Balayez devant votre porte avec les 35 heures !

M. Claude Domeizel. M. le Premier ministre nous déclarait qu'il était le pilote de l'airbus gouvernemental : je me demande, pour ma part, s'il n'a pas mis le pilotage automatique de la politique ultra-libérale qui caractérise son gouvernement !

Ces propos vous contrarient sans doute, monsieur le ministre ? Alors, je vous répondrai par cette phrase de M. Sarkozy : « Si la vérité blesse, c'est la faute de la vérité ! » (Sourires.)

M. Claude Domeizel. L'attitude que nous adopterons est exceptionnelle, et peu pratiquée, mais ce projet de loi est tellement contestable sur le fond que nous ne présenterons aucun amendement, ...

M. Alain Vasselle. Nous allons gagner du temps !

M. Claude Domeizel. ...sinon des amendements de suppression, car toute modification, même mineure, semblerait, de notre part, accréditer ces mauvais dispositifs.

Mes collègues Jean-Pierre Godefroy et Bernard Cazeau apporteront un autre éclairage sur notre opposition à ce texte, et notre collègue Gilbert Chabroux présentera, au nom du groupe socialiste, une motion tendant à opposer la question préalable, car il n'y a, à notre avis, aucune utilité à débattre de ce projet de loi qui nous est soumis, en tout état de cause et contre toute logique, avant le texte relatif à l'assurance maladie.

La canicule a été pour vous un alibi pour créer le gadget du lundi de Pentecôte, qui remet en cause les 35 heures.

La canicule a été encore un alibi pour inventer une machine infernale qui enfonce, je le disais, un premier coin dans le but de faire éclater la sécurité sociale.

Depuis que vous êtes au pouvoir, vous nous avez habitués à des coups de force, vous nous avez habitués au mépris ! (M. Alain Vasselle s'exclame.) Avec ce texte, votre incohérence atteint des sommets : de mémoire de parlementaire, ce texte est un recueil de stupidités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Monsieur Domeizel, vous avez quelque peu empiété sur le temps de parole de vos collègues du groupe socialiste...

M. Claude Domeizel. D'une minute, monsieur le président !

M. le président. Non, monsieur Domeizel, pas d'une minute, mais de quatre !

M. Charles Revet. Et pour dire des stupidités !

M. Alain Vasselle. Il aurait mieux fait de se taire !

M. Charles Revet. Ils devront se partager le reste du temps de parole !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'occasion des auditions auxquelles nous avons assisté et des déplacements que nous avons effectués dans le cadre de la mission d'information sur la France et les Français face à la canicule, nous avons pu évaluer à quel point l'isolement couplé au grand âge avait contribué à rendre encore plus dramatique l'épisode de grande chaleur de l'été dernier.

Mais peut-être cette catastrophe a-t-elle été, d'une certaine manière, une chance, dans la mesure où elle a permis une prise de conscience collective des enjeux du vieillissement et de la dépendance. Or ces enjeux sont considérables, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, d'inventer un nouveau mode de fonctionnement combinant une nécessaire action de proximité au plus près des besoins et le maintien d'un cadre national suffisamment fort pour assurer l'égalité de traitement sur la totalité du territoire. Tel est l'enjeu auquel nous oblige à faire face la perte d'autonomie.

Au regard de cet objectif, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui se propose d'être une étape supplémentaire, certes parcellaire, mais volontariste, pour tenter d'apporter une réponse satisfaisante à la question des moyens financiers.

Avant d'entrer plus avant dans l'examen du dispositif, je souhaiterais tout d'abord rendre hommage au rapporteur de la commission des affaires sociales, M. André Lardeux, pour les efforts qu'il a déployés afin de rendre le texte que nous a transmis l'Assemblée nationale plus lisible et plus précis. Je pense en particulier à l'article additionnel après l'article 11  qui prévoit une compensation des charges nouvelles pouvant résulter, pour les collectivités territoriales, de l'application de la présente loi.

Ainsi, le dispositif de recensement des personnes à risque prévu au titre Ier est mis à la charge des communes. C'est parfaitement pertinent, puisque ce sont elles qui sont le plus proches des habitants. Mais, et la mission d'information l'avait bien mis en exergue, l'identification des personnes fragiles demande en soi une mise en oeuvre délicate, à la fois respectueuse de la liberté de chacun et suffisamment protectrice en cas de risque exceptionnel.

Permettez-moi de citer un extrait des propos tenus par le professeur San Marco quand il a été entendu par la mission d'information, car il a merveilleusement résumé la difficulté à laquelle nous sommes confrontés : « Marseille est une grande ville pauvre. Chez les pauvres, il y a les très pauvres. Ceux-ci sont les plus isolés. Pour l'instant, je n'ai pas la solution pour ces personnes. [...] Nous essayons de faire jouer la solidarité de proximité. Mais si solidarité de proximité potentielle il y a, ce n'est paradoxalement pas vis-à-vis de ces personnes. Nous sommes actuellement sans moyens vis-à-vis de la vieille personne qui vit chez elle, qui n'a plus de famille et qui est fâchée avec son voisin... »

C'est pour ces raisons que notre mission d'information avait proposé de confier la charge du repérage aux centres communaux d'action sociale. Je me félicite de ce que le projet de loi ait retenu l'échelon communal et que la commission, par son amendement, donne les moyens aux communes de mettre en oeuvre le fichier prévu.

Je profite que nous en soyons aux préconisations reprises dans le rapport d'information sur la canicule pour reprendre à mon compte les propos tenus par mon collègue Georges Mouly sur le soutien et le développement des centres locaux d'information et de coordination, les CLIC. En effet, dans ce rapport, nous insistions déjà sur l'intérêt de cet outil de coordination de l'action de proximité en faveur des personnes âgées et de connaissance des populations âgées fragilisées et isolées.

Le Gouvernement serait bien inspiré de maintenir, voire d'amplifier les cofinancements des CLIC qui permettraient effectivement d'inciter les départements à bien mailler les territoires d'outils qui ont fait leurs preuves là où ils fonctionnent déjà.

S'agissant des titres II et III du projet de loi, je souhaiterais formuler trois observations qui expliquent les réserves que m'inspire ce texte en l'état.

Je passerai rapidement sur la première de ces observations, car nombreux sont les parlementaires de nos deux assemblées qui l'ont déjà formulée. Il s'agit du calendrier et de la méthode retenus pour l'examen de ce projet de loi : le texte nous est soumis alors même que le projet de loi relatif aux responsabilités locales n'a pas donné un contour définitif aux compétences des départements en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées et du handicap ; que le périmètre du droit à compensation en discussion dans le projet de loi sur le handicap n'est pas cadré ; que la réforme de l'assurance maladie n'en est qu'à ses prémices et qu'enfin le rapport final de MM. Briet et Jamet sur la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie reste encore à paraître.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a été le premier à admettre qu'un ordre différent eût donné davantage de cohérence à l'ensemble. Le choix d'un tel calendrier est regrettable, car il nous oblige à légiférer une fois de plus dans l'urgence, d'autant plus regrettable que nous demandons un effort supplémentaire à nos concitoyens et que, pour les convaincre du bien-fondé de cet effort, il eût été préférable de leur présenter un projet fort et cohérent.

Sur le titre II, qui institue une journée de solidarité, je souhaite insister, tout comme mon collègue et ami Jean Arthuis, sur le caractère injuste de la contribution que ce projet de loi prévoit, principalement à l'égard des salariés.

Les choix qui ont présidé à l'élaboration de cette contribution me semblent parfaitement contestables en termes d'équité.

M. Gilbert Chabroux. Très bien !

Mme Valérie Létard. Faire reposer l'essentiel de l'effort une nouvelle fois sur le travail est contestable, dans le contexte actuel de concurrence économique internationale exacerbée que nous connaissons. Exonérer les professions libérales, les commerçants, les artisans, les agriculteurs, les retraités de tout effort, est-ce juste ? Je ne le crois pas. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste)

C'est d'autant plus regrettable que notre nouveau gouvernement avait annoncé son intention de mettre la justice sociale au coeur de ses politiques. Comment les Français pourront-ils adhérer à l'effort nouveau que vous leur demandez, monsieur le ministre, s'ils ont le sentiment que cet effort n'est pas partagé équitablement ?

Enfin, ma dernière observation portera sur le titre III du projet de loi, qui crée la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Grâce à ce texte, nous avons découvert un organisme d'un type nouveau. Répondant au nom de « caisse », cet organisme n'a toutefois aucune des caractéristiques que nous mettons d'habitude sous ce vocable. Vous avez, monsieur le ministre, introduit un nouveau vocable, la caisse relevant d'une branche de protection sociale, non de l'assurance sociale.

Là encore, je crains que nos concitoyens ne comprennent pas toutes les subtilités de cette construction. Si il n'y a pas, comme vous nous l'avez très clairement expliqué, monsieur le ministre, la mise en place d'une nouvelle caisse de sécurité sociale, assurant un cinquième risque - la dépendance -, alors, quel intérêt y a-t-il à conforter cette ambiguïté ?

L'article 7, tel qu'il a été adopté après un amendement du Gouvernement, précise utilement l'objectif. Contrairement à ce que proposait M. Denis Jacquat, qui envisageait une caisse dotée de larges missions, notamment celle de participer à la définition des orientations nationales et de la réglementation en matière de dépendance, la mission de la caisse consiste uniquement à assurer des transferts financiers.

Dans sa version actuelle, la CNSA s'apparente donc plutôt à la « mécanique des tuyaux », bien connue des membres de la commission des affaires sociales du Sénat. (Sourires.)

Vue sous cet angle, la question est alors de savoir si l'on a vraiment besoin de créer une nouvelle structure uniquement pour assurer la répartition des fonds collectés par le biais de la journée de solidarité, au moment même où l'on se propose de supprimer le service de la redevance télévisuelle. Ne peut-on faire l'économie d'une caisse en utilisant ce qui existe déjà ? C'est la solution que nous vous suggérerons au cours de la discussion des articles.

En attendant que soient dissipées toutes les incertitudes relatives au périmètre de cette caisse, nous vous proposerons que l'actuel Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie serve de réceptacle à cette nouvelle contribution. Ce fonds a de nombreux atouts : il existe déjà ; il fonctionne à la satisfaction de tous ; il peut permettre la mise en oeuvre de toutes les règles de péréquation prévues pour la répartition des sommes aux départements. C'est une solution simple et économe en coûts de structure et de gestion.

Telles seront nos propositions concernant le titre III. Je souhaite bien évidemment qu'elles retiennent l'attention de notre assemblée. Si tel n'était pas le cas, et compte tenu des observations que j'ai formulées précédemment, je m'abstiendrai, estimant que ce texte, malgré les intentions louables de ses auteurs, n'apporte pas une solution suffisamment juste et équitable au problème posé. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir afin d'achever la discussion générale d'un texte très attendu, même s'il a fait l'objet de nombreuses interrogations et de quelques critiques acerbes de la part de certains collègues, situés notamment sur la gauche de notre hémicycle.

A cet égard, je conseillais tout à l'heure à M. Domeizel de balayer un peu devant sa porte. En effet, de votre côté, chers collègues de l'opposition, vous n'avez pas été brillants lorsque vous avez étiez au pouvoir. Dieu sait si nous en payons les pots cassés aujourd'hui ! Vous n'avez donc pas beaucoup de leçons à donner à la majorité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. André Lardeux, rapporteur. Très bien !

M. Claude Domeizel. Nous n'avons jamais été aussi stupides!

M. Alain Vasselle. Je souhaite tout particulièrement adresser des remerciements à la commission des affaires sociales. M. Lardeux, rapporteur, et M. Nicolas About, président, ont en effet tous les deux accepté d'examiner la proposition de loi tendant à la création d'une assurance dépendance que j'ai déposée avec nombre de nos collègues - ils étaient plus de soixante-dix - en début d'année.

J'ai bien entendu les propos tenus par M. Fischer. Ses interrogations méritent sans aucun doute une réponse. Mais ses critiques ne sont pas fondées. Je l'invite à lire attentivement le texte de la proposition de loi précitée. Si notre collègue lui avait apporté une attention soutenue, comme l'ont fait M. le ministre et plusieurs de nos collègues, il n'aurait certainement pas formulé les mêmes remarques.

Je reviendrai sur ce point, sinon ce soir, du moins lors de l'examen des articles et des amendements que M. le rapporteur a bien voulu présenter et que la commission des affaires sociales a adoptés. Je ne doute pas que le Gouvernement les prendra en considération et leur réservera la suite que nous espérons.

Mes chers collègues, une proposition de loi de cette nature méritait d'être déposée. Il me semble d'ailleurs que M. Mouly y a fait référence dans son propos. En effet, en 2020, plus de 2 millions de personnes seront âgées de plus de 85 ans. En raison de ce nombre, les moyens financiers nécessaires pour faire face aux besoins de la dépendance, même si celle-ci, d'année en année, recule grâce aux progrès de la médecine, seront considérables.

Je ne sais pas si la solidarité nationale pourra, à elle seule, faire face à l'ensemble des besoins que les départements devront assurer. De même, le concours de la CNSA ne sera peut-être pas suffisant. D'où l'idée d'une cotisation d'assurance dépendance, assortie d'une défiscalisation pour les personnes redevables de l'impôt sur le revenu, et d'une éventuelle prise en charge, au titre de l'aide sociale, par les départements, comme ce fut le cas, avant l'instauration de la CMU, pour ce qui concerne le financement du ticket modérateur par l'assurance personnelle. Ce système fonctionnait bien ; nombre de conseils généraux préféraient prendre en charge l'assurance personnelle plutôt que d'avoir à supporter le coût de plusieurs journées d'hospitalisation de personnes dont les ressources étaient modestes.

L'idée d'inciter à contracter une assurance nous a semblé mériter d'être approfondie.

Monsieur le ministre, permettez-moi d'émettre quatre regrets.

M. Alain Vasselle. Ne les considérez pas comme des critiques à l'égard de votre texte. Mon seul souci est d'essayer de faire avancer les initiatives prises par le Gouvernement et de conforter celui- ci dans son action.

Mon premier regret est que la logique n'ait pas été poussée jusqu'au bout. En l'occurrence, c'est non pas tant le Gouvernement que la commission qui est concerné. En effet, toutes les suggestions que j'avais formulées dans la proposition de loi précitée n'ont pas été prises en considération, notamment celles qui concernent la partie de la population particulièrement défavorisée en raison de ses faibles ressources.

Le deuxième regret est lié à l'articulation de ce projet de loi qui vient, selon moi, à la fois trop tôt et trop tard.

Tout d'abord, je crains que le plan d'urgence et d'alerte ne soit mis en oeuvre un peu tardivement pour être efficace.

M. Claude Domeizel. Vous aussi !

M. Alain Vasselle. Nous sommes tout de même à la fin du mois de mai ! L'été approche. J'ose espérer que nous aurons les cieux avec nous et que nous ne connaîtrons pas les mêmes difficultés que l'année dernière.

Je relève à ce propos qu'il était particulièrement infondé de faire peser sur le Gouvernement la responsabilité de la canicule.

M. Claude Domeizel. Encore la faute à Jospin et aux 35 heures !

M. Alain Vasselle. En quoi le Gouvernement était-il responsable ? En rien ! L'opposition a honteusement exploité cette situation...

M. Alain Vasselle. ...pour faire supporter au seul Gouvernement les effets négatifs de la canicule.

M. Claude Domeizel. C'est faux ! Nous n'avons jamais exploité la situation !

M. Alain Vasselle. Monsieur Domeizel, les propos que vous avez tenus tout à l'heure étaient particulièrement mal choisis. Vous devriez vous regarder dans une glace avant d'utiliser des termes tels que le mot « stupidité » à l'égard du Gouvernement et de la majorité !

Mais ce projet de loi intervient aussi trop tôt parce que l'architecture précise de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie n'est pas encore définie, qu'il s'agisse de ses organes dirigeants ou de ses missions, ce qui a été souligné lors d'interventions précédentes et en commission par M. le rapporteur. M. le rapporteur pour avis a aussi posé un certain nombre de questions au Gouvernement auxquelles il souhaite obtenir des réponses précises.

Je comprends le souci du Gouvernement d'avoir voulu adresser un signal fort aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Mais n'aurait-il pas été souhaitable d'attendre de disposer au moins de l'essentiel des conclusions du rapport Briet-Jamet pour définir les contours de ce dispositif ?

M. Claude Domeizel. Il pense comme nous !

M. Alain Vasselle. La gestion de la CNSA sera assurée par le Fonds de solidarité vieillesse jusqu'au 30 juin 2005. L'urgence était donc relative. N'aurait-il pas été préférable, après la publication des conclusions du rapport, de pousser plus avant la concertation avec l'ensemble des partenaires concernés ?

J'aurais également souhaité une meilleure articulation de ce projet de loi avec l'ensemble des textes qui lui sont connexes.

M. Claude Domeizel. Nous aussi !

M. Alain Vasselle. La solidarité nationale est une. Il est nécessaire que nos concitoyens en aient pleinement conscience et puissent avoir une vision globale. Ma remarque vaut non seulement pour la loi relative au handicap, pour le projet de loi qui visera à réformer l'assurance maladie, que nous attendons, pour le présent projet de loi relatif à l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, mais également pour la loi relative à la politique de santé publique et pour le texte tendant à réformer les tutelles. Ce dernier, attendu depuis des années, a été présenté par M. Perben et son examen est prévu pour la rentrée. Or, par souci de cohérence, il aurait dû être intégré dans l'ensemble constitué par les présentes réformes.

En effet, on ne peut parler d'autonomie des personnes sans revoir intégralement le système des tutelles, sans entendre les personnes concernées et sans les mettre au coeur d'un dispositif qui les concerne au premier chef, ainsi que le recommandait, dès 1999, le Conseil de l'Europe.

Un autre exemple résume bien ce défaut de vision globale et complète de la solidarité nationale: la maladie d'Alzheimer, sujet sur lequel j'ai également déposé une proposition de loi.

Insuffisamment évoquées dans le texte traitant de la santé publique, les conséquences de cette maladie sur ceux qui en sont atteints, soit plus de 700 000 personnes, et sur leur entourage posent pourtant un véritable problème de société. Quand j'avais défendu le texte précité en 1999, 300 000 personnes étaient concernées en France par cette maladie. Ce nombre a plus que doublé depuis.

Or, puisque le présent texte évoque les missions de la CNSA et un conseil scientifique, n'était-ce pas le moment, au moins dans l'exposé des motifs, d'évoquer la recherche dans ce domaine et les moyens à donner aux aidants en matière d'aide à domicile pour leur permettre de « souffler », car l'on sait bien que la plupart des personnes atteintes restent chez elles ?

Tous les espoirs placés dans la mise en oeuvre du plan Alzheimer et dans la circulaire de 2002 n'ont malheureusement pas pu être traduits dans les faits. Dès 1998, j'avais donc déposé une proposition de loi adoptée par la Haute Assemblée mais à laquelle, malheureusement, l'Assemblée nationale n'a pas donné suite.

Comme nombre de mes collègues, si j'en juge par les questions écrites déposées sur ce sujet, je suis saisi par des proches de malades qui n'en peuvent plus et qui souhaitent que des structures d'hébergement temporaires soient mises en place le plus rapidement possible.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements sur ce point et nous dire quelles sont les intentions du Gouvernement sur le plan à la fois réglementaire et législatif ?

Le troisième regret que je veux exprimer concerne l'applicabilité réelle du plan d'urgence prévu par le projet de loi.

Je suis toujours soucieux d'être un élu de proximité, comme la plupart d'entre vous, et donc à l'écoute de mes concitoyens. Je suis également très soucieux, vous le savez, mes chers collègues, de l'éventuelle mise en jeu de la responsabilité des élus. Lorsque la loi Fauchon a été examinée par le Parlement, j'avais eu l'occasion d'intervenir sur ce point.

A cet égard, le texte même de l'article 1er m'inquiète. En tant que maire d'une petite commune, et venant de prendre part aux débats sur le texte relatif au développement des territoires ruraux, je me trouve face au problème de ma propre responsabilité. Comment respecter l'impératif de solidarité nationale qui est de recenser les personnes les plus fragiles, et, en même temps, être un élu responsable mais ne disposant pas de véritables moyens d'assumer cette responsabilité, surtout dans un délai aussi bref ? Je sais aussi que, de retour dans mon département, je serai interrogé sur ce point.

Monsieur le ministre, je ne doute pas que vous ayez travaillé de longue date sur ce sujet délicat. Il serait souhaitable qu'au cours de la discussion du texte vous nous communiquiez les décrets qui permettront l'applicabilité immédiate de ces mesures.

Toutefois, comment dans un délai aussi court allez-vous combiner une véritable synergie entre les services de l'Etat, ceux des départements et les maires pour bâtir un plan efficace en faveur des personnes âgées ?

Permettez-moi d'en profiter pour aborder la question de la présence des maires dans les différents conseils. Elle ne semble pas prévue. Pourtant, les maires sont appelés à jouer un rôle important dans le cadre du plan d'urgence. Il me semblerait pertinent qu'ils puissent faire entendre leur voix, alors même qu'ils seront en première ligne pour la mise en oeuvre du dispositif de veille et d'alerte.

Enfin, mon quatrième et dernier regret concerne la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Nous disposons déjà de toutes sortes de caisses et d'organismes de sécurité sociale, pour la maladie, la vieillesse, les accidents, les allocations familiales, sans parler du Fonds de solidarité vieillesse, et cette nouvelle caisse ne fera que s'y ajouter. L'une de mes préoccupations, exprimée d'ailleurs par M. le rapporteur en commission et par M. Mouly tout à l'heure, concerne la sécurité des moyens qui seront mis à sa disposition.

M. Claude Domeizel. Nous aussi, nous nous inquiétons à ce sujet !

M. Alain Vasselle. Il conviendra de veiller à ce qu'elle soit particulièrement étanche. Si, pendant un temps certainement très limité, des excédents apparaissent, il faudra protéger le Gouvernement de toute tentation d'y puiser, comme cela a été fait, d'une manière éhontée, en ce qui concerne le Fonds de solidarité vieillesse. Ce dernier, créé en 1993, avait pour seul objectif de financer des dépenses de solidarité, notamment celles qui étaient liées à la part non contributive de l'assurance vieillesse.

Nous savons quel sort a réservé au FSV la majorité socialiste d'antan avec le FOREC et les 35 heures : on a « tapé dans la caisse » sans vergogne ; on a créé le fonds pour gérer l'APA sans prévoir les financements nécessaires. Nous ne pouvons ignorer que son équilibre financier est particulièrement difficile, compte tenu des déficits d'exploitation qu'il connaît. Les départements ont été placés dans une situation impossible, ce qui a amené le Gouvernement, dans l'urgence, à prendre des dispositions dès sa prise de fonction et à proposer la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Donc, si nous en sommes là, chers collègues de l'opposition, vous y êtes pour quelque chose, et vous pouvez faire votre mea culpa. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Changez d'arguments !

M. Alain Vasselle. Pour terminer, je tiens à souligner l'ambiguïté du texte quant aux champs respectifs de la dépendance et du handicap.

Cette ambiguïté se retrouve particulièrement sur la question de la modernisation de l'aide à domicile. Qui concernera-t-elle vraiment ? Uniquement les personnes âgées, ainsi que l'article 9 du texte le donne à penser ?

Si tel est le cas, c'est en contradiction avec le début de l'article 7, qui dispose que la CNSA aura pour mission première « de contribuer au financement d'actions en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées ». Comment donc seront considérées les personnes handicapées vieillissantes, de plus en plus nombreuses ?

Je suis persuadé que le Gouvernement saura dissiper toutes ces ambiguïtés et répondre à l'ensemble de ces questions qui me tiennent à coeur depuis longtemps.

Je vous remercie par avance, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, des réponses que vous aurez l'amabilité de m'apporter.

Vous êtes ici chez vous, et je ne doute pas un seul instant de vos bonnes intentions à l'égard du Sénat. Vous saurez les manifester en approuvant les amendements présentés par notre rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales, dont la qualité du travail mérite assurément le soutien indéfectible du Gouvernement.

N'est-ce pas, en effet, pour le mieux-être des personnes âgées et des personnes handicapées que nous oeuvrons ensemble ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l'intervention de mon collègue Claude Domeizel, je consacrerai l'essentiel de mon propos aux personnes handicapées. En effet, si ce texte nous donne l'occasion de beaucoup parler des personnes âgées et de l'APA, le dispositif dont il prévoit la mise en place servira aussi à financer la politique du handicap, ainsi que vous l'avez rappelé, madame la secrétaire d'Etat.

La politique du handicap, ce grand chantier du président de la République, tel qu'elle est présentée, semble avoir du mal à trouver sa véritable orientation et à convaincre les intéressés, leurs familles et leurs associations.

Qu'en est-il de la promesse d'une grande réforme de notre politique du handicap ? La première lecture au Sénat du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a, vous le savez, madame la secrétaire d'Etat, profondément déçu les associations représentant les personnes en situation de handicap et leurs familles. Nous sommes loin de la loi de modernisation sociale et de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, textes qui affirmaient avec force le droit à compensation, « tout au long de la vie », avions-nous précisé.

Nous sommes déçus par la définition qui est donnée du handicap : au-delà des débats sémantiques, c'est une conception dynamique et interactive du handicap que le Gouvernement a refusée lors de la première lecture au Sénat.

Nous sommes déçus aussi de constater que, pour l'attribution de la prestation de compensation, les critères de l'âge et ceux qui sont liés aux taux d'incapacité sont maintenus. Sur ce dernier point, à la suite d'un amendement - partant d'un bon sentiment - du président de la commission et du rapporteur, un effet de seuil inique a été créé entre les cinquième et sixième catégories de complément d'AES.

J'attire votre attention sur cet amendement, madame la secrétaire d'Etat, parce qu'il risque d'avoir des conséquences désastreuses.

Nous sommes donc déçus par le montant de cette prestation de compensation et regrettons que subsistent des critères de ressources, de taux d'incapacité et de nature des besoins, aux antipodes des objectifs de protection sociale et de solidarité nationale à l'origine de cette nouvelle prestation.

Enfin, nous sommes déçus que, en l'absence de toute revalorisation de l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés, le droit à un revenu d'existence décent n'ait pas été concrétisé.

On nous avait pourtant expliqué, à l'époque, que l'AAH correspondait à 86 % du SMIC, en intégrant cependant dans son calcul des prestations tout à fait discutables. Il ne faut pas parler en pourcentage : 86 % du SMIC, cela représente 1 000 à 1 200 francs de différence. C'est considérable, à ce niveau de besoin.

On ne peut, dès lors, rejeter l'idée d'une revalorisation de l'AAH. La liste est encore longue, madame la secrétaire d'Etat, et nous aurons l'occasion d'avoir ce débat avec vous en seconde lecture de ce projet de loi-là. Pour l'heure, nous en sommes restés au texte de Mme Boisseau. Cependant, si l'on en croit les rumeurs, il devrait être remanié par l'Assemblée nationale la semaine prochaine. J'ignore s'il le sera profondément. Peut-être le saurons-nous tout à l'heure.

M. Guy Fischer. Il le sera profondément ! Il en a besoin !

M. Jean-Pierre Godefroy. Dans quel sens sera-t-il remanié, madame la secrétaire d'Etat ? Par qui le sera-t-il ? Le sera-t-il par des amendements gouvernementaux ou par des amendements parlementaires ? Dans le premier cas, il eût été intéressant de connaître ces nouveaux éléments avant d'étudier le présent projet de loi.

A l'époque, Mme Boisseau nous avait certifié que, en raison de leur nombre, les décrets d'application du texte nous seraient transmis pour avis ou information avant la deuxième lecture au Sénat. J'aimerais que vous puissiez prendre le même engagement.

La question dont nous débattons aujourd'hui n'est pas sans importance, mes chers collègues, puisque le présent projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées est censé financer la politique mise en place par le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

J'en viens maintenant au calendrier.

Comment pouvez-vous nous demander, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, de nous prononcer sur le mode de financement d'une nouvelle caisse sans que le contenu du droit à compensation ait été définitivement fixé ? Comment pouvez-vous nous demander de faire abstraction du débat à venir sur l'assurance maladie ? Comment pouvez-vous nous demander de ne pas tenir compte du rapport non encore publié de MM. Briet et Jamet ? Enfin, comment pouvez-vous nous demander d'anticiper sur la réforme de la décentralisation et sur la nouvelle répartition des compétences et des ressources, pas encore définies à ce jour, qui semblent faire grand bruit au sein de la majorité actuellement ?

Les textes se renvoyant constamment les uns aux autres, on a parfois du mal à s'y retrouver. J'ose espérer que le Gouvernement s'y retrouve, lui. Nous l'avions déjà dit en son temps, cela explique certainement la confusion qui, jusqu'au dernier moment, a entouré ce projet de loi.

Le texte que vous nous présentez aujourd'hui, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, prévoit donc de supprimer un jour férié et de prélever une surtaxe de 0,3 % sur les salaires pour alimenter une caisse qui sera chargée de financer d'abord la politique en faveur des personnes âgées puis, presque accessoirement, oserai-je dire, des personnes handicapées.

Monsieur le ministre, dans votre propos, vous avez utilisé l'expression « volet handicapé ». Je trouve que c'est impropre : il faut une politique pleine et entière en faveur du handicap, et non pas un simple « volet ».

Les heures supplémentaires de travail effectuées au cours de la journée de solidarité ne s'imputeront ni sur le contingent des heures supplémentaires, ni sur celui des heures complémentaires, dans le cas des salariés à temps partiel. Elles ne donneront pas lieu à repos compensateur.

Quoi que vous en disiez, la perte est plus importante pour le salarié qu'une « simple » journée de salaire, et le profit encore plus important pour l'employeur. En attendant le contrat de travail à 120 % demandé par le nouveau président du groupe UMP à l'Assemblée nationale - contrat que ne renierait pas le MEDEF -, vous nous proposez d'ores et déjà le contrat de travail à 104 % avec une rémunération à 100 % !

Cela a déjà été dit, les agriculteurs, commerçants, artisans et professions libérales ne s'acquitteront pas de la surtaxe de 0,3 %, ce qui introduit une nouvelle inégalité entre les travailleurs salariés et les autres.

On peut même se demander si cette mesure n'est pas contraire au développement de l'emploi. En effet, la création d'une cotisation supplémentaire de 0,3 % sur les salaires pourrait finalement se révéler contre-productive à cet égard. Certains ont annoncé la suppression de 30 000 emplois. Je ne dispose pas d'informations exactes, mais, à tout le moins, je peux vous parler, madame la secrétaire d'Etat, d'un établissement psychiatrique privé à but non lucratif, participant au service public hospitalier et situé dans mon département.

Du fait de la décision gouvernementale d'augmenter la taxe « préretraite » pour la porter de 5 % à 24 % de la masse salariale des partants, et en raison, d'une part, de l'exclusion, par la loi portant réforme des retraites, de ce type d'établissement du bénéfice de l'exonération des charges patronales sur les primes de départ, et, d'autre part, des nouvelles cotisations ASSEDIC s'appliquant aux praticiens détachés du public, la journée de solidarité aura pour cette maison de santé un coût élevé. L'établissement devra soit supprimer des emplois - on envisage la suppression de deux postes en gérontopsychiatrie -, soit augmenter le prix de journée - ce qui ne lui sera pas accordé -, soit encore être déficitaire - ce qui lui sera reproché.

Il est paradoxal que ces établissements, en se mettant en difficulté, contribuent à un financement qui doit leur être normalement destiné. Il serait vraiment utile de considérer le statut de ces établissements privés participant à une mission de service public.

Cette idée d'un jour férié travaillé destiné au financement de la politique en faveur des personnes handicapées revient à Mme Boisseau. Nous n'y avions pas alors souscrit. Par la suite, en raison de la canicule et après le gel, en 2003, de 300 millions d'euros destinés aux maisons de retraite, on a donc inclus les personnes âgées dans le bénéfice de cette journée, parlant plus généralement de dépendance et d'autonomie. Cependant, l'exercice qui consiste à faire un parallèle entre la problématique des personnes âgées et celle des personnes handicapées, même si parfois elles se rejoignent, a des limites.

Outre le fait que la stigmatisation qu'induit ce jour de solidarité est quelque peu contradictoire avec l'objectif d'une intégration pleine et entière des personnes handicapées dans notre société, les moyens que Mme Boisseau espérait pour financer la réforme de la politique du handicap devront donc être partagés. C'est certainement ce qui explique l'embarras de Mme le secrétaire d'Etat lors de la première lecture au Sénat du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, pour répondre à des amendements fort justifiés, mais trop coûteux au regard des moyens affectés. Vous serez confrontée aux mêmes problèmes, madame la secrétaire d'Etat.

Parlons précisément des moyens.

Le Premier ministre prévoit de consacrer au plan de prise en charge de la dépendance 9 milliards d'euros d'ici à 2008. En année pleine, le nouveau dispositif de journée ou d'heures de solidarité est censé susciter 1,9 milliard d'euros, 1,2 milliard venant du secteur privé, 400 millions venant des fonctions publiques et 300 millions venant de la contribution additionnelle à la CSG sur les revenus du capital.

Ce sont donc 850 millions d'euros qui sont affectés au handicap. M. Raffarin a d'ailleurs avancé récemment le chiffre de 1 milliard d'euros.

M. Guy Fischer. A Lyon, au congrès de l'UNAPEI !

M. Jean-Pierre Godefroy. Aujourd'hui, nous n'en sommes qu'à 850 millions d'euros. Il faudrait au moins que nous soyons d'accord sur les chiffres !

Cette somme de 850 millions d'euros n'est, certes, pas négligeable ; cependant, il faut la rapprocher des 26,2 milliards d'euros nécessaires chaque année à la politique du handicap.

Comment peut-on réellement évaluer le surplus financier que devrait dégager cette journée de solidarité, à la suite des tractations, au sein de la majorité, entre les députés de l'UMP et le Gouvernement ?

Si le chiffre avancé et espéré est correct, j'aimerais que l'on nous dise pourquoi l'Etat, sur la durée, garde par devers lui environ deux milliards d'euros. En effet, le gain attendu de la journée de solidarité n'est pas intégralement affecté au CNSA. L'Etat en garde une partie (M. le ministre fait un signe de dénégation.).Vous pourrez vérifier. Il s'agit alors non plus d'une journée de solidarité pour les personnes âgées et les personnes handicapées, mais d'une journée de solidarité pour les personnes âgées, les personnes handicapés et le budget de l'Etat !

Par ailleurs, si les entreprises produisent et vendent, les collectivités territoriales, pour leur part, ne retireront aucun bénéfice de cette journée de travail supplémentaire. Cette dernière représente donc pour elles uniquement une taxation supplémentaire qu'elles devront, d'une façon ou d'une autre, reporter sur leurs administrés. Aussi, certains contribueront deux fois, en tant que salariés et en tant que contribuables.

La prise en charge des personnes handicapées et, plus généralement, des personnes dépendantes ainsi que leur santé et leur droit à compensation quel que soit leur âge relèvent de la protection sociale. Ces questions doivent être posées dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie.

La création d'une caisse spéciale pour les personnes âgées et handicapées est en contradiction avec le principe de solidarité nationale. Tout autant l'est la proposition de loi de M. Vasselle et de ses collègues de créer une assurance dépendance.

Quelle est donc la position du Gouvernement sur ce dernier sujet et sur les amendements déposés ? Vous sembliez, monsieur le ministre, très réservé en commission. J'aimerais connaître votre position aujourd'hui, pour éclairer nos débats sur les articles qui viendront en discussion.

La CNSA ne gérera pas un risque : elle centralisera seulement des recettes et des moyens financiers qui seront gérés par les départements. Les modalités de cette architecture seront d'ailleurs précisées dans un second projet de loi dont nous n'avons pas connaissance. Comment sera garanti l'égal accès à ces financements et à ces prestations sur l'ensemble du territoire national ? Cette question intéresse les conseils généraux.

La protection sociale implique un effort collectif. La solidarité nationale doit être évaluée globalement et son financement assis sur l'ensemble des revenus.

Ce texte n'est donc pas satisfaisant. On nous dit qu'il a fait l'objet d'une large concertation. Cependant, il ne faudrait pas confondre concertation interne à l'UMP et concertation avec la société civile, monsieur le ministre. Les organisations syndicales, la CNAM, la CNAV, la MSA, l'ACOSS ainsi que les associations représentant les personnes handicapées ont toutes émis un avis défavorable et se sont montrées extrêmement critiques sur ce projet comme sur le projet de loi sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Quant aux auditions auxquelles a procédé la commission des affaires sociales, elles ont été tout à fait courtoises et nombreuses, mais aussi purement formelles, puisqu'il n'a été tenu compte d'aucune remarque et d'aucune suggestion. Rien n'a donc été retenu de ce que nous avons pourtant tous entendu.

Par conséquent, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, nous refusons tout autant la philosophie de ce projet de loi que la solution qu'il prévoit pour le financement du droit à compensation des personnes en situation de handicap (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question dont nous avons à traiter aujourd'hui est à l'évidence cruciale pour une société française qui a fait la triste démonstration de son déficit en matière de solidarité et des lacunes de ses politiques publiques.

Sitôt la catastrophe sanitaire terminée, le Gouvernement a annoncé un ensemble de mesures visant à améliorer la situation des personnes âgées et des personnes handicapées, mais ce n'est qu'aujourd'hui, soit dix mois après l'annonce du plan vieillissement et solidarité, que la question du financement des mesures nouvelles est posée. Inutile de vous dire, monsieur le ministre, que ce laps de temps aura paru très long aux acteurs de la solidarité et aux personnes dépendantes.

Le projet de loi que vous nous présentez est donc une réponse à l'urgence qu'il vous faut gérer. On ne s'étonnera donc pas d'être face à un texte résultant d'une certaine précipitation, peinant à trouver sa place parmi d'autres textes en cours de discussion, et contribuant, de ce fait, à rendre la politique sociale du Gouvernement encore plus illisible.

Nous sommes en effet en plein empilement législatif. M. le rapporteur en convient, d'ailleurs, et nos collègues l'ont déjà dit. Pas moins de quatre projets de loi sont en effet en cours de discussion ou d'élaboration sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui, ce qui entame considérablement la crédibilité de votre action.

Prenons l'exemple du plan d'alerte et d'urgence - c'est l'objet de l'article 1er -, dont vous proposez la mise en oeuvre conjointe par le préfet et le président du conseil général. Il s'agit là de sécurité publique, donc d'une compétence de l'Etat. Une telle mesure ne devait pas nécessairement figurer dans un projet de loi, à moins que, en y associant les collectivités territoriales ou locales, on espère, le moment venu, pouvoir trouver des financements auprès d'elles.

Il en est de même de la contribution financière demandée aux collectivités employeurs. A l'heure où l'on annonce de nouveaux transferts de personnels, la cotisation de 0,3 % sur la masse salariale ne peut que les inquiéter. Dans mon département, cette augmentation correspondra à 129 000 euros dès cette année. Si les effectifs doublent, comme l'on peut s'y attendre avec le transfert des personnels techniciens, ouvriers et de service, des personnels de l'équipement et autres personnels de l'Etat, cela équivaudra, ni vu ni connu, à un quart de point d'impôt en plus au titre des 0,3 %.

A ce sujet, qu'entendez-vous, monsieur le rapporteur, par la nécessité de prévoir une compensation aux collectivités territoriales pour les charges résultant de ce texte ? Vous n'évoquez que les fichiers des communes ; en sera-t-il de même pour les départements en ce qui concerne les transports scolaires et le transport des handicapés durant la journée fériée travaillée ?

Le constat d'une décentralisation tacite est évident. Il est encore plus patent sur la question du handicap, madame la secrétaire d'Etat, puisque, certes, nous ne disposons que du rapport d'étape de M. Raoul Briet et Pierre Jamet, mais que préconise-t-il déjà, si ce n'est une départementalisation complète des procédures d'aide aux personnes dépendantes ? Ne sommes-nous pas en train d'inverser les priorités en dégageant des moyens dont les modalités d'utilisation ne sont pas encore bien définies ?

Mes interrogations sont celles de nombreux responsables d'exécutifs locaux, y compris, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, parmi vos amis. Il aurait été plus judicieux de savoir au préalable qui fera quoi demain et d'où viendront les financements nécessaires, d'une décentralisation bien comprise ou de la fiscalité locale.

Parlons de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. La seule décision concrète du projet de loi réside dans sa création. Nous devinons bien entendu que cette caisse tient pour l'instant davantage du soin palliatif que du véritable remède. Elle est, aux yeux des experts, un modus vivendi permettant d'éviter les arbitrages difficiles entre le cinquième risque, la départementalisation, voire la privatisation du risque dépendance, que réclament certains de nos collègues.

D'où l'intuition que la CNSA sera un objet de comptabilité publique en contrat à durée déterminée. Certains la voient déjà se transformer en agence de financement des prestations nouvelles conférées aux départements, d'autres l'imaginent volontiers réintégrée dans le giron de la sécurité sociale, d'autres encore, comme M. le rapporteur, concluent à son insuffisance à court terme et pensent déjà, sans le dire, à son remplacement pur et simple.

Mais le problème de la CNSA est ailleurs. II réside dans son mode de financement : les contributions entre salariés et détenteurs de capital, mais aussi entre les professions elles-mêmes sont mal réparties.

Mes critiques portent tant sur la forme que sur le fond du prélèvement nouvellement institué

J'ai lu avec attention que M. le rapporteur se félicitait de la neutralité économique de la mesure sur le revenu des salariés. Cela est certes vrai en termes nominaux - la feuille de paye restera identique à court terme -, mais faux en termes réels : la rémunération horaire du travail baissera d'environ 0,45 %, sauf à considérer que le calendrier ne compte plus que 364 jours par an, que le 365e est intemporel et que l'on travaille ce jour-là dans la plus grande allégresse.

De plus, l'allongement de la durée annuelle travaillée risque de réduire le volume des heures supplémentaires demandées aux salariés. Dans cette hypothèse, la perte du pouvoir d'achat d'une année sur l'autre serait avérée.

On remarque, par ailleurs, que le Gouvernement aura enfin tenu l'une de ses promesses, celle de revenir sur la réduction du temps de travail à salaire constant. Je dirai même qu'il innove en augmentant la durée légale du travail pour la première fois depuis un siècle !

Plus fondamentalement, je doute de l'efficacité économique de cette mesure, et ce pour deux raisons. La première tient à son effet sur l'emploi.

En période de faible croissance et de destruction d'emplois industriels, la hausse des cotisations que vous suggérez ne manquera pas d'amoindrir la compétitivité des entreprises, plus particulièrement de celles employant de la main-d'oeuvre, engagées dans des secteurs fortement concurrentiels. L'Union professionnelle artisanale faisait à ce titre fort justement remarquer à la fin de l'année 2003 que la cotisation fait «peser quasi-intégralement le poids de l'aide aux personnes dépendantes sur les entreprises de main-d'oeuvre».

Ainsi, indépendamment des profits réalisés, une entreprise paiera d'autant plus qu'elle emploie ! Tout cela ne manquera pas d'avoir des conséquences sur la création d'emplois.

La seconde raison tient à une production de recettes moindre que prévue, M. le rapporteur pour avis a évoqué ce problème. On est en droit de douter de la pertinence de l'assiette choisie à l'heure où le nombre d'heures travaillées dans le pays ne cesse de décroître en raison de la hausse du chômage : une cotisation sur les salaires, alors que la masse salariale nationale n'évolue pas, puisque l'économie offre moins d'emplois, est pour le moins risquée.

Compte tenu de la déprime économique, les recettes attendues en faveur de la CNSA sont très probablement surévaluées.

Enfin, il est tout à fait anormal, comme l'a fait remarquer M. le rapporteur pour avis, que ne contribuent à la CNSA que les seuls salariés, qui paieront tout de même 1,6 milliard sur les 1,9 milliard d'euros nouvellement prélevés.

Il apparaît finalement que la principale modalité de financement de la CNSA ne va pas sans soulever d'importantes difficultés. Elle n'est ni socialement juste, ni économiquement neutre, ni même garantie dans son efficacité en termes de prélèvement.

Ce projet de loi est bel et bien une occasion manquée Ses aspects positifs, par exemple le rapprochement tout à fait justifié entre vieillesse et handicap, qui sont deux situations comparables de perte d'autonomie, sont totalement occultés par ses flagrantes insuffisances.

Pour conclure, je veux attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les compléments dangereux qu'a souhaité apporter la commission des affaires sociales du Sénat au projet de loi. Je veux parler de la batterie d'articles additionnels avant l'article 12 ayant trait aux diverses exonérations fiscales et sociales, individuelles ou collectives, en faveur des souscripteurs de contrats privés d'assurance dépendance.

La commission propose que les contrats d'assurance dépendance souscrits par les entreprises soient déduits de l'assiette des cotisations patronales : à cette lecture, on est pris d'une certaine inquiétude. Cela signifierait que, là où existe un système d'assurance d'entreprise, la journée travaillée n'occasionnerait pas de prélèvement supplémentaire. Chaque salarié paierait donc son assurance par son jour de travail supplémentaire en dehors de toute solidarité nationale ! Mieux vaut, dans de telles conditions, clairement dire aux salariés qu'ils se paient des complémentaires !

Cette incitation à la couverture complémentaire est d'ailleurs de nature à gêner la réflexion sur une véritable garantie collective face à la perte d'autonomie. L'incitation à la couverture individuelle, en matière de santé, de retraite ou de perte d'autonomie, a toujours le même objet et la même conséquence : faire reculer le champ de la solidarité et développer les inégalités.

On sait que la prise en charge collective de la dépendance coûtera cher. Mais cessons les gémissements gestionnaires obtus qui empoisonnent nos débats : l'APA coûte aujourd'hui moins de 0,1 % du PIB estimé pour 2004. Si, demain, la totalité de la dépense d'autonomie devait être prise en charge par la collectivité, à savoir les 13 milliards d'euros mis en avant par M. le rapporteur, elle équivaudrait à moins de 0,8 % du même PIB pour 2004. N'est-ce pas là un choix de société parfaitement défendable et acceptable ?

Il importe que les choses soient claires pour nos concitoyens : soit la dépendance est considérée, dans un esprit libéral, comme une vicissitude de l'existence individuelle et doit relever de l'assurance privée - il faut alors que le Gouvernement le dise aux personnes âgées et handicapées -soit, comme nous le pensons, elle est un risque social à part entière et, dans ce cas, il nous faut en prendre la mesure dans le cadre de la solidarité nationale.

Le principe de fonctionnement de notre modèle social, c'est la solidarité entre actifs et retraités, entre bien portants et malades, entre travailleurs et chômeurs, entre riches et pauvres. J'ai la conviction que cette règle doit de nouveau s'appliquer dans le cas de la dépendance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.

M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais d'abord saluer M. André Lardeux, rapporteur de la commission des affaires sociales, et M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis de la commission des finances, pour la pertinence des analyses qu'ils ont développées à cette tribune sur ce texte tout à fait important, qui vient à son heure combler un vide que les concepteurs du dispositif avaient laissé lors de sa création : il fallait lui assurer des ressources, rendons hommage au Gouvernement, qui a pris cette responsabilité courageusement.

Je voudrais ensuite exprimer deux préoccupations sous forme d'interrogation, d'abord à propos de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

J'en comprends bien le principe, mais je me demande s'il est judicieux de créer cette caisse (MM. Claude Domeizel et Guy Fischer s'exclament.), qui se substitue au Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie et qui devrait avoir pour mission de contribuer au financement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

Toutefois, je note que les missions définitives de cette caisse ne sont pas connues. Le contenu du titre III du projet de loi me paraît quelque peu prématuré. Nous devons attendre que MM. Raoul Briet et Pierre Jamet, à qui M. le Premier ministre a confié une mission de réflexion sur le périmètre et sur les activités de cette institution de solidarité pour l'autonomie, ainsi que sur ses modes de fonctionnement et de financement, nous fassent part de leurs réflexions. Leurs conclusions ne sont pas encore connues.

Je pense qu'il serait prudent, avant de consacrer cette caisse, de s'interroger, d'abord parce que ses charges dépendront en partie de l'adoption du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, actuellement en discussion en première lecture à l'Assemblée nationale, et en particulier de la prestation de compensation du handicap.

M. Jean Arthuis. Je me souviens, comme chacun ici, des critiques que nous avons formulées contre des financements compliqués dont la figure emblématique est le FOREC. Nous voudrions être sûrs que cette caisse ne sera pas une source de complications supplémentaires de nos modes de financement.

Je pense que cette création législative est quelque peu prématurée, car cette caisse ne sera du ressort ni de la loi de finances ni de la loi de financement de la sécurité sociale, ce qui, me semble-t-il, est contraire à l'esprit de transparence voulu par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Cela a motivé le souhait qu'a exprimé excellemment M. Gouteyron au nom de la commission des finances.

Deux recettes nouvelles sont affectées à cette caisse : d'une part, une contribution de 0,3% de la masse salariale à la charge des entreprises et des collectivités publiques et, d'autre part, une contribution de 0,3% sur les revenus du patrimoine et des produits de placements.

L'affectation de ces recettes à une telle caisse nuit à la lisibilité des comptes publics. Une dotation budgétaire aurait, semble-t-il, été plus satisfaisante à cet égard et plus conforme à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Claude Domeizel. Bien sûr !

M. Jean Arthuis. Il est imaginable, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, d'inscrire au budget de l'Etat des crédits qui seraient versés par dotation aux départements chargés de mettre ensuite les fonds à la disposition des personnes concernées.

C'est la première réserve...

M. Claude Domeizel. Elle est de taille !

M. Jean Arthuis. ... que je formule sur le mode interrogatif.

En second lieu, je me demande si l'institution d'une contribution sur les salaires est bien conforme à l'idée que nous nous faisons des mesures à prendre pour tirer toutes les conséquences de la globalisation de l'économie.

Nous vivons sous l'empire d'impôts de production mis à la charge des entreprises, qu'il s'agisse de taxe professionnelle ou de charges sociales sur les salaires. Or, à l'heure de la mondialisation, tous ces impôts de production « organisent » en quelque sorte le nomadisme économique.

Nous mesurons bien la pression qui s'exerce sur toutes les entreprises qui produisent des biens et des services ; sous l'effet de la concurrence, elles sont tentées, pour rester compétitives, d'aller produire ailleurs.

Autrement dit, n'y a-t-il pas une contradiction entre le souhait, qui nous anime tous, de prévenir les risques de délocalisation et l'institution d'une charge qui vient alourdir le coût du travail ?

Bien sûr, je comprends que la cotisation est la contrepartie d'un supplément de travail et qu'il convient dès lors de demander aux entreprises d'en restituer une fraction pour assurer le financement de cette oeuvre de solidarité.

Je voudrais cependant mettre en garde le Gouvernement contre toutes les tentations qu'il pourrait avoir à l'avenir d'alourdir encore le poids des charges sociales.

Nous sommes suspects de concentrer les charges sur les entreprises sédentarisées. Tout accroissement des cotisations est un facteur de délocalisation de nature à altérer la cohésion sociale, à réduire nos capacités de relance économique et nos chances d'avoir un supplément de croissance.

Nous devons donc avoir une vision plus globale de l'économie et des contraintes que nous faisons peser sur les entreprises. Nous devons prévenir cette contradiction.

Je ne suis pas certain que toutes les entreprises seront capables de produire plus parce qu'elles auront travaillé un jour de plus, mais je salue cette contribution à la reconnaissance du travail.

Il n'y aura ni croissance ni progrès social si l'on s'obstine à travailler moins, et ce texte, même s'il peut faire ici ou là l'objet de contestations, délivre un signe qui nous oriente dans la bonne direction.

Madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, je me permets d'insister encore sur le fait que tout alourdissement de charge sociale est un facteur de délocalisation et donc une contribution à la création d'emplois sur le territoire des nouveaux membres de l'Union européenne, mais aussi en Asie et ailleurs.

Telles sont les deux réserves que je souhaitais exprimer à cette tribune ce soir, mais, encore une fois, je veux saluer le Gouvernement : il prend une initiative pour assurer le financement d'un dispositif que ses auteurs n'avaient pas doté des ressources dont il avait besoin pour vivre et répondre à son objet. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Hubert Falco, ministre délégué. Je m'adresserai d'abord à M. le rapporteur, dont le travail remarquable a été salué sur toutes les travées, du moins de droite, de cette assemblée.

Vous avez, monsieur le rapporteur, rappelé nos difficultés : des projets annoncés mais non financés et des réformes indispensables, et d'importance, qui, malgré une croissance ô combien favorable, n'ont pas été engagées.

Pour la réforme des retraites, par exemple, on a distillé pendant des années des rapports - j'en ai été témoin à l'Assemblée nationale puis au Sénat - sans s'armer du courage nécessaire pour la mettre en place.

Vous avez soulignez l'urgence de la mise en place d'un plan de veille et d'alerte, hélas ! sans précédent : s'il y avait eu un plan de veille et d'alerte durant la terrible canicule de 2003, peut-être n'aurait-on pas enregistré le même nombre de décès.

Vous avez évoqué la journée de solidarité et parlé de geste de fraternité. Je l'ai dit, entre toucher au pouvoir d'achat des Français et leur demander un geste de fraternité, la démarche la plus simple était la première, puisque c'était celle du prélèvement par l'impôt, mais nous avons choisi la démarche de fraternité.

Vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, déposer des amendements de précision. Je suis certain qu'ils vont enrichir tout à la fois le débat et le texte que le Gouvernement vous propose, et nous en discuterons bien volontiers.

Vous avez fait un exposé précis et une analyse pertinente.

S'agissant des recettes, vous craignez qu'elles ne soient inférieures aux prévisions initiales. Je souhaite relativiser cette inquiétude : ces prévisions reposent sur des données qui laissaient présager une évolution moindre de la masse salariale. Or les récentes prévisions de croissance qui nous sont données par l'INSEE font apparaître que le produit intérieur brut augmentera en 2004 de manière plus favorable que ce qui était attendu en début d'année.

M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, qui préside maintenant la séance, a, quant à lui, qualifié le programme d'ambitieux.

La mise en place de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie était en effet indispensable, notamment pour pérenniser les financements de l'APA.

Nous avons financé et sauvé l'APA grâce à la loi votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, grâce aux mesures que nous avons prises et grâce aux mesures que nous prendrons, en particulier grâce à la mise en place de cette caisse.

Certes, nous attendons le rapport de MM. Briet et Jamet - demande formulée par bon nombre d'intervenants -- pour tirer des conclusions définitives sur la CNSA, qui sera certainement consolidée par ce rapport.

Cette caisse sera d'une transparence complète. Son produit, comme je m'en suis expliqué, ne sera pas fondu dans le budget de l'Etat ou dans les comptes de la sécurité sociale, mais effectivement affecté à un organisme bien identifié qui aura la forme d'un établissement public et sera doté d'un organe de surveillance associant les élus, les parlementaires, les partenaires sociaux et le milieu associatif.

Nous souhaitons mettre en place une politique globale et forte en faveur des personnes dépendantes.

L'épargne populaire ne sera pas soumise au prélèvement social, mais les produits du capital seront touchés ; ils participeront à l'effort de solidarité, à concurrence de 0,3 %.

M. le rapporteur pour avis nous interroge sur les raisons de prévoir dès maintenant la création de cet organisme nouveau. C'est qu'il y a urgence, tant pour mettre en place le plan de veille et d'alerte que pour financer l'APA et pour dégager les crédits nécessaires à la médicalisation des établissements.

Une amélioration des taux d'encadrement a été réclamée. Il est indispensable qu'aux 300 millions d'euros de l'ONDAM déjà prévus au 1er janvier de cette année on ajoute 170 millions d'euros : ces 470 millions d'euros nous permettront de signer 2 000 conventions tripartites en 2004, chiffre jamais atteint auparavant, et de créer quelque 160 000 places médicalisées de plus cette même année.

Il y avait urgence, puisque c'est la mise en place de la caisse qui nous permet d'opérer les prélèvements dès le 1er juillet, sans attendre la fin de l'année.

Monsieur Mouly, vous êtes revenu sur le drame de l'été 2003. Vous avez aussi mis l'accent sur le geste de fraternité.

Vous avez à juste titre parlé de l'évolution démographique et de l'urgence qui s'attache à l'adaptation de notre politique à la démographie de notre pays. Il nous était difficile d'attendre que le dossier de l'assurance maladie soit « bouclé » justement du fait de cette urgence.

Nous avons voulu traiter la dépendance en général, celle des personnes âgées et celle des personnes handicapées. C'est la raison pour laquelle ma collègue responsable des personnes handicapées et moi-même présentons ensemble ce projet de loi.

Au sujet du plan de financement, vous avez souligné que ce dernier posait les bases d'une politique appelée à devenir de plus en plus ambitieuse.

Comme vous l'avez dit, il est indigne d'employer le mot « corvée », comme on l'a fait ici ou là au cours de la soirée, ...

M. Claude Domeizel. Pourquoi ? Consultez le dictionnaire !

M. Hubert Falco, ministre délégué. ...s'agissant des égards dus à nos aînés.

C'est en effet un appel à la générosité des Français qui est lancé à travers ce projet de loi.

Vous avez raison d'insister sur la nécessité de la coordination gérontologique. Je puis vous assurer que le financement des CLIC sera assuré en 2004, puisque les 22 millions d'euros dégagés à cet effet ont déjà été affectés.

Monsieur Fischer, j'ai constaté la divergence de nos points de vue, mais apprécié la décence de vos propos.

On peut exprimer sur les différentes travées d'une assemblée des points de vue différents, mais il faut le faire avec dignité ; vous l'avez fait, sans humour lourd et déplacé, contrairement à d'autres (Murmures sur les travées socialistes)...

M. Claude Domeizel. La vérité vous gêne !

M. Hubert Falco, ministre délégué. ... qui, d'ailleurs, ne m'ont pas déçu : je les connais depuis longtemps et je sais que c'est leur pratique habituelle !

Vous ne partagez donc pas notre point de vue, monsieur Fischer. Vous affirmez ainsi que l'urgence nous sert de prétexte. Non, ce n'est pas un prétexte. Il y avait vraiment urgence ! Le constat que j'établis, et qui en choque plus d'un, c'est que l'urgence tient au fait que, dans ce pays, l'on n'avait jusqu'alors jamais pris conscience de cette véritable révolution sociale que représente le vieillissement. Les gouvernements, de droite ou de gauche, qui se sont succédé n'avaient pas mis en place une véritable politique qui l'anticipe et la prenne en compte.

J'en veux pour preuve le fait que le gouvernement précédent, que vous souteniez, a signé 330 conventions entre 2000 et 2002 : 330 conventions en deux ans ! Le chiffre est exact, vous pouvez le vérifier. Il n'a d'ailleurs pas été contesté à l'Assemblée nationale lorsque je l'ai cité à diverses reprises.

Pour notre part, nous avons conclu 700 conventions au cours du second semestre de l'année 2003, et 1 000 pour l'ensemble de l'année dernière. Et cela demeure largement insuffisant.

Les moyens dont nous allons disposer grâce à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie nous permettront de signer 2 000 conventions en 2004. Cela servira à l'amélioration du taux d'encadrement dans les maisons de retraite et au renforcement de la médicalisation avec, je l'ai dit, 160 000 lits médicalisés.

Ce sont là des efforts importants que nous allons consentir pour la prise en charge des personnes âgées ou handicapées, à domicile ou en établissement. Ainsi, 17 000 places de soins infirmiers à domicile pourront être créées.

Vous avez en outre évoqué une absence de lisibilité. Je le répète, monsieur Fischer, ce texte est ce qu'il est, il peut paraître insuffisant à certains, mais il a le mérite d'apporter des réponses et des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui.

Par exemple, nous créons un dispositif de veille et d'alerte ; rien de tel n'existait jusqu'à présent. On a ironisé sur les plans bleus, rouges, verts, et autres. Pour ma part, je n'ironise pas quand il s'agit de la vie de nos anciens. Il existe un plan blanc pour les hôpitaux, mais rien n'était prévu pour les maisons de retraite, qu'elles soient publiques ou privées, associatives ou locales : nous mettons en place les plans bleus pour remédier à cette lacune.

Quand on exerce des responsabilités comme les miennes, il est bien difficile de savoir ce qui se passe réellement dans l'ensemble des départements de France. Or le dispositif de veille et d'alerte nous permettra de déclencher, le cas échéant, le plan bleu, c'est-à-dire une mobilisation générale, en cas de situation de crise, qu'il s'agisse d'une canicule, d'un coup de froid ou de toute autre forme de difficulté. Cela n'était pas possible auparavant.

En ce qui concerne la journée de solidarité et le dispositif des 35 heures, j'ai déjà expliqué qu'une contribution à hauteur de 4 % de 175 heures ne constituait pas une remise en cause des 35 heures. Vous choisissez le prélèvement et l'impôt, nous choisissons l'effort de solidarité.

M. Rodolphe Désiré a évoqué l'urgence d'une manière réaliste. La cotisation de 0,3 % assise sur la masse salariale que devront acquitter les employeurs en contrepartie de la journée de travail supplémentaire ne mettra pas en péril la compétitivité des entreprises ou l'emploi. Dès lors, si la France, comme cela semble heureusement se confirmer, connaît une période de croissance, les entreprises, ainsi préservées, pourront créer des emplois nouveaux.

Monsieur Domeizel, à l'humour déplacé dont vous avez usé au cours de votre intervention, je ne répondrai que par le mépris. On ne fait pas de l'humour à propos d'une crise ayant provoqué 15 000 décès dans le pays !

M. Claude Domeizel. Vous n'avez pas de réponse !

M. Hubert Falco, ministre délégué. Ce n'est pas digne de personnes responsables ! Vous avez employé des termes dérisoires ou grotesques, que je ne commenterai pas. Nous avons des choses plus intéressantes à faire dans cet hémicycle !

En réponse à l'intervention de Mme Létard, j'indiquerai que l'urgence était de financer l'APA, de développer la médicalisation, de dégager davantage de moyens pour l'aide à domicile.

Le choix que nous faisons d'opérer un prélèvement nous semble équitable. Effectivement, les professions libérales, les travailleurs indépendants, les agriculteurs participeront à l'effort de solidarité au travers des salariés qu'ils emploient.

Mme Létard a estimé que la création d'une nouvelle caisse pouvait semer la confusion. Il est clair, cependant, que les caisses de sécurité sociale continueront de financer des soins, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie devant financer une prestation nouvelle au titre de la prise en charge de la dépendance.

Mme Létard a enfin rappelé à juste titre les propos et les travaux remarquables du professeur San Marco, ainsi d'ailleurs que la contribution de la mission parlementaire du Sénat, que j'ai saluée. C'est pour tenir compte de toutes ces propositions que le texte prévoit un recensement des personnes isolées sous la responsabilité des maires, qui sont des acteurs de proximité. En effet, qui mieux que le maire, aidé par son centre communal d'action sociale, connaît les cas de personnes isolées, peut recenser toutes celles et tous ceux qui ont vraiment besoin de la solidarité ? Le maire, dont nous avons dégagé la responsabilité par le biais d'un amendement accepté par l'Assemblée nationale, doit être un acteur essentiel de cette solidarité.

M. Vasselle a notamment mis l'accent sur la maladie d'Alzheimer. Il s'agit là d'un véritable drame, dont l'ampleur sera comparable, dans les années à venir, à celle du cancer. C'est un authentique problème de société, qui touche les malades, bien sûr, mais aussi leurs familles.

La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie nous permettra de créer 4 500 places d'hébergement temporaire et 8 500 places d'accueil de jour.

Cette caisse est d'une complète transparence. Elle est constituée sous la forme d'un établissement public national à caractère administratif, et ses organes de surveillance associeront les élus - parmi lesquels, naturellement, les maires, eu égard au rôle qu'ils auront à jouer dans l'effort de solidarité -, les parlementaires, les partenaires sociaux et les représentants des milieux associatifs.

En ce qui concerne la création d'une assurance dépendance, ce point mérite une discussion approfondie, qui aura lieu lors de l'examen des amendements.

Par ailleurs, le plan d'alerte et d'urgence est opérationnel. Son volet « canicule », présenté le 5 mai dernier, permettra le déclenchement du niveau 1 dès le 1er juin sur l'ensemble du territoire national. Ce niveau 1 garantit la bonne coordination des services. Je rappelle que ma circulaire sur les pièces rafraîchies date du 10 février 2004 et que l'Etat assure 40 % du financement correspondant.

Quant à M. Godefroy, c'est ma collègue secrétaire d'Etat aux personnes handicapées qui lui répondra pour l'essentiel, puisqu'il a axé son intervention sur le handicap.

Pour ma part, j'observerai simplement qu'il a indiqué que nous avions gelé 300 millions d'euros affectés aux maisons de retraite. Or, pour geler des crédits, encore faut-il qu'ils aient été auparavant inscrits ! Vos amis, monsieur Godefroy, avaient prévu de budgéter 180 millions d'euros à ce titre pour 2002. Ils ne l'ont jamais fait ! A mon arrivée au ministère, j'ai cherché en vain la trace de ces 180 millions d'euros ! Nous n'avons pas pu geler 300 millions d'euros, car vous n'aviez pas inscrit de crédits.

Certes, les moyens que nous avons consacrés en 2003 à la médicalisation sont très insuffisants. Ils nous ont cependant permis de conclure de 1 000 à 1 500 conventions tripartites.

Vous avez le droit de juger notre effort trop limité, mais je n'ai pas pu geler 300 millions d'euros, car je ne sais pas où j'aurais pu les trouver !

M. Cazeau s'est interrogé sur le fait que l'on puisse inscrire le plan d'alerte et d'urgence dans la loi. Je ne pense pas que cela soit anormal : par la loi, on responsabilise l'ensemble des acteurs. C'est un choix que nous avons fait, mais que vous avez bien sûr le droit de contester, monsieur le sénateur.

Par ailleurs, vous trouvez bizarre que l'on puisse rapprocher vieillissement et handicap. D'autres pensent pourtant avec nous qu'il est bon d'essayer de traiter la dépendance de manière globale. La dépendance est vraiment un risque social.

Nous créons rapidement la CNSA afin de pouvoir lui confier dès le 1er juillet prochain la gestion des crédits qui seront dégagés grâce à la journée de solidarité. J'ai déjà expliqué que, s'agissant de la médicalisation, nous pourrions mobiliser 170 millions d'euros, qui viendront abonder les 300 millions d'euros actuels, financer l'APA à hauteur de 400 millions d'euros, qui s'ajouteront aux 900 millions d'euros du fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie, enfin rembourser les 400 millions d'euros dus au titre de l'emprunt contracté en 2003.

Cette caisse, monsieur le sénateur, sera consolidée après une vaste concertation sur le contenu du rapport Briet-Jamet, qui n'est qu'un rapport, c'est-à-dire un document similaire à ceux que produit le Parlement et qui devra être discuté par ce dernier. Ce rapport enrichira certainement notre réflexion en vue de la consolidation de la CNSA.

Nous pensons donc que notre démarche est méthodique et permet de concilier les exigences de l'urgence et celles de la démocratie participative.

Monsieur Arthuis, vous auriez préféré que nous attendions les conclusions du rapport de MM. Briet et Jamet pour créer cette nouvelle caisse: elles ne feront que la consolider.

Vous évoquez une création législative prématurée, je m'en suis expliqué ; la médicalisation, l'APA, l'aide à domicile, les moyens qu'il nous faut dégager dès le 1er juillet de cette année, telle est l'urgence.

Vous jugez que la contribution sur les salaires est un impôt de production ; je vous rappelle qu'elle s'élève à 0,3 % ; en contrepartie, les entreprises bénéficieront d'une journée de production supplémentaire et je ne pense pas que cela entraînera des complications, comme ce fut le cas pour le FOREC. En effet, le dispositif ne prévoit pas de financements croisés ; il repose pour l'essentiel sur la contribution de 0,3 %, qui s'ajoutera à la fraction de 0,1 % de CSG qui était déjà affectée au FFAPA. Il s'agit bien d'une affectation directe de l'effort que représente la journée de solidarité.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je souhaitais formuler en réponse à vos propos. Le débat qui s'est instauré a été, à de rares exceptions près, de qualité et nous permettra certainement d'améliorer et d'enrichir le texte que nous vous proposons.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat. Monsieur Fischer, vous avez critiqué le manque de coordination dans la construction législative. L'ambition d'un dispositif législatif unique visant des sujets aussi complexes que la dépendance et l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapée est noble, mais quasi impossible à concrétiser. La progressivité de la démarche, la construction pas à pas d'une législation est une possibilité dont il ne faut pas se priver.

Vous évoquez la sortie du champ de la sécurité sociale du risque dont nous débattons. Je tiens tout de même à vous rappeler que la dépendance liée à l'âge ou la dépendance liée au handicap sont deux risques par nature détachés de la situation de salarié. Il n'y a donc pas de contradiction à traiter dans des espaces différents et avec des références différentes le traitement de ces deux risques.

Il est en outre intéressant d'observer que les organismes de protection sociale auxquels vous faites allusion sont membres du CNCPH et qu'à ce titre ils ont approuvé, dans leur collégialité, la création de la CNSA. Par conséquent, je ne vois pas là non plus poindre de contradiction.

Monsieur Domeizel, vous avez parlé de « machine infernale » et d'éclatement de la sécurité sociale. Je comprends le caractère « pyrotechnique » de votre présentation, (Sourires), mais je ne parviens pas à entrer dans votre logique : songez que nous proposons enfin aux personnes handicapées un droit à compensation complet de leur handicap. Je ne vois pas en quoi vos remarques pourraient constituer une réponse fiable aux attentes de ces personnes.

MM. Bernard Cazeau et Jean-Pierre Godefroy ont traité plusieurs points que j'associerai concernant la CNSA.

S'agissant tout d'abord du chiffre cité par le Premier ministre lors du congrès de l'UNAPEI à Lyon, une clarification est nécessaire. Le financement spécifique de la CNSA représente 850 millions d'euros, auxquels il faut ajouter les financements issus de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Ces éléments additionnés permettent d'atteindre l'enveloppe citée par M. le Premier ministre, soit 1 milliard d'euros.

Le coût global consolidé du handicap dans notre pays, comprenant l'intégralité des financements associés et des coûts liés à cette question, est certes estimé à plus de 22 milliards d'euros. Toutefois, ce sont 850 millions d'euros nets supplémentaires que nous évoquons, je tenais à vous le rappeler.

Concernant le handicap, monsieur Godefroy, vous avez longuement évoqué le projet de loi sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Vous comprendrez, monsieur le sénateur, que je ne puisse entrer ce soir dans ce débat, puisque la première lecture est achevée au Sénat et qu'elle n'a pas encore eu lieu à l'Assemblée nationale. Je tiens toutefois à vous préciser que les semaines passées ont été mises à profit, et j'ose espérer que les remarques des parlementaires seront prises en compte ; vous pourrez ainsi nous juger à l'issue de la procédure parlementaire.

Monsieur Mouly, vous avez rappelé l'enjeu qui sous-tend la mise en place de la CNSA, et je vous en remercie. Pour comprendre l'esprit d'un tel dispositif, il convient évidemment de le situer par rapport à l'objectif que nous lui assignons, Hubert Falco et moi-même. Le besoin de financement est celui de notre pays pour la prise en charge de la dépendance et de l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées aujourd'hui.

Nous savons d'expérience que nos concitoyens sont capables de faire des dons substantiels et de mobiliser leur énergie pour répondre à des questions précises dès lors qu'ils ont le sentiment que leur effort est efficace et ne se perd pas dans la « tuyauterie » indistincte des prélèvements divers. A ce titre, le don d'une journée de temps libre est emblématique de la collectivité nationale.

Vous avez également abordé, monsieur le sénateur, le choix pertinent des opérateurs au plus près des besoins, la question du maillage, de la collectivité locale la plus petite jusqu' au département et, pourquoi pas, jusqu'à la région, qui peut avoir à jouer son rôle dans ce dispositif le moment venu.

Quant à la distinction que l'on peut établir entre la perte d'autonomie caractéristique du grand âge et la quête d'autonomie des personnes handicapées, elle est de taille, car elle s'articule à la notion fondamentale de projet de vie - projet de fin de vie pour les uns, projet de vie pour les autre. Or c'est dans l'esprit du projet de vie que le droit à compensation prend sa place. Ce projet de loi vise à le financer.

Monsieur le rapporteur, je m'associe aux félicitations que mon collègue Hubert Falco vous a adressées pour le travail que vous avez effectué. Je répondrai conjointement à vos questions, à celles de M. le rapporteur pour avis et à celles de M. Alain Vasselle.

Vos questions étaient précises, je vous répondrai donc au moyen de données chiffrées.

Sur le plan macroéconomique, il convient d'évaluer les sommes qui sont en jeu dans la création de la CNSA. Nous nous sommes fixé une enveloppe de 850 millions d'euros correspondant à cinq programmes.

Un programme en aides humaines, c'est-à-dire en services d'auxiliaires de vie, d'un montant de 400 millions d'euros environ, vise à proposer aux personnes handicapées des solutions d'accompagnement aussi précises que possibles. Pour ce qui concerne les personnes très lourdement handicapées, l'évaluation est comprise entre 180 et 200 millions d'euros. Il convient parallèlement d'améliorer l'actuelle ACTP, l'AES pour les dépenses ponctuelles et la situation des parents isolés et des aidants familiaux dans ce cadre.

Un autre programme concerne les aides techniques, qui s'établissent entre 150 et 200 millions d'euros. Ces sommes permettent de couvrir les trois quarts du reste à charge actuel des personnes handicapées et constituent donc un apport substantiel.

Les programmes d'aide au logement, dont le montant varie de 50 à 80 millions d'euros dans nos estimations, reposent sur les dépenses de l'Etat dans les sites de la vie autonome tels que nous avons pu les évaluer.

J'en viens au programme relatif au handicap psychique. Pour la première fois, le handicap psychique est reconnu par la loi. Le programme qui lui est consacré, à hauteur de 50 millions d'euros, permettra de créer des solutions particulières, à la demande de l'association UNAFAM.

Il s'agit enfin d'aides exceptionnelles diverses dont nous avons toujours besoin en matière de handicap, soit 50 à 100 millions d'euros.

L'addition de ces programmes correspond à peu près à l'enveloppe indiquée, avec un effet de levier considérable par rapport à la situation actuelle. Evidemment, ces programmes ne peuvent s'inscrire dans l'esprit du droit à compensation que si nous sommes en mesure d'établir de nouvelles grilles d'évaluation du besoin associé. D'ores et déjà, une mission de l'Inspection générale des affaires sociales y travaille et un premier rapport a été rendu. Ces travaux sont en cours, mais nous serons en mesure de disposer d'outils d'évaluation spécifiques pour le handicap afin de gérer la question précise du droit à compensation.

M. le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, s'est interrogé sur la pertinence de la création de la caisse. C'est en effet une question de fond.

J'ai évoqué à l'instant l'importance que revêtaient, à nos yeux, ces idées de fléchage et de dépenses abouties jusqu'à une utilisation. En ce sens, monsieur Arthuis, cette possibilité d'assortir une mesure et une évaluation à un dispositif tel que celui-ci est assez « LOLFienne » !

Par ailleurs, vous avez soulevé, monsieur Arthuis, la question extrêmement précise du financement du droit à compensation. Vous l'avez abordée sous l'angle de l'attractivité du territoire et de la performance de notre pays en vous interrogeant sur le risque que faisait courir le don d'une journée de temps libre.

Selon moi, au contraire, le droit à compensation, corollaire de la CNSA, ouvre tout un champ de créativité économique inédit : possibilité d'innover en matière d'aide technique, création de nouveaux emplois, émergence de nouvelles richesses et de nouvelles formes d'attractivité de notre territoire.

Par ailleurs, monsieur Arthuis, je puis vous dire que ces emplois ne seront pas délocalisables !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées
Renvoi à la commission (début)

M. le président. Je suis saisi, par MM. Chabroux, Cazeau, Domeizel, Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 33, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (n° 299, 2003-2004).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Gilbert Chabroux, auteur de la motion.

M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après la canicule de l'été dernier et son terrible bilan, le premier réflexe du Gouvernement, sa première réaction, a été de désigner des coupables : tour à tour, ont été montrés du doigt les familles, qui ne s'occuperaient pas de leurs parents, les services médicaux et les généralistes, qui n'auraient pas été suffisamment présents et disponibles, la société, qui, d'une façon générale, laisserait se distendre les liens et régresser les valeurs collectives, les salariés, qui ne travailleraient pas assez et priveraient ainsi la France des ressources nécessaires à la prise en charge et à l'accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées.

On a même entendu des membres éminents de la majorité s'exclamer que c'était la faute des 35 heures ! Une fois de plus, c'était une question d'héritage ! Les personnes dépendantes méritent mieux, de la part de la nation, que d'être assimilées à un fardeau !

Vous avez désigné beaucoup de coupables. En fait, il s'agissait d'autant de rideaux de fumée pour faire oublier qu'il n'y avait personne, ni pilote ni passagers, dans l'Airbus gouvernemental, et que l'avion n'avait même pas de cap !

Je ne parle pas spécialement pour vous, monsieur le ministre, car vous étiez, je crois, sur le terrain. Mais nous ne pouvons pas oublier les atteintes graves, préjudiciables, qui avaient été portées à l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, pas plus que les contraintes qui avaient été imposées aux personnes âgées dépendantes pour réaliser 400 millions d'euros d'économies, alors que, dans le même temps, le Gouvernement allégeait de 500 millions d'euros l'impôt de solidarité sur la fortune.

Nous n'oublions pas non plus les 300 millions d'euros qui étaient destinés aux maisons de retraite et que vous avez gelés et supprimés.

Cependant, je ne voudrais pas trop m'appesantir sur la canicule de l'été 2003. Il existe des rapports parlementaires sur lesquels il n'est pas nécessaire de revenir. La canicule a permis, et c'est important, une prise de conscience plus aiguë des problèmes que posent le vieillissement et la dépendance, qui constituent, pour reprendre votre expression, monsieur le ministre, une véritable « révolution sociale ».

La dépendance doit être considérée comme un risque social à part entière et, à ce titre, doit être prise en charge solidairement par la collectivité nationale. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français face à de tels risques.

Alors qu'un très large débat aurait dû s'ouvrir dans le pays sur les formes à donner à cette solidarité, sur l'expression qu'elle devrait revêtir, sur l'organisation qu'il conviendrait de mettre en place, le Gouvernement a présenté un plan vieillissement-solidarité, au début du mois de novembre dernier, sans qu'il y ait eu la moindre concertation préalable.

Le Premier ministre a décidé que cette charge pèserait essentiellement sur les salariés. Ainsi serait instaurée une journée supplémentaire de travail - initialement, le lundi de Pentecôte - pour financer l'aide aux personnes dépendantes et une nouvelle caisse serait créée, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Les partenaires sociaux ont été, eux-mêmes, placés devant le fait accompli, alors que les dispositions envisagées portent une atteinte grave au droit du travail.

Il y a de quoi être surpris et choqué : nous gardons en mémoire les déclarations du Président de la République et celles du Premier ministre affirmant leur attachement au dialogue social. Le Président de la République avait déclaré, le 14 juillet dernier, qu'il fallait « en finir avec la vieille culture de l'affrontement ». Le Premier ministre, dans son discours de politique générale, le 3 juillet 2002, s'était déjà engagé à « s'ouvrir à la démocratie sociale », au « dialogue social, qui est le préalable nécessaire au règlement de nos dossiers majeurs ».

Une loi a même été votée, il y a quelques mois, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Ce texte prévoit que le Gouvernement prend l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme législative relative au droit du travail.

Or ce projet de loi est bien de nature à modifier en profondeur le droit du travail. Pourquoi n'y a-t-il eu aucune négociation avec les partenaires sociaux ? Force est de constater, une fois de plus, qu'il y a loin des discours du Gouvernement à ses actes, et que ses promesses n'engagent que ceux qui les écoutent !

Pas plus que les organisations syndicales - salariales ou patronales - ou que les grandes associations qui interviennent dans le domaine de la dépendance, les organismes de sécurité sociale n'ont été consultés, alors que l'objectif devrait être de compléter les interventions des branches maladie et vieillesse de la sécurité sociale sur le terrain de l'accompagnement social des personnes âgées ou handicapées, à domicile ou en établissement.

Ces organismes, la CNAM, la CNAV, la MSA, l'ACOSS, ont exprimé très vivement leur désapprobation à l'égard de la méthode employée et mis en garde contre les dangers que recèle ce projet de loi. Selon leurs propres termes, ce texte porte en germe « une rupture du pacte de solidarité » en ce qu'il s'engage vers une partition insupportable dans la prise en charge des soins.

La rupture du pacte de solidarité est bien ce qui caractérise ce dispositif, tant il est générateur d'inégalités ; c'est d'ailleurs un abus de langage que de parler à son sujet de solidarité !

La Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, la FNATH, a ainsi déclaré : « La suppression d'un jour férié pour financer la politique en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées constitue une mesure stigmatisante pour les personnes concernées ». La FNATH a, par ailleurs, dénoncé le mode de financement, qui n'est pas universel, dans la mesure où il ne met pas à contribution l'ensemble des Français et des revenus.

Le Comité pour le droit au travail des handicapés et l'égalité des droits, le CDTHED, fait valoir que les handicapés et leurs familles ne veulent pas être tributaires de la charité publique obligatoire organisée par la suppression d'un jour férié.

En faisant porter la charge sur les salariés, qui devront travailler une journée supplémentaire sans être rémunérés, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, vous exonérez de cet effort les agriculteurs, les commerçants, les artisans et les membres des professions libérales qui n'emploient aucun salarié. Comment expliquer cette inégalité entre les travailleurs salariés et les autres ?

J'observe simplement que des catégories sociales proches de la majorité gouvernementale sont dispensées du devoir de solidarité ! Sans vouloir polémiquer, certaines catégories de la population, y compris parmi les retraités, ont un revenu plus élevé en moyenne que celui des salariés, et que tout le monde est concerné par le risque de dépendance.

Il serait intéressant d'étudier de plus près les différentes contributions qui seront apportées à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, à partir de l'instauration d'un jour de travail supplémentaire. Les salariés apporteront leur travail, qui représente 0,45 % de la production annuelle ; la contribution des employeurs, quant à elle, est fixée à 0,3 %, bien le MEDEF eût préféré une absence totale de taxation. Mais on ne voit pas quel préjudice les entreprises subiraient, compte tenu de l'écart qui subsistera entre l'augmentation de la production - même si elle n'atteint pas 0,45 % - et la taxe de 0,3 %, qui leur est appliquée.

Cela suppose, bien sûr, que la production puisse être écoulée, vendue. Il est vrai qu'il pourrait y avoir des effets pervers, comme l'ont fait observer les auteurs d'une étude de l'Office français des conjonctures économiques, l'OFCE. Ils estiment qu'il pourrait y avoir des risques pour l'emploi, et ils évoquent le chiffre de 20 000 à 30 000 chômeurs supplémentaires.

Cependant, tout à sa haine des 35 heures, le patronat persiste à penser qu'instaurer une journée supplémentaire de travail est une idée formidable. Le président du MEDEF est ravi qu'on envisage enfin de régler les problèmes en travaillant plus !

Le Gouvernement est donc rassuré : les employeurs ont certainement encore à gagner et le budget de l'Etat devrait bénéficier de recettes fiscales supplémentaires, essentiellement sous forme de TVA. L'OFCE estime que ces recettes pourraient s'élever, à terme, à 0,15 % du PIB, soit un peu plus de 2 milliards d'euros.

La situation, en revanche, sera tout à fait défavorable pour les finances des collectivités territoriales, et le contribuable local risque de payer deux fois !

Deux milliards d'euros de fiscalité supplémentaire pour l'Etat, c'est un montant très comparable à la recette escomptée pour financer la CNSA, soit 1,9 milliard à 2 milliards d'euros en année pleine. On peut s'interroger sur l'effort et le rôle de l'Etat : peut-être continuera-t-il, par une sorte de transfert, à faire baisser l'impôt sur le revenu ?

En 2004, la baisse de l'impôt sur le revenu et de l'ISF fait perdre 1,8 milliard d'euros- soit près, là encore, de 2 milliards d'euros -, alors qu'il s'agit d'un impôt redistributif dont la vocation est précisément de contribuer à la solidarité nationale. Mais il est vrai que, proportionnellement, cet impôt concerne surtout les milieux aisés et que le Gouvernement ne leur marchande pas sa « solidarité » !

Comment peut-on, dans ces conditions, demander aux salariés de faire un effort supplémentaire ? Comment ne pas s'élever contre un dispositif aussi injuste ? Comme si cela ne suffisait pas, d'autres mesures sont envisagées qui aggraveront encore cette injustice. C'est ainsi que le Premier ministre vient d'annoncer, pour 2005, la quasi-amnistie pour les capitaux qui sont illégalement placés à l'étranger et qui seraient rapatriés ! N'est-ce pas profondément immoral ?

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, j'ai dit que ce qui caractérise votre plan, c'est la rupture du pacte de solidarité. C'est vrai pour la journée de travail supplémentaire imposée aux salariés ; c'est également vrai pour la création de la CNSA.

Les organismes de sécurité sociale redoutent que vous ne vous engagiez sur la voie d'une partition de la prise en charge des soins. Le rapport d'étape de la mission Briet-Jamet ne fait que confirmer ces craintes. Selon leur schéma, les structures qui assurent la prise en charge conjointe des soins et de l'accompagnement social, aussi bien pour les personnes âgées que pour les personnes handicapées, à domicile ou en établissement, relèveraient de la nouvelle caisse, et leur gestion serait confiée aux départements.

Il y a bien là une rupture du pacte de l'assurance maladie. Ce pacte doit être universel. Or vous créez une rupture entre les plus jeunes et les plus âgés, entre les bien portants et les handicapés ; sans compter les risques d'inégalités territoriales. C'est une forme de démantèlement de la sécurité sociale qui se profile à l'horizon, alors que des discussions sont en cours sur la réforme de l'assurance maladie. N'aurait-il pas fallu commencer le travail législatif par cette réforme-là ?

De plus, comment ne pas s'étonner que votre texte prévoie la création d'une caisse, alors qu'une deuxième loi sera nécessaire pour déterminer ce que l'on en fera et quels en seront les contours, lorsque les conclusions de la mission Briet-Jamet seront connues ?

Une partie importante du dispositif gouvernemental dépendra de textes ultérieurs dont personne ne connaît la teneur. Il en est ainsi du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont on nous dit qu'il sera profondément remanié. Les barrières d'âge et les conditions de ressources seront-elles supprimées, comme nous le souhaitons ? Et qui peut dire ce qu'il adviendra du projet de loi relatif aux responsabilités locales, dont la deuxième lecture ne semble plus être d'actualité !

C'est un fatras législatif : il n'y a aucune lisibilité des projets du Gouvernement sur ces questions ni aucune cohérence entre eux. Vous ne facilitez pas le travail du Parlement, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, c'est le moins que l'on puisse dire !

Pourquoi vous obstinez-vous à vouloir présenter ce projet de loi, alors que vous ne connaissez pas les autres ?

Je n'y vois qu'une motivation : le temps de travail. Vous faites partie de ceux qui considèrent que les Français ne travaillent pas assez et qui tiennent un discours idéologique et moralisateur : il faut revaloriser le travail à tout prix et, d'abord, revenir sur la réduction du temps de travail et les 35 heures. La droite est obnubilée par la réhabilitation du travail comme solution à tous les maux de la société.

C'est cette obsession anti-RTT qui anime le MEDEF. M. Ernest-Antoine Seillière ne veut-il pas « siffler la fin de la récréation » ? Et le Gouvernement ne veut-il pas se venger des 35 heures ?

Le Français serait devenu paresseux. « Nous sommes dans une société de pétanqueurs », disait Jacques Barrot. Cela fait partie du catalogue des idées reçues sur les Français et le travail.

Tout cela mériterait un long débat pour montrer à quel point vous vous fourvoyez. Nous y sommes prêts, mais malheureusement ce n'est pas le débat dans lequel vous voulez nous conduire.

Nous considérons que vous vous trompez et que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de délibérer. C'est la raison pour laquelle nous présentons cette motion tendant à opposer la question préalable, et nous espérons, mes chers collègues, que vous la voterez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. André Lardeux, rapporteur. Je répondrai rapidement aux deux aspects de l'argumentation étayant la motion présentée par notre collègue Gilbert Chabroux.

Je l'ai écouté très attentivement, mais il ne sera pas surpris que nous ne partagions pas son indignation.

Selon son argumentation, deux raisons justifient que nous cessions l'examen du projet de loi.

Premièrement, il n'y a pas lieu de créer une caisse, d'une manière générale, car celle-ci remet en cause l'unicité de l'assurance maladie.

La commission récuse cette thèse, d'abord parce que la création de la caisse n'empiète en aucun cas sur les compétences de l'assurance maladie et ne favorise pas le démantèlement de la sécurité sociale.

En outre, la dépendance n'est pas une maladie. Les personnes âgées et les personnes handicapées ne sont pas des malades : ce sont des personnes qui réclament une aide légitime pour vivre dans des conditions de confort élémentaire.

La réforme de l'assurance maladie devra traiter, le moment venu, des modalités permettant d'organiser et de financer notre système de soins pour l'ensemble de la population. Il est heureux que le débat que nous avons ce soir et que nous aurons à nouveau lors de l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ne soit pas escamoté dans le cadre de la réforme nécessairement globale de l'assurance maladie.

Deuxièmement, selon vous monsieur Chabroux, les modalités proposées pour financer l'autonomie ne seraient pas pertinentes.

Faut-il le rappeler, c'est un gouvernement que vous avez soutenu qui a engagé le triptyque législatif dans lequel nous nous trouvons. La loi instituant l'APA prévoyait des avancées mais pas de financement. Vous n'avez pas, à cette occasion, décidé d'augmenter les prélèvements obligatoires, vous vous êtes contentés d'hypothéquer l'avenir du fonds de réserve pour les retraites en ponctionnant les futurs et théoriques excédents qui devaient l'alimenter et, surtout, vous avez laissé l'essentiel de la facture aux départements.

Pour notre part, nous devons donc financer les droits des personnes âgées désormais créés et ceux que méritent nos concitoyens souffrant d'un handicap. Pour ce faire, nous préférons la voie de l'effort et de la solidarité active à celle de l'augmentation sans limite et sans contrepartie, en apparence indolore, des prélèvements obligatoires.

Enfin, j'ai rappelé dans la discussion générale que les dispositions du présent projet de loi ne suffiraient sans doute pas à financer les besoins, tant ils sont vastes.

Soixante-douze sénateurs, dont, au premier chef, M. Alain Vasselle, ont déposé une proposition de loi visant à inciter nos concitoyens à s'organiser, individuellement ou collectivement, dans un système de prévoyance.

J'ai cru comprendre que vous n'y étiez pas favorable, mais, à vous entendre désormais, j'en mesure - s'il en était besoin - l'opportunité, et je ne désespère pas que vous votiez ce texte le moment venu.

Telles sont les raisons qui conduisent la commission à demander au Sénat de repousser la question préalable que vous présentez au nom du groupe socialiste.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Hubert Falco, ministre délégué. Le Gouvernement est, comme la commission, défavorable à l'adoption de cette motion.

Monsieur Chabroux, vous avez défendu des points de vue qui ne sont pas les nôtres. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles et des amendements.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote sur la motion tendant à opposer la question préalable.

M. Claude Domeizel. Avant d'expliquer mon vote, je voudrais dire à M. le ministre que, contrairement à ce qu'il a affirmé, le ministère chargé des personnes âgées n'a pas été créé la semaine dernière. Le premier département ministériel a été créé sous le premier septennat de François Mitterrand et le premier rapport qui concernait les personnes âgées, je vous le rappelle, monsieur le ministre, avait été présenté par votre prédécesseur à la présidence du conseil général du Var, Maurice Arreckx, à la demande du Président de la République.

Vous m'avez répondu par le mépris. J'en suis choqué, et étonné de votre part. Je tiens à votre disposition toute mon intervention et je vous mets au défi de trouver quelque propos qui ressemblerait à de l'humour déplacé. Monsieur le ministre, je considère comme vous que le sujet est sérieux et délicat.

Le groupe socialiste pense qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur ce projet de loi, d'abord parce que la création de la CNSA devrait au moins attendre que nous disposions du rapport demandé à MM. Briet et Jamet.

Je reprendrai les propos tenus par M. Vasselle selon lequel « c'est trop tard ou trop tôt ».

Je partage un peu son sentiment : c'est trop tard pour le titre Ier et c'est trop tôt pour les titres II et III, car ils devraient s'inscrire dans le débat sur l'assurance maladie ou en être la conséquence.

Ce projet de loi, qui vient se surajouter à la loi relative à la politique de santé publique, au projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, au projet de loi relatif aux responsabilités locales, vient trop tôt et n'a pas sa place ici.

Enfin, c'est un moyen détourné, je le répète, madame la secrétaire d'Etat, de planter un premier coin dans notre sécurité sociale en vue de la faire éclater.

Au cas où je me serais mal exprimé, je vous renvoie à l'article 7, un article important, qui énumère les missions de la CNSA, dont celle de « financer la prestation de compensation personnalisée ainsi qu'une partie du coût de l'allocation personnalisée d'autonomie et du coût de la médicalisation des services. »

Quand on lit l'ensemble de l'article 7, on s'aperçoit que l'on s'attaque à une partie de la sécurité sociale. Nous pensons, comme il est de notre droit, que c'est bel et bien un moyen de démanteler notre système de santé, raison pour laquelle le groupe socialiste votera la motion présentée par M. Chabroux.

M. le président. La parole est à M. Jean Pépin, pour explication de vote sur la motion tendant à opposer la question préalable.

M. Jean Pépin. Je veux avant tout répondre à M. Chabroux que la sécurité sociale, nous y tenons, et d'abord parce que c'est le général de Gaulle qui l'a créée.

Il n'en demeure pas moins que des évolutions sont nécessaires et qu'un problème particulièrement aigu est apparu l'été dernier. Cependant, ce problème, personne ne l'avait prévu, ni la gauche ni la droite. Si Mme Aubry l'avait prévu, elle n'aurait sans doute pas proposé les 35 heures, qui sont à l'origine d'un déficit de 40 000 infirmières dans les hôpitaux français. Il ne faut jamais oublier ce chiffre particulièrement cruel.

Puisque nos collègues du groupe socialiste veulent nous donner des leçons, ils me permettront de rappeler quelques vérités amères.

Lorsque le dossier, ô combien difficile, des retraites est arrivé sur le bureau de M. Jospin, on s'est bien gardé d'y toucher : « Trop délicat ! Laissons cela à d'autres ! Rien ne presse ! » Et c'est ainsi que, pendant les cinq années où M. Jospin fut Premier ministre, la question ne fut pas abordée. Comment, dès lors, monsieur Chabroux, ne pas trouver qu'il y a quelque impudence à tenir les propos que vous venez de nous jeter à la figure ?

De même, s'agissant des comptes de la sécurité sociale, aucune mesure structurelle n'a été prise, alors même que la croissance fut de 3% durant trois années consécutives. C'est ce qui avait fait dire à M. Fabius, personnalité à la compétence amplement reconnue en matière de finances, qu'il y avait une « cagnotte » extraordinaire et que l'on ne savait qu'en faire. Mais, six mois plus tard, plus personne ne savait où était passée la fameuse cagnotte...

Le handicap est aussi un sujet difficile qu'un Parlement s'honore d'aborder. Mais non, il faudrait refuser la discussion ! Et que deviendront, alors, ces pauvres gens et leurs familles ? Il y a là un problème moral, qui exige beaucoup de dignité.

Pour les personnes âgées, là encore, il faudrait repousser à plus tard. Mais qu'adviendra-t-il si se produit une nouvelle canicule ?

Sur tous ces sujets, pendant les trois années de croissance que j'évoquais, on s'est contenté de palliatifs : on n'a jamais entrepris de régler les problèmes au fond.

On a créé des emplois jeunes, mais sans rien prévoir à la sortie. Voilà des jeunes qui ont travaillé pendant cinq ans et qui se sont finalement retrouvés sans aucune perspective, qui s'étaient parfois mariés entre-temps et avaient eu un ou deux enfants : un cas social au départ, quatre à l'arrivée !

Heureusement que les collectivités locales, notamment les conseils généraux - j'avais, à l'époque, l'honneur de présider l'un d'eux -, ont pris des initiatives et ont, en complément, financé des actions de formation, ce que n'avait pas prévu le gouvernement de M. Jospin, de manière qu'ils puissent trouver un emploi à l'issue des cinq ans.

Sous le gouvernement de M. Jospin, il n'y a pas eu de grèves majeures. Certains avaient donc sans doute des fourmis dans les jambes et ont voulu se rattraper. C'est ainsi que, l'année dernière, pendant un mois et demi, à la veille des examens, les enseignants ont fait grève, sans se soucier de la jeunesse, alors que les enseignants ont quatre missions essentielles : l'instruction, l'éducation, la sécurité des jeunes et des moins jeunes, l'orientation après l'obtention des diplômes. Mais non ! Tant pis pour les jeunes qui passaient des examens !

M. Claude Domeizel. Il faut supprimer les fonctionnaires !

M. Jean Pépin. Ce n'est pas ce que j'ai dit, cher collègue !

Lorsque l'on cherche à retarder le règlement de dossiers aussi importants et douloureux que celui des personnes âgées et celui des handicapés, comme vous nous y invitez aujourd'hui, il vaut mieux se livrer à une forme d'introspection avant de critiquer avec véhémence ce qui est proposé.

Voilà pourquoi nous voterons contre la motion qui est présentée par le groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 33, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées
Renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par M. Fischer, Mme Demessine, M. Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 40, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (n°299, 2003-2004).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à M. Roland Muzeau, auteur de la motion.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans sa forme comme dans son contenu, le texte qui nous est présenté aujourd'hui s'inscrit dans la droite ligne des précédents, également porteurs d'une rupture dans la solidarité nationale : absence de concertation et de cohérence, effets d'annonce, saucissonnage des mesures rendant illisible la visée politique du Gouvernement et de sa majorité, culpabilisation honteuse de la population, le tout pour masquer une régression sociale sans précédent et une décentralisation à haut risque des dossiers relatifs à la dépendance et au handicap, de telle sorte que l'égalité des droits ne sera pas assurée sur l'ensemble du territoire, pas plus que selon le degré de dépendance.

Ce n'est donc pas un hasard si ce texte fait l'unanimité contre lui.

Les caisses de sécurité sociale, qui n'ont pas été consultées, sont unanimes pour rejeter la création de la CNSA, et elles l'ont fait savoir publiquement. Elles avancent, en revanche, l'ambition de créer un système d'assurance du risque dépendance qui soit financé par la solidarité nationale, à côté des branches maladie et vieillesse. Elles s'opposent à une caisse gérée par les départements, auxquels seront transférés des crédits et des compétences qu'ils ne possèdent pas aujourd'hui.

Se fondant sur l'expérience de l'APA, les caisses voient là un risque d'augmentation sensible des coûts de gestion ainsi qu'une nouvelle source de complexité administrative. Par exemple, quel acte relèvera du soin, quel acte de la CNSA ?

Pour la Mutualité sociale agricole, il y a risque de saucissonnage des moments de la vie quotidienne. Comment établir et codifier ce qui relève d'une caisse ou d'une autre ?

Le Gouvernement a bien été ébranlé par une telle opposition, puisqu'il a proposé tardivement aux caisses une concertation en vue d'un prochain projet de loi devant définir les contours exacts de cette caisse, sur la base du rapport de MM. Raoul Briet et Pierre Jamet

J'ai été, pour ma part, très intéressé par la réaction de M. Jean-Marie Spaeth, président de la CNAMTS, qui appelle à la création d'une « branche des aides à la vie », sans frontière entre autonomie et maladie, et susceptible de coordonner l'ensemble des acteurs de terrain.

Quant aux deux principales fédérations du secteur médico-social, la Fédération hospitalière de France et la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privée à but non lucratif, elles ont, dans une lettre commune au Premier ministre, exprimé de vives inquiétudes. Elles relèvent notamment que ce texte ne comporte aucune disposition explicite quant à la répartition précise des financements et des emplois, qui doivent continuer, selon elles, de relever de l'assurance maladie et d'être répartis par l'ONDAM, non plus qu'en ce qui concerne l'emploi des crédits qui seraient apportés en complément au titre de l'aide à la vie quotidienne, par la CNSA.

Je ne saurais conclure sur ce chapitre sans faire allusion à la lettre collective adressée à MM. Briet et Jamet par des organismes aussi importants que l'UNIOPSS, I'UNCASS, l'UNAPEI, l'UNAFAM, la FHF, l'APF et la FNATH.

Ces organismes critiquent vivement le transfert des crédits de l'ONDAM vers la future CNSA. Ils soutiennent que les crédits affectés à la prise en charge des soins des personnes âgées et handicapées doivent être votés par le Parlement dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de garantir à ces personnes les mêmes droits qu'aux autres assurés sociaux. Ils insistent sur le fait que la politique nationale de solidarité doit être dotée de moyens réels pour garantir l'égalité de traitement des personnes en situation de handicap quel que soit leur âge et sur l'ensemble du territoire. Ils préconisent également le vote d'une loi de programmation offrant une visibilité pluriannuelle aux différentes parties prenantes et une meilleure lisibilité des engagements financiers dans le temps.

Lorsque l'on sait que, y compris au sein de votre majorité, monsieur le ministre, des voix se sont élevées pour blâmer la précipitation et l'incohérence de votre démarche, on comprend pourquoi vous voulez aller vite, « passer en force » pour faire adopter ce texte.

Mais je reviens sur le contenu de celui-ci. Que nous proposez-vous pour tenter d'éviter le drame de l'été dernier ?

Certes, la première partie du texte, qui porte sur la mise en place d'un plan vieillissement et solidarité, instaure un ensemble de dispositifs allant de la prévention à l'alerte et à l'intervention des services sanitaires et sociaux, ce qui témoigne d'une prise en compte des risques auxquels on aurait dû parer l'été dernier.

Cependant, la mesure phare de ce plan, la création de pièces rafraîchies au sein des établissements, si nécessaire soit-elle, apparaît à tous les professionnels chargés des établissements comme mineure au regard de la très grave pénurie de personnels et de crédits de fonctionnement.

Mais le reproche fondamental que l'on peut faire à votre projet de loi, c'est qu'il ne règle en rien le problème du besoin d'accompagnement des personnes âgées dépendantes dans l'éventualité d'une nouvelle canicule.

N'oubliez pas, mes chers collègues, que les 18 mars et 18 juin de l'année dernière, les directeurs d'établissements accueillant des personnes âgées dépendantes et les familles de celles-ci s'étaient mobilisés contre le manque de personnel affecté à l'accompagnement des personnes vivant en établissement, alors même que le Gouvernement supprimait des crédits.

Depuis - qui pourrait dire le contraire ? -, tous les rapports officiels établis après le drame de la canicule ont malheureusement confirmé leur analyse sur le retard de notre pays en matière d'accompagnement des personnes âgées dépendantes.

C'est donc bien d'une crise structurelle qu'il s'agit. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : quand, en France, il y a quatre professionnels en établissement pour dix personnes âgées, il y en a huit à dix en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, soit deux à trois fois plus que dans notre pays.

Et l'argument selon lequel il faut tenir compte de l'importance du maintien à domicile ne tient pas, puisqu'il conviendrait aussi de doubler le nombre de places des services d'aide et de soins à domicile ; c'est bien la preuve que le retard dans le financement des établissements n'est pas dû à une préférence pour le soutien à domicile, mais à une sous-estimation globale des besoins des personnes âgées.

Les directeurs d'établissements - et je leur donne entièrement raison - estiment que c'est 365 jours par an que les personnes âgées ont besoin d'un accompagnement pour leur vie quotidienne et que c'est d'un manque à cet égard qu'elles sont décédées massivement l'été dernier.

Face à un tel retard, vous proposez des créations de postes et de lits d'ici à 2008 ; or, à supposer que ces promesses soient tenues, le résultat serait bien en deçà des besoins. Par exemple, vous vous engagez à doter les établissements de 15 000 personnels soignants supplémentaires, mais il faut savoir que les besoins devraient conduire à doubler les effectifs existants, qui sont de 250 000.

De la même façon, vous proposez de créer 10 000 places médicalisées sur la durée du plan, alors que les besoins se montent à 40 000 !

Le deuxième volet de ce projet de loi pose le principe de la création d'une caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, au statut incertain et au périmètre défini grossièrement. Cela m'apparaît comme l'amorce d'une protection séparée pour les personnes âgées et les personnes handicapées, contraire aux principes de l'assurance maladie, qui a vocation à couvrir tous les besoins de soins de toutes les catégories de population.

Cette volonté de « mettre à part » les personnes âgées et handicapées constitue une remise en cause de la solidarité entre les bien-portants et les malades, entre les cotisants et les autres. La création de cette caisse signifie clairement que le vieillissement et la dépendance ne seront plus pris en charge par la solidarité nationale.

Venons-en aux prétendus moyens affectés à ces risques.

La suppression d'un jour férié porte en elle plusieurs dérives qu'il convient de dénoncer : elle procède d'une détestable culpabilisation de la population ; elle met à contribution les seuls revenus d'activité et va dans le sens d'une remise en cause des 35 heures ; elle fait la part belle au patronat, puisque les employeurs choisiront le jour qui ne sera pas chômé et recevront les deux tiers des richesses créées, ce qui leur permettra d'enrichir encore des actionnaires déjà exemptés de toute contribution au titre de la solidarité nationale.

De surcroît, il n'est nulle part précisé ce que va financer cette journée de travail obligatoire non rémunérée, ce retour de la corvée. Du personnel ? Des soins ?

Pour notre part, nous affirmons qu'il existe d'autres pistes de financement, davantage fondées sur la justice sociale et la solidarité. Mais les emprunter suppose un courage politique dont le Gouvernement est dépourvu.

Ainsi, nous proposons de quadrupler l'impôt sur la fortune, qui rapporte annuellement 2,5 milliards d'euros. Vous pourriez ainsi financer la totalité de votre plan en un an.

Nous vous invitons également à renoncer aux 2 milliards d'euros de réduction d'impôt sur le revenu au profit des deux tranches les plus hautes.

Ni l'une ni l'autre mesures ne pénaliseraient trop douloureusement les catégories de contribuables concernées. En revanche, elles manifesteraient la volonté de les faire véritablement participer à la solidarité.

Je pourrais citer bien d'autres chiffres pour démontrer que, une fois encore, le Gouvernement se rend coupable d'une injustice majeure en puisant dans la poche des seuls travailleurs.

Le présent texte précède de façon incompréhensible le rapport Briet-Jamet, qui devait précisément jeter les bases de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et surtout, comme l'a déjà fait le projet de loi relatif au handicap, il anticipe fâcheusement sur le débat relatif à la réforme de l'assurance maladie dont nous serons saisis en juillet prochain.

Cette hâte, fort suspecte, à nous présenter ce projet de loi tout comme le fait de scinder les éléments d'une même politique en une multitude de textes montrent une fois encore que vous méprisez la représentation nationale et tentez de leurrer nos concitoyens quant à vos véritables intentions. Cette incohérence n'est en fait qu'apparente : selon nous, elle sert à masquer votre volonté de mettre un terme à la logique de solidarité nationale.

Je n'aurai garde d'oublier, dans cette « panoplie », le projet de loi sur les responsabilités locales, qui doit transférer aux départements la responsabilité entière de la politique en faveur des personnes âgées.

Dans cette même optique, le rapport d'étape de MM. Briet et Jamet préconise de conférer aux départements une fonction de chef de file dans la gestion de la prise en charge de la dépendance et du handicap. A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que M. Jean-Marie Spaeth a exprimé la crainte « de voir apparaître, à la place d'accords nationaux, une succession d'accords locaux les plus divers entre les présidents de conseils généraux et les différentes catégories de personnels ».

Par ailleurs, je considère qu'il existe un risque de privatisation de la prise en charge de la dépendance. En effet, vous ne craignez pas, dans vos déclarations réitérées, de privilégier la prévoyance individuelle en matière d'autonomie. La proposition de loi de M. Vasselle va également tout à fait dans ce sens.

Le débat de fond que vous éludez, c'est bien celui qui porte sur la définition d'un droit à compensation universel et de son financement, fondé sur l'expression d'une réelle solidarité, comme celle qui présida en 1945 à la création de la sécurité sociale, sous l'égide du Conseil national de la Résistance.

Non, nous ne considérons pas ce projet de loi comme une avancée et nous ne vous laisserons pas embrouiller un débat aussi fondamental.

Les conséquences de la canicule ne sont pas dues aux 35 heures ni à la prétendue irresponsabilité des Français, coupables, nous a-t-on dit et redit, de ne pas se préoccuper du sort de leurs anciens. La situation dramatique qui prévaut actuellement est la conséquence de votre politique de réduction des moyens pour la santé, de disparition des hôpitaux de proximité et de milliers de postes de médecins, d'infirmiers et d'autres personnels soignants, du gel des crédits destinés aux personnes âgées ou handicapées.

De plus, vous nous demandez de légiférer sans nous fournir tous les éléments susceptibles de nous permettre de nous prononcer en toute connaissance de cause.

Pour toutes ces raisons, il est parfaitement inopportun d'examiner ce texte tel qu'il nous est présenté. C'est pourquoi nous vous demandons, chers collègues, d'adopter la motion de renvoi à la commission que nous vous soumettons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. André Lardeux, rapporteur. Ma réponse à M. Muzeau sera plus brève que celle que j'ai faite tout à l'heure à M. Chabroux, dans la mesure où ils ont tous deux développé des argumentations très voisines.

Je redirai néanmoins qu'il y a anticipation sur les conséquences qui seront tirées du rapport Briet-Jamet.

On a l'air de considérer ce rapport comme la Bible et ses recommandations comme des mesures à transposer telles quelles dans un texte de loi.

Vous nous dites qu'il faut une concertation. Elle aura certainement lieu, mais je ne sais pas encore sous quelle forme, ni quelles propositions seront retenues.

Pour m'en tenir au plan strictement procédural, je ne crois pas que le Sénat soit insuffisamment informé pour débattre du présent projet de loi.

J'ai procédé à une longue série d'auditions. Vous avez été invité à un certain nombre d'entre elles. En dehors de celles qui ont eu lieu devant la commission elle-même, j'ai effectué trente et une auditions. Je pense avoir consulté un panel assez large de personnes intéressées par les différentes dispositions du texte.

Le Sénat est informé par deux rapports, celui de la commission des affaires sociales et l'excellent rapport pour avis d'Adrien Gouteyron, au nom de la commission des finances.

La motion de renvoi à la commission ne peut avoir pour objet de suspendre la procédure législative. Dans le cas présent, la motion que présentent et soutiennent nos collègues du groupe CRC n'est justifiée ni sur le fond ni par des questions d'ordre procédural. En conséquence, la commission l'a rejetée et vous propose, mes chers collègues, d'en faire de même.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Hubert Falco, ministre délégué. Je souhaite d'abord répondre à M. Muzeau.

Monsieur le sénateur, vous trouvez anormal que des crédits de l'ONDAM soient versés à la CNSA. Mais, jusqu'à présent, à part quelques crédits d'Etat versés directement aux CLIC et aux plans programmes, les crédits qui financent la politique en faveur des personnes âgées sont issus de l'ONDAM. C'est le cas de 90 % du budget que j'ai à défendre. Il n'est donc pas anormal que des crédits de l'ONDAM soient versés à la CNSA, qui traitera dans leur globalité des problèmes des personnes âgées et des personnes handicapées.

Vous avez fort justement souligné le retard accumulé par notre pays dans l'accompagnement de la dépendance et l'anticipation de cette formidable révolution sociale qu'est le vieillissement. Je dis bien « formidable », car vieillir n'est pas un handicap. Vieillir est une chance, lorsque, bien entendu, on n'est pas touché par la maladie ou la dépendance.

Certes, 1,2 million de personnes sont dépendantes, mais 12 à 13 millions de seniors sont en pleine forme physique, morale et intellectuelle. Ils ne constituent pas un handicap, mais une chance pour notre société.

Ayant fort justement souligné le retard accumulé par notre pays, vous avez fait le lien avec le terrible drame qu'a engendré la canicule. Le Gouvernement a pris toutes ses responsabilités. J'ai également pris les miennes.

Cela étant, monsieur le sénateur, croyez-vous vraiment que tout ce retard a été accumulé en douze mois ?

M. Charles Revet. Bien sûr que non !

M. Hubert Falco, ministre délégué. J'ai pris mes fonctions en juin 2002. Ce n'est tout de même pas la gestion de juin 2002 à août 2003 qui a occasionné les conséquences de la canicule !

Le véritable problème, c'est le retard pris depuis des décennies. On n'a pas anticipé, on n'a pas accompagné le vieillissement et le handicap par une politique volontariste.

Elle est là la vraie raison, et nous ne cherchons à culpabiliser personne en particulier. Nous devons tous culpabiliser : les élus, les gouvernements, les responsables, la société.

Reconnaissez-le, parler du vieillissement est tabou. S'il n'y avait pas eu ce terrible électrochoc pendant la canicule d'août 2003, nous ne parlerions pas ce soir du vieillissement.

J'ai mis en place, en novembre 2002, dans l'indifférence générale, un comité de vigilance contre la maltraitance des personnes âgées : il n'y a pas eu une ligne dans un quotidien ou un hebdomadaire, pas une image à la télévision.

Lorsque, prenant mes fonctions, j'ai signé une circulaire, en juin 2002, rappelant tout simplement qu'il fallait rafraîchir les personnes âgées en été et les faire boire, on s'est moqué de moi, on a tourné ce texte en dérision.

Vous voyez que le vieillissement est un sujet tabou. On aime bien vieillir, mais il ne faut surtout pas en parler. Ce n'est pas médiatiquement porteur, comme je l'ai entendu ici et là avant le terrible électrochoc de 2003.

Voilà ce qui nous pousse aujourd'hui à mettre en place une véritable politique. Vous pouvez la juger insuffisante, c'est votre droit. Toutefois, reconnaissez que cette politique est sans commune mesure avec tout ce qui a été fait jusqu'à présent par les gouvernements précédents, de droite comme de gauche.

Le débat qui a eu lieu ce soir a été constructif et chacun a pu présenter ses arguments, ô combien divergents parfois, sur ce phénomène de société que constitue la démographie de notre pays.

Je m'en tiendrai donc à la position de la commission sur cette motion en émettant à mon tour un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 40, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées
Discussion générale