Article 2
Pour le recouvrement de l’impôt sur les sociétés au titre d’un exercice fiscal donné, toute société est tenue d’acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible résultant de l’application du taux normal, prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts, à l’assiette de son bénéfice imposable.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, sur l’article.
M. François Marc. Cet article est particulièrement important, puisqu'il « pèse », d'après nos calculs, 10 milliards d'euros.
Certains ont parlé d’une proposition de loi théorique et technocratique. Je réfute ces qualificatifs. Au contraire, notre texte se veut pragmatique : il s’agit pour nous d'aider le Gouvernement dans son effort d'assainissement des finances publiques en lui permettant d’engranger 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Monsieur le ministre, au moins, vous ne reprocherez pas à l'opposition de ne pas être aux petits soins avec vos soucis du quotidien ! (Sourires.)
M. François Marc. L’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion de débattre sur le fond d’un certain nombre de questions économiques et budgétaires. À cet égard, j'observe que le bien-fondé de notre démarche ne suscite pas véritablement de contestation, et je m’en réjouis. Tout le monde a bien conscience que le dossier des niches fiscales doit évoluer.
Notre intention n’est pas d’accroître l’impôt ; nous voulons simplement que la fiscalité en vigueur s'applique équitablement à tous les contribuables, conformément aux exigences de notre modèle républicain.
Monsieur le ministre, ni vous ni personne d’autre dans cette enceinte n’a répondu à la question que nous posons : alors que le taux légal de l'impôt sur les sociétés est de 33 % en France, que les PME sont taxées à 22 %, pourquoi les grandes entreprises du CAC 40 ne paient-elles que 8 % ? Je regrette qu’aucune réponse n’ait été apportée à cette question fondamentale.
Enfin, j’ai bien noté qu’une étude sur les niches fiscales serait remise au Parlement au mois de juin. Certes, le dossier avance, mais Mme Lagarde nous a annoncé qu’un délai de deux à trois ans serait nécessaire après la remise de ce rapport pour que soit engagée une réforme de ces niches fiscales. Ne fera-t-on rien entre-temps ? Nous ne sommes pas d'accord avec cette analyse et c'est pourquoi nous estimons que notre proposition de loi a tout son sens.
En réalité, le blocage essentiel est d'ordre idéologique. (M. le président de la commission des finances le conteste.) Les arguments qui nous sont aujourd'hui opposés sont ceux qu’on entend depuis 2002 et qui ont encore été réitérés par Mme Lagarde pas plus tard qu’hier. Ils consistent à dire que la baisse des impôts des particuliers comme ceux des entreprises permettrait de relancer notre économie, de créer des emplois et de faciliter l'investissement. Je me souviens de Francis Mer développant ces arguments ici même en 2002.
Or on a bien vu à quoi mènent les baisses d’impôts : pour les particuliers, elles ont créé tant d’injustices depuis plusieurs années que même la droite s'emploie à les corriger ; pour les entreprises, force est de constater le caractère injuste et les redoutables effets pervers du dispositif du bénéfice mondial consolidé.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Sénat serait bien inspiré de voter l’article 2 et, plus largement, cette proposition de loi, qui ne suscite visiblement aucune opposition, dont le bien-fondé est reconnu, qui ne pénalise pas la France dans le concert international et grâce auquel l'État pourrait encaisser 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen, sur l’article.
M. François Rebsamen. M. le président de la commission, qui se pose toujours la question des recettes, est très attaché, à juste raison, à l'équilibre budgétaire. Cependant, il ne répond pas fondamentalement à cette question : pourquoi les entreprises du CAC 40 ne paient-elles en moyenne que 8 % d'impôt sur les sociétés ? Voilà la question de fond !
Mme Christine Lagarde, au Sénat, en mars 2010, s’étonnait de l’écart entre le taux d’imposition facial des entreprises de 33,3 % et le taux réel de 22 % en moyenne s’appliquant aux PME. Quant à nous, nous nous étonnons de l’écart entre 33,3 % et 8 % !
Bien sûr, il faut que nous ayons des grandes entreprises et qu’elles réalisent des bénéfices ! Mais il faut qu’elles les investissent, comme nous le proposons avec le bonus-malus, plutôt que de distribuer des dividendes. D’ailleurs, ces derniers devraient être réintégrés dans l’impôt sur les sociétés, selon la proposition de l’un de nos collègues, ce qui permettrait de limiter la distribution indue de dividendes retardés. Vous savez très bien de quoi il s’agit.
Pourquoi refuser cette proposition de loi dont le bien-fondé est reconnu ? Vu l’ampleur du déficit budgétaire, on aurait tort de se priver de 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires !
On nous promet tous les ans une étude, et ce depuis plusieurs années. Voilà trois ans, dans cette même enceinte, M. Éric Woerth m’avait donné raison et avait annoncé une étude, m’assurant que la question serait réexaminée à l’occasion de la discussion budgétaire.
Nous essayons donc de vous convaincre, ce qui est bien normal dans le débat démocratique. Il nous reste deux articles pour y parvenir… (Sourires.)
L’article 2 dont nous débattons est particulièrement important, puisque c’est celui qui permettrait, s’il était adopté, d’engranger 10 milliards d’euros.
C’est pourquoi j’incite tous mes collègues à le voter et, à travers lui, à voter cette proposition de loi fort intelligente déposée par M. François Marc.
M. Daniel Raoul. Très bien ! Voilà qui est limpide !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.
M. Jean Desessard. Monsieur le président de la commission, permettez-moi de faire une remarque sur vos propos concernant le port de Marseille et la mondialisation.
Le raisonnement que vous tenez n’est pas nouveau. De tout temps, bien avant la mondialisation, on a dit aux ouvriers : « Calmez-vous ! Travaillez pour être compétitifs ! Travaillez ! ». On utilisait déjà cet argument dans la compétition entre les régions. Depuis toujours, le patronat a incité les ouvriers à modérer leurs revendications concernant les salaires et les conditions de travail.
La mondialisation pose la question non pas de la disparition des syndicats, mais de la présence de ces derniers dans le monde. Il faut veiller aux conditions de travail et aux salaires en Chine, en Inde, dans l’ensemble des pays. La mondialisation doit respecter les salariés. C’est un problème clairement idéologique.
N’y a-t-il pas un rapport d’ailleurs entre le volet social et le volet économique ? Force est de constater que l’augmentation du nombre de jours de grève a correspondu à une période florissante pour l’économie française ! Cela relativise tout le discours tenu sur les syndicats et la remise en cause des luttes des travailleurs.
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Les trois articles de la proposition de loi peuvent sembler se prêter à des débats sur une stratégie d’ensemble concernant la fiscalité des sociétés.
L’article 2 est l’article pivot. Il laisse penser que les PME françaises sont défavorisées par rapport aux grandes sociétés. En réalité, dans la vie des affaires, le développement d’une entreprise, d’une PME qui devient moyenne ou grande société internationale, repose sur l’internationalisation et la mondialisation. À l’évidence, plus la société fait de chiffre d’affaires à l’étranger, plus le taux de fiscalité dont elle bénéficie est faible.
Ce débat a permis de dresser un constat commun, qui n’a pas été contesté par les auteurs de la proposition de loi : ils ont admis que nous avions le taux de fiscalité le plus élevé.
Mme Nicole Bricq. J’y reviendrai !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Le rapport de la commission, qui est modéré, souligne que la France pratique actuellement un taux d’impôt sur les sociétés extrêmement élevé, ce que, je le répète, personne n’a contesté.
Plus une société se développe à l’international, plus elle trouve à l’étranger des taux d’imposition favorables à son développement, ce qui entraîne une baisse automatique du taux global d’imposition auquel elle est assujettie. Lorsque ses activités en France ne représentent plus que 15 % de son chiffre d’affaires, quelle que soit sa taille, le taux global d’imposition baisse mécaniquement. Comme les sociétés les plus fortes à la mondialisation, avec des représentations dans cinquante ou soixante filiales, se trouvent au CAC 40, il existe une différence inévitable entre ces sociétés et les autres sur le plan de la concurrence.
J’aurais été sensible à une proposition de votre part en faveur d’un système inverse visant à abaisser la fiscalité avec une conception plus libérale et orientée vers la compétitivité.
En réalité, contrairement à ce que vous dites, vous voulez multiplier par deux l’imposition des sociétés concernées, sous prétexte de cibler des symboles comme le CAC 40 et les dividendes importants. S’il y a trop de difficultés à l’exportation, tant pis !
Or, on le voit, notre commerce extérieur rencontre certaines difficultés et ce sont ces sociétés du CAC 40 qui sont concernées. Vous, vous voulez multiplier leur charge fiscale. Certes, la fiscalité n’est qu’un élément dans l’ensemble de l’attractivité d’une société, mais la compétitivité est un aspect essentiel.
Monsieur Foucaud, vous constatez que les activités de recherche et développement partent dans un autre pays. Mais, vous en avez conscience, l’entreprise Renault ne peut pas vivre uniquement de son marché national (M. Thierry Foucaud proteste.). Elle exporte des produits finis.
M. Thierry Foucaud. Il y en a de moins en moins en France !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Avec la seule part qu’elle détient sur le marché national, Renault n’est absolument pas viable. Il en est de même de n’importe quel autre constructeur automobile.
Plus la société est compétitive dans la mondialisation, plus elle a une chance de prospérer. Cette compétitivité se retrouve automatiquement au regard de l’impôt sur les sociétés.
Si certains dispositifs prévoyaient de faire un effort en direction des PME qui exportent, mon point de vue serait différent, car l’approche ne serait pas budgétaire.
Je l’ai dit, l’existence des niches fiscales ne se justifie que parce que nous avons un taux facial extrêmement élevé et peu compétitif. Si nous réduisons les niches, je suis d’accord pour trouver une assiette plus large et un taux plus faible, à l’instar de nos concurrents et de nos deux principaux partenaires européens.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Il n’y a pas les PME d’un côté et les grandes entreprises de l’autre. Les sociétés qui peuvent exporter, qui sont puissantes, grandes et dotées de moyens, jouent sur la fiscalisation et sur toutes les niches fiscales occasionnées pour l’attractivité, comme le crédit d’impôt recherche. En résumé, plus on va vers l’export, moins on paie d’impôts ; c’est automatique.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur Desessard, ne vous méprenez pas. Mon rêve est que les relations sociales soient fécondes et compréhensives, tout comme dans les pays proches du nôtre.
Je pense notamment aux Danois qui, en 1987, ont supprimé les charges sociales et augmenté la TVA. Ils ont trouvé un consensus social : ils ont obtenu la croissance, le plein-emploi et l’équilibre budgétaire. L’affrontement n’est pas obligatoire !
M. René-Pierre Signé. Il faut que tout le monde paie !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. S’agissant des ports français, le problème est réel, et je compte beaucoup sur Thierry Foucaud pour être mon avocat auprès des intéressés ! (Sourires.)
J’ai beaucoup d’estime pour François Rebsamen, mais il me fait penser à Laurent Fabius (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) parlant de la TVA sociale au soir du premier tour des élections législatives.
M. René-Pierre Signé. C’est un compliment !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne sais pas si c’est un compliment ! À mes yeux, cette façon de faire de la politique égare nos concitoyens.
Le taux de 8 % ne veut rien dire ! On peut avoir une assiette imposable en France s’il y a des bénéfices. Mais les entreprises du CAC 40 qui fait notre fierté, réalisent leurs affaires hors de France maintenant ! Avons-nous conscience de cela ?
M. Thierry Foucaud. Et qu’est-ce qu’on fait en France ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce sont les PME qui restent chez nous, qui sont enracinées sur notre territoire.
Si le taux de 8 % est la conséquence de l’optimisation d’un crédit d’impôt recherche, je veux bien qu’on revoie cela. Mais, monsieur Rebsamen, pour l’essentiel, un certain nombre de sociétés enregistrent des pertes en France et réalisent leurs bénéfices ailleurs, ce qui fait que l’impôt qu’elles payent en France peut être nul.
M. René-Pierre Signé. Et l’investissement ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La proposition de résolution, déposée notamment par notre collègue ancien ministre et député, Christian Estrosi, citant une publication – source Journal du dimanche du 19 décembre 2010 –, indique ce que les sociétés du CAC 40 paient en France et à l’étranger.
Essayons d’instruire cette question avec objectivité. N’accréditons pas l’idée selon laquelle les sociétés qui sont grandes paient peu d’impôt et les petites sont taxées à 22 % ! Cela n’a pas de sens !
M. François Marc. Mais c’est la réalité !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ne tenons pas de tels propos ; faisons œuvre utile et soyons un minimum pédagogues.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous propose, avec l’accord des auteurs de la proposition de loi et du rapporteur, de ne pas procéder au scrutin public et de considérer que le Sénat émet sur l’article 2 le même vote qu’à l’article 1er.
Il n’y a pas d’opposition ?...
L’article 2 n’est pas adopté.
Article 3
Avant le a. du I de l’article 219 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« aa. Les taux fixés au présent article sont diminués d’un dixième lorsqu’une fraction du bénéfice imposable au moins égale à 60 % est mise en réserve ou incorporée au capital au sens de l’article 109, à l’exclusion des sommes visées au 6° de l’article 112. Ils sont majorés d’un dixième lorsqu’une fraction du bénéfice imposable inférieure à 40 % est ainsi affectée. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que si l’article 3 est rejeté, il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les trois articles qui la composent auront été rejetés. Par conséquent, si certains d’entre vous souhaitent prendre la parole, c’est pour eux la dernière occasion de le faire.
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. L’article 3 concerne le mécanisme qui vise à favoriser l’investissement.
Monsieur le ministre, vous avez souligné que cette disposition figurait dans le projet socialiste. Puisque vous êtes chargé des relations avec le Parlement, je vous fais remarquer que le groupe socialiste au Sénat dépose régulièrement et depuis plusieurs années un amendement sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances. On peut se féliciter que l’élaboration du projet socialiste reprenne cette proposition.
Monsieur Foucaud, vous avez fait référence à la baisse de l’impôt sur les sociétés du temps où la gauche était aux responsabilités. Ce type de mécanisme avait été utilisé précisément pour favoriser l’investissement. À l’époque, nous avions baissé le taux de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui faisaient un effort d’investissement.
Monsieur le ministre, vous ne donnez aucune réponse aux questions que nous avons posées. Je peux le comprendre puisque nous représentons l’opposition et que nous sommes à un an des élections présidentielles. En revanche, vous ne répondez pas davantage à la centaine de députés de votre majorité qui ont déposé, à peu près dans les mêmes termes que notre proposition de loi, une proposition de résolution à l’Assemblée nationale.
Les sujets que nous abordons traversent donc tous les groupes politiques, vous ne pouvez l’ignorer.
Vous avez utilisé, les uns et les autres, deux arguments et Mlle Sophie Joissains, a repris, au nom du groupe UMP, cette antienne. Il s’agit de la compétitivité et de la concurrence.
Je reviens sur la question de la compétitivité. Vous n’avez pas démontré, lors du débat sur l’article 1er, plus particulièrement sur le bénéfice mondial consolidé qui constitue à nos yeux une niche fiscale octroyée depuis de nombreuses années à quatre ou cinq entreprises du CAC 40, comment cet avantage fiscal encourageait la compétitivité.
J’en viens à la question de la concurrence. Monsieur le président de la commission, personne, ici, ne veut attaquer nos champions nationaux. Plutôt que de faire l’éloge du CAC 40, j’aurais préféré que vous posiez le problème d’une manière plus globale, comme vous en avez l’habitude, et que vous évoquiez l’ensemble des coûts qui pèsent sur les facteurs de production.
Or plus les charges qui pèsent sur les coûts de production sont fortes, plus le rendement de l’impôt sur les sociétés est faible. Ce simple constat aurait pu déboucher sur un débat fécond et intéressant, mais ce n’est pas celui que vous avez fait.
À la demande du Président de la République, la Cour des comptes a réalisé un rapport sur la convergence franco-allemande. Nous étions d’ailleurs en déplacement à Berlin voilà une quinzaine de jours.
Dans les systèmes allemand et français, les taux d’imposition sont à peu près équivalents. Cependant, la fiscalité ne permet pas de régler tous les problèmes, même si elle dégage des marges de manœuvre. En revanche, il y a une différence considérable entre les deux systèmes : en Allemagne, on soutient les PME dans leur effort de compétitivité à l’international, ce qui n’est pas le cas en France.
M. François Rebsamen. Absolument !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous connaissez très bien, vous qui faites l’éloge du CAC 40, la manière dont certaines entreprises agissent avec leurs sous-traitants implantés sur le sol national. On peut s’interroger sur les vertus de ces entreprises à encourager les PME qui dépendent de donneurs d’ordre. Tous les éléments doivent être pris en compte.
Monsieur le président de la commission, vous avez évoqué les prix de transfert. Il s’agit, vous avez raison, d’un véritable sujet de discussion. Je ferai toutefois une observation. Lors de la discussion du projet de loi de régulation bancaire et financière, le groupe socialiste, dans un souci de visibilité, a défendu un amendement dont l’objet était d’obliger les entreprises à afficher leurs comptes. Or, cet amendement, vous ne l’avez pas voté. Il faudra donc revenir sur ce sujet.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez évoqué, toujours à propos de la concurrence et de la compétitivité, le cas de l’Irlande, auquel le rapporteur général de la commission des finances est sensible. Partout où il passe, il fustige le faible taux d’imposition irlandais de 12 % à peine.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Bricq. Il y a une différence entre l’Irlande et la France. Le nouveau Premier ministre irlandais le sait et il s’en sert lorsqu’il déclare que, finalement, les entreprises paient plus d’impôts dans son pays qu’en France compte tenu du mitage de l’impôt sur les sociétés dans notre pays.
M. François Rebsamen. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. C’est un argument dont il vous faudra tenir compte dans les négociations européennes. Aujourd’hui, nous sommes mal placés pour négocier dans de bonnes conditions le projet de directive qui est en cours d’examen à la Commission européenne, car nous sommes affaiblis par le mitage de l’impôt sur les sociétés.
Le groupe socialiste, et c’est l’objet de cette proposition de loi, propose d’en finir avec tout cela. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet qui, croyez-moi, nourrira le débat de 2012.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame Bricq, je n’ai pas fait l’apologie du CAC 40. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire et de l’exprimer publiquement à plusieurs reprises, le CAC 40 est parfois un accélérateur de délocalisations, tant il fait pression sur les sous-traitants, les fournisseurs. Globalement, le CAC 40 supprime plutôt de l’emploi, directement et indirectement au travers de la sous-traitance.
Dans le CAC 40, il y a des entreprises comme Renault. La question est de savoir pourquoi on délocalise aussi massivement. J’espère que nous pourrons engager un débat sur le sujet, mais que nous le ferons dans des conditions sereines qui nous permettront d’engager les réformes nécessaires. En tout état de cause, taxer la production, c’est organiser méthodiquement le transfert d’activités hors du territoire national.
M. François Rebsamen. C’est simpliste !
Mme Nicole Bricq. Les entreprises étrangères vendent sur leur propre marché !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Je ne me suis pas exprimé sur l’article 1er, mais veux vous dire, madame Bricq, que le mécanisme du bénéfice mondial consolidé, qui existe depuis 1965, tombe en désuétude.
Mme Nicole Bricq. Son coût est tout de même de 400 millions d’euros ; c’est cher par les temps qui courent !
M. Philippe Dominati, rapporteur. J’ai regardé quelles étaient les entreprises qui en profitaient, afin de m’assurer qu’il n’apportait pas un avantage indu.
Force est de constater qu’un petit nombre seulement sont intéressées, la plupart des sociétés compétitives jugeant ce mécanisme sectoriel trop complexe. Lorsqu’on a voulu l’étendre aux PME voilà trois ans, la tentative est restée sans suite. Comme le montrent les débats parlementaires, les gouvernements n’y ont recours que dans des conjonctures bien particulières.
Mme Nicole Bricq. Dans ces conditions, supprimez-le !
M. Philippe Dominati, rapporteur. À partir du moment où ce mécanisme est appelé à mourir de sa belle mort à l’échéance des conventions qui sont en cours et sachant que le pouvoir politique peut garder la faculté d’y recourir soit pour remédier à un problème sectoriel dans une branche d’activité, soit pour préserver des emplois, il n’y a pas de raison d’envisager sa suppression sans en avoir évalué les conséquences dans un audit préalable.
Tout dépendra de l’intérêt qu’il présente pour le sauvetage de telle industrie ou tel bassin d’emplois. Il se peut qu’un ministre décide, dans une conjoncture particulière, de renouveler une convention de cinq ans.
M. Daniel Raoul. Depuis quand un ministre le décide-t-il ?
M. Philippe Dominati, rapporteur. Dans le cas contraire, il disparaîtra.
J’en viens à l’article 3 proprement dit. Les entreprises qui « marchent » sont celles où les salariés sont intéressés à la création de richesses. Cet intéressement se traduit soit par le versement d’une prime s’ajoutant au salaire, soit par la participation.
Comme l’a souligné le président de la commission des finances, il est risqué de toucher aux dividendes. Je connais une entreprise dont la filiale française a perdu 120 millions d’euros en deux ans. Cette entreprise appartient à un groupe de taille mondiale qui gagne de l’argent à l’étranger. Comment fait-on, dans ce cas, pour répartir les dividendes ? Que se passe-t-il lorsqu’une entreprise ne verse pas de dividendes à ses actionnaires pendant trois ans ? Que se passe-t-il en cas de versement d’un dividende exceptionnel ? La participation et l’intéressement doivent donc se cantonner a priori sur la rémunération et le salaire. Toucher aux dividendes est selon moi très délicat. Mais je suis persuadé que nous reviendrons sur ce sujet dans quelque temps.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, dans la mesure où je pressens que l’article 3 ne sera pas adopté, je souhaite expliquer mon vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
C’est la crise… Les salariés sont affectés par le chômage et la hausse des prix, les petites entreprises pâtissent de l’atonie de l’économie et l’État connaît une situation budgétaire dramatique. Pour autant, l’année 2010 n’a pas été morose pour tout le monde. Les entreprises du CAC 40 affichent un bénéfice cumulé de 82,5 milliards d’euros, proche du record historique de 2007.
On pourrait donc imaginer que ces grandes banques et industries ont à cœur de participer à l’effort national par une contribution à la hauteur de leur prospérité. Quelle naïveté ! Le Conseil des prélèvements obligatoires relève qu’elles sont imposées à hauteur de 8 % ! Total, que l’on a évoqué à maintes reprises au cours de cette discussion, ne ferait, nous dit-on, aucun bénéfice en France : cela demande à être vérifié ! Total, première entreprise française, qui a réalisé 10 milliards d’euros de profits en 2010 grâce à la hausse du prix du brut, ne paie pas un euro d’impôt sur les sociétés en France !
M. Roland Courteau. C’est bizarre !
M. Jean Desessard. Dans le même temps, on ne cesse d’entendre le patronat se lamenter de la pression fiscale française... Où est l’erreur ?
La présente proposition de loi, très modérée, vise à réintroduire dans la fiscalité un grain de bon sens. Elle permet simplement de rétablir un peu de justice et de réalisme dans la répartition de la richesse nationale, en obligeant les très grands groupes à ne pas payer moins d’impôt que les PME et en incitant les entreprises à investir plutôt qu’à rémunérer trop généreusement les actionnaires.
Comment peut-on sérieusement s’y opposer dans le contexte social actuel ? Considère-t-on que Total, qui fleurit sur la crise environnementale, que la BNP, qui spécule dans les paradis fiscaux, ou que France Télécom, qui harcèle son personnel, méritent véritablement de payer en France moins d’impôts qu’un artisan ?
Tout cela est si peu raisonnable que les dirigeants de la majorité eux-mêmes en conviennent publiquement : « Je veux que les entreprises qui investissent et qui créent des emplois paient moins d’impôts sur les bénéfices que celles qui désinvestissent et qui délocalisent. » C’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’adressait à la « France qui souffre », en 2006.
M. Roland Courteau. Il y a bien longtemps !