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Dossier législatif : projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats
Discussion générale (suite)

Recrutement, formation et responsabilité des magistrats

Adoption définitive des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats
Article 1er B

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats (n° 248).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après une seule lecture dans chacune des assemblées, je suis amené à vous rendre compte des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats.

Ce texte, qui avait déjà apporté un certain nombre de modifications en matière de formation des magistrats, a été complété par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat, pour assurer à la fois une plus grande ouverture du recrutement des magistrats et, au cours de leur carrière, la possibilité de travailler à l'extérieur pour s'ouvrir sur le monde. Ce point ayant fait l'objet d'un consensus au sein de la commission mixte paritaire, je ne reviendrai pas sur les détails de l'accord auquel nous sommes parvenus.

Bien entendu, monsieur le garde des sceaux, parmi ces mesures figurait le stage d'immersion au sein de la profession d'avocat. Le Sénat est pragmatique, vous le savez bien, mais il existe des théoriciens et c'est pourquoi la théorie a prévalu sur la pratique. Cependant, soyez rassurés, si la durée du stage a été maintenue à six mois, le Sénat envisage de créer une mission d'information pour aider le futur garde des sceaux à mettre en oeuvre la réforme de la formation.

Peut-être devra-t-on envisager aussi de modifier la scolarité, de réviser un certain nombre de normes pour permettre aux magistrats d'être plus performants à la sortie de l'ENM. Ce n'est pas à vous, monsieur le garde des sceaux, que j'expliquerai à quel point il est nécessaire de faire un stage chez un avocat quand on est un jeune magistrat. Inversement, d'ailleurs, beaucoup de jeunes avocats pourraient également utilement aller dans les palais de justice pour comprendre les difficultés des partenaires avec lesquels ils travaillent quotidiennement.

Sur ces sujets, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord.

Un certain nombre de mesures posaient problème, notamment en matière de suspension des fonctions de magistrat pour des raisons médicales.

Concernant les détachements, la souplesse que nous avions apportée pour l'accession aux emplois hors hiérarchie a été acceptée par la commission mixte paritaire.

Monsieur le garde des sceaux, restaient deux points importants, à savoir la définition d'une possible faute disciplinaire et, bien sûr, la recevabilité des réclamations des justiciables en cas de faute disciplinaire.

S'agissant de la faute disciplinaire, vous aviez accepté la rédaction proposée par le Sénat. Celle-ci présentait deux avantages. D'une part, en remplaçant le mot « commise » par le mot « constatée », elle ne comportait pas de risque constitutionnel. D'autre part, elle accélérait le processus, puisqu'on s'inscrivait dans le cadre d'une décision de justice définitive et non dans une instance close par une décision de justice devenue définitive. Le début de la définition a paru convenable à nos collègues députés, mais ils tenaient beaucoup au mot « commise », parce qu'il leur semblait, sinon, qu'il serait moins évident de pouvoir poursuivre un magistrat et que l'on affaiblissait terriblement le dispositif. Mais finalement la formulation « commise après une décision devenue définitive » ne nous a pas paru convenir. Aussi, nous sommes revenus à la rédaction initiale de l'Assemblée nationale. J'espère, monsieur le garde des sceaux, qu'après l'examen par le Conseil constitutionnel - puisqu'il s'agit d'une loi organique - ce dispositif correspondra à l'intention du législateur.

Concernant les réclamations des justiciables, nous étions convenus qu'il devait y avoir une instance facilement accessible, mais à deux conditions : d'une part, nous ne voulions pas écarter le garde des sceaux qui nous semblait être le ministre en charge de la discipline et qui transmettait au Conseil supérieur de la magistrature ; d'autre part, nous voulions organiser une saisine directe par les justiciables.

Le Médiateur de la République, qui est certes connu, a une fonction éminente. D'ailleurs, la semaine dernière, ici même, j'ai eu l'occasion de lui dire combien nous apprécions son action de médiation entre les administrations et nos concitoyens. On souhaite lui confier un nouveau rôle : déterminer ce qui, dans l'action des magistrats, pourrait constituer des fautes disciplinaires. Soit, mais à condition qu'il soit saisi directement - c'est ce que le Sénat a obtenu -, et non plus par le biais d'une réclamation transmise par un parlementaire, comme le prévoyait le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Il nous a semblé aussi qu'aujourd'hui si le médiateur devait étudier seul les fautes disciplinaires, il serait, bien sûr, obligé de faire appel à des spécialistes. Vous aviez dit, monsieur le garde des sceaux, que vous étiez prêt à mettre à disposition des magistrats.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il nous a paru préférable de prévoir que le médiateur serait assisté d'une commission. Ainsi, il serait doté d'un organe collégial, ce qui paraît bon car les fautes disciplinaires revêtent un caractère très spécifique par rapport aux dysfonctionnements de l'administration où il s'agit d'exercer une médiation.

Telles sont les mesures qui ont été retenues, le reste du dispositif étant issu de l'Assemblée nationale.

Le débat a été intéressant. Nous savions, monsieur le garde des sceaux, que vous teniez beaucoup au médiateur - donc, il y a un médiateur -, mais nous voulions que l'examen des procédures soit un peu plus objectif, ou bien il suffisait de dire que c'était le médiateur qui transmettait au garde des sceaux, ce que certains ne voulaient pas non plus, puisqu'ils avaient d'autres ambitions à la suite de la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau.

Nous avons donc pesé tous ces arguments, monsieur le garde des sceaux, et nous avons abouti, après de nombreuses discussions, à un accord en commission mixte paritaire.

Dans le dispositif de l'Assemblée nationale, comme au sein de la jurisprudence du Conseil supérieur de la magistrature, les fautes disciplinaires sont nombreuses et elles vont parfois au-delà de la simple faute prévue par le présent texte.

Non seulement nous avons amélioré le dispositif de formation des magistrats mais nous avons également trouvé un accord afin de permettre aux justiciables de savoir que leur requête serait examinée et transmise. C'est un progrès.

Toutefois, comme vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le garde des sceaux, ce texte n'épuise pas la totalité de la question de la responsabilité des magistrats. Il constitue une étape utile et intéressante ; nous aurons à revenir sur ce sujet.

En tout état de cause, j'invite le Sénat à adopter sans modification le texte élaboré par la commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, si vous le permettez, mon intervention portera sur le projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats et sur le projet de loi tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale.

Je tiens tout d'abord à rappeler au Sénat l'émotion ressentie par chacun d'entre nous à la suite de l'acquittement des accusés d'Outreau. Rappelons-nous leur rencontre avec M. le Premier ministre, les excuses que j'ai présentées au nom de l'institution judiciaire et l'engagement personnel du Président de la République de tout faire pour que pareil scandale ne puisse pas se reproduire.

Rappelons-nous aussi le formidable engouement des Français pour les questions de justice.

Nous ne pouvions laisser tout cela sans suite et reporter à plus tard une réforme attendue par tous.

C'est pourquoi, aujourd'hui, je suis fier de présenter devant le Sénat des textes respectant l'engagement que nous avons pris aux yeux des Français de tout faire, malgré la proximité des échéances électorales, pour éviter qu'une nouvelle « affaire Outreau » ne se reproduise.

Contrairement à ce qui a pu être dit par certains, aucune des questions posées par l'affaire d'Outreau n'a été éludée, qu'il s'agisse de la solitude du juge d'instruction, de la durée excessive de la détention provisoire ou du caractère insuffisamment contradictoire de l'instruction.

C'est pourquoi je ne peux que me féliciter de l'accord intervenu en commission mixte paritaire.

La solitude plus que bicentenaire du juge d'instruction, qui a parfois été la source de dysfonctionnements judiciaires, aura vécu lorsque, conformément aux propositions de votre commission d'enquête, l'instruction deviendra collégiale.

Le texte adopté par la commission mixte paritaire prévoit que cette collégialité entrera en vigueur dans un délai de trois ans. Elle sera précédée par la création des pôles de l'instruction, qui permettront le renforcement de la cosaisine et constitueront ainsi la première étape de la réforme, en donnant aux juges d'instruction l'habitude du travail en équipe.

À cet égard, la solution retenue par la commission mixte paritaire pour favoriser la cosignature des ordonnances de règlement, en permettant l'appel de ces ordonnances si elles n'ont pas été signées par les juges cosaisis, sans rendre pour autant cette cosignature obligatoire, me paraît tout à fait appropriée.

Elle permet d'éviter tout risque de blocage, tout en incitant fortement les juges cosaisis à se mettre d'accord et à cosigner l'ordonnance de règlement.

La limitation de la détention provisoire résultera du meilleur encadrement des critères de placement en détention et de la suppression du critère de l'ordre public en matière correctionnelle.

Elle résultera également de la publicité du débat contradictoire, qui constituera désormais le principe.

Elle résultera enfin de l'institution d'une audience publique de contrôle devant la chambre de l'instruction, notamment à la demande de la personne détenue, qui pourra intervenir trois mois après le début de la détention, comme l'a proposé l'Assemblée nationale, puis tous les six mois, et qui permettra d'examiner de façon approfondie tous les aspects du dossier.

Ces dispositions très importantes et très utiles pour assurer un véritable contrôle des instructions seront immédiatement applicables : dès la publication de la loi, les personnes détenues depuis au moins trois mois pourront demander que leur affaire soit examinée par la chambre de l'instruction.

Enfin, le renforcement des droits des parties résultera de l'enregistrement des interrogatoires, en matière criminelle, des personnes gardées à vue ou mises en examen, puisque ces enregistrements pourront être consultés en cas de contestation.

Il résultera également de la possibilité de critiquer à intervalles réguliers une mise en examen, et du renforcement du contradictoire en matière d'expertises et de règlement des informations.

Sur ces différents points, l'Assemblée nationale tout d'abord, le Sénat ensuite, la commission mixte paritaire enfin, ont amélioré, complété ou précisé le projet initial dans un esprit constructif et pragmatique.

L'affaire d'Outreau a également mis en lumière la nécessité de réformer le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats.

Diversifier le recrutement des magistrats est une nécessité, qui répond à la fois à l'évolution de la société française, dont toutes les composantes doivent être présentes au sein de la magistrature, et à l'intérêt d'y regrouper les expériences professionnelles les plus diverses et les plus enrichissantes.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis que le Parlement ait décidé de relever le plafond du nombre de candidats issus des concours complémentaires ou souhaitant bénéficier des dispositions relatives à l'intégration directe dans la magistrature.

Mais la seule diversification de l'origine professionnelle des magistrats ne suffirait pas à garantir aux Français une justice de qualité.

La formation des magistrats est en effet au coeur de nos préoccupations : c'est le moment où peuvent être détectés et écartés certains comportements incompatibles avec la fonction de juger.

C'est pourquoi l'obligation d'effectuer le stage juridictionnel, qui était imposée seulement à une partie des élèves magistrats, est étendue à l'ensemble des candidats à la magistrature.

Il s'agit d'un stage probatoire dont la sanction est claire : s'il ne réussit pas à démontrer qu'il détient les qualités indispensables à l'exercice des fonctions judiciaires, le candidat ne pourra être admis à ces fonctions.

La formation des auditeurs de justice a été enrichie de l'obligation d'effectuer un stage d'une durée minimale de six mois auprès d'un barreau ou comme collaborateur d'un avocat inscrit au barreau.

La formation continue des magistrats sera elle aussi tournée vers les réalités de la société française, puisque est désormais instituée pour les magistrats une mobilité statutaire, s'ils veulent accéder aux emplois d'encadrement les plus importants, les fonctions hors hiérarchie.

Cette mobilité, d'une durée maximale de deux ans, pourra être effectuée au sein d'une entreprise privée ou publique, auprès d'une institution ou d'un service de l'Union européenne.

Là encore, c'est un gage d'ouverture, de connaissance des réalités quotidiennes, que nous donnons à nos compatriotes.

Le régime disciplinaire des magistrats, qui date de 1958, méritait d'être adapté aux exigences de la société française contemporaine.

Nous avons réussi à le rénover sans pour autant mettre en danger l'indépendance de la magistrature, à laquelle je suis bien entendu profondément attaché.

La première évolution, peut être la plus symbolique, est la création d'une nouvelle faute disciplinaire, sanctionnant la violation grave et délibérée d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle du droit des parties.

Au cours des débats dans votre assemblée, la définition de cette faute a été modifiée afin de mieux l'adapter aux exigences constitutionnelles. Je regrette que cette nouvelle définition, qui avait recueilli mon accord, n'ait malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire.

Nous avons également élargi la gamme des sanctions disciplinaires pour en créer une nouvelle : l'interdiction d'exercer des fonctions à juge unique pour une durée maximale de cinq ans.

L'éventuelle sanction d'un magistrat n'est cependant que l'issue d'un processus que nos concitoyens estiment long et difficilement compréhensible.

C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité confier au Médiateur de la République la lourde de tâche de recueillir les réclamations émanant de toute personne physique ou morale estimant, à l'occasion d'une affaire la concernant, que le comportement d'un magistrat est susceptible de constituer une faute disciplinaire.

Le Sénat avait retiré cette compétence au Médiateur pour la confier à une commission des réclamations, placée auprès du garde des sceaux.

La commission mixte paritaire a choisi de faire coexister ces deux organes, en plaçant la commission non plus sous l'autorité du garde des sceaux, mais sous celle du Médiateur, qui retrouve ainsi les compétences que l'Assemblée nationale lui avait confiées.

Ce texte permet de préserver ce qui, à mes yeux, était essentiel : donner aux Français un interlocuteur unique et facilement identifiable pour traiter des affaires de discipline de magistrats.

Le Médiateur, qui pourra être saisi directement, disposera de la possibilité de demander au garde des sceaux d'entamer des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un magistrat dont le comportement constituerait une faute.

La réponse du ministre devra être motivée et pourra faire l'objet d'une publication dans le rapport du Médiateur.

Voilà, brièvement résumés, les apports essentiels des deux projets que vous êtes appelés à adopter définitivement aujourd'hui.

Je voudrais une nouvelle fois remercier votre commission des lois, en particulier son président, M Jean-Jacques Hyest, et son rapporteur, M. François Zocchetto, pour le travail accompli, qui a permis d'apporter de notables améliorations aux textes proposés.

Je puis vous assurer que je veillerai à ce que ces textes soient effectivement mis en oeuvre par les juridictions, notamment en prenant dans les toutes prochaines semaines les dispositions réglementaires qui appliqueront et compléteront les différents articles de ces lois.

Tout en n'étant sans doute qu'une première étape, la réforme que vous allez adopter prévoit des avancées importantes.

Le terme de « réformette » que j'ai entendu ça et là émane souvent non pas de professionnels de la justice, avocats, magistrats ou policiers, mais bien de ceux qui, dans tous les domaines, regrettent le « grand soir ». (Mme Éliane Assassi s'exclame et M. Charles Gautier sourit.) Ce n'est pas faux, n'est-il pas ?

Ces derniers refusent de voir les avancées essentielles effectuées tant en ce qui concerne notre procédure pénale ou notre organisation judiciaire qu'en matière de formation et de responsabilité des magistrats.

Pourtant ces avancées sont réelles. Est-il honnêtement possible d'affirmer que l'enregistrement des gardes à vue, même limité à la matière criminelle, la mise en place des pôles de l'instruction, première étape vers la collégialité, ou la mise en oeuvre d'un contrôle extérieur des dysfonctionnements de l'institution judiciaire par le Médiateur de la République ne sont pas des mesures fondamentales ?

Je ne le crois pas et je suis sûr qu'avec le temps cette réforme apparaîtra comme une avancée importante pour les droits de la défense et ceux du justiciable.

Nous savons également que nous devons poursuivre nos efforts pour permettre à l'institution judiciaire de disposer de locaux et de personnels afin d'accueillir dans les meilleures conditions les Français qui ont recours à la justice.

Nous devons tout faire également pour que la justice soit rendue plus effective, que les décisions prononcées soient exécutées rapidement et que les recours, quand ils existent, fassent l'objet d'un examen dans un délai acceptable.

C'est pourquoi, vous l'aurez compris, j'appelle de mes voeux le vote d'une nouvelle loi d'orientation et de programmation pour la justice, pour les cinq prochaines années.

La justice, je l'ai déjà dit, est un bien commun.

Mais les dysfonctionnements révélés à l'occasion de l'affaire d'Outreau nous ont rappelé que la justice ne peut se contenter de mots ou de bonnes intentions.

Il fallait des décisions, nous les avons prises. Il fallait des moyens, nous les avons engagés et la prochaine majorité devra continuer à le faire.

C'est parce que nous nous convaincrons que la lutte pour une justice de qualité est un combat incessant que nous pourrons enfin donner aux Français la justice à laquelle ils aspirent : une justice humaine, efficace et respectueuse des droits de chacun ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'affaire dite d'Outreau devait entraîner un rééquilibrage institutionnel et statutaire s'agissant aussi bien de la formation et du recrutement des magistrats que de leur responsabilité.

Les quatre-vingts propositions de la commission d'enquête constituaient à ce titre un formidable outil de travail, grâce auquel nous aurions pu aboutir à une réforme d'ampleur de la justice.

Aujourd'hui, le Gouvernement nous demande d'adopter une réforme qui est très en deçà des attentes tant de nos concitoyens que des magistrats. Le grand débat citoyen n'a pas eu lieu, et pour cause : l'urgence a été déclarée sur ce projet de loi comme sur celui qui renforce l'équilibre de la procédure pénale, et nous devons adopter ces deux textes en toute hâte, le dernier jour précédent la suspension des travaux du Parlement en séance publique.

Les conditions n'étaient donc pas réunies pour élaborer une grande réforme de la justice et, à nos yeux, le compromis trouvé par la commission mixte paritaire n'est pas totalement satisfaisant.

Cette insatisfaction tient essentiellement au fait qu'aucune réforme du Conseil supérieur de la magistrature n'a été proposée ni même envisagée par le Gouvernement. Aucun consensus n'aurait été trouvé sur cette question, malgré la réforme votée en 1998, qui n'a malheureusement pas abouti.

C'était pourtant la principale réforme à mener, d'autant plus qu'elle est réclamée par tous. La question de la saisine directe par les justiciables est au coeur des débats, comme nous l'avons constaté lors de la discussion du texte.

Le Conseil supérieur de la magistrature lui-même n'exclut pas cette saisine. Dans sa communication du 20 décembre 2006, il propose notamment « d'ouvrir à tout justiciable une voie de saisine directe de ses formations disciplinaires ».

À la place, le dispositif issu de la commission mixte paritaire est d'une telle complexité que l'on se demande bien comment les justiciables y trouveront leur compte. Le texte adopté au Sénat pour l'article 6 quinquies nous semblait pourtant relativement équilibré. Au lieu du Médiateur de la République servant d'intermédiaire entre les justiciables et le garde des sceaux, le Sénat avait prévu un dispositif nettement plus satisfaisant, qui n'était cependant qu'un palliatif à une réforme du CSM.

Nous avions en effet souhaité la création d'une commission d'examen des réclamations, placée près du garde des sceaux et chargée d'examiner les réclamations de toute personne physique ou morale s'estimant lésée par un fait susceptible de recevoir une qualification disciplinaire et commis par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions.

La commission pouvait ensuite ordonner soit le classement de la procédure, soit sa transmission au garde des sceaux, aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature.

Nous n'avions pas franchi le cap de la saisine directe du CSM, mais nous avions au moins trouvé un compromis évitant le recours au Médiateur de la République.

Malheureusement, sur cette question, le désaccord entre l'Assemblée nationale, favorable au Médiateur de la République, et le Sénat a abouti à une sorte de synthèse, confuse et complexe, des deux dispositifs. Le choix du Médiateur de la République a été maintenu, mais, désormais, celui-ci sera assisté d'une commission chargée d'examiner les réclamations des justiciables.

Lorsque la réclamation n'aura pas donné lieu à une saisine du Conseil supérieur de la magistrature par le chef de cour d'appel ou de tribunal supérieur d'appel intéressé, le Médiateur de la République la transmettra au garde des sceaux, aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature, s'il estime qu'elle est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Pourquoi faire simple lorsqu'on peut faire compliqué ? Le Médiateur de la République n'aura même pas la faculté de saisir directement le CSM !

Nous ne pouvons que regretter un tel arbitrage, en défaveur, hélas ! des justiciables, alors qu'il était urgent de favoriser la transparence de la justice et un contrôle plus démocratique de l'institution.

Notre déception est également grande s'agissant de l'article 5 A, relatif à la faute disciplinaire. Une fois encore, je ne peux que regretter que cette question soit traitée sans qu'il ait été procédé au préalable à une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui aurait nécessairement conduit à une refonte du système d'évaluation des magistrats.

En l'occurrence, le projet de loi complète la définition de la faute disciplinaire, afin, selon les termes de M. le rapporteur et de M. le garde des sceaux, d'en clarifier la portée au regard des actes juridictionnels.

Tout d'abord, en prenant une telle orientation, le Gouvernement n'écarte pas le risque de voir des décisions de justice attaquées par le biais disciplinaire pour cause de « mécontentement » de la part des justiciables. Par conséquent, je tiens à réaffirmer notre attachement au principe selon lequel l'exercice des voies de recours constitue la voie naturelle - je devrais dire la seule voie - pour contester une décision juridictionnelle.

La rédaction retenue par la commission mixte paritaire n'est pas plus satisfaisante que celle qui était prévue par le projet de loi soumis au Sénat. Là encore, une synthèse des versions résultant des travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat a été adoptée ; elle n'emporte pas notre adhésion.

Ainsi, selon les termes de l'article 5 A, « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive ».

Cette précision apportée à la définition de la faute disciplinaire semble tout à la fois dangereuse et inutile.

Elle est inutile, car le CSM sanctionne déjà les violations graves et délibérées des magistrats commises dans l'exercice de leurs fonctions, sans avoir recours à un texte plus précis que l'actuel article 43 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

De manière générale, la jurisprudence du CSM est bien établie. Le Conseil n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler, en décembre dernier, qu'il « a contribué à la définition de la déontologie des magistrats par les décisions qu'il a rendues depuis quarante ans. [...] Ces décisions démontrent que les textes actuels permettent au Conseil, lorsqu'il est saisi, de se prononcer sur des situations extrêmement diverses, sans laisser en dehors du champ de la responsabilité disciplinaire l'activité et les carences des magistrats ».

Or le Gouvernement, en proposant de compléter l'actuelle définition de la faute disciplinaire, laisse à penser que l'ordonnance de 1958 ne permet aucune sanction, tout en ouvrant une brèche qui permettra de contester les décisions de justice.

Enfin, pour clore ce chapitre sur la discipline et la responsabilité des magistrats, je regrette que la collégialité devienne une sanction disciplinaire applicable aux magistrats. Une telle disposition ne peut que dévaloriser la collégialité, qui est pourtant le principe prévalant en matière pénale.

Sur ces trois points - la saisine du Médiateur de la République par les justiciables, la précision apportée à la définition de la faute disciplinaire et la sanction de la collégialité -, vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous ne pourrons vous rejoindre.

Il faut cependant reconnaître que le projet de loi apporte des améliorations en matière de formation des futurs magistrats. Nous ne pouvons que saluer l'initiative consistant à porter à six mois, au lieu des cinq mois prévus par le Sénat, la durée du stage obligatoire d'immersion au sein d'un cabinet d'avocats pour les auditeurs de justice.

De même, les dispositions finalement adoptées permettront un recrutement un peu plus diversifié qu'il ne l'est à l'heure actuelle.

En revanche, nous regrettons la fin de non-recevoir que nous a opposée le Gouvernement concernant l'introduction d'une épreuve de criminologie au concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que la formation des auditeurs de justice n'est pas suffisamment tournée vers les sciences sociales et humaines. L'occasion se présentait de remédier à une telle situation, mais le Gouvernement et la majorité ne l'ont malheureusement pas saisie.

En guise de conclusion, je ne peux que vous confirmer que nous nous abstiendrons lors du vote de ce texte, dans la mesure où il n'a pas été amélioré par rapport à sa première lecture, et qu'il témoigne même d'un recul s'agissant de l'instauration du Médiateur de la République comme interlocuteur des justiciables lésés par le comportement d'un magistrat.

Nous regrettons également, vous l'aurez compris, que le Gouvernement ait choisi de légiférer sur la question de la responsabilité des magistrats sans même qu'une réforme du CSM ait été envisagée. Ce projet de loi est, selon nous, loin de répondre aux attentes des justiciables à l'égard de l'institution judiciaire.

M. Roland Muzeau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission d'enquête parlementaire qui a fait suite aux débats suscités par l'affaire d'Outreau a soulevé un intérêt sans précédent dans notre pays.

Cette commission a permis de poser des questions clés sur l'organisation de notre système judiciaire : faut-il supprimer le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ? Faut-il séparer davantage les magistrats du parquet et ceux du siège ? Comment limiter la détention provisoire ? Comment recueillir la parole des enfants ? Quelle formation donner aux juges ? Pourquoi le budget de la justice est-il aussi limité ?

Toutes ces questions, qui agitaient depuis des années le seul monde judiciaire, ont soudain monopolisé les titres des journaux et alimenté les conversations de nos compatriotes.

Le 7 juin 2006, la commission dite d'Outreau présentait quatre-vingts propositions adoptées à l'unanimité et saluées par l'ensemble des milieux judiciaires et de la presse. Il nous était ainsi donné une occasion sans pareille de réaliser une grande réforme de la justice.

Afin de permettre une telle réforme, il fallait d'abord engager une large concertation avec le monde de la justice dans son ensemble et toutes les parties intéressées.

Pour prendre le temps de la réflexion, dans une atmosphère sereine, et déboucher sur une réforme de grande ampleur, il convenait avant tout de reporter la discussion après l'élection présidentielle, afin de l'organiser autour d'un véritable « contrat de législature ».

Ce n'est malheureusement pas le choix que vous avez fait, monsieur le garde des sceaux.

Vous nous proposez deux textes rassemblant pêle-mêle quelques mesures qualifiées par les députés de votre propre majorité de « rafistolage », de « fausse bonne idée » ou de « fausse réforme ». Pour évoquer votre projet de loi, leur imagination est féconde !

Je reprendrai les termes utilisés par Mme Pelletier dans un article paru dans Le Monde : « Que peut-on attendre des quelques mesures annoncées ? [...] certainement pas une amélioration significative du fonctionnement quotidien de la justice, lequel se dégrade d'année en année. »

En somme, les mesures que vous nous proposez ne sont pas à la hauteur des enjeux. Elles ne mettront pas fin aux ambiguïtés actuelles et, surtout, ne permettront pas de mettre un terme aux graves atteintes portées à la présomption d'innocence et aux droits de la défense, qui ont conduit tout droit à une justice à deux vitesses !

Que reste-t-il des quatre-vingts propositions de la commission d'Outreau dans les textes que vous nous soumettez ?

Si onze d'entre elles ont été retenues, huit autres n'ont été que partiellement reprises. En somme, nous ne retrouvons que dix-neuf des mesures proposées, dont sept ont été introduites par l'Assemblée nationale ! Ces chiffres sont d'une grande éloquence !

Les propositions reprises comptent-elles parmi les plus importantes ? Sont-elles propres à remédier aux dysfonctionnements majeurs qui ont conduit à la tragédie d'Outreau ? La réponse est « non » ! Rien, dans vos propositions, monsieur le garde des sceaux, ne permettra d'améliorer le respect de la présomption d'innocence, la durée de la détention provisoire et de résoudre les problèmes liés à la jeunesse des magistrats !

S'agissant du projet de loi organique relatif au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats, deux points importants restaient en discussion en commission mixte paritaire : la clarification des contours de la faute disciplinaire au regard des actes juridictionnels et la procédure d'examen des réclamations des justiciables s'estimant lésés par le comportement d'un magistrat.

Concernant le premier point, l'Assemblée nationale a souhaité préciser la notion de faute disciplinaire. L'alinéa suivant a ainsi été introduit : « Constitue notamment un manquement aux devoirs de son état la violation grave et intentionnelle par un magistrat d'une ou plusieurs règles de procédure constituant des garanties essentielles des droits des parties, commise dans le cadre d'une instance close par une décision de justice devenue définitive. »

Si notre assemblée a judicieusement supprimé l'adverbe « notamment » et remplacé l'adjectif « intentionnel » par l'adjectif, plus adapté, « délibéré », on peut regretter qu'elle ait choisi de subordonner l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature à l'existence d'une décision de justice constatant la violation, car cette exigence ne sera jamais satisfaite.

Le texte finalement retenu par la commission mixte paritaire combine les apports rédactionnels du Sénat et le dispositif résultant des travaux de l'Assemblée nationale : c'est une solution moins mauvaise. Toutefois, son inconvénient est de reporter à la clôture de l'instance la possibilité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un magistrat. Par conséquent, il faudra, pour certaines instructions très longues, attendre plusieurs années avant de pouvoir sanctionner un magistrat.

S'agissant de la procédure d'examen des plaintes des justiciables, je suis consterné par la solution retenue.

Les justiciables pourront saisir directement le Médiateur de la République d'une réclamation, celui-ci étant assisté, pour son examen, d'une commission qu'il présidera.

Ainsi, on aboutit à un système d'une complexité extrême, qui fait du Médiateur de la République un supplétif du garde des sceaux. L'examen des réclamations concernant la discipline des magistrats ne relèvera pas de cette autorité.

La solution que nous avions proposée, qui prévoyait la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature, lequel aurait créé en son sein une commission de filtrage, était plus logique.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Dans ce cas, il n'y a plus de garde des sceaux !

M. Charles Gautier. Cette commission, composée de personnalités ayant une bonne connaissance du système judiciaire, n'aurait rien retiré au pouvoir du garde des sceaux de saisir le Conseil supérieur de la magistrature.

Non seulement les mesures proposées par ce projet de loi organique sont très insuffisantes au regard des attentes de nos concitoyens mais, de surcroît, les choix retenus pour mettre en oeuvre ces modestes mesures sont inapplicables ou inadaptées.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre ce texte.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l'article  42, alinéa  12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire.

CHAPITRE IER

Dispositions relatives à la formation et au recrutement des magistrats