M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant le dernier alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le procureur de la République ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir l'état de récidive légale s'il n'a préalablement requis, suivant les cas, l'officier de police judiciaire compétent, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de la protection judiciaire de la jeunesse ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, afin de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l'accusé ou du prévenu et de l'informer sur les garanties d'insertion ou de réinsertion de l'intéressé. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur. Aux termes du projet de loi, la reconnaissance de la situation personnelle de l'accusé ou du prévenu, et en particulier de ses garanties de réinsertion, sera déterminante pour permettre à la juridiction de décider d'appliquer ou non les peines minimales d'emprisonnement.
Or, malheureusement, les enquêtes de personnalité sont très loin d'être systématiques, bien que le procureur de la République ait la possibilité de les prescrire et soit même tenu de le faire dans certains cas, en particulier lors de comparutions immédiates ou de comparutions de mineurs.
Il semble donc opportun, afin de donner une pleine effectivité au pouvoir d'appréciation reconnu au juge par le projet de loi, de prévoir que le ministère public ne puisse prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité propre à éclairer la juridiction de jugement sur la personnalité de l'intéressé et ses garanties d'insertion ou de réinsertion.
Tel est l'objet de cet amendement, qui se fait l'écho des préoccupations exprimées par des juges de différents niveaux hiérarchiques que nous avons rencontrés. Ces juges sont prêts à assumer leurs responsabilités dès lors que le législateur leur en donne les moyens. Or, parmi ces moyens, figure la nécessité de disposer d'une information complète concernant l'accusé ou le prévenu.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, cet amendement, qui vise à rendre obligatoire l'enquête sociale dès lors que le parquet retient l'état de récidive légale, me gêne quelque peu.
Le parquet a déjà la possibilité d'ordonner des enquêtes sociales et de personnalité. Si cet amendement était adopté, elles deviendraient obligatoires pour les récidivistes.
Tout d'abord, une telle mesure a un coût, puisque ces enquêtes sont facturées de 40 à 77 euros. Ensuite, son adoption ajouterait une contrainte procédurale. Est-ce vraiment le meilleur moyen pour juger les récidivistes, alors que le parquet a déjà la possibilité de faire procéder à de telles enquêtes ? Par ailleurs, celles-ci sont d'ores et déjà obligatoires pour les mineurs, les jeunes majeurs et en cas de réquisition de détention provisoire.
Dans la pratique, les primo-délinquants de plus de vingt-deux ans ne bénéficient pas de ces enquêtes en matière de délit. Or, avec cet amendement, pour les récidivistes, voire troisièmes ou quatrièmes récidivistes, « ancrés » dans la délinquance, dont on commence à connaître l'environnement, l'État devrait prendre à sa charge une enquête de personnalité ou une enquête sociale, au cours de laquelle, finalement, on s'efforcerait de leur trouver une circonstance atténuante. Car c'est bien cela, la réalité de l'enquête !
Devons-nous créer, aux frais de l'État, un régime plus favorable pour les récidivistes, alors que c'est à eux d'apporter des garanties d'insertion ou de réinsertion ? Cela paraît tout de même gênant.
Par conséquent, le Gouvernement se voit contraint d'émettre, à son grand regret, un avis défavorable sur l'amendement n° 5.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vous le savez, je ne suis pas expert dans ce domaine...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est vrai !
M. Dominique Braye.... et je ne fais pas partie de l'éminente commission des lois. Je souhaiterais donc recueillir certaines précisions sur le sujet que nous sommes en train d'évoquer.
Premièrement, madame le garde des sceaux, voter des dispositions que nous ne mettrons pas en place par manque de moyens financiers me pose un vrai problème. Comme l'a dit le Président de la République lui-même, cela discrédite la politique.
Deuxièmement, mes interrogations sont également d'ordre moral. En effet, tous ceux qui travaillent sur le terrain, notamment dans les quartiers sensibles, savent que les enquêtes doivent être effectuées au moment de la première infraction. En effet, par la suite, on connaît de mieux en mieux le délinquant. Dès lors, pourquoi prévoir des dispositions spécifiques obligatoires pour un délinquant majeur multirécidiviste, alors que celles-ci ne le seraient pas pour un primo-délinquant, lequel devrait bénéficier de toutes les dispositions permettant de lui éviter de récidiver ?
M. Charles Gautier. Généralisons cette obligation !
M. Dominique Braye. Une enquête sociale est d'abord destinée à éviter la récidive ! Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi cette enquête serait rendue obligatoire pour les récidivistes. À ce moment-là, rendons-la obligatoire aussi pour les primo-délinquants !
Je souhaite donc avoir des précisions sur les dispositions prévues par cet amendement, qui soulève à mes yeux un vrai problème. Cela permettra d'ailleurs d'éclairer l'ensemble de nos collègues, qui se posent également des questions.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce projet de loi est censé respecter le principe d'individualisation de la peine, c'est-à-dire permettre au juge de surseoir à l'application de la peine plancher en cas de récidive. Si celui-ci n'a pas les moyens de connaître la personnalité du prévenu ou de l'accusé, ses possibilités de réinsertion, comment pourra-t-il individualiser la peine ?
C'est là qu'est le problème. Et ne venez pas nous parler de gros sous, car si le juge n'a aucune possibilité d'appréciation, le principe d'individualisation de la peine disparaît et le dispositif devient inconstitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J'abonderai dans le sens de mon collègue Pierre-Yves Collombat. Même si je comprends les interrogations de M. Braye, j'aurais tendance à dire que ce qui vaut pour le primo-délinquant vaut également pour le récidiviste ou le multirécidiviste.
Les délais entre les différentes condamnations peuvent être très longs et les situations peuvent avoir changé. Il est important que le juge dispose des éléments les plus récents concernant le prévenu ou l'accusé pour pouvoir prononcer le jugement le plus individualisé possible.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Malheureusement, l'absence d'enquête rend inapplicable les dispositions que vise à instaurer le texte pour déroger à la règle générale, à savoir les peines planchers. En effet, si le juge ne dispose d'aucun élément d'enquête, on ne voit pas comment il pourrait prendre la responsabilité de déroger à la peine plancher.
Monsieur Braye, vous qui aimez que les textes soient appliqués, je peux vous dire que l'absence de l'enquête prévue par l'amendement n° 5 rendrait inapplicable le texte qu'il nous est demandé de voter.
M. le président. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, pour explication de vote.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Rendre obligatoire les enquêtes de personnalité est superfétatoire. En effet, aucun dossier n'est présenté au pénal s'il ne comporte les éléments indispensables pour permettre au juge d'individualiser la peine.
En matière de récidive, le prévenu ou son conseil peuvent, à l'audience, demander une enquête supplémentaire. En rendant cette décision obligatoire, on va incontestablement créer une surcharge de travail, tant pour le parquet que pour les assistantes sociales.
C'est la raison pour laquelle je soutiens la position de Mme le garde des sceaux.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Mes chers collègues, je suis étonné de notre discussion ! En effet, la commission des lois a unanimement adopté cet amendement. Croyez-vous qu'elle l'ait fait à la légère, sans savoir ce dont il était question, en se livrant à des impressions ou pour satisfaire à je ne sais quel penchant laxiste ?
Lorsqu'il s'agit de crimes, la question est réglée, puisque l'enquête de personnalité est nécessairement obligatoire et complète. Dans ce cas, nul besoin des dispositions prévues par cet amendement !
Aujourd'hui - c'est inscrit dans toutes les statistiques -, les procédures de comparution immédiate, les procédures les plus rapides, sont la loi commune. Or elles ne permettent pas de recueillir les renseignements nécessaires. Dans de telles conditions, il nous a paru évident que, pour garantir une bonne justice, le magistrat devait pouvoir apprécier en connaissance de cause l'existence ou non de garanties de réinsertion.
S'agissant de peines de cette importance - je rappelle qu'il s'agit d'emprisonnement ferme -, la commission des lois a estimé que le ministère public, dans tous les cas, et pas seulement selon les possibilités du moment, devait procéder à cette enquête.
En outre, reconnaissez que l'argument selon lequel une telle mesure coûterait cher, alors qu'il s'agit de décisions pouvant entraîner des peines d'emprisonnement ferme, ne saurait être déterminant.
La commission était donc unanime : il s'agit d'une mesure de bonne justice, qui doit accompagner le développement des comparutions immédiates. En effet, la justice doit être éclairée avant de décider, en particulier pour des peines d'emprisonnement ferme. Je ne vois donc pas ce qui pourrait empêcher nos collègues d'adopter cet amendement.
M. le président. Vous avez la parole, monsieur le président de la commission. Je vous demande de me pardonner de ne pas vous l'avoir donnée plus tôt. Je pensais que vous souhaitiez vous exprimer en dernier.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n'ai pas pour habitude, monsieur le président, de prendre la parole à tout bout de champ ! Lorsque je la demande, c'est, a priori, pour l'avoir à ce moment-là.
M. le président. Je serai désormais plus attentif, monsieur le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En fait, la commission des lois a recherché un équilibre.
À partir du moment où il existe des peines minimales en cas de récidive et que l'on doit tenir compte de la personnalité du prévenu et des circonstances de l'infraction, la commission considère que la réquisition du parquet ne peut intervenir qu'après une enquête de personnalité, laquelle peut être menée, notamment, par un officier de police judiciaire.
Cela pose, bien entendu, des questions de moyens : on ne dispose pas d'assez d'enquêteurs ; cela risque de retarder les procédures... Tout cela est vrai. Je comprends bien votre souci, madame le garde des sceaux, mais comprenez aussi le nôtre !
Pour nous qui croyons à la nécessité d'instaurer des peines minimales, cette disposition nous semble de nature à garantir un équilibre. À partir du moment où l'on entre dans le système, la logique veut que l'on adopte cet amendement. En tant que président de la commission des lois, malgré l'opposition du Gouvernement, j'incite mes collègues à le faire.
M. Charles Pasqua. L'assemblée fait ce qu'elle veut !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le juge devra prononcer une peine minimale. C'est une responsabilité ! Il devra connaître la personnalité du prévenu pour aller en deçà. Il peut avoir un doute. Il convient de le prévoir.
L'enquête devrait-elle être demandée par le magistrat, puisqu'elle n'est pas forcément indispensable ? La formule reste à trouver, madame le garde des sceaux. Quoi qu'il en soit, ne pas poser le principe ne nous semble pas satisfaisant.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6, présenté par M. Zocchetto, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction avertit le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
L'amendement n° 39, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 132-20 du code pénal, il est inséré un article 132-20-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-20-1.- Lors du prononcé de la peine, le président de la juridiction doit avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 6.
M. François Zocchetto, rapporteur. J'espère que cet amendement sera plus consensuel dans la mesure où les moyens nécessaires à son application risquent de poser moins de problèmes !
Les délinquants ignorent parfois, surtout lorsqu'ils sont mineurs, qu'ils encourent une aggravation de la peine en cas de récidive. Cela nous paraît étonnant, à nous qui discutons régulièrement de la récidive ; mais c'est la réalité.
Aussi, à titre dissuasif, semble-t-il utile d'inviter le président de la juridiction à avertir le condamné des conséquences qu'entraînerait une condamnation pour une nouvelle infraction commise en état de récidive légale.
Cela revient à appliquer l'adage : « Mieux vaut prévenir que guérir. » On préviendra la personne condamnée une première fois que, lors de la prochaine condamnation pour des faits similaires ou assimilés au regard de la récidive légale, elle encourra non pas un travail d'intérêt général, mais une peine d'emprisonnement.
Cette façon de faire est déjà pratiquée dans un certain nombre de juridictions. Les présidents de tribunaux correctionnels ont spontanément constaté que, en avertissant le condamné sur ce qu'il encourait s'il recommençait, ils contribuaient à la lutte contre la récidive.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l'amendement n° 39.
M. Robert Badinter. Cet amendement est pratiquement identique à celui de la commission. La seule différence tient aux mots « doit avertir » alors que, dans le texte de la commission, il est dit : « avertit ». Au demeurant, je préfère l'emploi de l'indicatif présent ; aussi, je suis prêt à retirer notre texte.
Nous avons déposé cet amendement pour une raison simple. Au cours des auditions auxquelles a procédé la commission des lois, j'ai tenu à demander aux magistrats si, pour prévenir la récidive, il ne leur paraissait pas opportun, au moment de prononcer une condamnation, de lancer un avertissement à l'intéressé : « Faites attention, si vous recommencez, vous encourrez telle peine ! » Peut-être alors se rendra-t-il compte de ce qui peut advenir s'il réitère. On parle de dissuasion par la peine encourue.
Ne rêvons pas ! Lorsque, après sa condamnation, le délinquant quitte le tribunal correctionnel, il n'est pas, croyez-moi, conscient de ce que contient le code pénal. Il ne le connaît même pas. En revanche, en cet instant précis du prononcé de la peine, si l'on insiste sur le fait que cette peine sera plus grave s'il recommence, il y a une chance, et il faut la tenter, qu'un tel avertissement s'imprègne en lui.
Chacun des magistrats en est convenu. Comme M. Zocchetto, nous avons estimé utile de prévoir cette forme de dissuasion spécifique, immédiate, individualisée. Nombre de magistrats font déjà cet avertissement ; il faut généraliser cette pratique. Non seulement cela ne coûtera rien, mais on peut espérer que cela permettra de prévenir la récidive plus sûrement que le vote de textes complexes, que les intéressés ne connaissent certainement pas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je considère qu'il est satisfait par l'amendement n° 6 de la commission, mais j'avais compris que M. Badinter le retirait.
M. Robert Badinter. Effectivement, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 39 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 6 ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 2.
Article 3
I. - L'article 20-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par la phrase suivante : « La diminution de moitié de la peine encourue s'applique également aux peines minimales prévues par les articles 132-18, 132-18-1 et 132-19-1 du code pénal. » ;
2° Le deuxième alinéa est remplacé par les alinéas suivants :
« Toutefois, si le mineur est âgé de plus de seize ans, le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs peut décider qu'il n'y a pas lieu de le faire bénéficier de l'atténuation de la peine prévue à l'alinéa précédent dans les cas suivants :
« 1° Lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient ;
« 2° Lorsqu'un crime d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ;
« 3° Lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit d'agressions sexuelles, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.
« Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° ci-dessus commises en état de récidive légale.
« L'atténuation de la peine prévue au premier alinéa ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque les infractions mentionnées aux 2° et 3° ci-dessus ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale. Toutefois la cour d'assises des mineurs peut en décider autrement, de même que le tribunal pour enfants qui statue par une décision spécialement motivée. »
II. - Le treizième alinéa de l'article 20 de la même ordonnance est remplacé par les dispositions suivantes :
« 2° Y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine prévue à l'article 20-2 ou, dans le cas mentionné au septième alinéa de cet article, de faire bénéficier l'accusé de cette diminution de peine ? »
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Avec cet article 3, c'est la cinquième fois en cinq ans que le Gouvernement modifie l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. J'ajouterai qu'il modifie la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, texte qui n'est toujours pas appliqué.
L'article 3 s'attaque au principe de l'atténuation des peines. Celui-ci deviendrait l'exception à la seconde récidive, puisque le juge devra motiver sa décision s'il entend l'appliquer. Ainsi, l'atténuation de la peine pour les mineurs, principe à valeur constitutionnelle, serait remise en cause puisqu'il ne serait plus nécessairement tenu compte de la gravité réelle des faits commis ou de la personnalité de l'auteur.
Or, si l'automaticité des peines est interdite, c'est justement parce qu'elle ne permet pas d'assurer la proportionnalité des peines à laquelle, je vous le rappelle, la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs était attachée.
Notre commission des lois n'hésite d'ailleurs pas à se contredire, puisqu'elle précise, d'une part, que la réponse carcérale doit rester le dernier recours et, d'autre part, qu'il faut prévoir, avec ce texte, une augmentation du nombre des mineurs en détention.
Autre contradiction : son rapport indique que le taux de récidive légale, fondement du projet, est très faible pour les mineurs et qu'il n'y a pas de relation linéaire entre le taux de réitération et la durée de la peine de prison ferme. Dans ces conditions, à quoi sert ce texte ?
En réalité, ces dispositions qui limitent la marge d'appréciation du juge, mais qui accroissent leur responsabilité, révèlent une véritable défiance à l'égard de l'institution judiciaire, notamment des juges des enfants. Rappelons-nous les accusations de laxisme proférées à leur encontre par le précédent ministre de l'intérieur, l'actuel Président de la République.
Pourtant, le taux de réponse pénale est plus élevé pour les mineurs que pour les majeurs. Vous avez dit, madame le garde des sceaux : « une infraction, une réponse ». Mais où sont les réponses quand les délais d'attente annulent tout sens au prononcé de la sanction et ne permettent pas aux jeunes concernés de trouver l'aide nécessaire pour s'inscrire dans un parcours de sortie de la délinquance ?
Tous les professionnels insistent sur l'urgence qu'il y a à renforcer les structures de prise en charge et de suivi. Or la quasi-totalité des crédits supplémentaires affectés à la protection judiciaire de la jeunesse sont imputés à l'enfermement, une orientation constante depuis la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. Pourtant, vous le savez bien, la prison n'insère pas ; elle élimine provisoirement du circuit.
L'ensemble des professionnels de la justice, de l'enfance, leurs organisations, sont opposés à ce texte. Ils vous l'ont fait savoir, comme ils le font régulièrement depuis cinq ans - sans beaucoup d'effet, hélas ! On est en droit de se demander où est le dialogue social, pourtant tant vanté.
Mme Dominique Versini, défenseure des enfants, a rappelé que ce texte contrevenait aux exigences de la Convention internationale des droits de l'enfant et du Comité des droits de l'enfant de l'Organisation des nations unies.
Le Conseil d'État a émis une réserve d'interprétation sur l'article 3, estimant qu'il ne pouvait être contraire aux articles 2 et 20 de l'ordonnance de 1945. Il serait sage en conséquence, me semble-t-il, de rejeter cet article 3.
M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 40, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus - Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene - Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Nous abordons le point le plus saisissant et, dirai-je, le plus regrettable de ce texte.
L'esprit de ces dispositions est en effet contraire à la jurisprudence et aux principes du Conseil constitutionnel en matière de droit des mineurs, aux conventions internationales et, ce qui est plus important encore, au système que nous avons édifié depuis un demi-siècle concernant le traitement judiciaire des mineurs.
En matière de droit des mineurs, on est parti d'une évidence : le mineur est un être en devenir. On en a déduit des conséquences : une juridiction spécialisée, la primauté des mesures éducatives et, dans le cas de recours à l'emprisonnement, une atténuation qui est de l'ordre de la moitié. Tels sont les fondements constitutionnels de la justice pour mineurs. Les conventions internationales et l'évolution internationale vont dans le même sens.
Or, avec cet article 3, nous tournons d'un seul coup le dos à tout cela en créant des peines planchers qui comportent, certes, un niveau d'atténuation de peine, mais dont le ressort premier est l'emprisonnement, et c'est pourquoi j'ai utilisé l'expression « tourner le dos ». Voilà précisément ce que l'on ne doit pas faire !
Je tiens à dire que je suis de cette génération - triste privilège ! - que visait l'ordonnance de 1945. Datée du 2 février, elle n'a pas été prise après la victoire. La France était, pour l'essentiel, libérée, mais la guerre continuait. Pourquoi le législateur de 1945, sous la présidence du général de Gaulle, certes, mais avec la totalité des forces de la Résistance, a-t-il voulu qu'un texte relatif à la délinquance et à la protection de la jeunesse soit pris sans délai ? C'est parce que, dans la France telle qu'elle était à ce moment-là, il était absolument nécessaire de traiter ce problème.
La génération concernée a grandi alors même que plus d'un million et demi de pères de famille étaient prisonniers - ils l'étaient encore en février 1945 - alors que des centaines de milliers de déportés ne reviendraient pas. Ce sont les mères qui ont dû faire face à cette situation. Cette génération, qu'on a appelée les J3, qui a souffert de carences alimentaires, qui a vu autour d'elle tant d'exemples de corruption, qui a été le témoin du marché noir, de relâchements en tout genre et, pis encore, d'abandons et de trahisons, était tellement déboussolée que la délinquance y était considérable. C'est pour cette raison que, toutes affaires cessantes, dans une France à reconstruire, a été prise l'ordonnance de 1945 définissant les bases de ce que devait être le traitement judiciaire de la jeunesse en danger ou délinquante.
Si, à cet instant-là, l'éducatif a prévalu sur le répressif, ce n'était pas par laxisme - pensez aux rédacteurs de l'ordonnance -, mais par souci de prendre impérativement en compte la spécificité de l'adolescence, qui avait été si cruellement oubliée durant cette terrible époque. Les hommes qui portaient ces principes n'étaient pas mus par l'angélisme. La spécificité de l'adolescence est, depuis lors, devenu le fondement de notre droit des mineurs.
Les temps ont évidemment changé. L'ordonnance de 1945 a fait l'objet de plus de vingt révisions. Elle est un peu comme ces meubles de familles dont on remplace le tiroir, puis les serrures, mais dont on conserve la structure. En dépit de ces modifications, les principes qui l'avaient inspirée sont demeurés. Ce n'est ni par angélisme ni par laxisme qu'on se refuse à l'incarcération des mineurs, mais pour les raisons que j'ai évoquées plus haut. La prison, même si les bâtiments sont neufs, même avec la présence d'éducateurs, favorise grandement les risques de récidive. En l'espèce, c'est toujours avec une extrême prudence qu'il faut recourir à l'incarcération. Pour cette raison, ce projet de loi va dans le mauvais sens ; il nous conduit dans le mur.
J'entends dire que le moment est venu de traiter comme des adultes les mineurs de seize à dix-huit ans parce qu'ils sont plus musclés et mieux solides que leurs aînés, parce que leurs performances athlétiques sont supérieures. Comme si la maturité et la responsabilité pénale se mesuraient à la taille des biceps ! On perd le sens des choses ! Dans le même temps, tous les pays européens, notamment l'Allemagne, considèrent au contraire que les jeunes âgés aujourd'hui de dix-neuf ou de vingt ans manquent de maturité et qu'ils doivent relever de la protection judiciaire de la jeunesse. Aussi, non seulement c'est un non-sens que de traiter les mineurs comme des majeurs, mais encore c'est dangereux. Je le répète, on ne mesure pas la dangerosité d'un individu à sa taille ou à sa masse musculaire- à cet égard, il est vrai que ma génération n'était pas particulièrement ni bien nourrie ni athlétique.
En tout cas, ce qui continue d'être impératif, c'est de protéger la jeunesse, y compris contre elle-même, et non de recourir à la solution carcérale en la considérant comme une panacée. Cela dit, je peux comprendre ce réflexe de la part de ceux qui ont subi les actes de violence de jeunes dévoyés.
Enfin, ce qui caractérise la délinquance des adolescents, et spécialement de ceux qui sont âgés de quinze à dix-sept ans, c'est la révolte, révolte contre leurs parents et révolte contre la société. Cette délinquance se caractérise par la réitération. On ne vole pas une fois dans un supermarché, mais dix fois. On ne vole pas un vélo, on en vole cinq. On ne vole pas une voiture, on en vole trois. Ces périodes propices à la délinquance de l'adolescent prennent fin dès lors qu'une réponse appropriée lui est apportée. Or, en séparant les actes délictueux les uns des autres par une sorte de « saucissonnage » et en les jugeant indépendamment les uns des autres, ce projet de loi sur la réitération et la récidive nous conduit droit au désastre.
De cette génération qui est soumise à tant de tentations et dont les problèmes éducatifs sont si prégnants, on verra émerger un nombre croissant de délinquants qui, alors, ne seront plus des délinquants juvéniles.
C'est pourquoi, au nom du groupe socialiste, je demande avec fermeté la suppression de cet article. Il sera toujours temps de mettre à jour l'ordonnance de 1945 et d'en améliorer les procédures. Mais ne mêlez pas dans un même texte la révision de cette ordonnance et le traitement de la récidive des majeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 60 de la loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance est abrogé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Compte tenu de ce que vient de dire notre collègue Robert Badinter, je considère que cet amendement a été défendu.
M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Borvo Cohen - Seat, Mathon - Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa (1°) du I de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Toutefois, le tribunal pour enfants peut, dans tous les cas, prononcer une mesure éducative.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous avons déjà eu ce débat tout à l'heure lors de l'examen des articles 1er et 2, mais il nous semblait plus judicieux d'inscrire dans l'ordonnance de 1945, texte qui régit encore le droit pénal des mineurs, le fait que dans tous les cas le tribunal peut prononcer une mesure éducative à l'encontre d'un mineur délinquant.
Cet amendement a donc pour objet de traduire la réserve d'interprétation que le Conseil d'État a émise sur ce projet de loi concernant la justice des mineurs. Celui-ci a en effet rappelé que ce texte s'inscrivait dans le cadre de l'article 2 de l'ordonnance de 1945 et que l'emprisonnement n'était pas l'objectif premier du droit des mineurs, mais restait une exception.
Ainsi, il importe de rappeler que le dispositif des peines planchers n'a vocation à s'appliquer que si la juridiction décide de prononcer une peine d'emprisonnement.
Les fondements de l'ordonnance de 1945 sont toujours valables : le problème ne vient pas tant des jeunes eux-mêmes que de la diminution progressive des moyens alloués aux magistrats et aux éducateurs pour mettre en oeuvre les mesures éducatives. Et c'est bien souvent cette absence de rapidité dans la réponse pénale qui favorise la récidive.
Mais le Gouvernement fait le choix de la visibilité : asséner que les jeunes sont de plus en plus violents pour ensuite faciliter leur emprisonnement est beaucoup plus intéressant d'un point de vue médiatique que financer des personnels supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le travail sur le long terme, avec un véritable projet éducatif, n'est pas suffisamment parlant pour l'opinion.
Le Gouvernement propose aujourd'hui une justice mécanique, à l'encontre de ce qu'il faut faire avec les mineurs délinquants.
Cet amendement de repli a pour objet de préciser que les juridictions pourront toujours faire le choix de prononcer une mesure éducative, même en cas de récidive du mineur.
M. le président. L'amendement n° 52, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Dans le septième alinéa (3°) de cet article, supprimer les mots :
un délit de violences volontaires,
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L'article 3 du projet de loi dispose que le juge aura la faculté d'écarter l'excuse de minorité du mis en cause lorsque celui-ci aura commis en état de récidive légale un délit de violences volontaires.
Cet amendement vise à supprimer du texte cette mention, qui est beaucoup trop large. À cet égard, je citerai Mme la ministre elle-même, qui, dans un article paru dans l'édition de lundi du quotidien Libération, a écrit : « C'est à ces mineurs-là, auteurs de violences graves et réitérées aux personnes, et à ces mineurs-là seulement, que mon projet de loi s'adresse. » Or, en l'état actuel des choses, ce projet de loi vise également toutes les atteintes aux biens, et pas seulement les atteintes aux personnes.
Le délit de violences volontaires recouvre des situations trop variées. Cet amendement vise à en circonscrire le champ, pour distinguer, d'une part, les délits les moins graves, d'autre part, les délits de violences volontaires les plus graves et, enfin, les délits commis avec la circonstance aggravante de violences, au regard de la récidive.
Le délit commis avec la circonstance aggravante de violences étant déjà visé par ce même alinéa de l'article 3, il est inutile de faire apparaître la référence au délit de violences volontaires.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit de violences volontaires
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je défendrai en même temps l'amendement n° 26, monsieur le président.
M. le président. J'appelle donc en discussion l'amendement n° 26, présenté par Mmes Alima Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, qui est ainsi libellé :
Dans le septième alinéa du I de cet article, après les mots :
délit commis avec la circonstance aggravante de violences
insérer les mots :
ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de 10 jours
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce projet de loi concerne tous les types de délits, sans considération de la nature des infractions ni de leur gravité.
Or il est important de traiter les délits différemment selon leur nature. J'ai proposé tout à l'heure d'établir une distinction entre l'agression, l'agression avec violence et les violences volontaires ayant entraîné ou non une interruption temporaire de travail. Mais Mme la ministre m'a opposé une fin de non-recevoir.
Ces amendements ont pour objet de rappeler l'importance de cette distinction.
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par Mmes Boumediene - Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard, est ainsi libellé :
Compléter in fine le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine ne peut être prononcée par le tribunal pour enfants ou le juge des enfants lorsque le mineur est poursuivi en vertu de la procédure prévue à l'article 14-2. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à ce que le mineur de plus de seize ans bénéficie obligatoirement d'une atténuation de peine lorsqu'il est poursuivi devant le tribunal pour enfants selon la procédure de présentation immédiate devant la juridiction.
L'exclusion de l'atténuation de la responsabilité du mineur par le juge impose par principe un délai de réflexion et une appréciation approfondie de la personnalité du mineur et, par conséquent, un rallongement nécessaire des investigations avant le prononcé de la peine.
Ce principe d'atténuation de la peine pour le mineur est un principe constitutionnel. Il s'oppose donc à ce que l'excuse de minorité soit écartée dans le cadre de cette procédure accélérée ou procédure de présentation immédiate.
La présentation immédiate devant le juge n'est pas une procédure adaptée à une décision d'exclusion du principe de l'atténuation de la peine pour le mineur. En effet, cette décision ne peut intervenir que dans le cadre de la procédure « classique » de jugement, avec les délais qui y sont attachés entre la présentation au procureur de la République et l'audience devant le tribunal pour enfants.
En cas de première récidive, le projet de loi impose au juge de motiver sa décision lorsque les circonstances de l'espèce et la personnalité du mineur le justifient. La décision prend du temps et la procédure de présentation immédiate ne permet pas de telles investigations en raison de son caractère assez expéditif.
En cas de deuxième récidive, le juge ne peut décider d'atténuer la peine qu'à la condition de motiver de manière spéciale sa décision. Cela suppose donc des investigations approfondies qui ne sont pas possibles dans le cadre d'une procédure accélérée.
Cet amendement tend à supprimer cette incompatibilité factuelle. Des investigations plus poussées s'imposent par principe lorsqu'il s'agit d'appliquer à un mineur des règles du droit pénal.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je crois utile de rappeler au Sénat le cadre dans lequel nous évoluons en matière de justice pénale des mineurs afin d'éviter toute erreur d'interprétation et afin de savoir ce dont il est question dans ce texte.
Aujourd'hui, il existe des situations extrêmement différentes selon l'âge du mineur.
Les mineurs capables de discernement âgés de moins de dix ans ne peuvent faire l'objet que de mesures éducatives. Ils ne sont pas visés par le texte.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils le seront l'année prochaine...
M. François Zocchetto, rapporteur. Mais non ! Vous le savez bien... vous souriez !
Les mineurs de dix à treize ans ne peuvent pas être condamnés à une peine, mais ils sont susceptibles de faire l'objet de sanctions éducatives - mesures intermédiaires introduites par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, qui se situent à mi-chemin entre des mesures éducatives et des peines. Eux non plus ne sont pas concernés par ce texte.
Les mineurs de treize à seize ans - dont certains, malheureusement, commettent des actes graves, voire très graves, y compris, parfois, en situation de récidive - peuvent être condamnés à certaines peines, mais ils bénéficient toujours, en toute circonstance, d'une diminution des peines privatives de liberté et des peines d'amende. Ce principe n'est pas modifié par le présent texte.
Enfin, les mineurs de seize à dix-huit ans bénéficient en principe de l'atténuation de leur responsabilité, laquelle peut cependant être écartée par la juridiction de jugement sous certaines conditions. De fait, ce projet de loi prévoit d'apporter des modifications à la législation actuelle s'agissant de cette dernière catégorie de mineurs.
Le texte prévoit en premier lieu d'étendre les conditions dans lesquelles le juge peut décider d'écarter l'excuse de minorité pour les auteurs d'infractions d'une particulière gravité commises en état de récidive. Il s'agit des crimes d'atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique, des délits de violences volontaires, des agressions sexuelles et des délits commis avec la circonstance aggravante de violences.
En second lieu, en cas de nouvelle récidive de ces infractions les plus graves, c'est-à-dire quand l'acte est commis pour la troisième, quatrième ou cinquième fois, l'atténuation de la peine sera exclue à moins que la juridiction n'en décide autrement. Le juge a donc toujours la possibilité de revenir à l'excuse de minorité, laquelle n'est en aucun cas une exonération de responsabilité, mais conduit à une atténuation de la peine.
Je me permets de rappeler tous ces points, parce qu'il me semble qu'il règne une certaine confusion sur le sujet.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans la presse !
M. François Zocchetto, rapporteur. Dans la presse, et peut-être aussi dans l'esprit de certains d'entre nous.
En conclusion, je soulignerai que, selon la commission, le chapitre du projet de loi que nous étudions ne remet pas en cause l'âge de la majorité pénale, qui reste, comme dans la quasi-totalité des pays, fixée à dix-huit ans ; il y a un pays européen dans lequel elle est fixée à quinze ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et dans d'autres à vingt et un ans !
M. François Zocchetto, rapporteur. Le texte ne remet pas non plus en cause le principe d'atténuation de la responsabilité, puisque celui-ci reste posé comme principe et que le juge a toujours la possibilité de prononcer l'excuse de minorité.
Enfin, le texte ne remet évidemment pas en cause ce qui est un acquis fondamental de l'ordonnance de 1945 : la spécialisation des juridictions pour mineurs. En d'autres termes, le mineur de moins de dix-huit ans restera toujours passible du juge pour enfants ou du tribunal pour enfants.
Ces observations étant faites, vous comprendrez que, au nom de la commission, je m'oppose aux amendements qui ont été présentés.
Il en va ainsi de l'amendement de suppression n° 40, mais également de l'amendement n° 58, qui tend à supprimer l'article 60 de la loi du 5 mars 2007 ayant récrit l'article 20 de l'ordonnance de 1945 ; de l'amendement n° 59, qui a le même objet que l'amendement n° 32 que nous avons écarté tout à l'heure.
La commission a également émis un avis défavorable sur les amendements nos 52, 25 et 26, qui visent à réduire les conditions dans lesquelles le juge peut écarter le principe d'atténuation de la peine pour un mineur récidiviste de plus de seize ans, parce que ce serait contraire à l'esprit du texte.
Enfin, elle s'est prononcée défavorablement sur l'amendement n° 27, qui tend quant à lui à réduire excessivement le champ d'application du projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. À propos de l'amendement n° 40, qui vise à supprimer l'article 3, je rappelle ce que j'ai déjà indiqué précédemment : le projet de loi ne modifie aucunement l'article 2 de l'ordonnance de 1945 et les mesures éducatives seront toujours possibles. J'émets donc un avis défavorable.
L'amendement n° 58 tend à supprimer l'exclusion de plein droit de l'excuse de minorité, disposition essentielle du texte, qui prolonge la loi du 5 mars 2007 ; j'y suis bien entendu défavorable.
Je citerai à ce propos, en réponse à Mme Assassi, quelques statistiques concernant les mineurs âgés de treize à seize ans - ce sont des données provenant du casier judiciaire national, que je tiens à sa disposition. Entre 2000 et 2005, les condamnations pour crimes d'homicide volontaire, de violence ayant entraîné la mort et de viol ont augmenté de 28 % ; les condamnations pour violence volontaire avec ITT supérieure à huit jours ont connu une hausse de 19 % ; les condamnations pour délits à caractère sexuel sont en augmentation de 43 %.
L'amendement n° 59 reprend la proposition formulée par M. Badinter. Dans la mesure où nous ne touchons pas à l'article 2 de l'ordonnance de 1945, il est superflu et j'y suis défavorable.
L'amendement n° 52 a pour objet de modifier légèrement l'article 20-2, qui a été récrit par la loi du 5 mars 2007. Or la rédaction de l'article 3 du projet de loi rend plus lisible cet article 20-2, ce dont le Conseil d'État s'est d'ailleurs félicité. Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement n° 25 vise à limiter la possibilité d'écarter le principe d'atténuation de la peine aux violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à dix jours. Je ferai la même observation que tout à l'heure : même lorsque l'ITT est inférieure à dix jours, les victimes peuvent souffrir de traumatismes extrêmement graves. De plus, elles ne vont pas systématiquement consulter un médecin dans une unité médico-judiciaire pour faire constater l'ITT. J'émets donc un avis défavorable.
Il en va de même pour les amendements nos 26 et 27.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote sur l'amendement n° 40.
M. Jean-Pierre Sueur. Au moment où nous sommes appelés à nous prononcer sur cette disposition, qui est bien sûr essentielle, permettez-moi de laisser parler un magistrat qui connaît très bien le sujet, puisqu'il s'agit de M. Philippe Chaillou, président de la chambre des mineurs à la cour d'appel de Paris. Ce magistrat très respecté et très compétent a écrit : « Ce qui est certain, c'est que ce projet est parfaitement contraire à l'esprit de la Convention internationale des droits de l'enfant que la France a ratifiée. »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. « Or nous devons, comme chaque pays qui a ratifié cette convention, régulièrement rendre des comptes à la communauté internationale des Nations unies sur son application. Il ne faudra pas s'étonner qu'à cette occasion notre pays soit à nouveau montré du doigt. »
Ce magistrat écrit également : « La question de la récidive des mineurs reste une question préoccupante, difficile et complexe, mais qui mérite mieux que ce texte illusoire. Notre pays dispose en effet déjà de toute une gamme de mesures qui permettent de lutter contre le phénomène de la récidive des mineurs. [...] Une des innovations les plus fortes, qui n'est plus guère contestée aujourd'hui, a été la création en 2002 des centres éducatifs fermés, qui connaissent, dans ce domaine, des résultats salués par le commissaire européen aux Droits de l'homme. »
Mes chers collègues, ces centres éducatifs fermés sont certainement une bonne solution ; ce magistrat le dit, d'autres ont pu le constater. Je poursuis la lecture de ce texte de M. Philippe Chaillou, paru hier dans le journal Libération,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah ! C'est une référence !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est un journal !
M. Dominique Braye. Très orienté !
M. Jean-Pierre Sueur. Peut-être, mon cher collègue, mais ce que je veux citer n'est pas orienté puisqu'il s'agit de faits.
« De la même manière, la région parisienne, qui compte, rappelons-le, plus de 12 millions d'habitants, dont un certain nombre vivent dans des banlieues en difficulté, ne dispose que d'un centre éducatif fermé, et ce depuis le mois d'avril 2007. Il y a actuellement six mineurs entre seize et dix-huit ans [...]. » Il paraît qu'un second centre ouvrira peut-être en 2008.
Il est clair que la prison a souvent un effet négatif bien connu sur les mineurs et que, en dépit du dévouement et du travail réalisé par les personnels, ce n'est certainement pas le milieu pénitentiaire qui permet le mieux de réussir la réinsertion, en tout cas d'éviter la récidive. Il y a cette solution des centres éducatifs fermés ; mais, pour la plus grande région de France - 12 millions d'habitants ! -, il n'y en a aujourd'hui qu'un, qui accueille six personnes.
Madame la ministre, vous êtes venue, parce que c'est votre fonction - nous l'avons bien compris - nous présenter cette loi d'affichage. Je vous assure que, si vous étiez venue en nous disant quels moyens allaient être dégagés en priorité pour que la région d'Île-de-France dispose de trois centres, de quatre centres, de cinq centres, cela aurait été nettement plus positif que ce que vous affichez là, qui, certes, impressionnera peut-être quelque temps une partie de l'opinion, mais qui, concrètement, n'aura pas l'effet que nous attendons et que seules des structures spécialisées pourront apporter.
Nous pensons donc qu'il y a vraiment mieux à faire que d'adopter l'article 3.
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. J'ai bien entendu l'explication de vote de notre collègue M. Sueur ; mais elle aurait pu s'appliquer à n'importe quel article du projet de loi et l'on pourrait citer bien des avis opposés ! Tout cela ne présente pas grand intérêt.
En revanche, tout à l'heure, l'intervention de notre collègue M. Badinter m'a personnellement interpellé, et je souscris tout à fait à son propos.
Le devoir de l'homme politique, disait-il, n'est pas de suivre l'opinion publique ; j'ajouterai : parce que celle-ci apporte souvent de mauvaises réponses à de vraies questions. Pour autant, je crois profondément que le devoir de l'homme politique est d'entendre les vraies questions que se posent nos concitoyens qui ont des difficultés de vie, qui sont dans le désarroi, et que c'est à lui d'apporter les bonnes réponses.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Dominique Braye. C'est pour cela que nous sommes ici. Tous, nous devrions nous poser des questions. Vous, monsieur Sueur, devriez vous demander pourquoi nous n'avons qu'un centre éducatif fermé en Île-de-France et vous interroger sur ce que vous avez fait pendant si longtemps pour résoudre ces problèmes. Pourquoi en sommes-nous là ?
M. Jean-Pierre Sueur. C'est vous qui êtes là depuis cinq ans !
M. Dominique Braye. Je reviendrai toujours, parce qu'elles m'ont profondément marqué, aux conclusions de la commission spéciale sur l'analyse des événements de l'automne 2005. Je me souviens encore de l'appel au secours que nous lançaient tous les élus, quelle que soit leur sensibilité politique - et ils étaient davantage de la vôtre, parce que, dans le 9-3 ou chez nous, dans les Yvelines, ils sont plus nombreux -, qui nous suppliaient de faire quelque chose.
Le projet de loi va-t-il provoquer une augmentation des incarcérations ? Personnellement, et je vais peut-être à l'encontre de ce qu'affirment certains de mes collègues, je crois que, dans un premier temps, oui.
Mais je me suis aussi posé la question de savoir pourquoi, et j'en reviens à toutes les auditions auxquelles la commission spéciale a procédé. Je pense en particulier à celle de ces spécialistes qui nous expliquaient comment, en laissant des jeunes aussi longtemps impunis, nous les avions ancrés dans la délinquance. Je pense à ces éducateurs motivés qui nous avouaient franchement ne plus savoir quoi faire pour une génération qui est définitivement ancrée dans la délinquance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toute la génération ? Quelle horreur !
Mme Éliane Assassi. Vous savez ce que c'est, une génération ?
M. Dominique Braye. Oui, ils nous l'ont dit ! Revoyez le compte rendu des auditions !
Nous avons entendu des éducateurs, dont la profession est de sauver des jeunes, nous dire que, parce que nous, élus, ne leur en avons pas donné les moyens, ils ne savent plus quoi faire pour ces jeunes si profondément ancrés dans la délinquance. Alors, en homme politique responsable, je ne veux pas qu'il y ait d'autres générations comme celle-là, génération dans le destin de laquelle j'estime, mes chers collègues, que vous avez une part de responsabilité immense.
Nous n'en voulons plus, et c'est pour cela que nous votons ce projet de loi : pour faire en sorte qu'au premier méfait il y ait une sanction, pour éviter que ces jeunes ne soient définitivement installés dans la délinquance, pour que des éducateurs dont c'est pourtant la profession ne viennent plus nous dire, à nous politiques, qu'ils ne savent plus quoi faire.
C'est tout simplement pour remédier à cet état de fait que nous voterons le projet de loi qui nous est présenté et dont je suis persuadé qu'il est bon.
Et puis, mes chers collègues, que nous proposez-vous de concret, que nous proposez-vous qui soit applicable sur le terrain ? Pour l'instant, je n'ai entendu de votre part aucune proposition qui pourrait faire avancer le débat.
M. Jean-Pierre Sueur. Construisons de nouveaux centres fermés de façon qu'il y en ait plus d'un ! Voilà qui est concret !
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Nos collègues de l'opposition me semblent quelque peu céder au manichéisme et à la caricature : selon eux, il y aurait d'un côté des élus exclusivement préoccupés de répression et de sanction, ceux de la majorité, et de l'autre côté des élus qui, eux, se soucieraient d'éducation et de réinsertion, ceux de l'opposition, bien sûr.
M. Charles Gautier. Quand avez-vous entendu cela ?
M. Jean-René Lecerf. Il y a quelques instants !
Les propos de Mme Assassi me paraissent tout aussi caricaturaux lorsqu'elle explique que nous aurions oublié, dans notre fureur ou acharnement répressif, de donner les moyens élémentaires à l'aspect éducatif. Je voudrais tout de même rappeler que le budget de la justice a augmenté de 38 % en cinq ans et que les effectifs des services pénitentiaires d'insertion et de probation ont augmenté entre 2002 et 2007 dans des proportions jamais égalées auparavant. Telle est la réalité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-René Lecerf. Par ailleurs, je suis en désaccord total avec la conception de la prison qu'ont un certain nombre de mes collègues de gauche, pour qui j'ai au demeurant beaucoup d'estime et parfois même de l'admiration. Pourquoi la prison devrait-elle éternellement rester ce qu'elle est depuis des dizaines d'années, en tout cas depuis trop longtemps ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est ce qu'elle est pour l'instant !
M. Jean-René Lecerf. Pourquoi faudrait-il accepter que, pour l'éternité, dans les établissements pénitentiaires, les mineurs soient mêlés à des majeurs, à des délinquants d'habitude ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf. Dans ce cas, c'est vrai, la prison devient effectivement une école de la récidive. Mais, précisément, l'ambition de la majorité est de mettre fin à cet état de choses, et nous attendons beaucoup, à cet égard, de la prochaine loi pénitentiaire.
M'intéressant de près à ces problèmes, j'ai longuement discuté avec des personnels de santé qui travaillent dans les prisons, avec des psychiatres et des psychologues. Ils m'ont tous déclaré que, pour un certain nombre de délinquants, notamment de mineurs délinquants, l'action éducative ne pouvait se faire que dans un milieu fermé, qu'elle était impossible au dehors.
Nous avons commencé à le démontrer avec les centres éducatifs fermés. Dans un premier temps, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse y étaient violemment hostiles. Or l'expérience a montré depuis que, grâce à ces centres, des progrès pouvaient être réalisés : les taux de récidive sont particulièrement encourageants au regard de l'état de délabrement des jeunes qui y entrent.
Notre volonté est ferme de faire en sorte que les établissements pénitentiaires pour mineurs soient non pas des lieux où on laisse les jeunes faire ce qu'ils veulent ou ne rien faire du tout,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Jean-René Lecerf. ...mais des endroits où ils apprennent, sont éduqués et reçoivent une formation professionnelle. Alors, je le crois profondément, les dérogations qui sont faites à l'excuse de minorité et l'éventualité, pour un certain nombre de jeunes, de connaître un peu plus facilement l'enfermement sera parfois pour eux une chance et non un handicap. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut être vigilant. Lorsqu'on entend dire au Sénat que « toute une génération est dans la délinquance », il y a de quoi s'inquiéter.
M. Dominique Braye. Je n'ai fait que citer ! Reprenez les travaux de la commission !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toute une génération n'est pas dans la délinquance, loin s'en faut ! Il convient tout de même que cela soit dit !
M. Dominique Braye. Vous refusez de voir la réalité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais oui, bien sûr !
Le problème, c'est que le présent projet de loi ne soulève pas la question de savoir s'il faut sanctionner les mineurs : les textes actuellement en vigueur prévoient déjà de sanctionner les mineurs délinquants, mais en essayant de leur épargner, dans la mesure du possible, la prison.
Toutes les personnes qui s'occupent des mineurs, éducateurs, personnels des collectivités territoriales, magistrats, membres d'associations, lancent un appel au secours afin que des moyens soient mis en oeuvre pour répondre à la délinquance des mineurs.
Or le texte qui nous est proposé est très limité. Après la loi portant prétendument sur la « prévention » de la délinquance des mineurs - prétendument, puisqu'il ne s'agissait déjà que de sanctionner -, ce projet de loi prévoit d'emprisonner plus longuement les mineurs. La question est donc de savoir si l'emprisonnement des mineurs a un effet sur la récidive.
Madame la ministre, vous m'avez dit ce matin que vous m'expliqueriez ce qu'est un mineur délinquant. J'ai lu ce que vous avez écrit à ce propos dans le journal Libération. Vous avez longuement évoqué les mineurs, leurs actions, l'état dans lequel ils sont le plus dangereux, mais vous n'avez pas du tout parlé des prisons. C'est dommage parce que, en l'occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agit.
Évidemment, le leitmotiv des défenseurs de la sévérité à l'égard des mineurs, de l'incarcération des mineurs délinquants, est que les jeunes d'aujourd'hui ne sont plus ceux de 1945. C'est une lapalissade ! Nous l'avons entendue cent fois, hier, aujourd'hui, et je suis certaine que nous l'entendrons encore demain.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Badinter nous a expliqué que l'ordonnance de 1945 avait été prise pour endiguer la délinquance, qui était trop importante. Mais beaucoup de choses ont changé depuis cette époque : les téléphones mobiles, les ordinateurs, les GPS n'existaient pas, il n'y avait guère de voitures ; on ne voyait pas les riches étaler leur argent avec une incroyable insolence ni la violence gratuite se déverser dans les médias de l'époque comme aujourd'hui à la télévision et sur Internet. Donc, la délinquance était différente.
Et puis, à l'époque, le viol n'était pas considéré comme un crime, et le viol d'une jeune fille était bien souvent simplement passé sous silence. De même, l'inceste était très répandu, mais il faisait l'objet d'un tabou absolu. Ainsi, tous ces actes ne pouvaient pas apparaître dans la délinquance des jeunes.
J'ajoute que les responsables politiques de l'époque, ceux qui avaient libéré la France et repoussé la barbarie, croyaient en l'homme, croyaient en la jeunesse. Évidemment, ce n'est pas du tout le cas de ceux qui affirment aujourd'hui que toute la jeunesse est délinquante ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Autre différence par rapport à aujourd'hui : l'entrée des jeunes dans une collectivité de travail constituait pour eux un passage initiatique de l'adolescence à l'âge adulte, y compris pour les mineurs délinquants.
M. Dominique Braye. N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'était un lieu de solidarité où l'on signifiait au jeune que le temps des égarements éventuels était passé et que, désormais, il entrait dans l'âge adulte.
Aujourd'hui, la société est de plus en plus envahie par l'argent, une société où la délinquance financière est particulièrement florissante et n'est pratiquement pas sanctionnée. (M. Dominique Braye s'exclame.) En face : pas d'emplois, mais de la désespérance, du repli, des solidarités en baisse !
M. Dominique Braye. Madame Borvo, continuez ainsi et la prochaine fois vous ferez 0,8% à l'élection présidentielle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En revanche, ce qui n'a pas changé depuis 1945, c'est que les mineurs ne sont pas des majeurs, qu'un adolescent n'est pas un adulte,...
M. Dominique Braye. Q'un garçon n'est pas une fille !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... quel qu'il soit, quoi qu'il fasse.
Dans les familles aisées, les adolescents restent de plus en plus longtemps à la charge de leurs parents et ne prennent parfois leur autonomie qu'à vingt-huit ans, voire trente ans ! En revanche, pour les jeunes des milieux défavorisés...
M. Dominique Braye. Surtout, restez comme vous êtes, ne changez rien, et vous ferez 0,8% aux élections !
Mme Éliane Assassi. Occupez-vous de vous, monsieur Braye ! Nous en reparlerons dans d'autres lieux, si vous êtes courageux !
M. Dominique Braye. Je prédis 0,8% !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Permettez-moi de conclure, monsieur Braye !
Les adolescents sont des adultes en devenir, tout le monde vous le dira. Ils sont quelquefois déstructurés, désocialisés, désorientés, ils n'ont rien à faire. Tout cela est vrai, mais ce sont des adolescents.
M. Dominique Braye. Quand ils vous entendent, comment voulez-vous qu'ils s'en sortent ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En tout cas, pour les jeunes, la prison est criminogène, cela reste parfaitement exact.
Bien que des traités internationaux aient été bâtis sur le modèle de l'ordonnance de 1945, bien que de nombreux pays européens aillent plus loin dans ce sens-là, vous, vous ne cessez de revenir sur cette avancée extraordinaire qu'a été la justice des mineurs en reconnaissant qu'un mineur n'est pas un adulte et ne peut donc être traité comme tel par la justice.