M. Jacques Blanc. Cela ne veut rien dire !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...mais l’écart aurait tout de même été de 104,41 euros à 366 euros !
M. Jacques Blanc. Cela dépend du nombre d’habitants!
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une réforme de grande ampleur des dotations de l’État me semble donc inévitable, aussi bien pour parvenir à un dispositif plus juste que pour clarifier les critères d’éligibilité et de calcul qui sont aujourd’hui trop complexes.
En conclusion, j’attire l’attention du Sénat sur l’importance et l’ampleur des réformes que nous devons engager dès cet automne, sans peut-être les mener à terme : l’ajustement des dispositifs votés lors de l’examen de la loi de finances pour 2010, la mise sur les rails de nouveaux dispositifs de péréquation qui, idéalement, devront tenir compte de l’ensemble des richesses des collectivités territoriales ...
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ... et l’ouverture du chantier de la révision des valeurs locatives.
Je remercie le Gouvernement d’avoir bien voulu prendre part à ce débat, qui nous permet d’anticiper cette discussion. Ainsi il pourra, avec le Sénat, mieux préparer les amendements qui seront examinés lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2011.
Madame la ministre, le débat que nous venons d’avoir aura permis de faire preuve de lucidité. Espérons que le courage suivra. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, aux regrets de certains et à la satisfaction d’autres, je me contenterai de répondre brièvement à certains points qui ont été évoqués.
La clause de revoyure avait été prévue par l’article 76 du projet de loi de finances pour l’année 2010.
Mme Nicole Bricq. Il n’y en a pas !
Mme Christine Lagarde, ministre. Nous y avons tous participé, faisant chacun de notre mieux pour faire entendre nos arguments.
Monsieur le président de la commission des finances, je me félicite que, dans deux mois, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, nous soyons à même de prendre acte des échanges qui ont eu lieu au sujet de la contribution économique territoriale et des remarques qui ont été formulées à cette occasion. Ainsi des propositions et des améliorations pourront-elles être soumises sur le texte dont j’ai tout à l’heure décrit à grands traits les principes, notamment par le biais d’amendements.
Je tiens à souligner que la plus belle péréquation du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! Sachons nous en contenter. Toutes les récriminations, frustrations et insatisfactions émises ne peuvent l’être en son nom. De ce point de vue, mesdames, messieurs les sénateurs, certaines de vos demandes étaient particulièrement ciblées sur ce que cet instrument peut offrir.
Certains ont évoqué le coût supplémentaire qu’ont engendré la réforme de la taxe professionnelle et la mutation de celle-ci en contribution économique territoriale. Je précise qu’il avait au contraire été très légèrement surestimé dans les prévisions par rapport aux chiffres définitifs des années 2010 et 2011. Ainsi, en régime de croisière, ce montant atteint 4,7 milliards d'euros. En outre, la bosse, si je puis dire, estimée de manière conservatrice et donc de façon un peu excessive, s’élève à 9 milliards d’euros.
Mme Nicole Bricq. On y reviendra !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous avez été nombreux à revenir sur la taxe d’habitation, et ce à juste titre d’ailleurs puisque nous observons, dans le cadre de la réforme que nous avons mise en œuvre, une concentration de l’ensemble des impôts fonciers et de cette taxe à l’échelon communal. M. Guené a très bien résumé le dilemme cornélien auquel un certain nombre de communes sont en proie : utiliser les abattements départementaux ou, si ces derniers ne sont pas transposés à l’identique par les communes, en faire supporter la charge par les administrés et les habitants de ces dernières.
Sur cette question, plusieurs idées ont été formulées : la compensation, l’utilisation de la péréquation sur le fondement non pas d’un crantage à 5, 10, 15 mais d’intervalles un peu différents. Nous devrons examiner l’ensemble de ces propositions et, surtout, en estimer le coût, car nous ne pourrons nous engager que sur des éléments chiffrés.
MM. Collin et Chatillon, notamment, ont commenté les simulations que nous avons établies. Vous vous en souvenez, une première série de simulations avait été effectuée sur la base des chiffres de 2008, les seuls dont nous disposions alors ; elle avait été suivie d’une première mise à jour. En tenant compte des prévisions de croissance du programme de stabilité et de leur mise à jour présentée aux instances communautaires – notons en particulier le rapport Durieux –, nous parvenons à un chiffrage qui n’est pas exactement conforme aux prévisions de croissance pour l’exercice 2011 en particulier. Par conséquent, une partie de la simulation doit être revue ; nous allons nous y employer.
Je précise que les simulations concernant l’IFER et le foncier ne dépendaient pas des perspectives de croissance. C’est pourquoi sur ces sujets les simulations conservent toute leur pertinence.
Je rappellerai rapidement et sans entrer dans le détail ce que le Gouvernement entend proposer en matière de péréquation, que ce soit à l’échelon départemental ou régional, sous réserve des amendements qui pourraient être déposés et étudiés. Il s’agit d’un mécanisme tenant compte de l’augmentation de la valeur ajoutée, le fameux « potentiel fiscal ». Pour faire simple, lorsqu’elle est supérieure à la moyenne nationale dans les régions et dans les départements, la hausse est suivie d’une réallocation prenant en considération tous les critères que vous avez été nombreux à évoquer, mesdames, messieurs les sénateurs, et qui seront repris dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, ainsi que toutes les tâches qui incombent aux régions, d’une part, et toutes les charges qui pèsent sur les départements, d’autre part. Vous avez notamment insisté, monsieur Blanc, sur la voirie rapportée au nombre d’habitants, sur le nombre de personnes âgées, sur les coûts de scolarisation.
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement a essayé d’être le plus exhaustif possible en appliquant une pondération chaque fois que c’était envisageable. Ainsi, la prise en compte de la longueur des voies par rapport au nombre d’habitants est un exemple parmi d’autres de la nécessité d’y avoir recours.
Madame Voynet, pour ce qui concerne la péréquation entre la région et le département, le Gouvernement s’est attaché à coller le mieux possible à la réalité des terrains que vous avez évoquée.
C’est sur la péréquation à l’échelon communal que le débat est le plus complexe et exige que nous travaillions ensemble. J’ai bien entendu l’exigence de prévisibilité formulée par MM. Fouché et Chatillon ; il faut y parvenir.
À l’échelon communal, il nous faut retenir le calendrier suivant : d’abord, établir des principes programmatiques dont nous débattrons dans deux mois à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, ensuite, continuer à travailler sur ce sujet au cours de l’année prochaine. Le Gouvernement remettra au Parlement un rapport, mi-2011, pour que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, nous n’en soyons plus aux principes programmatiques, mais nous puissions nous appuyer sur des dispositions faisant l’objet d’un paramétrage très précis.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il va de soi que ce débat vous appartiendra, vous avez d’ailleurs été nombreux à en évoquer la pertinence : c’est dans la proposition et dans l’action que nous éprouverons notre détermination collective à réaliser la péréquation. J’en résume le déroulement : principes d’abord, paramétrage ensuite, avec, pour objectif de long terme à 2015, 2 % des recettes du bloc communal, communes et établissements publics de coopération intercommunale.
Monsieur le rapporteur général, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle n’est pas intégrée dans l’enveloppe gelée des dotations de l’État. C’est un principe sur lequel nous nous étions engagés et que j’ai plaisir à rappeler en cet instant.
M. Jacques Blanc. C’est capital !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Merci de nous le confirmer !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous m’avez demandé si le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux entrera en vigueur dès 2011. Oui, le débat a eu lieu. Je vous accorde que le texte peut prêter à interprétation, mais c’est bien à cette date que le dispositif sera appliqué.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur Mézard, vous avez proposé de porter de 25 % à 33 % la péréquation « sur stock ». Le Gouvernement essaie de tenir compte des débats qui ont permis de clarifier les positions entre les mouvements sur le stock et sur le flux. C’est pourquoi il est proposé d’utiliser, à l’échelon tant départemental que régional, une technique de flux cumulés. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Certes, il s’agit d’une cotte mal taillée, mais ce dispositif me semble relativement juste dans son principe, car il permet d’éviter d’avoir ce débat sur le pourcentage à appliquer et de parvenir à un résultat satisfaisant.
Mme Nicole Bricq. Il n’y aura rien à répartir sur les flux !
M. François Marc. Ce seront des queues de cerise !
Mme Christine Lagarde, ministre. J’en viens à la taxe d’habitation.
Le report de la date limite des délibérations relatives aux abattements de taxe d’habitation au 1er novembre est maintenu. Les services de la direction générale des finances publiques ont été mis à disposition et continueront à l’être pour proposer un certain nombre de projets de délibération, de modélisations de calcul. Il faudra, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, que soient examinées, expertisées et quantifiées les éventuelles modifications qui seraient apportées en matière de taxe d’habitation et d’application d’abattements.
Monsieur Guené, pour ce qui concerne l’IFER applicable aux énergies éoliennes, vous demandez que le bloc communal soit le seul bénéficiaire. C’est très clairement dans cette direction que l’on s’achemine, en concentrant l’augmentation prévue sur le seul bloc communal. C’est bien dans cet esprit que nous travaillons. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur Dallier, vous avez évoqué la réforme des valeurs locatives. À l’évidence, elle est urgente. C’est la raison pour laquelle, François Baroin et moi-même avons l’intention de la proposer, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2010, en commençant, dans un premier temps, par les locaux commerciaux et non par les locaux à usage d’habitation. Cela nous paraît le plus logique et le plus efficace.
À cette fin, nous avons déjà tenu une première réunion à Bercy au mois de juillet et nous avons prévu d’en organiser une autre pour continuer à avancer sur ce sujet ; mais cette réforme interviendra, je le répète, dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative pour 2010.
Mme Nicole Bricq. Cela fait un an qu’on le dit !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cela avance !
Mme Christine Lagarde, ministre. Enfin, monsieur le président de la commission des finances, je le souligne, nous ne souhaitons pas remettre à plus tard les décisions sur la péréquation communale.
Nous voulons véritablement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, continuer et clore le débat sur les principes programmatiques, puis, au cours de l’année prochaine, poursuivre et examiner les calibrages et les paramétrages afin qu’ils soient le plus précis possible. Il s’agit d’avoir, en 2012, un dispositif avec un point d’arrivée qui soit à 2 % de l’ensemble des recettes à l’horizon 2015.
Mme Nicole Bricq. On verra en 2012 !
Mme Christine Lagarde, ministre. Madame la présidente, grâce à votre indulgence, dont je vous remercie infiniment, j’ai pu tenter de répondre aux différents intervenants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bravo !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Louis Lorrain et Mme Annie Jarraud-Vergnolle pour siéger respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant au sein du Conseil national du travail social, créé en application de l’article 2 de l’arrêté du 7 juillet 2010.
12
Nouvelle organisation du marché de l'électricité
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (projet n° 556, texte de la commission n° 644, rapports nos 643 et 617).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire tout le plaisir que Benoist Apparu et moi-même et, ultérieurement, Valérie Létard, avons à nous retrouver devant vous pour l’examen, en première lecture, du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, quelques semaines après des débats déjà très riches qui ont eu lieu devant l’Assemblée nationale au mois de juin, et devant la commission de l’économie du Sénat au mois de juillet dernier.
Je veux aussi remercier très sincèrement les membres de la commission de l'économie, son président, Jean-Paul Emorine, son rapporteur, Ladislas Poniatowski, de tout le travail effectué en amont sur un texte extrêmement technique, mais absolument essentiel pour la compétitivité de notre pays.
Vous me permettrez d’associer également à ces remerciements vos collègues de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ainsi que les membres de la commission Champsaur – donc, une fois de plus, Ladislas Poniatowski, mais aussi Jean-Marc Pastor –, dont le rapport final, remis au mois d’avril 2009, a largement inspiré l’architecture du projet de loi que nous soumettons aujourd’hui à votre examen. J’exprime aussi ma gratitude à Jean-Claude Merceron, qui, avec le président Emorine et le rapporteur, a accompagné le Gouvernement dans la préparation, la compréhension et la pédagogie de ce texte.
Avant d’aller plus loin, je souhaite revenir brièvement sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à vous proposer le présent projet de loi, capital pour l’avenir de notre pays. Il intervient en effet dans un contexte particulier, et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, le prix moyen de notre électricité est actuellement de 30 % inférieur à la moyenne européenne, ce qui constitue un avantage majeur en termes de compétitivité et de pouvoir d’achat, avantage que nous devons impérativement préserver.
Ensuite, aujourd'hui nous ressentons de nouveau le besoin d’investir massivement dans nos réseaux de distribution, dans nos infrastructures et dans notre parc de production d’électricité, afin d’améliorer le coefficient de disponibilité de ce dernier, et donc son efficacité. À certaines périodes de l’année, je le rappelle, la France est importatrice nette d’électricité,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. … ce qui est difficilement concevable.
En outre, il s’agit, à l’heure actuelle, non pas de désigner des responsables, mais tout simplement de prendre nos responsabilités, sereinement, collectivement, afin de proposer enfin un cadre juridique suffisamment stable pour permettre aux acteurs de la filière électrique de programmer leurs investissements sur le long terme.
Enfin, personne ne conteste aujourd’hui la nécessité de faire évoluer une réglementation qui n’est plus en mesure de garantir la pérennité de notre modèle énergétique en raison, notamment, de trois facteurs.
Premièrement, cette réglementation est marquée par une instabilité chronique, avec près de sept lois votées en dix ans et de nombreuses dispositions provisoires. La dernière en date, adoptée sur l’initiative de Ladislas Poniatowski, concerne le principe de réversibilité, absolument nécessaire pour protéger les droits des consommateurs.
Deuxièmement, elle pâtit d’un manque total de lisibilité en matière de tarifs : offres libres, tarifs réglementés, dont le TARTAM, ou tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, règles différenciées de migration d’une offre vers l’autre.
Troisièmement, elle souffre d’une insécurité juridique permanente, notamment à l’échelon européen, ce qui a pour principale conséquence de retarder les investissements nécessaires des acteurs de la filière électrique.
À cet égard, je le rappelle, la France est actuellement sous le coup de deux contentieux.
Le premier a trait à la non-transposition de la directive 2003/54/CE, qui concerne plus spécifiquement les tarifs réglementés, perçus par la Commission comme des obstacles à l’ouverture des marchés.
Le second contentieux – le plus sensible, si j’ose dire – porte sur une suspicion d’aide d’État en raison des tarifs pratiqués actuellement en faveur des moyennes entreprises et du TARTAM. Si rien n’est fait, il pourrait déboucher sur des obligations de remboursements considérables – plus précisément, à la différence du premier, sur une décision exécutoire par provision –, aux dépens de nos entreprises concernées par les tarifs réglementés. Ce serait un véritable cataclysme pour l'économie française !
Face à cette situation, et dans un secteur où les investissements nécessitent une très forte visibilité à long terme, un pays comme la France ne pouvait plus se contenter de procéder à des ajustements à la marge, en repoussant sans cesse les réformes.
En l’absence de réforme, faut-il le préciser, nous avions le choix entre deux mauvaises solutions, socialement et stratégiquement inacceptables : soit renoncer à toute forme de régulation, soit nous résoudre à démanteler l’opérateur historique, à ces deux hypothèses étant liée une hausse brutale et continue des tarifs. (M. Roland Courteau s’exclame.)
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Les débats très approfondis menés au sein de la commission Champsaur ont permis de faire émerger, de façon assez naturelle et consensuelle, une troisième voie nous permettant à la fois de maintenir une régulation très forte tout en restant fidèles aux trois piliers qui fondent notre stratégie énergétique, à savoir un haut degré de compétitivité, une sécurité absolue de nos approvisionnements et une politique électrique plus respectueuse de l’environnement, grâce notamment à la maîtrise de la demande et à la gestion de la pointe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif proposé par la commission Champsaur, modifié par l’Assemblée nationale et amendé par la commission de l'économie du Sénat, s’articule ou s’organise autour de quatre principes ou de quatre concepts clefs.
Le premier, c’est ce que l’on a appelé « l’accès régulé à la base » et que l’on appelle aujourd’hui, pour des raisons de précision et de clarté, « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique », l’ARENH, c’est-à-dire la possibilité pour les concurrents d’EDF d’acquérir de l’électricité pour l’approvisionnement de leurs clients situés en France, au coût complet de production du parc nucléaire historique, autrement dit au « juste prix » ou au prix le plus équitable, transparent et opposable qui soit.
Le projet de loi définit ainsi clairement les composantes de ce prix régulé. Son objectif sera, dans un premier temps, d’être cohérent avec le TARTAM, puis, sur la durée de la période de régulation, de couvrir strictement les coûts de production du parc nucléaire historique, à savoir la rémunération du capital, les charges courantes, les investissements nécessités par l’allongement de la durée de vie des centrales et les charges de long terme, autrement dit la gestion des déchets et du démantèlement.
Je rappelle que ce dispositif est strictement encadré puisqu’il est restreint dans le temps – il est valable quinze ans –, limité quantitativement, et qu’il prévoit des clauses de revoyure tous les cinq ans.
Par ailleurs, les fournisseurs qui décideront de revendre plus cher à l’étranger l’électricité achetée en France par l’ARENH pour augmenter artificiellement leurs profits devront rembourser la différence à EDF, sous peine de sanction. Il s’agit de s’assurer qu’ils ne disposeront d’aucun bénéfice illégitime.
Grâce à ce dispositif, nous faisons le choix d’une régulation forte, mais ciblée. On passe, en réalité, d’une régulation « aval » à une régulation « amont », tout en ayant la certitude de disposer des moyens financiers suffisants pour entretenir et développer nos infrastructures énergétiques.
Le deuxième principe, que nous devons au sénateur Bruno Sido et au député Serge Poignant, concerne la mise en place d’une « obligation de capacités d’effacement ou de production », dont la finalité est d’obliger les fournisseurs alternatifs à participer au financement de la sécurité des approvisionnements et de mieux rémunérer l’effacement de la consommation, ainsi que la production de pointe.
Le projet de loi prévoit donc, à compter de 2015, l’obligation pour le fournisseur de disposer de façon directe ou indirecte de capacités de production ou d’effacement suffisantes.
Ainsi, RTE vérifiera, chaque année, que le fournisseur détient en propre ou par contrats des capacités d’effacement ou de pointe suffisantes, les sanctions pouvant aller de la simple amende jusqu’au retrait pur et simple du droit d’exercer.
Nous passons donc d’une situation dans laquelle EDF était, en quelque sorte, assureur implicite de tout le système à une situation dans laquelle la charge est mutualisée entre l’ensemble des fournisseurs.
Le nouveau dispositif permettra en outre de développer la pratique de l’effacement, comme c’est le cas dans de nombreux pays. En parallèle ou en complément du marché de l’effacement, qui sera effectif à compter de 2012, le projet de loi prévoit la mise en place de deux innovations que nous devons au Parlement.
La première introduit un dispositif d’« interruptibilité » : en échange d’une rémunération, les très gros consommateurs s’engagent à interrompre immédiatement leur activité en cas de surcharge sur le réseau
La seconde innovation, imaginée par votre collègue Jean-Pierre Vial et soutenue par le Gouvernement, permet à RTE de lancer des appels d’offres d’effacement, toujours en direction des gros consommateurs.
J’en viens maintenant à la question des tarifs réglementés, pour lesquels il s’agit de distinguer entre petits et gros consommateurs.
Pour ce qui concerne les premiers d’entre eux – en clair, les particuliers, les commerçants et les artisans –, le projet de loi prévoit le maintien des tarifs réglementés et consacre le droit pour chacun de choisir librement et à tout moment son distributeur en fonction de ses besoins. La réversibilité est donc totale et absolue, ce qui constitue une protection très forte pour les particuliers.
Je crois d’ailleurs que nous parlerons dans le cadre de l’examen du présent texte de l’éventualité d’une extension au gaz de dispositions du même type.
Par ailleurs, nous devons réfléchir dès à présent à la meilleure façon d’aider les consommateurs les plus démunis à accéder aux tarifs sociaux.
Quant aux gros consommateurs, le projet de loi prévoit la suppression des tarifs réglementés à compter de 2015, dans la mesure où les entreprises auront désormais la certitude que leur fournisseur bénéficie du prix d’achat le plus compétitif qui soit. À elles, ensuite, de faire jouer la concurrence pour obtenir les services commerciaux et de transport les mieux adaptés à leurs besoins. Nous le constatons, les consommateurs sont ainsi protégés.
Je me dois de dire quelques mots au sujet de la Commission de régulation de l’électricité, la CRE, dont le projet de loi prévoit d’étendre à la fois les pouvoirs et les attributions.
Le texte permet d’aller vers une plus grande professionnalisation de ses membres : après concertation entre l’Assemblée nationale et la commission de l’économie, la CRE sera désormais composée de cinq commissaires à temps plein, au lieu de neuf, dont six à temps partiel, jusqu’à présent.
Le projet de loi marque la fin de la représentation catégorielle et prévoit une articulation renforcée entre la CRE et le CSE, le Conseil supérieur de l’énergie, dont nous parlerons tout à l’heure.
Désormais le régulateur dispose des moyens financiers et humains nécessaires à l’accomplissement de sa mission de service public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont donc les objectifs visés par le projet de loi qui vous est soumis et qui est un texte à la fois de refondation juridique, de consolidation de notre compétitivité industrielle et de protection du consommateur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Roland Courteau. C’est idyllique !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le ministre d’État, je commencerai moi aussi mon propos par des remerciements. Je suis depuis très longtemps – je le faisais déjà à l’époque où j’étais député – les problèmes liés à l’énergie en général, et à l’électricité en particulier. J’ai donc spécialement apprécié le fait que vous ayez souhaité associer, très en amont du texte initial, les deux rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cela nous a permis, dès le départ, d’apporter un certain nombre de modifications. Pour un rapporteur, il est très agréable de travailler ainsi !
J’en viens maintenant, mes chers collègues, à l’objet principal du projet de loi que nous devons examiner. Il s’agit d’apporter une réponse à la faiblesse de la concurrence sur le marché français de l’électricité, qui, vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre d’État, nous est souvent reprochée.
En droit, l’ouverture de ce marché est complète depuis le 1er juillet 2007. Mais, comme chacun peut le constater, dans les faits, l’opérateur historique a conservé une position très largement dominante. EDF assure toujours 90 % de la production d’électricité. Surtout, grâce au maintien des tarifs réglementés, EDF sert toujours en volume plus de 95 % de la clientèle résidentielle et près de 87 % de la clientèle non résidentielle.
Un sondage récent a d’ailleurs révélé que près de 40 % des Français ne savaient même pas qu’ils pouvaient acheter de l’électricité à des électriciens concurrents d’EDF !
Cette situation contraste avec les évolutions observées dans les pays européens voisins, où les opérateurs historiques ont dû se défaire d’une partie de leurs capacités de production au profit de nouveaux entrants. La Commission européenne conteste cette exception française. Comme vous l’avez rappelé voilà un instant, monsieur le ministre d’État, elle a d’ailleurs engagé en 2006 une procédure en manquement contre la France, qui vise le maintien des tarifs réglementés. Elle a également lancé en 2007 une procédure d'examen au titre des aides d'État, laquelle pourrait conduire les entreprises françaises à devoir rembourser plusieurs milliards d'euros.
Il nous est donc impossible de nous satisfaire du statu quo. Le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dit « projet de loi NOME », s'inscrit dans la droite ligne des propositions de la commission Champsaur, qui a proposé d’instaurer pour les fournisseurs alternatifs un mécanisme d'accès régulé à l'électricité de base produite par EDF à partir de son parc de centrales nucléaires. C'est ce mécanisme, depuis lors rebaptisé « accès régulé à l'électricité nucléaire historique », ou ARENH, par l'Assemblée nationale, qui est mis en place par l'article 1er du projet de loi.
Ce dispositif a été présenté aux commissaires européens chargés de la concurrence et de l'énergie. Ceux-ci en ont approuvé le principe, et fait savoir que l'adoption du projet de loi pourrait conduire à l'abandon des procédures engagées. Ce texte préserve deux acquis essentiels. D’une part, il n’affecte pas l'intégrité d'EDF, qui n'aura pas à céder une partie de son outil de production. D’autre part, le bénéfice de la compétitivité du parc nucléaire demeurera réservé aux consommateurs français. En effet, les fournisseurs alternatifs n'auront droit à l'ARENH qu'à hauteur des besoins de leurs clients en France. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)
Je voudrais maintenant évoquer les perspectives d'évolution des prix de l'électricité. Pour les petits consommateurs, ceux-ci resteront déterminés par les tarifs réglementés, que le projet de loi pérennise en dessous d'une puissance de 36 kilovoltampères. Pour les autres consommateurs, la mise en place de l'ARENH permet d'envisager la suppression des tarifs réglementés au-delà du 31 décembre 2015. Au total, les prix de l'électricité demeureront plus bas en France que dans la plupart des autres pays européens.
Toutefois, il faut avoir conscience qu'une augmentation modérée et progressive des prix de l'électricité est nécessaire. Après l'effort financier consenti par les Français dans les années 1970 et 1980 pour constituer le parc de centrales nucléaires, les tarifs réglementés ont connu à partir du milieu des années 1990 une diminution en termes réels, compte tenu de l'inflation. Or, nous nous trouvons aujourd'hui face à d'importants besoins d'investissement pour améliorer la qualité des réseaux de transport et de distribution – souvenez-vous des problèmes de panne généralisée en Bretagne et dans la région Provence-Alpes-Côte d’azur –, mais aussi pour couvrir la progression de la demande en période de pointe, et bientôt pour prolonger la durée de vie des centrales.
Cette évolution inévitable des prix de l'électricité est tout à fait indépendante du projet de loi NOME. Ce texte définit simplement les procédures de fixation des tarifs réglementés et de l'ARENH, qui seront confiées aux ministres compétents et à la Commission de régulation de l'énergie, ou CRE. Il n'en détermine pas les niveaux, lesquels résulteront d'un calcul économique rigoureux. Je considère donc comme un argument fallacieux les prises de position cherchant à établir un lien entre la loi NOME, qui ne sera promulguée qu’à la fin de l’année 2010 ou au début de 2011, et la hausse des prix de l'électricité, intervenue le 15 août dernier.