Mme Christine Lagarde, ministre. Je considère, comme M. le rapporteur général, que l’amendement de Mme Bricq est satisfait. Nous avons en effet décidé, lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2010, que la taxation systémique ferait l’objet d’un rapport spécifique remis au Parlement avant le 30 juin.
J’ajoute que l’utilisation de la formule « taxe assurantielle » ne me semble pas opportune, et il n’y a là aucun caprice de ma part. Les réflexions qui sont en cours au Fonds monétaire international, au sein du G20 et, dans une moindre mesure, du conseil Ecofin, montrent l’attention qui est portée – comme le reflétera probablement le rapport qui sera établi par le directeur du FMI – au concept d’aléa moral et au risque que présenterait la mise en œuvre d’un véritable mécanisme assurantiel qui serait financé par tous les établissements financiers mais qui ne bénéficierait qu’aux moins vertueux.
Il me semble donc préférable de raisonner en termes de taxation universelle ou de taxation systémique. Lors de la réunion du G7 à Iqaluit, au Canada, nous nous sommes interrogés sur la manière de cibler au mieux les établissements qui seront redevables de cette taxe et sur les mécanismes de prise en charge du risque susceptibles d’éviter l’aléa moral.
M. Jean-François Lepetit devrait me rendre son rapport suffisamment tôt pour que ses conclusions soient intégrées dans le rapport qui sera remis au Parlement avant le 30 juin.
Il s’agit d’améliorer la lisibilité du paysage financier. Aujourd’hui, nous devons tenir compte à la fois des travaux qui sont conduits par le Comité de Bâle et par le Conseil de stabilité financière, ainsi que des études qui sont menées dans de nombreux domaines – les capitaux propres, la pondération des capitaux en fonction de la nature des risques –, sans même parler des différents forums qui se tiennent sur les mécanismes assurantiels. Nous aurions tout intérêt, dans un souci de clarté, à disposer d’un tableau complet de l’ensemble des mécanismes actuellement envisagés afin de dégager une perspective.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, au-delà de la question purement sémantique, vous semblez considérer que l’instauration d’une prime d’assurance pourrait être perçue, en quelque sorte, comme la mise en place d’un système où les moins vertueux se verraient finalement récompensés.
Dans notre esprit, il ne s’agit pas de cela. Si une prime d’assurance était instaurée, elle devrait bien entendu être modulée en fonction de la nature des risques. Cela suppose qu’un contrôle prudentiel s’exerce et que soit élaboré un barème sur la base de critères aussi objectifs que possible pour pénaliser les établissements qui prennent des risques excessifs et leur imposer une prime particulièrement lourde. C’est ainsi, madame Bricq, que nous pourrions faire évoluer les comportements et tendre vers une plus grande responsabilité.
S’agissant de la taxe sur les salaires, il faut souligner qu’elle pèse essentiellement sur le secteur de la santé. Elle « encombre » donc le budget puisque, charge pour le système de protection sociale, elle devient recette dans le budget de l’État. Cela gonfle artificiellement le poids tant des dépenses que des recettes publiques.
La taxe sur les salaires pèse également sur le monde associatif qui, pour l’essentiel, dépend de financements publics.
Dans d’autres domaines, entre autres les assurances, les banques, le secteur financier, il est incontestable qu’elle peut être analysée comme un facteur de délocalisation au profit d’autres places financières telles que Londres.
J’espère réussir à convaincre Mme Bricq qu’il n’y a pas d’antagonisme entre la volonté de supprimer la taxe sur les salaires et l’institution d’une redevance ou d’une taxe d’assurance systémique.
M. le président. Madame Bricq, l’amendement n° 71 est-il maintenu ?
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, le mini-débat qui s’est instauré a montré que nous allions être amenés à poursuivre la réflexion et, compte tenu des explications de Mme la ministre comme de la position exprimée par la commission, il ne me paraît pas bienvenu de le maintenir.
Je mets de côté le débat sur la taxe sur les salaires – que les hôpitaux acquittent aussi –, mais j’accepte le débat sur l’assurantiel et le systémique.
Pour ma part, j’estime que, lors de la présentation de notre proposition de résolution européenne, nous avons défendu une position en accord avec celle du président de la commission des finances sur la nécessité d’établir des normes de risques et d’accepter la règle selon laquelle plus on prend de risques, plus cela coûte cher, notamment en termes de relèvement des fonds propres.
Dans le même temps, j’accepte aussi l’argumentation de Mme la ministre, selon laquelle l’existence d’un aléa moral rend peut-être un peu « rustique » un mécanisme qui conduit à faire prendre en charge par les « vertueux » les risques pris par ceux qui ne le sont pas.
La question peut donc se discuter et il existe éventuellement des voies plus subtiles. On nous dit qu’elle est en débat à plusieurs échelons. Attendons donc de connaître les propositions que fera le FMI au mois d’avril et reprenons ce débat au mois de juin, mais je refuse qu’il se fasse en dehors du Parlement : je veux qu’il ait lieu aussi ici, au Sénat.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 71 est retiré.
L'amendement n° 93 rectifié, présenté par M. Cambon et Mme Procaccia, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au II de l'article 48 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, l'année « 2010 » est remplacée par l'année « 2009 ».
II. - La perte de recettes résultant pour l'État du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Au travers de cet amendement, je veux évoquer une excellente disposition de la loi de finances pour 2010 : son article 48 prévoit en effet la compensation à 83 %, pendant quinze ans, de l’exonération de taxe sur le foncier bâti pour les logements sociaux de type PLS, ou prêts locatifs sociaux.
Auparavant, la compensation à 83 % aux communes de l'exonération de taxe, en cas d'acquisition de logements anciens, ne valait que pour les PLAI, les prêts locatifs aidés d'intégration, et les PLUS, les prêts locatifs à usage social ; lorsqu'il s'agissait de prêts locatifs sociaux, il n'y avait aucune compensation.
Toutefois, malgré le nouveau dispositif, les communes, en tout cas certaines d’entre elles, peuvent encore être confrontées à des difficultés.
Je n’ai pas évoqué la question lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010, mais elle l’a été plusieurs reprises lors de l’examen de textes relatifs au logement, et chacun sait donc qu’ICADE, qui assurait la location de très nombreux logements, notamment dans le Val-de-Marne, a entrepris de vendre son patrimoine.
La vente « en bloc » du patrimoine d’ICADE n'aura effectivement lieu qu'en 2010 et sera donc compensée, mais un certain nombre de ventes immeuble par immeuble se sont déroulées en 2009. Additionnées, ces ventes partielles font perdre aux communes jusqu’à plusieurs centaines de milliers d'euros de taxe foncière chaque année, et évidemment plus encore sur quinze ans.
Le présent amendement vise donc à appliquer l’article 48 de la loi de finances pour 2010 aux décisions de financement intervenues en 2009 et non pas seulement à celles qui seront intervenues ou interviendront en 2010, ce qui serait conforme à l’esprit d’un texte dont l’objet n’était pas de laisser de côté certaines communes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Comme Mme Procaccia, la commission se référera à l’article 48 de la loi de finances pour 2010, article que nous avions d’ailleurs adopté à l’unanimité et dont l’objectif était de compenser, pour les collectivités territoriales, les effets de la vente du patrimoine d’ICADE, filiale du groupe de la Caisse des dépôts et consignations.
Avec cet amendement, il s’agirait d’aller au-delà en appliquant la même règle aux logements vendus par ICADE en 2009. Seraient donc visés un nombre important de logements, ICADE ayant annoncé son intention d’accélérer le rythme des ventes, qui, dès 2008, auraient porté sur 5 000 logements.
La commission, sensible au souci d’assurer la cohérence avec une disposition déjà votée, s’en remettra à l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est, donc, l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement, ému par un même souci de cohérence, émet un avis favorable sur l’amendement proposé par Mme Procaccia, de manière que les ventes réalisées en 2009 puissent bénéficier du même régime que celui qui sera applicable, en vertu de l’article 48 du projet de loi de finances, aux ventes réalisées en 2010.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
Mme Catherine Procaccia. Je vous remercie, madame la ministre !
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 93 rectifié bis.
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances rectificative, avant l'article 1er.
Article additionnel après l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 98, présenté par MM. Foucaud et Vera, Mme Beaufils et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L'article 1 de l'ordonnance 2005-722 du 29 juin 2005 relative à la création de l'établissement public OSEO et à la transformation de l'établissement public Agence nationale de valorisation de la recherche en société anonyme est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les ressources de l'établissement sont assurées par la perception d'une taxe spécifique, l'État peut décider que leur emploi soit assorti de l'émission des prêts ne portant pas intérêt. »
II. - Les pertes de recettes résultant pour l'État des dispositions du I ci-dessus sont compensées par la création, à due concurrence, d'une taxe additionnelle aux droits fixés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement vise à permettre à l’État de décider que l’emploi par OSEO de ressources issues de la perception de taxe spécifique, en l’espèce la taxe sur les bonus bancaires, donne lieu à l’émission de prêts ne portant pas intérêts.
Le principe de la mesure proposée est louable. Cette mesure va même dans le sens d’une meilleure efficacité de certaines actions d’investissement.
Toutefois, j’observe que les conditions d’octroi des prêts par OSEO ne sont pas définies par la loi : elles sont du domaine réglementaire. Il serait donc utile que Mme la ministre nous éclaire sur ses intentions et nous dise s’il est envisageable, pour les financements adossés à la taxe sur les bonus, qu’OSEO soit en mesure de distribuer des prêts à taux zéro.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Malheureusement, monsieur le rapporteur général, OSEO n’a pas vocation à apporter aux entreprises des prêts à titre gratuit. Le rôle de la filiale d’investissement d’OSEO, en particulier, est évidemment de renforcer les financements bancaires dont disposent par ailleurs les petites et moyennes entreprises, mais pas de le faire à taux zéro.
En outre, le droit communautaire nous serait sans aucun doute opposé si d’aventure nous envisagions une telle perspective sur le fondement des aides d’État.
La proposition n’est donc pas recevable et le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 98.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
L’article 61 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, dans sa rédaction issue de l’article 13 de la loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010, est ainsi modifié :
1° Au f, le taux : « 36,28 % » est remplacé par le taux : « 33,36 % » ;
2° Il est ajouté un i ainsi rédigé :
« i) Une fraction égale à 2,92 % est affectée au budget général de l’État. »
M. le président. L'amendement n° 123, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
II. - Au 10° du II de l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, le pourcentage : « 37,95 % » est remplacé par le pourcentage : « 33,36 % ».
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Compléter cet article par quatre paragraphes ainsi rédigés :
III. - À la fin de la troisième phrase du troisième alinéa du III de l'article L. 241-13 du même code, le pourcentage : « 60 % » est remplacé par le pourcentage : « 58 % ».
IV. - L'article 61 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 est ainsi modifié :
1° Au f, le taux : « 33,36 % » est remplacé par le taux : « 30,35 % » ;
2° Au i, le taux : « 2,92 % » est remplacé par le taux : « 5,93 % ».
V. - Au 10° du II de l'article L. 131-8 du code de la sécurité sociale, le pourcentage : « 33,36 % » est remplacé par le pourcentage : « 30,35 % ».
VI. - Les III, IV et V entrent en vigueur le 1er janvier 2011.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement, plus substantiel que le précédent, nécessite, madame la ministre, quelques explications.
Il relève à la fois d’une exigence budgétaire et d’un impératif économique.
L’article 2 de ce collectif améliore, et c’est une bonne chose, le régime d’embauche des travailleurs occasionnels ou de demandeurs d’emploi – dit « TO-DE » –, en particulier dans le secteur agricole, en prévoyant des réductions supplémentaires de charges sociales.
Je relève que la réforme telle qu’elle nous est proposée conduirait à terme à une aggravation du déficit. Elle se traduirait en effet par un surcoût de 269 millions d’euros, 168 millions d’euros étant imputables à l’extension du dispositif et 101 millions d’euros l’étant à sa compensation intégrale à la sécurité sociale.
Vous faites à juste titre valoir, madame la ministre, que ce surcoût est financé en 2010. Oui, mais comment ? Le surcoût est tout simplement financé parce que le panier de ressources qui permet de supporter les allégements généraux de charges sociales va être surabondant en raison de la crise ; vous trouvez donc dans ce panier de ressources le gage vous autorisant à financer sans difficultés en 2010 un surcoût de 269 millions d’euros.
Plusieurs points me préoccupent cependant.
D’une part, le transfert de fiscalité que vous opérez en affectant une quote-part des droits sur le tabac est une facilité pour l’État et fragilise les ressources de la sécurité sociale. Il est d’ailleurs dommage que mon excellent ami et collègue Alain Vasselle ne soit pas présent, car je suis certain qu’il aurait insisté avec la vigueur qui lui est coutumière sur cet aspect de la réforme. (Sourires.)
En outre, d’un point de vue « maastrichtien », on ne fait que déplacer le besoin de financement : on creuse le déficit de la sécurité sociale pour combler celui de l’État, ce qui, naturellement, ne sert à rien.
À partir de 2011, dès lors qu’on aura besoin de la totalité des ressources du panier pour compenser les allégements généraux de charges sociales, comment financera-t-on la charge définitive que l’on se sera créée avec cet article 2 ? Comme on sait si bien le faire, par une aggravation du déficit ! C’est tellement simple : il suffit d’inscrire un chiffre dans une case !
Considérant que cette démarche n’est pas acceptable et qu’à une charge permanente doit correspondre une ressource permanente, j’ai donc préparé cet amendement qui permet de dégager 300 millions d’euros de marges de manœuvre budgétaires nouvelles et pérennes.
N’ayant pas beaucoup d’imagination, je préconise simplement d’abaisser – très légèrement – le seuil de sortie du dispositif des allégements généraux de charges sociales de 1,60 à 1,58 SMIC, soit une diminution infinitésimale de ce plafond puisque la variation est de 27 euros. Pour autant, un tel dispositif a des effets budgétaires significatifs et permet de se procurer les 269 millions d’euros nécessaires.
Il est précisé que cet amendement entrerait en vigueur au 1er janvier 2011.
En réponse à cette proposition, j’ai reçu, madame la ministre, des argumentaires, en particulier de la part de l’excellent secrétaire d'État chargé de l’emploi, pour qui j’ai beaucoup de considération. Eh bien, c’est une incroyable logomachie stalinienne qu’il m’a ainsi été donné de lire ! La terre allait trembler ! Des dizaines de milliers d’emplois allaient être mis en péril par cette variation de 27 euros…
Or, mes chers collègues, l’amendement qui vous est soumis ne diminue que de 1,3 % le coût des allégements généraux, afin précisément de ne pas pénaliser la timide reprise économique à laquelle nous assistons actuellement.
La charge moyenne pour chacune des 1 850 000 entreprises bénéficiaires est très limitée. Je l’ai calculée : elle est de 13 euros par mois, ce qui ne me paraît pas justifier les développements emphatiques qu’on m’a infligés sur le sujet ! Cette somme n’est de nature ni à entraver la croissance ni davantage à affecter les plans de recrutement des entreprises.
En abaissant de manière très modérée le seuil de sortie du dispositif des allégements généraux, la commission contribue au contraire à recentrer ce dispositif sur les bas salaires et sur les travailleurs les moins qualifiés, qui sont ceux qui ont le plus souffert de la dégradation du marché du travail.
Je rappelle, à ce stade de mon explication, que la suppression de la taxe professionnelle a permis d’alléger sensiblement la fiscalité sur les entreprises, qui ressortent très largement gagnantes des dernières réformes fiscales et sociales. C’est d’ailleurs une réalité un peu trop vite oubliée du côté des entreprises : quand nous nous promenons dans nos départements, on nous remercie rarement à ce sujet…
M. Albéric de Montgolfier. Jamais, en politique !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’évoquerai pour finir la question de l’efficacité globale des allégements généraux de charges sociales.
Madame la ministre, chaque année, les finances publiques supportent une charge de plus de 22 milliards d’euros au titre des allégements généraux.
M. Gérard Longuet. Et les trente-cinq heures !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le Parlement ne dispose d’aucun suivi annuel quant à la performance des allégements généraux, notamment en termes d’emploi, puisque la compensation accordée à la sécurité sociale est totalement débudgétisée. L’information disponible sur l’efficacité de cette somme, qui est pourtant de première grandeur, est plus que lacunaire, alors qu’on utilise tout un luxe de procédures pour des dépenses qui ne représentent que des enjeux extrêmement mineurs, parfois dans l’épaisseur du trait.
Le Gouvernement devait nous remettre un rapport sur le sujet en juin 2009 ; j’ai bien cherché, je ne l’ai pas trouvé, madame la ministre. Je crois que nous l’attendons toujours…
Au moment même où vous adressez à Bruxelles le programme de stabilité, décliné sur trois ans, qui fait apparaître l’ampleur des efforts à réaliser pour revenir à un déficit inférieur à 3 % en 2013, nous avons le devoir de vous demander quel bénéfice l’économie française retire de cet investissement de 22 milliards d’euros par an.
La plupart des études sérieuses estiment que les allégements généraux ont permis de créer des emplois. Combien ? Cela dépend des sources : des milliers ou des dizaines de milliers. Mais une analyse approfondie peut conduire à des conclusions plus ambivalentes.
À différentes reprises, la Cour des comptes avait transmis les résultats de ses analyses sur ce point, et j’ai encore en mémoire la voix de Philippe Séguin, qui s’était exprimé à ce sujet lors d’une séance organisée dans la salle Clemenceau par le président de la commission des finances.
M. Nicolas About. C’est une véritable prosopopée ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Cour des comptes avait appelé à reconsidérer les allégements généraux pour « mieux les cibler sur les emplois les moins qualifiés et sur les entreprises qui en ont le plus besoin ». Elle avait alors suggéré d’abaisser le seuil d’exonération à 1,3 SMIC et de n’en faire bénéficier que les entreprises de moins de vingt salariés.
Notre excellent collègue Yves Bur, qui occupe à l’Assemblée nationale un poste équivalent à celui d’Alain Vasselle, mais sans porter le titre de rapporteur général (Sourires.), dressait le même bilan dans un rapport sur les exonérations de charges sociales déposé en juin 2008. Il a constaté notamment que 80 % du coût des allégements généraux étaient concentrés dans la tranche comprise entre 1 et 1,4 SMIC. Il a surtout rappelé que ce dispositif était d’autant plus efficace s’il était réellement ciblé sur les bas salaires.
Je voudrais enfin combattre une idée reçue. Le champ des allégements généraux s’étend bien au-delà des bas salaires et du travail non qualifié. On nous dit que les allégements généraux bénéficient au travail non qualifié. Or, mes chers collègues, 1,6 SMIC c’est le salaire médian. Autrement dit, la moitié des salariés, soit dix millions d’entre eux, entrent dans le champ des allégements généraux. Est-ce que tous sont des travailleurs non qualifiés ? Si c’était le cas, ce serait à désespérer de l’économie et du système de formation professionnelle français !
L’objectif initialement assigné à ces allégements apparaît largement dépassé, et nous avons transformé une politique d’aide à l’emploi en une subvention généralisée à l’économie française, subvention dont nous n’avons plus les moyens.
Ce faisant, je crois que nous opérons un mauvais calcul, et cela pour deux raisons.
D’abord, les allégements généraux conduisent incidemment à maintenir des personnes dans l’emploi non qualifié, ce qui nuit à terme à la compétitivité des entreprises.
Ensuite, comme l’a souligné la Cour des comptes, ce dispositif bénéficie pour l’essentiel à des activités tertiaires, notamment à la grande distribution, qui n’est pas soumise à la concurrence internationale et pour qui c’est un véritable effet d’aubaine.
Madame la ministre, le rapport que le Parlement vous a demandé, sur l’initiative de la commission des finances, devrait nous permettre de clarifier deux enjeux : le recentrage des allégements généraux sur les bas salaires et le redéploiement des moyens vers la compétitivité de nos entreprises.
Pour conclure, j’en reviens à mon amendement, qui est, je le reconnais, un peu facétieux. (Sourires.) Le fait de passer de 1,6 SMIC à 1,58 SMIC pourrait paraître anodin, mais il revient à toucher à un tabou : ce soir, nous voudrions toucher au tabou que représente le seuil d’exonération.
Parce que, il faut en être conscient, le programme de stabilité de la France pour 2010-2013 ne saurait être comme ceux qui l’ont précédé ! En effet, aucun des programmes précédents n’a été respecté. Chaque année, on présente les mêmes graphes ; le programme est tout prêt, il suffit d’ajouter un programme de stabilité supplémentaire ; il y a le théorique, et puis il y a le réel… Mais, cette fois-ci, c’est différent, en particulier après l’épisode grec, et compte tenu de la nécessaire solidarité de la zone euro : nous ne pouvons pas nous permettre de prendre des engagements que nous serions incapables de tenir.
Pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mes chers collègues, mais je tenais à poser solennellement à nouveau le problème des allégements généraux de charges sur les bas et moyens salaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?