M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de cette deuxième lecture, je souhaite évoquer la situation de la psychiatrie dans notre pays.
Les moyens consacrés à la psychiatrie ne cessent de baisser depuis vingt ans. En France, le nombre de lits a ainsi diminué de 43 % entre 1989 et 2000, alors que les besoins, eux, s’accroissent.
Les fortes disparités démographiques de la répartition des psychiatres, le manque d’attrait de la profession de psychiatre des hôpitaux pour les étudiants en médecine et le recrutement insuffisant des infirmiers en psychiatrie concourent à aggraver les difficultés rencontrées dans la prévention et la prise en charge des malades. Les professionnels le répètent inlassablement : la psychiatrie est en crise !
J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer ces professionnels, comme le docteur Halimi, président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement des centres hospitaliers spécialisés, ainsi que des usagers, comme Mme Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY ; j’ai également reçu le collectif Psychiatrie. Tous s’accordent à reconnaître la nécessité d’une réforme, mais pas n’importe laquelle. Ils ont d’ailleurs des propositions à faire.
Malheureusement, les engagements et les mesures d’urgence formulés lors des états généraux de la psychiatrie, en 2003, n’ont pas été retenus par le Gouvernement dans le présent projet de loi. Je pense en particulier au maintien du secret médical en dépit des pressions administratives, à la sauvegarde de l’indépendance professionnelle indispensable à la qualité des soins ou au soutien des intérêts des patients contre toute contrainte extérieure.
Quant aux mesures d’urgence qui avaient été demandées, comme la formation massive et urgente d’infirmiers afin de faire face aux besoins, l’augmentation du nombre de lits et le développement des structures extrahospitalières ou le fait de garantir des conditions d’accueil et d’hospitalisation décentes, elles n’ont aucunement été prises en compte.
Vos préoccupations semblent bien éloignées des attentes des professionnels et des usagers !
Pis, parce que la situation s’aggrave, l’hospitalisation sans consentement est détournée de sa fonction première afin de pallier des lacunes plus générales. C’est ainsi que des malades qui souhaitent se faire hospitaliser librement ont parfois recours à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, car c’est pour eux le seul moyen d’obtenir une place à l’hôpital. Pendant ce temps, un malade qui pouvait encore avoir besoin de soins est prié de quitter l’établissement. On hospitalise également en psychiatrie des personnes pour cause de trouble à l’ordre public, car l’élu municipal est le seul à se mobiliser dans l’urgence, faute d’un médecin disponible pour signer un certificat.
Bref, la psychiatrie est forcée d’assumer des dysfonctionnements sociaux qui la dépassent largement.
Ces aspects sociaux ne doivent pas être niés. Franco Basaglia, psychologue italien de renom, avait pour habitude, avant de se préoccuper de leur vie psychique, de poser à ses patients les questions suivantes : « Avez-vous un logement ? » « Vos ressources sont-elles suffisantes ? » « Vos liens sociaux sont-ils solides ? ». Répondre aux troubles psychiques en délaissant les troubles sociaux serait sans effet ; c’est d’autant plus vrai que, comme le montrent les chiffres, les malades en hospitalisation sous contrainte sont généralement plus précaires et plus isolés socialement que les malades en hospitalisation libre.
Mais comment répondre aux besoins sociaux et psychiques quand les professionnels font face à un déficit de l’offre de soins, de prévention, de suivi et d’accessibilité des structures de soins ?
Le constat a été fait à de nombreuses reprises : c’est d’une loi globale de psychiatrie et de santé dont notre pays a besoin.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette situation générale m’interpelle davantage que les rares moments de violence que peuvent avoir certains malades qui traversent des périodes critiques dues à l’évolution de leur pathologie. Pour vous, au contraire, c’est le point central de votre projet de loi.
Venons-en d’ailleurs à ce projet.
Pourquoi élaborer un projet de loi sans concertation avec les acteurs du secteur ? Je dois dire, madame la secrétaire d’État, que vous avez réussi à faire l’unanimité contre vous. Comment et pourquoi obliger une personne à se soigner ? D’ailleurs, comment obliger les professionnels à prodiguer des soins dans de telles conditions ?
C’est l’objectif inverse qui devrait être recherché : alléger la contrainte et favoriser l’adhésion aux soins. Cette situation serait de loin la plus profitable, pour les soignés comme pour les soignants.
Pourquoi proposer une réforme dont le principal objectif consiste à réduire un risque de dangerosité que seul un petit nombre de malades présentent, qui plus est seulement à certains moments de leur vie, alors même qu’elle aura, au-delà de ceux-ci, des conséquences négatives sur un très grand nombre de personnes prises en charge ?
Enfin, pourquoi s’entêter à prendre des mesures toujours plus liberticides, alors que le Conseil constitutionnel a censuré deux articles relatifs à l’hospitalisation d’office, considérant qu’ils méconnaissaient le principe du respect de la liberté individuelle que l’article 66 de la Constitution garantit ?
Les besoins sanitaires sont immenses. Pourtant, vous n’avez qu’une idée fixe : toujours plus de mesures sécuritaires ! Aussi les sénatrices et le sénateur écologistes voteront-ils contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 26.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 590, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Annie David, pour la motion.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de défendre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, je souhaite faire part au Gouvernement du mécontentement de notre groupe au sujet de la manière dont nos travaux ont été organisés. Je pense en particulier à ceux de la commission des affaires sociales, un peu bousculée par la succession de textes que le Gouvernement a cru bon d’inscrire à l’ordre du jour.
Notre mécontentement porte aussi sur la forme : avant même que le projet de loi ne revienne en deuxième lecture au Sénat, il était tenu pour certain, dans la presse, qu’il ferait l’objet d’un vote conforme. Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que cela bride quelque peu nos travaux. Quid de notre indépendance ?
Après la camisole financière européenne que Guy Fischer a dénoncée hier au cours de l’examen du projet de loi constitutionnelle visant à instaurer la « règle d’or », nous voilà contraints à un vote conforme ! Reste que le Conseil constitutionnel en a décidé autrement.
J’en viens à la motion.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a cela de particulier que, avant même son adoption, nous savons tous qu’il est contraire à notre Constitution. Nous le savons d’autant mieux depuis la décision du Conseil constitutionnel du 9 juin 2011.
Ce n’est pas l’amendement n° 82 du Gouvernement qui changera cette situation. Ce n’est pas non plus parce que ce projet de loi trouve son origine dans une décision précédente du Conseil constitutionnel qu’il est, de ce seul fait, à l’abri de toute critique !
Le Conseil constitutionnel avait en effet affirmé que l’hospitalisation d’office d’une personne, en raison de son état de santé ou de troubles graves à l’ordre public, devait être validée par le juge des libertés et de la détention. D’ailleurs, les juges précisaient déjà que, dans le cas d’une hospitalisation d’office, la liberté individuelle ne pouvait être sauvegardée que par l’intervention du juge dans un délai aussi bref que possible.
Si nous sommes favorables à une telle disposition, nous considérons en revanche qu’elle aurait dû être la seule matière du projet de loi ; les autres questions, comme les modalités des soins, auraient dû être traitées dans le cadre d’un projet de loi consacré à la santé publique, et qui aurait inclus un chapitre portant sur la santé mentale et ses modes de traitement.
Nous considérons même, au sein du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, que, compte tenu du maintien dans le projet de loi du pouvoir du préfet de décider d’une mesure d’hospitalisation complète, il aurait été souhaitable que l’intervention du juge des libertés et de la détention se fasse en amont.
Récemment, le juge constitutionnel a décidé que cette intervention précoce ne relevait pas d’une exigence constitutionnelle et qu’il était tout à fait licite qu’une autorité non pourvue de pouvoirs judiciaires décide d’une mesure privative de liberté, à la condition expresse que celle-ci soit confirmée par le juge des libertés dans les plus brefs délais. Nous en prenons acte.
Or l’article 3 que vous vous apprêtez à voter, mes chers collègues de la majorité, ne répond encore pas à cette exigence constitutionnelle.
Si le Conseil constitutionnel a jugé que le pouvoir du préfet d’ordonner l’hospitalisation d’office ne méconnaissait pas la compétence que l’article 66 confie à l’autorité judiciaire, il est beaucoup plus critique sur les modalités d’exercice de ce pouvoir.
En effet, aujourd’hui comme demain, si votre projet de loi était adopté conforme, ainsi que le souhaitent le Gouvernement et la commission, la procédure d’hospitalisation complète à la demande du préfet ne reposerait que sur un seul certificat médical initial, même en l’absence d’urgence, ce qui est déjà contestable en soi. La procédure veut que ce certificat médical unique soit transmis au préfet, qui, et c’est très intéressant, peut n’en tirer aucune conséquence.
Quoi de plus cohérent avec votre politique dans la mesure où cette procédure repose non pas sur l’intérêt du patient médicalement constaté, mais sur la notion de trouble à l’ordre public, notion sécuritaire s’il en est et qui justifie que des mesures de police administrative soient prises !
Comme le souligne à raison le Conseil constitutionnel, « le certificat médical est transmis au préfet, mais, s’il ne confirme pas la nécessité de la privation de liberté, il n’en est tiré aucune conséquence obligatoire quant à la situation de la personne ». Avouez que nous sommes loin, ici, de la notion d’intérêt médical !
En première lecture, nous affirmions que le préfet n’avait pas les compétences pour décider d’imposer une mesure d’hospitalisation complète ; on sait aujourd’hui que la loi actuelle, comme celle à venir, lui octroie des prérogatives contraires à la Constitution.
Comme le précise le commentaire de la décision n° 2011–135/140 QPC, en date du 9 juin dernier publié, dans les Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, « la possibilité que le préfet ordonne ou maintienne une mesure privative de liberté de nature médicale, alors que le psychiatre de l’établissement s’y oppose, soulève une difficulté constitutionnelle touchant à l’équilibre des principes constitutionnels en cause ».
C’est exactement ce que nous dénoncions. Or cette difficulté n’est pas levée par la rédaction de l’article 3 du projet de loi : « Dans un délai de trois jours francs suivant la réception du certificat médical mentionné au troisième alinéa de l’article L. 3211–2–2, le représentant de l’État dans le département décide de la forme de prise en charge prévue à l’article L. 3211–2–1, en tenant compte de la proposition établie, le cas échéant, par le psychiatre en application du dernier alinéa de l’article L. 3211–2–2 et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public ».
Il est bien écrit « en tenant compte », de même qu’il est précisé « le cas échéant ». Cela signifie que le préfet n’est pas tenu par la décision du médecin psychiatre ; il peut passer outre cette recommandation de ne pas maintenir une personne en hospitalisation complète. Nous revoilà dans la même situation que celle qu’avait dénoncée le Conseil constitutionnel dans sa décision de censure.
Le préfet peut d’autant mieux passer outre à cette recommandation que ce même alinéa précise expressément que celui-ci, pour prendre sa décision, tient compte des observations médicales délivrées par le psychiatre, mais les confronte aux « exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public ». Ainsi, le préfet peut décider de maintenir en hospitalisation complète, c’est-à-dire de priver de liberté, l’un de nos concitoyens, l’une de nos concitoyennes, contre l’avis médical, au seul motif que la sortie de celui-ci ou de celle-ci pourrait avoir des effets négatifs sur l’ordre public.
Mes chers collègues, ces dispositions ne sont pas conformes à la Constitution, et singulièrement à son article 66. Plutôt que de paraphraser le Conseil constitutionnel, je préfère citer un extrait de l’un de ses considérants : « […] ; que, dans l’hypothèse où ce certificat médical ne confirme pas que l’intéressé doit faire l’objet de soins en hospitalisation, les dispositions contestées conduisent, à défaut de levée de l’hospitalisation d’office par l’autorité administrative compétente, à la poursuite de cette mesure sans prévoir un réexamen à bref délai de la situation de la personne hospitalisée permettant d’assurer que son hospitalisation est nécessaire ; qu’un tel réexamen est seul de nature à permettre le maintien de la mesure […] ».
C’est pourquoi, mes chers collègues, nous considérons que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le maintien de l’article 3 fait courir le risque d’une nouvelle décision d’inconstitutionnalité. Cela a été confirmé par le juge constitutionnel.
Nous estimons que la procédure d’hospitalisation complète à la demande du préfet, c’est-à-dire l’ancienne hospitalisation d’office, doit reposer, comme l’ancienne hospitalisation à la demande d’un tiers, sur deux certificats médicaux et que, en cas de discordance entre ces deux certificats, la mesure de mainlevée doit être prononcée immédiatement.
Là encore, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel est clair, et je vous renvoie aux documents qu’il a bien voulu communiquer à la presse : « Seul un réexamen, s’il confirmait la nécessité de soins en hospitalisation, serait de nature à permettre le maintien de la mesure, nonobstant le premier avis médical contraire. En revanche, si ce réexamen infirmait à nouveau la nécessité de soins en hospitalisation, la mesure ne pourrait qu’être levée. Le dispositif d’HO est en effet la résultante de deux exigences médicale et d’ordre public appréciées respectivement, par le psychiatre et par le préfet. C’est pourquoi, face à l’insuffisance des garanties présentées par l’article L. 3213–1 du CSP, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition ».
Ce ne sont pas les dispositions visées à l’amendement n° 82 qui permettront de répondre totalement aux objections formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision de censure.
De la même manière, nous nous interrogeons sur la faculté ouverte par le projet de loi de prolonger la décision de maintien en hospitalisation complète sans que le juge des libertés et de la détention intervienne.
En posant le principe d’une intervention du juge dans « le plus court délai possible », le Conseil constitutionnel a entendu réaffirmer le principe selon lequel nul ne peut être privé de liberté sans l’intervention d’une autorité judiciaire. Or le mécanisme de prolongation prévu dans le projet de loi, parce qu’il renvoie à des périodes très longues – six mois ! –, ne nous semble pas conforme à ce principe ni à celui de l’intervention du juge des libertés et de la détention à bref délai. En effet, nous ne partageons pas l’analyse selon laquelle la prolongation serait la simple poursuite de la mesure initiale. Il n’existe pas, en droit, de mesure privative de liberté qui pourrait être reconduite sans qu’aucun juge n’intervienne.
D’ailleurs, le régime de la rétention de sûreté lui-même n’obéit pas à ce mécanisme. Le code pénal prévoit que la rétention de sûreté peut être prononcée s’il est établi, à l’issue d’un réexamen de leur situation intervenant à la fin de l’exécution de leur peine – j’ai bien dit « un réexamen » –, que les personnes en cause présentent une particulière dangerosité, dangerosité se caractérisant par une probabilité très élevée de récidive du fait qu’elles souffrent d’un trouble grave de la personnalité.
Or, en l’espèce, il n’est prévu aucun mécanisme de réexamen par le juge des libertés ; pourtant, chaque décision de renouvellement doit s’apparenter, en droit, à une nouvelle décision, ce qui rend obligatoire la saisine de ce dernier.
Je formulerai une dernière observation, portant cette fois-ci sur le recueil du consentement des patients.
Aux termes de l’alinéa 31 de l’article 1er, « Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212–4, L. 3212–7, L. 3213–1 et L. 3213–4 ou définissant la forme de la prise en charge […], la personne faisant l’objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état ».
Ainsi, les observations du patient ne constituent pas une exigence légale. On pourrait donc se retrouver dans une situation totalement absurde où seules les personnes hospitalisées en psychiatrie, mais dont l’état mental le permettrait, c’est-à-dire qui ne seraient en réalité pas malades, pourraient donner leur avis. Espérons pour elles et pour les libertés publiques que ces cas sont purement théoriques !
Or le Conseil d’État, dans une décision du 27 mai 2011, cassant un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles – laquelle opérait déjà un revirement de jurisprudence –, a affirmé que les décisions d’hospitalisation sans consentement prononcées sans que le patient ait pu faire part de ses observations méconnaissaient manifestement l’article 24 de la loi du 12 avril 2000.
Là encore, mes chers collègues, permettez-moi de citer cet arrêt : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et n’est d’ailleurs pas contesté que les arrêtés des 20 février, 21 mai et 20 novembre 2004 renouvelant l’hospitalisation d’office de Mme A ont été pris sans que l’intéressée ait été mise en mesure de présenter des observations écrites ou, le cas échéant, des observations orales ; qu’il ne ressort du dossier aucune situation d’urgence ni aucune circonstance exceptionnelle de nature à exonérer, au cas d’espèce, l’administration de l’application des dispositions citées ci-dessus […] ; qu’il suit de là que ces arrêtés, pris en méconnaissance de ces dispositions, sont entachés d’illégalité ; ».
Prenez garde, mes chers collègues, en votant ce projet de loi, de reproduire les mêmes erreurs !
Pour conclure, outre ces observations de nature constitutionnelle, je voudrais dénoncer la méthode avec laquelle le Gouvernement a agi.
Pendant des semaines, il a tenté de nous faire croire que le projet de loi recevait l’assentiment des patients et de leurs familles. En réalité, il n’en est rien !
Dans un communiqué de presse du 26 mai, la présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie, Mme Claude Finkelstein, a exprimé son profond désaccord avec ce projet de loi sur les soins sans consentement en psychiatrie. Jacky Le Menn vient de le rappeler. Elle a déclaré : « Nous ne sommes pas d’accord sur la finalité du projet de loi, qui porte atteinte aux droits des personnes ». Elle a même précisé : « Je suis extrêmement choquée que la secrétaire d’État à la santé, Nora Berra, se prévale d’un soutien de la FNAPSY au projet de loi, notamment dans l’émission de France Culture Du grain à moudre du 9 mai. Nous avons dit au ministère de la santé que nous n’étions pas d’accord ; c’est une malhonnêteté intellectuelle de leur part de prétendre le contraire. »
Mes chers collègues, au-delà de la forme, c’est bien en raison des motifs d’inconstitutionnalité de ce projet de loi que je vous invite à voter notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Il est paradoxal de présenter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur un texte qui tend précisément à supprimer une disposition ayant été jugée inconstitutionnelle.
Je reconnais que nous pouvons parfois prendre des initiatives qui se révèlent in fine inconstitutionnelles. Reste que les arguments avancés par notre collègue ne sont pas probants.
Le présent projet de loi vise à autoriser une intervention supplémentaire du juge des libertés et de la détention, ce qui permettra de régler au mieux la question des mesures d’hospitalisation sous contrainte. En fait, ce texte a pour objet de combler un vide. C’est donc notre responsabilité de le voter. Si nous décidions de ne pas apporter de réponse ou d’apporter une réponse partielle ou insuffisante, nous ne satisferions pas aux exigences posées par l’article 66 de la Constitution.
La commission considère que le projet de loi représente un progrès et il serait bon qu’il puisse entrer en vigueur dès le mois d’août. C’est pourquoi son adoption est nécessaire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas clair du tout !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable. (Mme la secrétaire d’État regagne sa place au banc du Gouvernement.)
Mme Annie David. Sans explication ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, nous avons largement eu l’occasion de montrer combien il est pertinent de faire évoluer la loi de 1990. Adopter la motion que vous avez présentée contreviendrait à cet objectif.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je n’ai pas totalement compris les explications qui nous ont été données.
Il me semble que le Conseil constitutionnel a confirmé l’inconstitutionnalité du texte en censurant une partie de l’article 3, notamment. Certes, par l’amendement no 82, le Gouvernement va tenter de remédier à cette difficulté, mais cet amendement ne répondra pas à l’ensemble des objections qui ont été faites ni à la décision du Conseil constitutionnel puisque son objet est simplement de prévoir un réexamen psychiatrique. Il n’y est fait mention ni des délais ni de la non-intervention du juge des libertés et de la détention à l’issue d’une première hospitalisation de six mois, ce qui va à l’encontre de l’article 66 de la Constitution.
Comme je l’ai indiqué voilà un instant, en droit pénal, le juge des libertés et de la détention est conduit à se prononcer sur le maintien d’une personne en détention. Mais s’il s’agit d’une personne hospitalisée d’office, c’est-à-dire d’un malade qui est privé de sa liberté, le juge des libertés et de la détention n’intervient pas. Il y a donc là, me semble-t-il, une mesure inconstitutionnelle, car le droit de ces personnes n’est pas respecté.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, pour explication de vote.
M. René-Pierre Signé. Ce texte est supposé proposer une politique publique de santé mentale, mais, selon le collectif La Nuit sécuritaire, seul le trouble à l’ordre public y est pris en compte, au détriment des soins à apporter à des patients en souffrance psychique et souvent physique, et de leur accompagnement thérapeutique.
Le projet de loi instaure un changement paradigmatique sans précédent : l’institution de « soins » ambulatoires sans consentement sur décision d’un représentant de l’État. Or, rappelons-le, lorsque l’État se mêle de dire qui parmi les citoyens est malade ou ne l’est pas, on en arrive à faire séjourner les opposants politiques et les « déviants » en hôpital psychiatrique et à les y maintenir par la force et avec brutalité.
Le projet de loi n’identifie en effet plus seulement l’hospitalisation comme contraignante – ce qui pouvait être le cas auparavant –, mais aussi les soins eux-mêmes, à l’hôpital, ce qui est normal, ainsi qu’à l’extérieur, avec le risque majeur d’une surveillance sociale planifiée. Il s’agit, en insistant sur les prérogatives des préfets, de garantir la sûreté, non pas des malades, mais des non-malades, voire des malades qui s’ignorent. Car comme le disait Knock : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ».
Ce texte détourne la fonction des soignants vers une orientation de dénonciation, de rétention, de « soins » sous contrainte et de surveillance.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 26, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
La commission et le Gouvernement se sont prononcés contre.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Demontès, MM. Le Menn, Michel, Desessard, Kerdraon et Cazeau, Mmes Le Texier et Schillinger, M. Jeannerot, Mmes Alquier et Campion, M. Daudigny, Mme Ghali, MM. Gillot et Godefroy, Mme Jarraud-Vergnolle, M. S. Larcher, Mmes Printz et San Vicente-Baudrin, M. Teulade et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°33.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 590, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jacky Le Menn, pour la motion.