7
Candidature à une commission
M. le président. J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Nomination d'un membre d'une commission
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires économiques.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Alain Le Vern membre de la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Mme Sandrine Hurel, élue députée.
9
Récidive des majeurs et des mineurs
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, déclaré d'urgence, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 4.
Article 4
La première phrase du premier alinéa de l'article 362 du code de procédure pénale est complétée par les mots : « , ainsi que, si les faits ont été commis en état de récidive légale, de l'article 132-18-1 et, le cas échéant, de l'article 132-19-1 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 41 est présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 60 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 41.
M. Richard Yung. Cet article vise à compléter l'article 362 du code de procédure pénale afin de permettre aux présidents de cour d'assises d'informer les jurés des dispositions des nouveaux articles relatifs à l'application des peines minimales aux récidivistes.
Par coordination avec les amendements de suppression que nous avons déposés aux articles 1er et 2, nous proposons de supprimer cet article.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 60.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est également un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Par coordination, la commission émet un avis défavorable, car ces amendements n'ont plus lieu d'être.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41 et 60.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 4
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Charasse, Mme M. André, MM. Collombat, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre unique du titre IV du livre Ier du code de l'organisation judiciaire est complété par un article ainsi rédigé :
« Art. L. 141-3. - La sûreté des locaux occupés par une juridiction est placée sous la seule responsabilité du président de cette juridiction, qui est chargé de prendre, au nom de l'État, les mesures nécessaires pour assurer l'ordre et la sécurité des biens et des personnes.
« Lorsque les mêmes locaux sont occupés par plusieurs juridictions, cette responsabilité est exercée par le président de la juridiction ayant le rang le plus élevé.
« Un décret pris après avis du Conseil supérieur de la magistrature précise les modalités d'application du présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous retirons cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié est retiré.
L'amendement n° 42 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le septième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale, après le mot :« prescrites » sont insérés les mots : « , à peine de nullité, ».
La parole est à M. Jacques Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Le sixième alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale prévoit que « le procureur de la République peut requérir, suivant les cas, le service pénitentiaire d'insertion et de probation, le service compétent de l'éducation surveillée ou toute personne habilitée dans les conditions prévues par l'article 81, sixième alinéa, de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête et informer cette dernière sur les mesures propres à favoriser l'insertion sociale de l'intéressé ».
Le septième alinéa de ce même article 41 prévoit, quant à lui, que « ces diligences doivent être prescrites avant toute réquisition de placement en détention provisoire, en cas de poursuites contre un majeur âgé de moins de vingt et un ans au moment de la commission de l'infraction, lorsque la peine encourue n'excède pas cinq ans d'emprisonnement, et en cas de poursuites selon la procédure de comparution immédiate prévue aux articles 395 à 397-6 ou selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue aux articles 495-7 à 495-13 ».
Or force est de constater que, dans de nombreux cas, ces diligences ne sont pas faites faute de moyens humains et matériels et qu'un constat de carence est produit permettant de passer outre.
Cet amendement tend à prévoir que ces diligences doivent être faites sous peine de nullité.
D'une manière générale, je veux faire observer que le manque de moyens pèse lourd sur l'ensemble de ces dispositions. Si, dans ce domaine, le budget a enregistré une légère progression, il est vraiment temps de lui faire faire un bond, et ce pourrait être le cas dans le cadre du prochain collectif budgétaire, afin de décupler les moyens humains et matériels nécessaires.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Il est vrai que, aujourd'hui, le défaut de diligences concernant l'enquête de personnalité ne constitue pas une cause de nullité.
Cependant, dans certains cas comme la comparution immédiate, l'affaire peut être renvoyée à une audience ultérieure lorsque la juridiction s'estime insuffisamment informée. Les juges, qui sont des personnes responsables, le font d'ailleurs très souvent.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Zocchetto, rapporteur. En la matière, il faut conserver une certaine souplesse.
En outre, la préoccupation que vous exprimez, monsieur Mahéas, me paraît satisfaite, pour l'essentiel, par l'amendement n° 5 de la commission, qui prévoit que le ministère public ne peut prendre aucune réquisition tendant à retenir la circonstance aggravante de récidive s'il n'a préalablement requis la réalisation d'une enquête de personnalité.
Par conséquent, compte tenu du vote intervenu voilà deux heures en faveur de cet amendement, mon cher collègue, je vous suggère de retirer le présent amendement, qui ne me paraît pas s'imposer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Mahéas, l'amendement n° 42 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mahéas. Monsieur le rapporteur, faisant plus confiance aux magistrats que la majorité de cette assemblée, j'ai été heureux de vous entendre déclarer, pour une fois, que les magistrats étaient capables de prendre une responsabilité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n'a jamais dit le contraire !
M. Jacques Mahéas. Compte tenu de ce nouvel état d'esprit, je retire l'amendement, monsieur le président.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est vous qui avez maintenant un bon état d'esprit, monsieur Mahéas ! C'est bien, continuez !
M. le président. L'amendement n° 42 rectifié est retiré.
L'amendement n° 68, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Dans la première phrase de l'article 88 du code de procédure pénale, après les mots : « par ordonnance, », sont insérés les mots : « dans un délai de 30 jours, ».
II. - Après la première phrase de l'article 88 du code de procédure pénale, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Le non-respect de ce délai entraînera la caducité de la plainte. ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, je retire cet amendement, qui est très éloigné du texte.
M. le président. L'amendement n° 68 est retiré.
CHAPITRE II
Dispositions relatives à l'injonction de soins
Article 5
I. - À l'article 131-36-4 du code pénal, le premier alinéa est abrogé et les deux premières phrases du deuxième alinéa sont remplacées par la phrase suivante :
« Sauf décision contraire de la juridiction, la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire est soumise à une injonction de soins dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 et suivants du code de la santé publique, s'il est établi qu'elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement, après une expertise médicale ordonnée conformément aux dispositions du code de procédure pénale. »
II. - 1° Les deux premières phrases du troisième alinéa de l'article 763-3 du code de procédure pénale sont remplacées par les phrases suivantes :
« Si la personne condamnée à un suivi socio-judiciaire n'a pas été soumise à une injonction de soins, le juge de l'application des peines ordonne en vue de sa libération une expertise médicale afin de déterminer si elle est susceptible de faire l'objet d'un traitement. S'il est établi à la suite de cette expertise la possibilité d'un traitement, la personne condamnée est soumise à une injonction de soins, sauf décision contraire du juge de l'application des peines. » ;
2° À la dernière phrase du même alinéa du même article, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacées par les mots : « des deux alinéas précédents ».
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans la logique de défiance du projet de loi à l'égard des juges, cet article vise à retirer littéralement au juge une faculté jusqu'ici discrétionnaire, celle de prononcer une injonction de soins.
Dans le régime actuellement en vigueur, le juge dispose d'une marge d'appréciation qui lui permet de ne pas ordonner l'injonction de soins même si une expertise conclut à sa nécessité.
Cette liberté nous semble importante : elle traduit un respect du principe d'individualisation de la peine et donne au juge la possibilité d'adapter le prononcé de l'injonction de soins sans que cette dernière prenne le caractère d'une sanction.
L'article 5 vient balayer le caractère facultatif du prononcé de l'injonction de soins en le transformant en obligation : le juge ne pourra plus se soustraire à l'avis de l'expert psychiatre.
Une telle psychiatrisation de la justice appelle quelques commentaires.
Tout d'abord, elle porte atteinte au pouvoir du juge d'individualiser la peine. Gardien des libertés individuelles en vertu de la Constitution, le juge se transforme en un simple exécutant, qui obéit à une autorité médicale devenue omnipotente et omnisciente.
Il convient tout de même de rappeler que le principe d'individualisation de la peine est un des principes fondamentaux de notre droit pénal. Il permet à un juge de reconnaître une personne responsable, même si une expertise psychiatrique a conclu à l'irresponsabilité.
Il est une garantie de l'étanchéité des compétences : un médecin soigne, un juge prononce des sanctions, tous deux collaborant dans la recherche d'une meilleure prise en compte de l'intérêt du condamné.
Confier un pouvoir quasi juridictionnel à un expert psychiatre porte gravement atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance des juges.
Par ailleurs, il impose à ces mêmes psychiatres des sujétions qui vont bien au-delà de leur champ de compétence.
Dès lors que l'injonction de soins devient une obligation, un transfert des responsabilités du juge vers le médecin s'opère, et cela dans une indifférence totale vis-à-vis de la déontologie médicale.
Penser que l'expert peut à lui seul décider d'une injonction de soins, c'est miser de manière aveugle et simpliste sur les vertus des soins imposés pour lutter contre la récidive.
Un second point mérite toute notre attention : la suppression de l'exigence d'une double expertise pour certains crimes.
La double expertise psychiatrique n'est pas, dans ce domaine, une procédure factice : elle permet une meilleure appréhension de la nécessité de l'injonction de soins et, en l'absence d'une concordance des expertises, rend caduque toute tentative d'imposer des soins à une personne qui n'en a pas besoin.
La nécessité d'une concordance des expertises, qui constituait une garantie d'objectivité, devient une chimère avec ce projet de loi.
La généralisation de l'injonction thérapeutique se révèle dangereuse, non seulement en ce qu'elle entame le pouvoir d'appréciation du juge, mais également en ce qu'elle transfère sur les épaules d'un seul expert la responsabilité d'une mission périlleuse : imposer des soins, en contradiction totale avec le principe du consentement aux soins, corollaire du principe de l'inviolabilité du corps humain.
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé un amendement visant à supprimer l'article 5.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Avec l'article 5, nous entamons l'examen des dispositions relatives à l'injonction de soins, ajoutées à la dernière minute par le Gouvernement, et mon propos concernera l'ensemble des dispositions du chapitre II.
Celui-ci vise à systématiser l'injonction de soins pour les auteurs d'infractions sexuelles et à en étendre l'application.
L'article 5 prévoit que la juridiction qui condamne une personne à un suivi socio-judiciaire devra aussi ordonner une injonction de soins. Ce qui n'était jusqu'à présent qu'une possibilité pour le juge devient une obligation dès lors qu'une expertise médicale établit que cette personne est « susceptible de faire l'objet d'un traitement ».
L'article 6 introduit l'injonction de soins dans les mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve et l'article 7 rend obligatoire l'injonction de soins en cas de surveillance judiciaire.
Enfin, les articles 8 et 9 interdisent les réductions de peine et la libération conditionnelle aux personnes refusant les soins proposés pendant leur détention.
Je souhaiterais faire ici plusieurs remarques sur ces différentes dispositions.
La loi instaurant le suivi socio-judiciaire a été votée voilà presque dix ans, en 1998, mais son application est, dans l'ensemble, au point mort.
Les raisons sont multiples : faibles moyens financiers, manque cruel de conseillers d'insertion et de probation, de médecins psychiatres et coordonnateurs. Ces raisons sont connues de tous, à commencer par les gouvernements qui se succèdent, et pourtant rien n'a été fait pour permettre la mise en oeuvre d'une loi dont tout le monde s'accorde à dire qu'elle serait efficace si elle était appliquée.
En matière de récidive et de délinquance sexuelle, la priorité est donnée à l'incarcération et au fichage, au détriment de la prévention, alors qu'on sait depuis longtemps qu'ils ne sont pas la bonne solution.
Nous pourrions donc considérer que l'extension de l'injonction de soins aux délinquants sexuels est une bonne mesure. Le seul problème, s'agissant de l'article 5 par exemple, est que le champ des infractions pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru a été considérablement élargi et ne concerne plus uniquement les infractions sexuelles. La confusion s'installe donc petit à petit entre criminalité, délinquance et pathologie mentale.
Par ailleurs, les médecins, en particulier ceux que nous avons auditionnés, sont unanimes sur le fait que le principe du consentement aux soins de la personne doit être respecté. Or ce n'est pas ce qui est prévu par le projet de loi, surtout pas par les articles 8 et 9, qui instaurent un véritable soin contraint. Si la personne refuse le traitement, elle ne bénéficiera ni d'une réduction de peine ni d'une libération conditionnelle.
Je crains donc que toutes ces mesures, qui pourraient a priori constituer une avancée, ne soient en fait que des mesures d'affichage.
D'une part, aucun moyen ne les accompagne. M. Zocchetto indique lui-même dans son rapport « souhaiter que l'élargissement par le projet de loi de l'application de cette mesure - l'injonction de soins - conduise à adapter les moyens nécessaires pour une meilleure prise en charge médicale des personnes soumises à l'injonction de soins ».
Autrement dit, on nous invite à voter d'abord la loi, en attendant de voir si les moyens suivront. À défaut, une énième loi pénale viendra renforcer l'arsenal répressif à l'égard des délinquants sexuels...
D'autre part, tant du point de vue médical que du point de vue de la prévention de la récidive, ces mesures risquent d'être contre-productives. Donnons-nous déjà les moyens d'appliquer celles qui existent. !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit là d'une question très difficile, sur laquelle je tiens à dire d'emblée ceci : nous ne sommes pas contre l'injonction de soins et nous pensons que celle-ci doit pouvoir être décidée par le juge dans des circonstances très précises.
Toutefois, madame le garde des sceaux, il y a dans votre texte une nouveauté importante par rapport au dispositif existant, à savoir l'obligation faite au juge, dans certaines circonstances, d'ordonner l'injonction de soins. Au reste, cette mesure est cohérente avec la peine plancher puisque celle-ci, sauf exception, est définie de telle manière que le juge ne peut s'y soustraire sauf à s'en expliquer : vous créez ici un automatisme de même nature.
La première chose que je vous demande, madame le garde des sceaux, c'est de nous expliquer le fondement de cet automatisme. Pourquoi faut-il que, dans certaines conditions, le juge n'ait aucune capacité d'appréciation ? J'espère que nous obtiendrons une réponse à cette question car nous sommes tout de même là pour essayer de comprendre !
Par ailleurs, les dispositions proposées ici s'inscrivent dans un contexte général, celui que nous avons vu se dessiner ces cinq dernières années lors de l'examen de plusieurs projets de loi.
En effet, il y a une nouvelle manifestation de ce que Jacques-Alain Miller a appelé l'« hygiénisme », c'est-à-dire cette conception en vertu de laquelle il faudrait donner à la médecine le soin de gérer toute une série de problèmes qui ne relèvent pas toujours exclusivement de ses compétences. J'en veux pour preuve l'amendement Accoyer, que nous avons longuement discuté, et dont la première version, mes chers collègues, visait à affirmer que seuls les médecins ou les psychologues diplômés pouvaient traiter de la souffrance psychique, à l'exclusion donc des psychanalystes ou des psychothérapeutes. Il y avait là une volonté d'instaurer un pouvoir médical sur l'ensemble du champ de la souffrance psychique.
Dans le même ordre d'idée, nous avons eu aussi deux rapports publiés par l'INSERM, dont l'un - qui a beaucoup intéressé l'actuel Président de la République - visait à démontrer - vainement, d'ailleurs, parce qu'il ne s'agissait que de pures affirmations - qu'il était nécessaire de détecter, sous l'égide du ministère de la santé - j'insiste sur ce point -, les futurs délinquants dès l'âge de un an, voire si possible avant.
Cette réalité n'est bien entendu pas étrangère aux déclarations faites par celui qui n'était encore que candidat à la Présidence de la République à l'occasion d'un dialogue avec un philosophe organisé par une revue, au cours duquel il s'est employé à expliquer que la criminalité provenait pour une large part de l'inné. Déclaration extrêmement lourde d'implications : si l'on considère que la criminalité potentielle ou l'esprit suicidaire relèvent des gènes d'un quelconque autre déterminisme biologique, cela a des effets considérables sur la conception que l'on a de la société, de l'éducation, de l'homme.
Et voilà que, toujours dans le même ordre d'idée, on nous explique qu'il est des circonstances, énumérées dans les articles 5, 6, 7, 8 et 9, où un expert décidera de la nécessité ou non, de la pertinence ou non de l'injonction thérapeutique. Après quoi, cette décision - car il s'agit bien, en fin de compte, d'une décision - de l'expert s'imposera au magistrat, qui ne pourra faire autrement que d'y donner suite, sauf à fournir d'amples explications.
Ainsi, la règle, c'est désormais que l'expert détermine la position du juge, qui n'a aucune liberté d'appréciation vis-à-vis de l'expert.
Voici l'analyse qu'en font certains magistrats : « Les psychiatres relèvent d'une déontologie médicale et ont besoin d'instaurer une relation de confiance avec leurs patients. Les instituer auxiliaires de justice pour prévenir la récidive apparaît non seulement contraire à l'éthique médicale mais contre-productif. »
Je conclurai en citant cette autre déclaration d'un magistrat : « Avec ce nouveau texte, dès lors que l'expertise sera en faveur du soin, le tribunal devra prononcer l'injonction de soins. » Madame le garde des sceaux, je vous interroge très précisément sur ce mot « devra », car je veux en comprendre la signification.
Le texte que vous nous proposez vise donc à confier aux experts un pouvoir quasi juridictionnel. Le pouvoir d'appréciation du juge est une nouvelle fois remis en cause, au détriment du principe d'individualisation de la peine. Cette soumission de la décision juridictionnelle à l'appréciation de l'expert apparaît contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par M. Badinter, Mme M. André, MM. Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mahéas, Mermaz, Peyronnet, Sueur et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. J'ai posé dans mon intervention sur l'article 5 la question de principe à laquelle je l'espère, madame la ministre, vous répondrez.
J'en viens maintenant aux questions pratiques.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, qui a instauré le suivi judiciaire avec injonction de soins, aucun bilan n'a été dressé pour évaluer le fonctionnement de cette mesure. Pourtant, son champ d'application n'a cessé d'être étendu, notamment par la loi du 12 décembre 2005.
Or les constats sont alarmants.
L'injonction de soins suppose d'abord de recruter des médecins coordonnateurs, chargés de faire l'interface entre le juge de l'application des peines et le médecin traitant du condamné.
Le rôle du médecin coordonnateur a été défini de manière très générale par un décret du 18 mai 2000, aux termes duquel le médecin coordonnateur oriente le condamné vers un traitement adapté. Il rend compte au juge de toutes les difficultés, comme l'interruption de traitement.
Cependant, les juridictions ont le plus grand mal à recruter ces médecins coordonnateurs, ne serait-ce que parce que le milieu psychiatrique se désertifie : de nombreux postes sont vacants, non seulement dans les hôpitaux, mais également, c'est clair, dans les prisons. De plus, la rémunération de ces médecins, qui n'a pas été revalorisée depuis 2001, est peu attractive.
Ainsi, dans de nombreuses juridictions, le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ne peut pas être mis en place. Telle est la réalité d'aujourd'hui, mes chers collègues ! C'est pourquoi il serait sage de ne pas adopter les articles 5 et suivants.
Quant à la situation des médecins traitants, elle n'est pas meilleure.
En effet, peu de psychiatres travaillant dans le secteur privé acceptent de prendre en charge des condamnés, et le secteur public est débordé.
En détention, la situation est encore plus inquiétante. Dans de nombreux établissements, il n'y a pas de psychiatre ; il y a tout juste un psychologue, voire simplement un infirmier.
J'en viens à l'expertise psychiatrique, qui occupe une place considérable dans le dispositif.
La situation est tout aussi alarmante. En effet, les cours d'appel ont de plus en plus de difficultés à recruter des experts psychiatres. Dans certaines zones, l'expert psychiatre désigné est bien souvent le psychiatre de l'hôpital général du secteur et n'a donc aucune compétence particulière pour analyser le passage à l'acte délinquant, notamment en matière sexuelle, et déterminer la dangerosité et le risque de récidive.
Si l'on confie à ces médecins une responsabilité d'expertise déterminante, il est à craindre qu'ils ne soient tentés de conclure systématiquement à la nécessité du soin, ce qui induira nécessairement une décision similaire du juge.
Madame le garde des sceaux, à ce stade du débat, je veux souligner que vous proposez d'adopter en urgence, c'est-à-dire dans les huit ou quinze jours, un projet de loi visant à modifier profondément les dispositions actuelles relatives à l'injonction de soins puisqu'une expertise médicale déterminera la position du juge, le psychiatre intervenant par la suite. Or il n'y a pas suffisamment d'experts ni de psychiatres, tant s'en faut !
Dès lors, pourquoi voter dans l'urgence un projet de loi tendant à modifier le dispositif existant, alors même que nous n'avons pas les moyens de mettre celui-ci en oeuvre dans de nombreuses juridictions ? Il eût tout de même été préférable de se préoccuper des moyens avant de changer un dispositif qui, dans de nombreuses juridictions, ne peut être appliqué, précisément faute des moyens nécessaires.
M. Jacques Mahéas. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Après vous avoir écouté avec beaucoup d'intérêt, monsieur Sueur, je vous avoue mon étonnement.
Vous avez, en effet, pris la précaution de dire que vous étiez tout à fait favorable à l'injonction de soins.
M. Jean-Pierre Sueur. Dans les conditions prévues par la loi actuelle !
M. François Zocchetto, rapporteur. Au moment où l'on se préoccupe de prévenir la récidive, il me semble très difficile d'ignorer tout le chapitre relatif aux soins des délinquants.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne l'ignore pas !
M. François Zocchetto, rapporteur. Vous le savez bien, le fait d'apporter des soins aux délinquants malades est une excellente façon de lutter contre la récidive.
Quels sont les dispositifs existants en matière de soins ?
Avant la condamnation, une obligation de soins peut être décidée par le juge au stade pré-sentenciel, dans le cadre du contrôle judiciaire, ou comme alternative totale ou partielle d'une peine d'emprisonnement, dans le cadre d'un sursis avec mise à l'épreuve.
En vertu de la législation actuelle, la violation de cette obligation peut conduire, dans le cadre du contrôle judiciaire, à une mise en détention provisoire et, dans celui du sursis avec mise à l'épreuve, à la révocation du sursis, donc à l'incarcération de l'intéressé.
Vous en conviendrez, le dispositif proposé par le Gouvernement n'est donc pas, en l'espèce, totalement novateur.
Par ailleurs, les traitements en prison se font sur une base volontaire, hormis évidemment le cas de l'hospitalisation d'office. Si le refus de soins n'est pas punissable en tant que tel, il peut néanmoins conduire à limiter les réductions de peine supplémentaires. Là encore, on retrouve dans la législation existante l'esprit des dispositions proposées par le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, pourquoi la changer ?
M. Dominique Braye. Laissez-nous donc écouter ce que le rapporteur a à nous dire, monsieur Sueur !
M. François Zocchetto, rapporteur. S'agissant ensuite de l'injonction de soins, le suivi socio-judiciaire peut comprendre une telle mesure.
M. Jacques Mahéas. Il « doit » la comprendre !
M. François Zocchetto, rapporteur. Non, dans l'état actuel des textes, le suivi socio-judiciaire peut comprendre une injonction de soins.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. François Zocchetto, rapporteur. L'injonction est, en principe, prononcée par la juridiction de jugement...
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. François Zocchetto, rapporteur. ... et elle est déjà subordonnée à une expertise médicale.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, mais le juge reste libre !
M. François Zocchetto, rapporteur. Vous nous dites, mon cher collègue, que l'intervention d'un expert médical dans la procédure est inadmissible. Mais elle existe déjà ! Certes, vous avez le droit de la contester, mais nous avons déjà débattu de cette question.
L'expert médical établit que la personne poursuivie est susceptible de suivre un traitement. Je ne vois là rien de choquant. J'estime qu'il est parfaitement normal que le magistrat prenne l'opinion d'un médecin spécialiste pour savoir si la personne est ou non accessible à un traitement.
M. Jean-Pierre Sueur. À condition que ce soit au juge de décider ensuite !
M. François Zocchetto, rapporteur. Dans la quasi-totalité des cas, c'est vrai, il sera établi que cette personne sera susceptible de suivre un traitement.
M. Jean-Pierre Sueur. Encore une fois, pourquoi, dès lors, changer la loi ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Mais, les psychiatres que nous avons auditionnés ont indiqué que, dans certains cas, ils pourraient déclarer que la personne n'est pas susceptible de faire l'objet d'un traitement.
Le dispositif vise à généraliser l'injonction de soins pour les auteurs d'infractions sexuelles, et je ne vois vraiment pas où est le problème. En effet, la plupart des délinquants sexuels, notamment s'ils ont pu participer à une psychothérapie de groupe, reconnaissent qu'ils sont malades et déclarent qu'ils veulent pouvoir bénéficier d'un traitement. Ainsi, dans la plupart des cas, il n'y aura aucune difficulté.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous le savez, c'est plus compliqué que ça, monsieur le rapporteur !
M. François Zocchetto, rapporteur. Le projet de loi entend également subordonner les réductions supplémentaires de peine ainsi que la libération conditionnelle à un suivi médical.
Dès lors que, dans un premier temps, l'expert médical a décidé que la personne poursuivie est susceptible de faire l'objet d'un traitement, il ne me semble pas choquant que, dans un second temps, le juge décide de prononcer l'injonction de soins. De plus, contrairement à ce que vous avez voulu nous faire croire tout à l'heure, mon cher collègue, ce n'est pas une obligation.
M. Jean-Pierre Sueur. Si, sauf par exception !
M. François Zocchetto, rapporteur. Le juge a toujours la possibilité de ne pas suivre l'avis de l'expert...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. François Zocchetto, rapporteur. ... et de ne pas prononcer l'injonction de soins. Cela change donc la donne.
À partir du moment où l'expert médical, d'abord, estime que la personne poursuivie peut suivre un traitement et que, ensuite, le juge dit qu'elle doit le suivre, je ne vois pas pourquoi on ne prendrait pas en compte l'effectivité de ce traitement.
La personne qui ne suivra pas ce traitement assumera ses responsabilités. Et son refus sera lourd de conséquences puisqu'elle pourra voir, le cas échéant, son sursis révoqué, ou ne pourra bénéficier d'aucune remise de peine complémentaire, etc.
Il est essentiel de savoir si une personne susceptible de faire l'objet d'un traitement accepte ou non de le suivre.
J'en conviens, les situations seront parfois complexes, car les détenus qui accepteront, dans un premier temps, de suivre le traitement pourront avoir la tentation de ne pas le mener à terme.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils l'accepteront évidemment pour sortir !
M. François Zocchetto, rapporteur. Le fait que le juge de l'application des peines ou tout autre magistrat puisse savoir si la personne a suivi ou non son traitement me semble être un élément essentiel.
Nous parlons là principalement de la délinquance sexuelle, mais il peut également s'agir d'actes déviants tels que les actes de barbarie ou de torture, par exemple. Très franchement, le fait de savoir que la personne poursuivie se soigne a plutôt tendance à me rassurer, et à rassurer aussi, je pense, nos concitoyens.
M. Dominique Braye. Absolument ! Pensons aux victimes !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je ne comprends donc pas votre intervention, mon cher collègue, sauf à considérer qu'elle se place sur un plan purement théorique, ...
M. Dominique Braye. Comme toujours !
M. François Zocchetto, rapporteur. ... évoquant même dans d'autres questions qui n'ont rien à voir avec le débat, tel l'amendement Accoyer.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais si, c'est la même logique !
M. François Zocchetto, rapporteur. La commission des lois du Sénat a été d'accord pour adopter l'extension de la prise en charge du suivi socio-judiciaire par les psychologues.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Zocchetto, rapporteur. À cet égard, je me permets d'ailleurs, madame le garde des sceaux, de revenir sur les questions que j'ai posées ce matin.
Nous souhaiterions que le décret d'application permettant aux psychologues d'intervenir dans la procédure de suivi socio-judiciaire soit prochainement publié. Et je ne peux passer sous silence la question des moyens qui a été, je le reconnais, très judicieusement exposée par M. Sueur. C'est une préoccupation que nous partageons tous, et que j'ai d'ailleurs reprise dans mon rapport.
Dans la mesure où nous adoptons un projet de loi visant à faciliter le suivi médical des auteurs d'infractions, notamment sexuelles, nous souhaiterions que soient prévus les moyens nécessaires pour le mettre en place. Il faut que les médecins coordonnateurs soient désignés et que les médecins traitants puissent travailler. Je le sais, cette question ne dépend pas uniquement de vous, madame le garde des sceaux, puisqu'elle dépend également et principalement du ministère de la santé. Mais, nous serions, il est vrai, rassurés si vous nous donniez des informations en la matière.
Bien entendu, la commission est défavorable à l'amendement n° 43.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je veux simplement rappeler que, en matière criminelle, les expertises psychiatriques sont obligatoires.
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous renvoie à cet égard à l'article 122-1 du code pénal.
Il importe en effet de savoir si la personne poursuivie est, oui ou non, responsable pour prévoir la sanction pénale.
Les magistrats sont liés par ces expertises, et je ne vois pas en quoi les dispositions proposées introduisent une innovation extraordinaire. Nous ne faisons que rappeler les principes.
S'agissant d'un délinquant sexuel, si l'expertise conclut à la nécessité de soins, il devra s'y soumettre, sauf décision contraire de la juridiction, si le tribunal estime, par exemple, qu'il est déjà soumis à un traitement et qu'il n'est pas utile d'en prévoir un second.
Vous prétendez, monsieur Sueur, que l'expert médical devient le juge. C'est faux et, de toute façon, le code pénal confère déjà à l'expert une responsabilité de même nature dans les affaires criminelles.
L'article 5 vise à prévenir la récidive des délinquants sexuels. Or tous les médecins s'accordent à dire que le risque de récidive chez les délinquants sexuels est réduit dès lors qu'ils se soignent.
Par ailleurs, nous avons souhaité que les remises de peine et les libérations conditionnelles soient subordonnées à l'obligation de soins, car, il faut le savoir, les délinquants sexuels sont souvent des détenus modèles. Ils le reconnaissent eux-mêmes : en prison, n'étant pas soumis aux tentations que leur offre la vie à l'extérieur, ils ne sont pas livrés à leurs pulsions. Il me semble donc préférable de les obliger à se soigner en prison pour protéger nos enfants, et la société tout entière.
Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 43.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Mes chers collègues, dérogeant pour une fois à la règle que je me suis fixée, je souhaite évoquer une expérience personnelle.
Depuis plus de quinze ans, je travaille au sein d'une association qui lutte contre la maltraitance des enfants. J'ai eu à connaître, à mes débuts dans cette association, d'un cas qui m'a frappée pour la vie : un monsieur d'un certain âge, un grand-père, venait de violer sa petite-fille. Eh oui, cela arrive, et malheureusement beaucoup plus souvent qu'on ne le croit !
C'était la quatrième fois que cette personne commettait un viol, et elle n'avait jamais bénéficié d'un suivi médical, ni d'une thérapie.
Franchement, mes chers collègues, si vous veniez de temps en temps dans l'association dans laquelle j'ai l'honneur de travailler, si vous voyiez ce que vois, je vous assure que vous n'aborderiez plus ces questions comme vous venez de le faire. Avant de penser à ceux qui commettent ces actes barbares, pensez un peu aux petites victimes ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Dominique Braye. Eh oui, pensez aux victimes !
Mme Éliane Assassi. Nous parlons du projet de loi, ma chère collègue !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Tout d'abord, je tiens à dire que nous sommes tous très attachés à la défense des victimes. Je n'accepte pas le procès que l'on nous fait en affirmant que, parce que nous n'approuvons pas certaines dispositions de ce texte, nous ne serions pas attentifs au sort des victimes.
Madame Debré, j'ai moi aussi eu l'occasion de côtoyer un certain nombre de victimes. Je connais leur douleur et leur souffrance. Et c'est justement parce nous prenons cette douleur et cette souffrance en compte qu'il nous faut en tirer des conclusions. D'un autre côté, on ne peut ignorer que des détenus, parfois des criminels, se trouvent également dans des situations douloureuses, difficiles, graves. Certains souffrent de profonds troubles de la personnalité, qui relèvent en effet de la médecine, de la biologie, de la chimie. Mais croire que l'on va remédier à tous les problèmes uniquement par le recours au médical, c'est une erreur.
Mme Isabelle Debré. Je n'ai jamais dit cela !
Mme Éliane Assassi. Vous n'avez rien dit, et c'est bien le problème !
M. Jean-Pierre Sueur. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, vous avez vous-même reconnu le rôle important qui doit être accordé à d'autres approches pour traiter les troubles de la personnalité. On ne peut pas laisser croire à nos concitoyens qu'ils seront protégés uniquement grâce à des traitements médicamenteux.
Mme Isabelle Debré. Pas uniquement !
M. Jean-Pierre Sueur. Soyons clairs : je n'ai jamais prétendu que les médicaments étaient inutiles. Dans certains cas, le recours à la médecine et à la pharmacopée est nécessaire.
En revanche, on ne peut pas laisser croire que l'on pourra remédier à tous les troubles psychiques lourds grâce aux médicaments. Certaines écoles de pensée - et pas seulement des « écoles de pensée » - cherchent à accréditer cette idée, mais elle est erronée.
Une fois que l'on a dit cela, on doit se demander ce qu'il faut faire.
J'ai bien écouté ce qu'ont déclaré, voilà un instant, Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur, et il me semble qu'ils ont fait tous les deux un très bon plaidoyer en faveur de la loi existante.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. La loi actuelle prévoit déjà l'injonction de soins et, comme je l'ai dit tout à l'heure, dans certains cas, le juge doit pouvoir décider l'injonction de soins.
C'est là que se situe la nouveauté introduite par le présent texte, qui dispose que le juge « ordonne » l'injonction de soins. Nous, nous considérons que le juge a un pouvoir d'appréciation, pouvoir qui est bien entendu éclairé par l'expertise. Comme l'a souligné Mme Boumediene-Thiery, la pluralité des expertises est souvent une nécessité dans ces matières très complexes.
Madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, vous avez très bien montré les avantages de la loi existante et expliqué en quoi elle prenait en compte certaines nécessités par rapport au problème posé. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi il est indispensable de la modifier aujourd'hui.
Monsieur Braye, on peut discuter des peines planchers : c'est l'objet du présent texte. En revanche, la question de l'injonction thérapeutique ne figurait pas dans la première mouture du projet de loi. Au départ, le Gouvernement n'avait pas l'intention de modifier la loi sur ce point.
M. Dominique Braye. On l'améliore tous les jours !
M. Jean-Pierre Sueur. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, vous n'avez pas présenté d'arguments très forts en faveur de la modification de la loi.
Tous les magistrats que j'ai consultés au sujet du suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins m'ont dit qu'il était très difficile, voire impossible dans certaines juridictions, de trouver des experts. Et il n'y a pas davantage de psychiatres pour faire appliquer les décisions qui sont prises.
Or, après l'adoption du présent projet de loi, le juge aura les mains liées : si un expert décide qu'il faut prononcer une injonction de soins, le juge devra l'ordonner, même si sa juridiction ne dispose pas des moyens nécessaires pour appliquer sa décision.
Madame le garde des sceaux, je me permets donc de vous suggérer une démarche pragmatique. Pourquoi ne pas en rester aujourd'hui à la loi existante, loi dont vous avez, avec M. le rapporteur, reconnu la nécessité et les aspects positifs ? Parallèlement, nous nous doterons des moyens nécessaires en matière d'expertise et de psychiatrie, ce qui demandera de l'argent et du temps. Ensuite, nous pourrons peut-être revoir la législation.
Cette démarche me paraît plus conforme au réalisme que de vouloir à toute force modifier un dispositif qui permet déjà l'injonction de soins lorsqu'elle est indispensable.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous nous sommes à maintes reprises inquiétés de savoir ce que devenaient les textes que nous votons. Nous avons évoqué l'attente de l'opinion publique. Je considère que l'une des fautes les plus graves que le législateur et un Gouvernement peuvent commettre est de laisser croire que l'on prend une mesure alors que, dans la pratique, elle n'est pas appliquée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Robert Badinter. Le Conseil d'État a relevé - et j'ai fait le même constat - qu'en matière de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins il n'y avait aucun compte rendu, aucun bilan, aucune appréciation des progrès réalisés, aucune évaluation des besoins, aucune étude d'impact.
Or je crois savoir que la commission d'analyse et de suivi de la récidive instaurée par la loi de 2005 a analysé les aspects matériels du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, et je me permettrai de livrer ici certains éléments importants qui, semble-t-il, ressortent de ses travaux, puisqu'on ne nous donne pas ces informations par ailleurs.
La première préconisation de la commission d'analyse et de suivi de la récidive serait d'évaluer l'efficacité actuelle de la peine du suivi socio-judiciaire, notamment avec injonction de soins.
En l'état actuel, seul le nombre de peines de suivi socio-judiciaire serait connu : 1 063 auraient été prononcées en 2004 contre 853 en 2003. Au 1er janvier 2005, 426 suivis socio-judiciaires auraient été en cours. Le nombre de mesures prononcées serait très faible par rapport au nombre d'infractions relevant potentiellement de ce dispositif.
Vous vous rappelez sans doute, mes chers collègues, le rapport sur les réponses à la dangerosité que le député Jean-Paul Garraud a remis au précédent ministre de la justice. Notre collègue préconisait, à mon grand étonnement, pour ne pas dire à mon effroi, d'étendre le prononcé de la peine de suivi socio-judiciaire - écoutez bien, mes chers collègues ! - à l'ensemble des infractions concernant les atteintes aux personnes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Formidable !
M. Robert Badinter. Lorsqu'on prend la mesure de la situation actuelle et qu'on la rapproche de cette proposition, on est effaré de ce que le public peut penser du sérieux de nos travaux.
En dépit de ses interrogations, la commission d'analyse et de suivi de la récidive n'a jamais pu connaître le nombre d'injonctions de soins actuellement en cours.
Quant aux médecins coordonnateurs, seulement 90 sont recensés au sein des 181 tribunaux de grande instance.
Ces données mettent en évidence que, dans le meilleur des cas, l'injonction de soins ne s'applique que dans une petite moitié des tribunaux français, ce qui est particulièrement regrettable.
Aucune évaluation ou étude n'a jamais été réalisée en ce qui concerne l'effet de ce suivi dans la durée ou encore la pertinence de cette peine en termes de prévention de la récidive.
On vote des textes et on croit que tout est fait ! Mais, comme je le rappelais ce matin, le vrai problème c'est celui des moyens.
Écoutez les magistrats, écoutez ceux qui contribuent à l'oeuvre de justice : tous vous diront qu'ils n'en peuvent plus de tous ces textes qui s'enchevêtrent, qui s'entremêlent, dont on ne parvient même plus à distinguer l'objet. C'est au point que le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui est certainement le meilleur expert en procédure pénale en France, nous a déclaré qu'il n'était plus sûr de rien et qu'il lui fallait à tout instant se référer aux textes pour s'assurer qu'il ne se trompait pas, parce qu'il lui fallait toujours s'assurer qu'il prenait bien en compte la énième et dernière modification intervenue.
Et, pendant ce temps, sur le terrain, il n'y a rien, ou presque rien, pas de moyens !
Certains praticiens estiment que, dans ces conditions, un suivi peut, avec le temps, devenir contre-productif. De ce point de vue, il est essentiel d'étudier la pertinence des suivis qui peuvent être prononcés sans limitation de durée à l'issue d'une peine d'emprisonnement parfois très longue.
En conclusion, si, dans l'absolu, on ne peut qu'être favorable à l'extension de la peine de suivi socio-judiciaire et de l'injonction de soins,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quand même !
M. Robert Badinter. ... en pratique, cette extension peut se révéler dangereuse, voire contre-productive au regard de l'insuffisance des moyens existants. Il faut savoir que certains condamnés, en particulier en matière de crimes sexuels, demandent une injonction de soins, mais qu'on ne peut pas la leur offrir en raison du manque de moyens.
Je déplore - et je suis convaincu que c'est un sentiment très largement partagé - que l'on poursuive dans une voie où la loi n'est plus qu'un affichage, où elle ne sert qu'à prendre des postures ! Comment la réalité observée après le vote de telles lois produirait-elle autre chose que des déceptions, déceptions insupportables pour tous les justiciables français et pour nous tous ?
Mieux vaut bien faire ce que l'on entreprend qu'ajouter une loi d'affichage à une autre loi d'affichage ! Pourquoi promettre que l'on donnera à tous ceux qui en ont besoin l'accès à un suivi socio-judiciaire, déclarer qu'on leur prodiguera des soins, alors que, dans la réalité carcérale - bien affligeante réalité, le plus souvent -, il n'y a ni médecin coordonnateur ni psychiatre disponibles, ni traitement possible. C'est cette situation que dénonce la commission d'analyse et de suivi de la récidive.
Madame le garde des sceaux, je souhaite que, dans un an, puisque vous avez le privilège de prendre maintenant vos fonctions, vous présentiez à la Haute Assemblée l'état de la réalité du suivi socio-judiciaire et, surtout, de l'injonction de soins.
Je souhaite également que, comme on le fait en matière financière, on ne vote pas des textes sans prévoir les moyens de leur application.
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Monsieur Badinter, votre souci est partagé par l'ensemble des membres de cet hémicycle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. Dominique Braye. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que, à l'heure actuelle, nous ne disposons pas des moyens nécessaires à une bonne application de la loi.
Toutefois, mon cher collègue, si vous me le permettez, je vous retournerai les arguments qui m'ont été opposés lorsque j'étais rapporteur pour avis du projet de loi instituant un droit au logement opposable. Dans vos rangs, on soutenait un argument qui était puissant : les moyens font actuellement défaut, mais adoptons tout de même ces dispositions, car la loi sera un aiguillon pour augmenter les moyens.
Eh bien, nous souhaitons que cette loi-ci devienne un aiguillon afin que le pays se donne les moyens d'apporter, lorsque c'est nécessaire, un suivi médical aux personnes qui en ont besoin.
Monsieur Sueur, le fait de soigner un malade ou de l'encourager à se soigner ne nous paraît pas aberrant.
M. Jean-Pierre Sueur. Je n'ai jamais dit que c'était aberrant !
M. Dominique Braye. Je me souviens des réactions qu'ont suscitées dans vos rangs notre proposition de création d'un fichier des empreintes génétiques. Je ne vous ferai pas l'outrage de mentionner le nombre de criminels et de délinquants sexuels qui ont depuis été identifiés, grâce à ce dispositif, ce qui a permis d'éviter des récidives.
Le présent projet de loi va dans la bonne direction, même si, nous le savons, il ne sera pas possible de mettre immédiatement en oeuvre toutes les dispositions qui y sont inscrites.