M. le président. La parole est à M. Simon Loueckhote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Simon Loueckhote. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Tout comme en métropole, l’insécurité progresse en Nouvelle-Calédonie. En effet, d’année en année, les chiffres de la délinquance ne cessent d’augmenter – la hausse était de 4,45 % en 2010 – alors que les effectifs et les moyens des forces de sécurité rapportés à la population sont supérieurs à ceux de la métropole.
En zone police, la ville de Nouméa concentre plus de 550 policiers, dont 150 municipaux, sans compter les 60 auxiliaires de proximité récemment créés et financés par la province Sud.
Monsieur le ministre, ce constat m’amène à vous demander un audit et une rénovation en profondeur des services concourant à la sécurité publique en Nouvelle-Calédonie, car il semble y avoir un problème.
Apparemment, la police nationale ne manque ni de moyens humains ni de moyens matériels. Cependant, des dysfonctionnements dans l’utilisation de ceux-ci et dans leur répartition ont été dénoncés avec force ces derniers temps.
Ainsi, j’ai pu le constater moi-même, la brigade anti-criminalité de Nouméa patrouille parfois à pieds, faute de véhicules de service disponibles en raison de… la généralisation de l’usage privé de ces derniers. (Sourires.)
La population dans son ensemble a par conséquent le sentiment que l’État n’exerce pas pleinement sa mission de sécurité publique faute de rationalisation de ses moyens.
Aussi, monsieur le ministre, je vous remercie de bien vouloir nous donner l’assurance que l’État adaptera ses moyens pour lutter contre l’insécurité grandissante en Nouvelle-Calédonie en général, et à Nouméa en particulier.
Par ailleurs, alors que les chiffres de la délinquance en Nouvelle-Calédonie atteignent des sommets, il apparaît curieusement que la lutte contre la délinquance se fait moins pressante en Nouvelle-Calédonie qu’en France métropolitaine.
Ne faudrait-il pas redéployer les effectifs et instituer une véritable unité de police anti-délinquance à Nouméa ? J’aimerais savoir, monsieur le ministre, ce que vous avez à proposer en la matière.
En effet, un redéploiement des effectifs et la création d’une véritable unité de maintien de l’ordre par la remise en cause de la compagnie d’intervention sont souhaités. L’objectif serait de donner à cette unité une véritable mission de sécurisation des biens et des personnes. Actuellement, 45 % seulement des appels au 17 sont satisfaits faute de moyens réellement disponibles. Les moyens sont certes présents, mais il faut les optimiser, et la marge de progression semble être importante.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire concrètement pour enfin redonner à la Nouvelle-Calédonie la douceur de vivre qu’elle semble avoir perdue ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le sénateur, je commencerai par apporter quelques compléments aux indications chiffrées que vous citiez à l’instant.
Permettez-moi tout d’abord de souligner que l’insécurité en métropole n’augmente pas ; au contraire, elle est en recul : elle a diminué de 2 % l’an dernier et de 10 % depuis 2002. (Exclamations étonnées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, il est vrai que, en 2010, la délinquance a augmenté dans les proportions que vous avez indiquées. Je voudrais simplement rappeler que, l’année précédente, elle avait baissé de près de 3 % – 2,94 % exactement – et de 5 % à Nouméa.
M. Roland Courteau. À vérifier !
M. Claude Guéant, ministre. J’ajoute que l’augmentation de 2010 est justifiée notamment par ce que, dans le jargon policier, on appelle les IRAS, ou infractions révélées par l’action des services, c'est-à-dire des infractions ne donnant pas lieu à plainte mais que l’activité policière met en évidence.
Celant étant, monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous : il est toujours possible de mieux faire et, comme vous, je ne me satisfais pas de la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie. J’approuve en outre tout à fait la façon constructive et opérationnelle dont vous abordez le problème.
Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a chargé le directeur de la sécurité publique d’une mission de réorganisation des services, qui doit lui être présentée le 20 mai prochain. Cette nouvelle organisation aura pour but, en particulier, d’adapter tout le dispositif policier à la réalité concrète de la délinquance selon les horaires et les quartiers.
J’ajoute que, au-delà de cette mission locale, j’ai demandé au directeur général de la police nationale de faire en sorte qu’une mission de la direction centrale de la sécurité publique se rende sur place dès que le directeur de la Nouvelle-Calédonie aura fait son travail, pour procéder à un audit et examiner l’éventualité de la création d’une unité spécialisée dans le maintien de l’ordre.
M. Claude Domeizel. Dormez tranquilles, braves gens !
M. Roland Courteau. Tout va bien !
M. Claude Guéant, ministre. … il est très important que les Calédoniens soient en sécurité, au même titre que l’ensemble de leurs compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
forêt de montmorency
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absent !
M. Hugues Portelli. La sauvegarde de notre patrimoine forestier est une priorité environnementale pour laquelle M. le Président de la République a rappelé aujourd’hui même son engagement personnel.
Or, depuis plusieurs années, nous assistons à l’intensification des coupes massives dans les forêts du Val-d’Oise, c’est-à-dire les forêts de Montmorency, Carnelle et L’Isle-Adam, malgré la mobilisation de nombreux élus, des associations et des promeneurs.
Pour la seule forêt de Montmorency, nous sommes passés entre 2005 et 2009 de 10 000 mètres cubes d’arbres abattus par an à 21 000 mètres cubes, soit une augmentation de plus de 100 %, et la tendance n’a fait que s’aggraver depuis.
Cela signifie que cette forêt sera percée de trouées irréversibles durant plus de cinquante ans.
Ces destructions sont tellement impressionnantes que nous enregistrons des protestations croissantes de la part des habitants, qui croient que ces coupes sont motivées par la construction d’autoroutes…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une autoroute à Montmorency ? Jamais de la vie !
M. Hugues Portelli. … ou d’équipements de gros calibre, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Face à nos protestations, l’Office national des forêts, qui n’a même pas été capable de procéder au ramassage des arbres abattus lors de la grande tempête de 1999, fait la sourde oreille.
M. René-Pierre Signé. Et qui a vendu la forêt de Chantilly ?
M. Hugues Portelli. Il est primordial de défendre notre patrimoine forestier périurbain, de défendre les paysages sylvestres du Val-d’Oise et de la périphérie de l’Île-de-France, qui constituent l’un des « poumons verts » de notre région. Il y va également de la sauvegarde de la biodiversité.
Mme Nicole Bricq. Ce type de questions, c’est le mardi matin, normalement !
M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, comment comptez-vous agir pour faire cesser les coupes de bois intensives ? Est-il possible de classer rapidement ces forêts en forêts de protection ? Peut-on même envisager un moratoire sur les coupes programmées ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Revenez mardi matin !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du logement.
Mme Nicole Bricq. Robin des bois !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Je vous demande tout d’abord de bien vouloir excuser M. Bruno Le Maire qui, comme vous le savez, est en déplacement en Corrèze avec le Président de la République, précisément pour parler de la forêt.
Vous lui demandez d’envisager le classement du massif forestier de Montmorency en forêt de protection et un moratoire sur les coupes programmées.
M. René-Pierre Signé. Et sur l’hippodrome de Chantilly ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Ce massif du Val-d’Oise, d’une superficie de 4 700 hectares, assure trois fonctions importantes pour la population : une fonction sociale – accueil du public et espace de loisirs –, une fonction de protection de la biodiversité et de la ressource en eau et une fonction économique à travers la production de bois.
M. David Assouline. Vous êtes un grand spécialiste de tout cela !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. La politique forestière dans les forêts périurbaines repose sur la nécessité de trouver un équilibre entre deux réalités : d’un côté, l’expansion urbaine et, de l’autre, la protection des espaces boisés périurbains.
La région d’Île-de-France est évidemment particulièrement concernée, avec 21 000 hectares de forêts susceptibles de faire l’objet d’un tel classement.
Concernant le classement du massif de Montmorency en forêt de protection, un dialogue est en cours entre les services de la préfecture et ceux du ministère. L’engagement de cette procédure est simplement soumis à une condition préalable : sa compatibilité avec la présence d’un important gisement de gypse, exploité en souterrain et d’intérêt national.
Enfin, concernant la question des coupes de bois effectuées dans ce massif par l’Office national des forêts, en charge de la gestion des forêts domaniales, elles sont conformes au schéma d’aménagement 2004-2023. Le retard pris dans le renouvellement des peuplements au cours du précédent aménagement a, il est vrai, entraîné un vieillissement prématuré de cette forêt, qui rend nécessaire un effort de régénération.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
M. René-Pierre Signé. Éric Woerth !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. L’accueil du public a, dans ce cadre, été pris en compte par la réalisation de coupes limitant les impacts visuels et préservant des îlots paysagers. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Dépôt dE rapports du Gouvernement
Mme la présidente. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports de mise en application de :
- la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence ;
- la loi n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques ;
- la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Les deux premiers ont été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le troisième à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Ils seront disponibles au bureau de la distribution.
6
Renforcement des moyens de contrôle et d'information des groupes politiques
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE (proposition de loi n° 355, rapport n° 436).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. »
Voilà, madame la présidente, mes chers collègues, tout le fondement de notre pouvoir. Voilà toute la légitimité du pouvoir constitutionnel qu’est le Parlement.
L’exercice de la souveraineté part du peuple et, toujours, il doit y revenir ; mieux, il ne doit jamais s’en éloigner.
Le peuple est divers, le Parlement est divers, chacun des groupes politiques qui le composent l’est également, et le RDSE en est le meilleur exemple.
Mes chers collègues, c’est de par notre diversité que nous sommes vraiment les représentants de la nation souveraine. C’est de notre diversité que nos assemblées tirent leur essence d’assemblées démocratiques. Notre fonctionnement doit être fidèle à cette diversité. Il n’y a pas de Parlement démocratique qui ne la respecte.
Il s’ensuit que le Parlement ne saurait être le siège d’aucun monopole. La majorité exerce, si l’on veut, une forme de monopole, mais c’est un monopole ponctuel, fugace, qui se limite au moment très bref du vote. Or le Parlement n’est pas que le lieu des votes : c’est aussi et peut-être surtout le lieu des débats et des délibérations.
Dans les délibérations, tout doit être pluriel, tout doit être partagé. Le partage, c’est l’échange ; mieux encore, c’est le don. Les assemblées parlementaires, souvent décrites et parfois vécues comme des lieux d’antagonisme, sont avant tout des lieux de don. C’est à cette condition que la nation peut percevoir que le Parlement est à son image, l’image d’une société politique où la différence des points de vue et des préférences coexistent dans la communauté d’une association politique dans laquelle importe avant tout l’accord sur la nécessité de délibérations communes.
Toutefois, ce don ne peut être n’importe quel don. À l’évidence, il rayonne au-delà de nos hémicycles en direction de la nation. Le destinataire ultime, c’est elle. Or on ne fait pas n’importe quel don à la nation. Tout mandat électif implique l’engagement de lui faire le don de son attention, mais cela ne suffit pas. L’attention qu’il nous faut porter à la nation doit être une attention appliquée, sérieuse, informée. Le Conseil constitutionnel l’a, d’une certaine manière, reconnu en dégageant le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.
De fait, l’engagement politique réclame cette vertu qui, à tout le moins, implique une forme de déontologie : s’engager à prendre soin de la nation, et mm à en prendre un soin rigoureux. C’est notre responsabilité collective et c’est la responsabilité de chacun d’entre nous.
Mais n’est responsable que celui qui est en état d’assumer ses devoirs. Pour remplir nos obligations, qui sont au cœur de notre mandat démocratique, nous avons besoin de moyens et, ces moyens, nous y avons droit !
Il n’y a point ici de distinction à faire entre un parlementaire et un autre. Face à notre responsabilité démocratique, nous sommes tous égaux. Partant, nous sommes tous égaux devant les droits qui sont nécessaires à l’accomplissement de notre devoir.
Chacun le sait ici, l’histoire parlementaire est traversée par la préoccupation de donner aux représentants du peuple la garantie des droits indispensables à leur mandat et par les luttes entreprises en ce sens. Toute l’histoire des parlements démocratiques est l’histoire d’un élargissement de leurs moyens et, même si nous respectons tous ici les équilibres du régime politique que dessine la Constitution, nous devons admettre que cette histoire n’est pas finie.
C’est dans cette histoire que, modestement, s’inscrit la proposition de loi que j’ai déposée avec l’ensemble des membres de mon groupe et dont tout l’objet est d’augmenter les moyens des parlementaires en vue de leur permettre d’exercer plus pleinement leur responsabilité élective, qui est leur responsabilité démocratique, ni plus, ni moins !
Mes chers collègues, notre pays souffre de sa politique, et nous ne sommes pas les derniers à éprouver cette souffrance. Il semble en effet qu’un nombre toujours plus important de nos concitoyens ait le sentiment diffus que les réponses du politique ne sont pas celles qu’ils en attendent. L’abstention progresse ; nous nous en lamentons. La confiance dans les institutions régresse ; nous le déplorons. L’influence des partis non républicains augmente ; nous nous en inquiétons et nous déclarons vouloir nous mobiliser pour endiguer ce que nous percevons à juste titre comme une montée des périls.
Les sentiments contre-démocratiques qui agitent certains de nos concitoyens ne sont pas seulement des sentiments de déception devant les résultats d’une politique donnée. Il y a plus grave : la percée d’un sentiment de défiance, particulièrement vis-à-vis des institutions.
Cette défiance ne s’ancre pas dans la considération d’un manquement à une obligation de résultat. Bien pis, elle met en cause notre capacité à satisfaire à nos obligations d’employer tous nos moyens au service du pays.
Plus que jamais, nous devons obvier à ce sentiment. Plus que jamais, nous devons nous préoccuper non seulement de mettre en œuvre les moyens dont nous disposons mais également, si c’est nécessaire et lorsque ça l’est, les réunir.
Or cette nécessité se fait toujours et encore plus sentir à mesure que les affaires du monde se complexifient et que les défis dont la société attend de nous que nous les prenions à bras-le-corps se diversifient.
Sans doute, presque par réflexe d’ailleurs, ne sommes-nous pas restés inertes face à la possible perte d’efficacité de notre mission que nous percevons. Dans certaines proportions, nous avons su voir le grave péril que représente cette perspective et, tous, nous ressentons la nécessité de le prévenir.
Des réformes, dont je ne citerai que les plus réussies, ont ainsi été adoptées.
Ce fut d’abord l’initiative, sur le moment passée un peu inaperçue, mais désormais considérée comme un exemple, qui a conduit à la réforme de l’ordonnance organique sur les lois de finances : c’est maintenant la fameuse LOLF.
Cette réforme était – faut-il le rappeler ? – d’origine parlementaire puisque issue d’une proposition de loi organique de Didier Migaud, relayé au Sénat par notre ancien collègue Alain Lambert, dont je veux saluer le rôle, notamment parce qu’il a alors témoigné d’un esprit transcendant les attaches partisanes pour promouvoir ce qui lui paraissait être l’intérêt du Parlement et finalement celui de la Nation.
Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’associer à cet hommage celui qui est encore le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, sans le soutien duquel cette réforme n’aurait pas été possible.
Je crois pouvoir citer également la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale, dont la discussion a donné au président de la commission des affaires sociales et à notre collègue Philippe Vasselle de défendre les missions du Parlement. Il faut en effet savoir que le rôle joué alors par le Sénat n’a pas été seulement d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale : il est allé très au-delà puisque notre assemblée a ajouté au texte transmis la totalité des articles relatifs à l’information et au contrôle du Parlement.
Malheureusement, un certain nombre d’évolutions récentes laissent plus sceptiques.
Je reconnais que les tentations de supprimer certaines délégations parlementaires dans lesquelles nos assemblées ont trouvé des vecteurs utiles à la réflexion du Parlement ont été écartées, et je m’en réjouis. Je m’interroge toutefois sur les moyens d’action de ces délégations. Je m’inquiète des réticences manifestées par le Sénat devant l’initiative prise par l’Assemblée nationale de créer un comité ad hoc d’évaluation des politiques publiques, réticences qui ne font que prolonger les échecs finalement rencontrés par les offices parlementaires d’évaluation des politiques publiques et de la législation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est l’Assemblée nationale qui n’en a pas voulu !
M. Yvon Collin. Enfin, je déplore que la révision constitutionnelle de 2008 n’ait pas été l’occasion d’une véritable revalorisation du Parlement, pourtant si nécessaire. Il faudra sans doute y revenir, car on ne peut s’arrêter en chemin : il faut aller au bout de la logique.
Il y eut des avancées, me dira-t-on. Je ne le nie pas et ce n’est pas parce qu’elles furent trop limitées qu’on doit les négliger. Encore faut-il, pour ne pas céder à une telle tentation, que nous ayons réellement les moyens de faire en sorte que ces maigres avancées n’en restent pas au stade des virtualités !
C’est aussi l’objet de notre proposition de loi, texte d’appel pour vous dire à cette tribune, mes chers collègues, qu’il faut poursuivre la revalorisation des droits du Parlement…
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois. C’est vrai ! Mais pas comme ça !
M. Yvon Collin. …et qu’il faut donner aux groupes parlementaires les moyens d’exercer les droits nouveaux qui leur sont désormais reconnus dans la Constitution.
En matière institutionnelle, il existe de petites mesures qui produisent de grands effets et de grandes proclamations qui n’en ont guère ! Et comme il n’y a pas grand-chose de pire que de voir de grandes proclamations n’engendrer que déception et méfiance, il faut louer les petites mesures qui permettent aux grands principes d’avoir la portée qu’on leur prête mais qu’ils n’ont pas sans elles.
La révision constitutionnelle de 2008 a été présentée comme devant permettre de revaloriser le rôle du Parlement et de donner une plus large place aux groupes politiques. Notre proposition de loi traite précisément des moyens de travail concrets des groupes parlementaires et plus largement, à travers ceux-ci, des moyens donnés aux parlementaires.
On a beaucoup insisté au moment de l’examen de la révision constitutionnelle sur l’innovation que constitueraient la reconnaissance du rôle des groupes politiques et celle des « groupes minoritaires ou d’opposition », catégories créées à cette occasion.
Personne ne contestera que les groupes politiques n’ont pas attendu 2008 pour exister et jouer le rôle que l’on sait dans la vie démocratique de la nation, au Parlement, bien sûr, mais également au-delà. Il me semble que cette réalité politique et quasi institutionnelle devrait dispenser de tout débat juridique préalable à l’attribution de droits à des entités aussi essentielles à notre vie politique et à notre vie démocratique que nos groupes parlementaires.
Mais voilà que, trouvant à redire à l’attribution par notre texte des droits qui leur ont été conférés aux groupes, notre commission des lois prétend que ceux-ci n’ont pas une substance juridique telle que ces droits soient à considérer !
Elle souhaite placer le débat sur le terrain juridique ou du moins saisir la politique par le droit quand c’est toujours l’approche contraire qui est toujours la plus pertinente et la plus vraie. J’y reviendrai lorsque j’interviendrai contre la motion déposée par le rapporteur, mais je dois quand même dire à ce stade combien je trouve surprenant que l’interprétation de nos usages parlementaires comme le sens donné à la dernière révision constitutionnelle ainsi qu’à la révision de notre propre règlement puissent conduire à considérer que les groupes sont quantité négligeable sur le plan juridique !
Finalement, le problème que s’attache à résoudre notre proposition de loi est simple. Devant la reconnaissance incontestable du rôle des groupes parlementaires, devions-nous rester inertes ? Nous ne le croyons pas, et c’est pourquoi nous avons déposé la présente proposition de loi, signe d’une Haute Assemblée active, en alerte et soucieuse d’améliorer toujours davantage les moyens d’action et de contrôle des groupes et des parlementaires.
Je regrette de devoir répondre à des arguments qui me paraissent relever d’un juridisme assez peu en rapport avec l’importance de ce qui est en cause cet après-midi, c’est-à-dire le travail parlementaire, et, au-delà, notre mission de représentants du peuple.
Je regrette d’autant plus de devoir répondre à de telles objections que celles-ci émanent d’une majorité qui nous a vanté les mérites d’une révision constitutionnelle dont elle ne semble pas vouloir appliquer toute la logique. Je dirai donc à cette majorité que, en plus de faire barrage à des mesures simples et de bon sens, non seulement conformes à la Constitution mais en outre que celle-ci implique, elle prend le risque d’altérer le sens d’un texte qu’elle nous a présenté comme essentiel à la rénovation du Parlement. Elle ne voit pas à quel point les dispositions que nous lui proposons d’adopter pourraient lui être utiles dans le futur.
Il est juste de dire que la nécessité de notre proposition de loi peut se faire plus ou moins sentir selon que l’on appartient à un groupe minoritaire et d’opposition ou à un groupe soutenant le Gouvernement, et ce indépendamment des majorités politiques. Qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, les groupes de la majorité obtiennent toujours quelques contreparties de leur soutien au Gouvernement : ils reçoivent l’appui de ce dernier et de l’administration, ce qui est bien compréhensible.
Dans ces conditions, je conçois que l’amélioration des moyens de travail des groupes parlementaires vous paraisse moins urgente, chers collègues de la majorité, qu’à vos collègues membres des groupes minoritaires ou de l’opposition. Mais nul n’est propriétaire de l’avenir et, indépendamment du fait que la volonté de conserver le monopole de l’information n’est compatible ni avec l’esprit de nos institutions ni avec le principe constitutionnel, si essentiel, d’égalité, vous pourriez regretter, à la faveur d’une alternance politique toujours envisageable, d’avoir négligé l’occasion qui vous est aujourd’hui offerte d’asseoir mieux le nécessaire pluralisme de la représentation nationale.
Au passage, j’en profite pour évoquer le mur de la séparation des pouvoirs, que vous dressez contre notre proposition de loi. En pratique, nul ne peut contester qu’il compte quelques brèches dans lesquelles s’engouffrent des collaborations, parfois fort étroites, entre certains groupes politiques parlementaires et le Gouvernement avec une prise directe sur l’administration. N’avons-nous pas eu sous les yeux encore très récemment un exemple de cette collaboration avec le groupe de travail réuni pour préparer la réforme de la fiscalité du patrimoine à Bercy, groupe exclusivement composé de parlementaires de la majorité ? L’administration était-elle absente de ces séances de travail ?
Quoi qu’il en soit – la révision constitutionnelle ainsi que la réforme de notre règlement constituent une sorte d’occasion mais aussi de justification juridique positive –, le moment n’est-il pas venu de confier aux groupes des moyens de travail proportionnés à leur rôle politique éminent, dans le respect des prérogatives positives qui leur sont reconnues ? Doit-on continuer à renoncer à donner tous les prolongements pratiques nécessaires, et seulement ceux-là – j’insiste sur ce point –, aux évolutions de notre droit parlementaire ?
Ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui répondent positivement à ces questions ne doivent pas voter la présente proposition de loi. En revanche, ceux qui pensent que les groupes ont besoin de moyens supplémentaires pour exercer leurs attributions pour jouer leur rôle doivent alors se rallier au texte simple qui vous est soumis. Et point n’est besoin de le détailler beaucoup.
Cette proposition de loi énonce d’abord un principe, une déclaration de droits, que vous jugez insuffisamment normative, monsieur le rapporteur. Mais n’est-ce pas le sort des déclarations de droits que de paraître telles et ne faut-il pas attendre parfois bien longtemps pour mesurer leur portée normative ? Au demeurant, l’argument est un peu difficile à accepter, puisqu’il soutient en réalité une position visant à refuser aux parlementaires les moyens opérationnels de leur mission.
La proposition de loi contient encore l’énoncé de droits permettant aux groupes de recueillir les informations nécessaires aux différentes contributions à l’exercice des missions du Parlement et de ses organes qui leur sont reconnues, notamment par la Constitution.
Enfin, il est accordé aux groupes politiques, sous l’autorité de leur président, la faculté de mettre en œuvre un certain nombre de droits de saisine d’autorités administratives indépendantes, possibilité déjà ouverte à différents organes parlementaires, et dont bénéficie explicitement parfois tout parlementaire.
L’ensemble des droits ouverts par notre proposition de loi, en particulier les droits d’information, doivent être considérés comme proportionnés au rôle des groupes.
En outre, ils sont respectueux des principes constitutionnels. À cet égard, la séparation des pouvoirs, qui met l’administration à la disposition du Gouvernement – ne dirait-on pas parfois qu’elle est également à la disposition du Président de la République ? – ne s’oppose nullement à ce que des responsables politiques ou administratifs, qu’il ne s’agit pas alors de mettre en cause, soient entendus.
Dans un échange de cette sorte, destiné à recueillir les informations nécessaires au travail parlementaire des groupes, il n’est nullement question de donner quelque instruction que ce soit à l’administration ni même de lui demander l’assistance d’experts dès lors qu’ils devraient être considérés comme placés sous la direction du Gouvernement. La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous l’interdit, ce que, pour ma part, je déplore, étant donné le monopole des moyens d’expertise dont peut bénéficier dans certains domaines, dans ces conditions, le Gouvernement. Nous ne sommes donc pas à armes égales, reconnaissez-le !
Au demeurant, ces droits destinés à l’instruction du travail des parlementaires dans les groupes excèdent le champ strict des administrations. Il en va de même pour l’assistance dont nous prévoyons le bénéfice et qui peut être fournie par tout organe auquel la séparation des pouvoirs ne l’interdit pas.
Sur tous ces points, les intentions des auteurs de la présente proposition de loi sont claires et nous ne croyons pas que la séparation des pouvoirs empêche de nouer un dialogue avec l’administration, quand ce dialogue est nécessaire à l’exercice d’un rôle reconnu par la Constitution.
Face à ces propositions, la commission des lois s’émeut que les groupes politiques, qui ne sont pas des organes internes du Parlement, disposent de certains des droits qui sont déjà attribués à de tels organes. J’en conviens absolument, les groupes politiques ne sont pas des organes du Parlement. Nous ne pouvions les ériger à ce rang et nous ne le désirions pas.
Les droits ouverts aux groupes ne sont pas motivés par un quelconque exercice des missions du Parlement qu’ils ne sont nullement chargés de mettre en œuvre.
Mais est-il nécessaire d’être un organe interne du Parlement pour en être un acteur ? Faut-il être un organe interne du Parlement pour être doté de moyens ? La responsabilité de proposer des textes législatifs ou des débats, le devoir d’apporter une contribution utile aux travaux du Parlement, contribution dont le principe est désormais expressément admis et dont les modalités sont posées dans notre droit positif, sont-ils compatibles avec la privation de tout moyen d’information autre que les procédures de questions en vigueur, manifestement inappropriées, de par leur lourdeur notamment, aux responsabilités des groupes ?
Les organes internes du Parlement sont des acteurs institutionnels de celui-ci particulièrement éminents et sont dotés à ce titre non seulement de droits mais aussi de pouvoirs. Sont-ils les seuls acteurs de notre vie parlementaire ? Je ne le crois pas. Au demeurant, des Parlements très évidemment démocratiques savent ménager à côté des droits reconnus aux institutions parlementaires les droits non seulement individuels des parlementaires, mais aussi des groupes. Une telle reconnaissance ne figure-t-elle pas dans la Constitution helvétique, qui n’est pas un contre-modèle démocratique, me semble-t-il ?
Parmi les organes internes du Parlement, certains sont d’extraction constitutionnelle, d’autres ont trouvé naissance dans la loi ou dans de simples instructions du bureau, d’autres enfin ont dû leur existence et les droits nécessaires à leur travail pratique à de simples mesures d’organisation d’une commission. Leur origine diverse ne les empêche pas d’avoir été dotés de droits. Je pourrais par exemple citer l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la délégation à la prospective.
N’y aurait-il pas quelque paradoxe à refuser aux groupes politiques, que la pratique de nos institutions et désormais le texte suprême reconnaissent comme des acteurs essentiels de la vie parlementaire, de bénéficier des droits accordés à des instances désignées comme organes internes de nos assemblées par des textes de plus modeste rang ? Et je passe sur les pratiques de la vie courante qui voient ce dialogue se nouer naturellement avec les médias.
Finalement, je ne me rallie pas à l’affirmation, que vous faites vôtre, selon laquelle seuls les organes internes du Parlement seraient à même de disposer des droits indispensables à tout travail parlementaire, seraient-ils des plus élémentaires. Elle implique de vider de tout prolongement concret l’ambition de diversifier et de revitaliser la vie démocratique et le fonctionnement pluraliste du Parlement. Et je ne vois pas comment la Constitution pourrait conduire à souscrire à un tel principe, elle qui, à la suite d’une pratique constante de nos institutions, pose explicitement le principe de l’existence des groupes et de leur rôle.
Au fond, la seule question qui vaille est la suivante : les moyens de travail dont nous prévoyons de faire bénéficier les groupes sont-ils ou non accordés à leur place dans nos institutions ? Sont-ils proportionnés à cette place ?
Répondre par la négative, c’est en pratique empêcher les groupes d’exercer des droits désormais explicitement constitutionnels. Quelle grave responsabilité politique ! Et si, d’aventure, cet empêchement devait être assis sur des considérations constitutionnelles, il faudrait y voir la nécessité de réviser à nouveau la Constitution, dont certaines interprétations, je le concède, ne peuvent parfois que laisser quelque peu sceptique.
En réalité, la présente proposition de loi n’est destinée qu’à permettre aux parlementaires, à partir de leur position dans les groupes politiques, de disposer des moyens d’exercer leur mandat et aux groupes de bénéficier des moyens d’accomplir au mieux leurs nouvelles attributions.
Et pour tout à fait vous rassurer, mes chers collègues, je veux maintenant vous dire ce que notre proposition de loi n’est pas.
Elle n’a pas pour finalité de procéder à un réaménagement des pouvoirs constitutionnels ni à un réaménagement de l’organisation des assemblées.
Elle ne touche en rien l’architecture des pouvoirs publics constitutionnels. Si elle est adoptée, les groupes politiques ne seront pas plus qu’à ce jour des pouvoirs de cette nature. Coexistent deux pouvoirs constitutionnels, l’exécutif et le législatif, et l’autorité judiciaire. La chose est entendue. Les groupes politiques ne légifèrent pas ; ils ne contrôlent pas l’action du Gouvernement, au sens formel retenu par la Constitution. Ils ne le feront pas davantage s’ils sont dotés des droits que leur ouvre notre texte. En particulier, celui-ci n’est pas et ne doit pas être un moyen de harcèlement de l’administration. C’est simplement un moyen de recueillir les informations nécessaires à un travail parlementaire sérieux des groupes parlementaires. Si une confusion apparaissait sur ce point, nos travaux préparatoires suffiraient à la dissiper. Et, s’ils n’y suffisaient pas, nous pourrions améliorer le texte en prévoyant des dispositifs aptes à prévenir tout harcèlement.
La présente proposition de loi ne touche pas plus l’organisation interne de nos assemblées dans la mesure où celle-ci résulte de la Constitution, des lois organiques et même des règlements des assemblées. Par exemple, nous ne retranchons aucun pouvoir aux commissions et nous ne confions aux groupes aucun des pouvoirs dont seules les commissions parlementaires disposent.
Comme cela fut fait pour de nombreux organismes, dont la reconnaissance constitutionnelle n’est pourtant pas assurée, nous prévoyons seulement de doter les groupes des moyens de travail nécessaires à leur rôle parfaitement décrit dans le rapport de la commission des lois.
Ce rôle consiste à favoriser l’initiative législative des parlementaires, ainsi qu’à mettre en débat, tout en animant celui-ci, des propositions de résolution et à examiner les politiques publiques. Sur ce dernier point, pas plus demain qu’hier les groupes ne procéderont au contrôle ou à l’évaluation des politiques publiques. Simplement, ils seront mieux à même de contribuer à la mise en œuvre de ces fonctions par les organes constitués du Parlement, dont les travaux s’en trouveront – je l’imagine – améliorés, plus clairs, plus sincères, plus informés et plus diversifiés.
J’affirme que la présente proposition de loi est conforme à la Constitution. Plus encore, j’affirme que la Constitution l’appelle, l’exige. Que serait l’initiative législative d’un parlementaire qui ne s’appuierait point sur le témoignage intime des acteurs, des agents d’une politique publique ? Que seraient les droits ménagés aux groupes politiques s’ils n’étaient soutenus par les informations nécessaires à la qualité de notre œuvre parlementaire et que tout organe de presse peut aisément réunir ?
Si la révision constitutionnelle a un mérite, c’est celui de nous obliger à regarder en face la division du travail parlementaire. Il y a d’un côté les institutions parlementaires, de l’autre les parlementaires, considérés individuellement ou en raison de leur participation aux premières nommées ou à des groupes politiques, et enfin, il y a les groupes politiques. Ceux-ci, au cœur des pratiques parlementaires, ne peuvent plus être relégués à la périphérie des droits nécessaires à l’accomplissement de leur rôle au service d’une démocratie plus vivante et donc plus forte. (M. Jacques Mézard applaudit.)