Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une obsession, c’est la Constitution ! Vous avez, à l’évidence, un problème avec l’obsession…
M. André Reichardt. Madame Assassi, pourquoi êtes-vous si agressive ? C’est intolérable !
Je le répète, l’obsession de la parité, même si cette dernière constitue un souci légitime, ne doit pas prévaloir, surtout quand elle est porteuse de difficultés pour le fonctionnement futur de nos institutions.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l'article.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis maire d'une commune qui compte 600 salariés et dont l’encadrement est à 70 % féminin, et je m’en réjouis.
Je tiens à souligner l'importance que j'attache à la question de la parité. Vous avez raison de nous obliger à avancer dans cette direction. Il s’agit cependant de savoir comment y arriver et quelles réponses apporter.
Fondamentalement, ce qui est important pour nos électeurs, c'est de pouvoir identifier, d’une part, les projets que nous portons et que nous nous engageons à mener à terme, et, d’autre part, les initiateurs de ces projets pour l’élection desquels ils déposeront leur bulletin.
On le voit, la notion de proximité est au cœur même de notre mission. Si le projet que vous nous présentez est louable au regard de cet enjeu capital qu’est la parité, nous devons néanmoins nous demander s’il répond à cette question : de quels projets parle-t-on et, surtout, qui les porte ?
Malheureusement, la disparité des territoires est telle que le principe du binôme empêchera d’identifier les porteurs de projets. Nous le voyons déjà dans les communautés d’agglomération ou de communes situées en milieu urbain : nos concitoyens n’identifient pas leurs conseillers généraux. Christophe Béchu l’a souligné fort à propos, et ce constat soulève une véritable question.
Le conseiller territorial s’inscrivait dans une logique d’ensemble, qui a déjà une traduction dans la réalité, puisque le conseiller municipal est désormais en même temps délégué communautaire. En revanche, la notion de binôme est totalement unique. C’est la première fois que ce type d'organisation électorale est proposé.
Mme Cécile Cukierman. Ce n'est pas une raison !
M. Joël Guerriau. Selon moi, on ne peut pas affirmer que ce dispositif renforcera la proximité. Au contraire ! C'est pourquoi je suis plutôt partisan de la mise en place du scrutin proportionnel en milieu urbain et du maintien du scrutin majoritaire à l'extérieur des structures urbaines. C'est l'une des voies qui auraient pu être envisagées pour avancer sur l'idée de la parité. Sinon, il faudra privilégier la proportionnelle à l’échelon départemental. Tôt ou tard, d’ailleurs, c'est dans cette direction qu'il faudra s’engager, car elle seule permettra de répondre à la préoccupation de nos concitoyens en matière d’identification des projets et des hommes qui les portent.
Toutefois, je ne prolongerai pas cette intervention, car je sais qu’il reste un grand nombre d'amendements à examiner et que plusieurs de mes collègues souhaitent encore s'exprimer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de quelques minutes.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante.)
Mme Catherine Tasca. Eh oui, mes chers collègues, encore une nana qui prend la parole ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Si je le fais, allongeant ainsi la liste des sénatrices qui s’expriment sur cet article, c'est parce que je considère que la manière dont nous parlons dans cet hémicycle de l'objectif de parité n'est pas acceptable.
Je ne sais pas si le texte du Gouvernement est « loufoque » ; plus exactement, je ne le pense pas.
M. Jean-Claude Lenoir. Il est « croquignolesque » !
Mme Catherine Tasca. En revanche, ce qui est absolument loufoque, c'est que, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, nous en soyons encore là en matière de représentation et de participation des femmes dans la vie politique française. Il s’agit donc d’un sujet sérieux.
J’entends souligner un point. Les arguments qui sont convoqués ce matin contre ce texte et, plus globalement, contre l'objectif de parité, sont ceux que nous entendions voilà des années lors de la première loi sur la parité du gouvernement Jospin. C’étaient déjà les mêmes critiques qui étaient formulées alors.
Mes chers collègues, ce qui est tout à fait loufoque, c'est le temps qu’il a fallu à l’ensemble des formations politiques pour s'ouvrir à ce problème, à la réalité de notre société et au partage des responsabilités. À gauche, cependant, nous nous sommes enfin saisis de ce problème à bras-le-corps !
Pour ma part, je salue le volontarisme du Gouvernement, et en particulier du ministre de l'intérieur. En effet, à l'occasion de ce débat sur le mode de scrutin des élections départementales sont prévus des mécanismes tout à fait concrets pour atteindre cet objectif de parité ; il ne s’agit plus de se contenter de discours lénifiants.
Je puis très bien entendre les critiques qui peuvent être formulées à l’encontre du mode de scrutin proposé, qu’il s’agisse des habitudes qu’il bouscule ou des intérêts qu'il remettra forcément en cause. En revanche, on ne peut tolérer les arguments qui sont avancés sur la prétendue insuffisance des candidates féminines pour entrer dans nos assemblées.
Vos propos sur la vie départementale prouvent qu’appliquer cet objectif de parité à l'échelon d'une assemblée locale, dont on connaît le rôle très important pour la vie de nos concitoyens dans tous les domaines, en particulier sur le plan social ou s'agissant des solidarités, constituera une avancée importante.
C'est bien à l’échelon des assemblées départementales qu'il importe de traduire enfin le principe de parité et d'associer les femmes à la prise de responsabilités.
Vous ne pouvez plus invoquer l’insuffisance des femmes. D’aucuns ont avancé l’idée de mettre en place une mesure transitoire et de voir si, dans quelque temps, elles auront acquis les compétences nécessaires… Mes chers collègues, j’aimerais que l'on soumette tous les élus masculins à des examens de passage pour vérifier s’il en est bien de même pour eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Enfin, l'un d'entre vous a fait remarquer que, même à gauche, certaines femmes refusaient la logique du scrutin binominal qui est proposé.
Lorsqu’a été élaborée la première loi sur la parité, j’ai participé à une réunion au sein du groupe socialiste. À cette occasion, plusieurs femmes, y compris des très jeunes, se sont opposées à ce texte, avançant les arguments que vous utilisez aujourd'hui : ce serait humiliant pour les femmes. Eh bien non, messieurs, ce n'est absolument pas humiliant, et je signale qu'il ne suffit pas de naître femme pour être progressiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mmes Nathalie Goulet et Jacqueline Gourault applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, sur l'article.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprime en tant que femme élue. Madame Tasca, j’ai voté contre la loi sur la parité et je l’assume. J’étais alors non pas parlementaire, mais membre du bureau politique de mon parti, tout comme Michèle Alliot-Marie ; nous avons été les deux seules à nous prononcer en ce sens.
Si je puis m'exprimer aujourd'hui dans cet hémicycle, c'est grâce à cette loi. Je le reconnais, et ce n'est pas de l'humilité, fausse ou non, de ma part. Sans ce texte, je ne serais pas ici. Certes, j'aurais sans doute figuré sur la liste des sénatoriales, mais certainement pas en deuxième position, et je n'aurais donc pas été élue.
Nous ne sommes pas face à un clivage gauche-droite. D'ailleurs, qui a fait inscrire dans la Constitution cet objectif de parité ? Jacques Chirac... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Philippe Kaltenbach. Et Lionel Jospin !
Mme Isabelle Debré. Oui, c'est sous l’impulsion de Jacques Chirac que ce texte a été voté, avec, je le précise, le soutien du gouvernement de Lionel Jospin. Je rappelle que convoquer le Parlement en Congrès pour modifier la Constitution reste une prérogative du Président de la République !
La Constitution prévoit un objectif de parité ; il ne s’agit en aucun cas d’une obligation.
Je formulerai une autre remarque. Des propos malheureux ont été échangés, c'est vrai. Pour autant, nous sommes tous respectueux les uns envers les autres. Pour ma part, je considérerai plutôt ces propos comme des maladresses ; gardons-nous de toute invective outrancière.
Pourquoi parler de compétence, d'incompétence, de ruralité, d'urbanité ? Pour moi, c'est absolument ridicule : quand les femmes s'investissent, elles le font totalement. Il ne s’agit jamais d’un problème de compétences ou d'incompétence. En revanche, et mes propos en choqueront peut-être certains, mais j'ai l'habitude de m'exprimer librement : les femmes manquent quelquefois de disponibilité.
L’une de nos collègues a raconté qu'elle s'occupait de sa belle-mère. Oui, les femmes ont plusieurs vies. Les hommes aussi, me rétorquerez-vous. Certes. Il n'en demeure pas moins que, dans notre pays latin, nous le savons, la femme constitue le pilier de tout ce qui concerne la famille au sens large : elle est mère, épouse, elle travaille, elle en fait beaucoup ! De fait, il n'est pas toujours évident pour elle de s’investir en politique, mais ce n'est en aucun cas un problème de compétences.
Je ne voterai pas cet article. En effet, s’il va de soi que je suis favorable à cet objectif de parité, je ne trouve pas normal que l'on se serve de cet alibi pour imposer un mode de scrutin très compliqué, difficilement lisible pour nos concitoyens et qui pose un problème de représentativité.
Je conclurai en rendant hommage au père de la parité dans la Constitution : je ne souhaite pas que l'on se serve de la parité pour imposer un scrutin à mes yeux « abracadabrantesque ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu, sur l’article.
Mme Josette Durrieu. Je n’avais pas forcément prévu de m’exprimer ce matin, d’autant que j’interviens assez rarement dans les débats ayant, disons, un caractère féministe.
En effet, monsieur Maurey, voilà longtemps que j’ai fait mienne une conviction : pour les femmes, mieux vaut le combat que le quota ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Toutefois, il faut reconnaître que l’on a du mal à faire évoluer les choses, et je n’aime vraiment pas entendre des mots comme « gadgets » ou « potiches » – car j’ai bien entendu ces termes à propos des femmes qui pourraient être élues… Je regrette ces propos. Gardons-nous de toute agressivité !
Il me semble pour ma part que j’ai un certain recul pour apprécier la situation. J’ai en effet été, en 1985, l’une des premières femmes élues dans un conseil général d’un canton rural. Nous n’étions pas nombreuses en France et, dans mon département, je suis restée seule pendant plus de dix ans. Par ailleurs, je suis élue au Sénat depuis 1992.
Ce recul me donne la possibilité d’effectuer un bilan et de formuler un certain nombre d’observations. Rassurez-vous, mes chers collègues, je vous ferai grâce de la plupart d’entre elles.
Je soulignerai simplement que le mot « objectif » n’a guère de sens. Un peu comme dans les westerns, la frontière n’en finit pas de reculer. Voilà trente ans que j’attends qu’un rééquilibrage s’opère. Et il ne vient pas !
C’est le problème de la dualité entre les mœurs, qui évoluent ou n’évoluent pas, et la loi, qui passe ou ne passe pas.
Les mœurs n’évoluent pas dans notre pays, ou, en tout cas, elles le font bien moins vite que dans certains autres. Et, s’il en est ainsi, c’est tout simplement parce que les femmes sont absentes de l’espace politique, celui dans lequel on fait changer les choses. Le problème se pose en ces termes. C’est pour cela qu’il fallait accepter le principe du quota.
Malgré tout, on préfère payer des pénalités. Quelque part, nous sommes tous coupables, et je le regrette profondément. Mais voilà, la loi ne peut pas attendre l’évolution des mœurs ! C’est elle qui va les faire changer.
Oui, je pense que la réforme que nous vous proposons, au travers de cette formule effectivement assez inédite du binôme – félicitations à celles et ceux qui l’ont imaginée ! – a quelque chose de surprenant. Comme tout ce qui est très innovant, cette réforme peut faire peur.
Mes chers collègues, sachez que je respecte ces craintes. Je connais trop les sociétés masculines, voire exclusivement masculines, pour ne pas comprendre ce que les hommes peuvent ressentir et vivre. Cette parité sera nécessairement traumatisante et, à un moment donné, elle changera profondément la nature des choses.
J’ai envie de vous dire : faisons confiance aux femmes ! Et j’ai envie de dire à celles qui seront élues dans des conseils départementaux : ne vous laissez pas enfermer seulement dans la défense de la cause sociale et dans les politiques sociales. Il y a tellement de choses à accomplir dans les domaines économique et industriel, qui sont essentiels !
Il se trouve que j’ai aussi présidé un conseil général. Nous n’étions pas nombreuses à l’époque, et nous ne le sommes guère plus aujourd’hui. Croyez-moi, il y a beaucoup de choses à faire, dans tous les domaines !
Un mot enfin sur la réforme, notamment sur ses objectifs de redécoupage, de proximité et de parité.
Le problème de la parité sera réglé, et c’est heureux.
En ce qui concerne la proximité, je me permettrai tout de même de faire quelques observations. Élue de l’espace rural, je rejoins tous ceux qui pensent que, effectivement, on va s’éloigner des électeurs dès lors que l’on agrandit les cantons. La proximité sera traduite par le scrutin, dont nous avons souhaité qu’il reste uninominal. Le scrutin uninominal est en effet celui de la proximité, de la personnalisation, de la gestion d’un espace.
Toutefois, l’élu, incontestablement, va s’éloigner de son concitoyen dans l’espace rural. Soyons attentifs à cette difficulté, monsieur le ministre ! Vous devrez ainsi être sensible aux exceptions que certains feront valoir, notamment en termes démographiques ou géographiques.
Puisque je ne reprendrai pas la parole, je souhaite aborder en conclusion le problème des petites communes et des seuils : 3 500 habitants, 2 000, 1 500, 1 000, 500, zéro : où est le juste seuil ?
Il me semble que la justice consisterait à supprimer ce seuil, simplement parce que les communes sont, par principe, égales, et que c’est une forme d’inégalité que l’on pérennise. Cette réforme, si elle n’est pas menée jusqu’à son terme, aura un goût d’inachevé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, sur l’article.
Mme Bernadette Bourzai. Mon propos sera relativement bref, puisque mes collègues viennent d’exprimer la position défendue par les femmes socialistes dans cette assemblée.
Hier, lors de la discussion générale, j’ai dit qu’il y avait encore au moins deux Bastilles à prendre, et nous venons d’en avoir une belle illustration ce matin.
Je déplore les propos qui ont été tenus. Je n’y reviendrai pas, mais, comme Mme Lipietz l’a souligné, certaines choses ne sont pas acceptables.
Je rappelle que cette proposition, qui est devenue projet de loi, a été votée à l’unanimité des membres présents de la délégation aux droits des femmes du Sénat, laquelle est composée proportionnellement à la représentation des différents groupes politiques.
Cette délégation pluraliste a adopté ce mécanisme en 2010 ; Michèle André l’a proposé et présenté lors du débat sur le conseiller territorial. Il me semble donc que certaines personnes doivent se sentir mal à l’aise dans cette assemblée, et qu’il conviendrait de mettre nos votes en cohérence.
Nous voulons instaurer un nouveau mode de scrutin, avec l’obligation d’introduire davantage de justice dans la représentation des populations des cantons, dont nous savons qu’ils sont très inégaux sur le plan démographique.
C’est aussi l’occasion rêvée de favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités politiques, conformément aux termes de notre loi fondamentale. Il faut cesser de repousser sans cesse la frontière, comme vient de le souligner Josette Durrieu. Il n’y a pas de frontière ! La frontière, c’est la modernité, une société plus juste, plus équitable, plus respectueuse de ceux qui la composent.
Je me réjouis grandement des propos de Mme Debré sur le parcours de Jacques Chirac. Il se trouve que je connais bien ce dernier. J’ai commencé ma carrière en 1978, en étant candidate suppléante en Haute-Corrèze, une terre que l’on appelait à l’époque la « Chiraquie ». Je me suis engagée au mois de janvier 1978 avec un camarade homme parce que j’avais lu dans un journal, F Magazine, cette phrase de Jacques Chirac : « Les femmes corréziennes sont dures à la tâche ; elles servent les hommes à table, se tiennent debout derrière eux et se taisent. » J’en avais conclu que je ne pouvais pas me taire !
Le combat continue. Il faut, à la décharge de Jacques Chirac, ou peut-être de son épouse, préciser que, l’année suivante, Mme Chirac était candidate aux élections cantonales dans un canton de Corrèze, qu’elle a été élue et qu’elle est toujours conseillère générale de la Corrèze.
M. Gérard Longuet. Tout à fait !
Mme Bernadette Bourzai. Elle a sans doute aidé son mari à progresser, si bien que l’objectif de parité est en effet inclus dans la Constitution parce que le président Chirac a bien voulu réunir le Congrès à cet effet.
Chers collègues de l’opposition, nous pouvons espérer que le combat que vous menez, tout particulièrement ce matin, est d’arrière-garde. Je vous invite plutôt à regarder vers l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l’article.
M. Gérard Longuet. Madame Bourzai, je ne puis résister à la tentation de vous répondre concernant Jacques Chirac et la Corrèze.
Jacques Chirac avait parlé des apparences. Nous qui connaissons la vie provinciale, nous savons bien que, aussi discrètes que soient les femmes de province, ce sont elles qui gèrent les maisons et les budgets et qui donnent les grandes indications à leurs conjoints. Il reste aux hommes quelques satisfactions d’amour-propre bien superficielles, mais, dans notre pays, la réalité du pouvoir a toujours été du côté des femmes. (Murmures sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
J’en parle d’expérience, d’ailleurs : étant marié et père de quatre filles, j’ai quotidiennement l’occasion de vivre leur rayonnante et souriante autorité… (Sourires.) Après tout, pourquoi devrait-on s’interdire de dire des choses aimables sur des sujets difficiles ?
Je me tourne à présent vers M. le ministre : je regrette que le débat d’aujourd’hui nous prive d’une véritable réflexion sur ce que vous souhaitez pour l’organisation des collectivités locales pour notre pays.
Il existe en France un lien passionnel entre nos compatriotes et leur territoire, qui oscille entre deux tentations : le centralisme, qui a fait la force de notre pays et qui lui a permis de résister, sous les Capétiens comme sous la République, et la décentralisation, fruit de la formidable passion de nos compatriotes pour leur territoire, qui constitue un puissant ressort. Qu’il s’agisse d’une toute petite commune, d’une agglomération, d’une région ou, naturellement, d’un département, quand ils ont la responsabilité de gérer ces collectivités, nos concitoyens n’hésitent pas à se mobiliser et à déployer une grande énergie.
Nous parlons aujourd’hui du département. Que s’est-il passé ? En vérité, les pouvoirs locaux ont évolué. Vous avez évoqué en termes peu amènes le conseiller territorial. Je trouve cela très injuste, car il était l’aboutissement d’une évolution de bon sens : la constitution d’un bloc communal et intercommunal, que vous ne contestez pas d’ailleurs, puisque vous acceptez le fléchage que nous avons introduit, et au sein duquel nous pourrions d’ailleurs introduire la parité pour la gestion des organismes intercommunaux.
Nous avions imaginé – cela n’a rien de monstrueux, puisque les Alsaciens vont tenter cette expérience – que les conseillers territoriaux s’occupent de la gestion de proximité au sein des départements et qu’ils puissent se retrouver en réunion régionale pour gérer de grands projets.
Que s’est-il passé depuis que la République a institué les départements ?
La commune d’abord, l’intercommunalité ensuite ont renvoyé les conseils généraux et les assemblées départementales vers des fonctions de défense du monde rural, tant il est vrai que, dans l’action territoriale, les kilomètres carrés comptent autant que les hommes qui les peuplent ou, plus exactement, que la façon de vivre sur des territoires compte autant que le nombre de personnes que l’on représente sur ces territoires, en raison des singularités et des spécificités de chacun d’entre eux.
On peut reprocher aux conseils généraux de ne pas avoir su évoluer, et les écarts sont spectaculaires entre les cantons les plus petits et les plus grands, y compris dans les départements ruraux. Toutefois, ce faisant, les conseils généraux ont pris en charge une responsabilité, qu’ils assument avec succès, à savoir la défense des espaces ruraux, à l’heure où les espaces urbains sont progressivement devenus des éléments moteurs grâce aux communautés d’agglomération et aux communautés urbaines.
D’ailleurs, il arrive souvent que les conseils généraux délèguent aux espaces intercommunaux urbains la responsabilité de tel ou tel service, comme la loi le leur permet.
Votre projet de loi, et le mode de désignation que vous envisagez, va définitivement priver les conseils généraux de cette attention pour l’espace rural, qui ne sera plus portée par personne, ou alors par une toute petite minorité, et va introduire une confusion entre les départements et les agglomérations, puisque ces deux entités seront élues sur les mêmes bases, qu’elles auront la même représentativité et qu’elles entreront sans doute en compétition.
Vous ne nous donnez pas la clef de votre vision d’avenir de l’organisation territoriale. Nous en avions une : communes et intercommunalités, d'une part, solidarité entre départements et régions, d'autre part. Vous, vous consolidez les trois étages que sont la commune, le département et la région, vous récusez la coopération des départements et des régions et vous semez les germes d’un conflit entre les départements et les agglomérations. Ces deux entités auront en effet les mêmes élus, et les départements auront vraisemblablement le souci de doubler les agglomérations, tout en n’étant pas nécessairement du même avis qu’elles sur tous les sujets.
Je reviens maintenant sur un aspect qui nous divise en apparence. Il existe deux modes de scrutin républicains.
La représentation proportionnelle a l’immense mérite de permettre, premièrement, à des courants différents de siéger dans une même assemblée – la composition de notre hémicycle en fournit la démonstration – et, deuxièmement, d’organiser une diversité, c’est-à-dire une représentativité, à l’intérieur d’une même équipe ou d’un même courant.
Le scrutin majoritaire, quant à lui, instaure, en quelque sorte, la responsabilité. Il est vrai cependant qu’il ne garantit pas la représentativité. Ainsi, certains élus ne sont pas nécessairement représentatifs du genre – des chiffres ont été cités à ce sujet –, des professions ni même des âges, autant de considérations tout aussi respectables que d’autres. C’est la raison pour laquelle la situation est équivoque et le projet de loi n’est pas satisfaisant.
Je terminerai mon intervention en formulant le vœu que nous puissions approfondir un projet soutenu par le parti socialiste et qu’a rappelé avec pertinence Christophe Béchu : conservons le conseiller général traditionnel responsable et pas nécessairement représentatif dans l’espace rural et organisons dans les agglomérations une représentation proportionnelle qui permette, grâce aux équipes constituées et à la diversité assurée, de renouveler les assemblées départementales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche, sur l’article.
M. Gérard Roche. Le présent débat étant capital pour le président de conseil général et le sénateur d’un département rural que je suis, je souhaite, contrairement à mon intention initiale, apporter quelques précisions.
Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, j’aurais préféré que ce débat ait lieu après l’examen de l’acte III de la décentralisation, pour que soient définies nos compétences. En effet, le vote émis par le conseiller départemental sera vécu de façon tout à fait différente par la population si le conseil général demeure, au moins dans le monde rural, la collectivité de proximité par excellence ou s’il n’est plus que le bureau décentralisé de la politique sociale de l’État.
Le découpage prévu suscite de ma part quelques inquiétudes, qui ne tiennent cependant pas à des raisons politiciennes. Ainsi, on va procéder au découpage au moment où tous les EPCI vont évoluer du fait de leur regroupement et où l’on parle de l’émergence des grandes métropoles, voire des eurométropoles.
Je m’interroge également, même si ce point ne constitue pas réellement un problème, car, dans les circonscriptions départementales, nous allons devoir désigner de façon solidaire deux élus, un homme et une femme, qui deviendront ensuite tout à fait indépendants quand ils siégeront à l’assemblée.
M. Jean-Jacques Mirassou. Mais non !
M. Gérard Roche. Chères collègues sénatrices qui êtes intervenues précédemment, sachez que tous les membres de la Haute Assemblée respectent la parité. En tout cas, pour ma part, j’agis ainsi. Toutefois, je demande que soit également respectée la représentation territoriale et, par conséquent, la ruralité.
Tel fut le cas sous le précédent gouvernement lorsqu’a été présenté le projet de conseiller territorial. Tel est encore le cas actuellement, je le reconnais, avec le scrutin binominal proposé, qui élimine la proportionnelle intégrale, laquelle signerait la mort des territoires ruraux.
Je ferai simplement remarquer que le vote du présent article 2 reviendrait, en réalité, à adopter une motion du type de celles dont nous avons discuté hier de façon enflammée puisqu’un vent vendéen a même soufflé…
En réalité, doit-on continuer le débat ? Pour la ruralité, l’une des clefs de ce débat est le tunnel des plus ou moins 20 %. J’ai noté certaines ouvertures dans les propos qui ont été précédemment tenus, y compris par M. le ministre, qui a évoqué plus ou moins 40 % ; ainsi, la représentation territoriale pourrait être satisfaite, même si c’est seulement de façon relative.
Cependant, bien qu’étant membre de cette assemblée depuis seulement un an, je ne suis pas un pigeon de l’année…