M. Gérard Roche. L’objet de cet amendement est de maintenir l’obligation pour le biologiste médical d’assurer la conformité de tous les examens de biologie médicale aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et des sociétés savantes.
L’ordonnance a en effet renforcé le rôle médical du biologiste médical. L’article L. 6211-9 du code de la santé publique qui en est issu, et que l’article 7 ter du texte tend à abroger, place le biologiste médical au cœur du parcours de soin. Par le biais de la revue des prescriptions, conformément aux recommandations et référentiels de bonne pratique, le biologiste médical participe ainsi à la maîtrise des volumes de prescription.
Ces recommandations sont issues de sociétés savantes, mais aussi de la Haute Autorité de santé. Cette dernière a pour mission, par ses avis, de contribuer à l’élaboration des décisions relatives au remboursement et à la prise en charge par l’assurance maladie des actes et prestations de santé. À cet effet, elle émet des avis sur l’efficience desdits actes.
Dans son activité quotidienne, le biologiste médical, comme tout professionnel de santé, se doit de respecter toutes ces recommandations. C’est pourquoi nous nous opposons à l’abrogation de l’article L. 6211-9 du code de la santé publique.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour présenter l'amendement n° 17.
M. Alain Milon. Cet article prévoit l’abrogation de l’article L. 6211-9 du code de la santé publique, qui tire la conséquence de la médicalisation de la discipline. En effet, il précise que le biologiste médical doit pouvoir participer à la prescription des examens, éclairer le médecin traitant en lui proposant les plus utiles et rendre la prescription la plus efficace et la plus pertinente possible.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 7 ter, qui nous semble aller à l’encontre des objectifs visés par la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour présenter l'amendement n° 46 rectifié.
M. Yves Daudigny. L’article 7 ter, introduit en commission, tend à abroger l’article L. 6211-9 du code de la sécurité sociale, qui impose la conformité des actes de biologie médicale aux recommandations de bonne pratique. Il s’agissait ainsi d’offrir au biologiste médical la marge d’appréciation nécessaire pour adapter ces recommandations aux circonstances, autrement dit d’ajuster sa pratique aux circonstances propres à l’examen demandé et de s’y soustraire en cas de recommandations ponctuellement inadaptées.
Rappelons que les recommandations dont il est question sont issues des sociétés savantes, mais aussi de la Haute Autorité de santé.
Notre amendement vise à supprimer cette possibilité d’adaptation qui, à la réflexion, ne semble pas du tout satisfaisante au regard d’une volonté de médicaliser la spécialité de biologie médicale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacky Le Menn, rapporteur. Certains biologistes souhaitent être traités comme les autres professionnels de santé et ne pas être contraints d’assurer la conformité des examens aux bonnes pratiques. Ils souhaitent simplement les prendre en compte pour les adapter à chaque situation concrète. D’autres semblent vouloir le contraire.
Nous en avons longuement discuté en commission et, par-delà les sensibilités politiques, nous sommes tombés d’accord pour nous en remettre à la sagesse du Sénat. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Il me semble utile que la Haute Autorité de santé puisse intervenir et que les recommandations de bonne pratique qu’elle formule soient prises en considération.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5, 17 et 46 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 7 ter est supprimé.
Article 8
I. – Plus de la moitié du capital social et des droits de vote d’un laboratoire de biologie médicale exploité sous la forme d’une société d’exercice libéral doit être détenue par des biologistes en exercice au sein de la société.
II. – Le chapitre III du titre II de la sixième partie du code de la santé publique est complété par un article L. 6223-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 6223-8. – I. – Le premier alinéa de l’article 5-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, n’est pas applicable aux sociétés d’exercice libéral de biologistes médicaux.
« II. – Les sociétés d’exercice libéral de biologistes médicaux, créées antérieurement à la date de promulgation de la loi n° … du … portant réforme de la biologie médicale et qui, à cette date, ne sont pas en conformité avec le I du présent article, conservent la faculté de bénéficier de la dérogation au premier alinéa de l’article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée prévue au premier alinéa de l’article 5-1 de cette même loi.
« Toutefois, la cession de leurs parts sociales ou actions se fait prioritairement au bénéfice des biologistes exerçant dans ces sociétés. Si ces derniers se trouvent dans l’incapacité d’acquérir les parts sociales ou les actions qui leur sont proposées, la cession peut avoir lieu au bénéfice de toute personne physique ou morale exerçant la profession de biologiste médical ou de toute société de participations financières de profession libérale de biologistes médicaux. Sous réserve du respect des seuils prévus en application de l’article 6 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée, cette cession peut également avoir lieu au bénéfice d’une ou plusieurs personnes ne répondant pas aux conditions du premier alinéa ou des 1° et 5° de l’article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacky Le Menn, rapporteur. Cet article est au cœur du problème de la financiarisation. Je pense important de souligner ce qu’il apporte.
Le régime des sociétés d’exercice libéral – SEL – est fixé pour l’ensemble des professions, comme vous le savez, par la loi du 31 décembre 1990. Son article 5 fixe un principe auquel nous sommes attachés : le capital social doit être détenu à plus de 50 % par ceux qui exercent au sein de la société.
Un article 5-1 a toutefois été inséré dans cette loi pour répondre à certains besoins spécifiques. Son alinéa premier permet de déroger à l’article 5 et donc à la règle de détention majoritaire du capital social par les exerçants. C’est par ce biais que des sociétés purement financières ont pu prendre une place à nos yeux excessive au sein de la biologie médicale.
L’article 8 de la proposition de loi vise, par conséquent, à exclure les SEL de biologistes médicaux du champ d’application de cet alinéa.
Le reste de l’article 8 prévoit un régime de transition entre le régime général des sociétés d’exercice libéral et ce régime spécifique, plus restrictif et plus protecteur des intérêts des biologistes.
Je souligne que ce n’est pas la seule protection offerte aux biologistes. Non seulement les exerçants doivent détenir plus de la moitié du capital social, mais les non-biologistes ne peuvent détenir plus de 25 % du capital. L’article L. 6223-5 du code de la santé publique, tel que modifié par l’article 7 de la proposition de loi, interdit à tout autre professionnel de santé – médecin ou infirmier, par exemple – de détenir des parts de capital social. Il en va de même pour les fournisseurs et les industriels.
Les modalités de constitution des sociétés sont donc encadrées. Les jeunes biologistes insistent sur le fait que certaines sociétés ne respectent pas la loi, recourant à des conventions signées après la constitution de la société exploitant le laboratoire. Je m’étonne que les biologistes acceptent de signer de telles conventions. Quoi qu’il en soit, le principe de droit est clair : toute convention contraire à la loi ou tendant à la priver d’effet est nulle et de nul effet.
La commission des affaires sociales a donné un avis favorable sur un amendement du groupe écologiste tendant à renforcer les règles de transparence, ce qui devrait être positif.
Cependant, et j’insiste sur ce point, aucun dispositif, si complexe soit-il, n’apportera plus de garanties aux biologistes que l’article 8 et les dispositions actuelles du code de la santé. Des normes complexes, déclaratives et réglementaires ne protégeront que les intérêts des avocats d’affaires.
De plus, nous sommes dans le domaine de la concurrence et nous trouvons ainsi sous l’œil vigilant de la Commission européenne. Je vous demande donc d’être particulièrement attentifs à ne pas renforcer encore les contraintes au point de risquer une condamnation par le juge, car les biologistes se trouveraient alors privés de toute protection.
L’article 8 est, me semble-t-il, une mesure efficace et claire : ne la dénaturons pas !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. L’article 8 de cette proposition de loi a pour vocation de freiner un mouvement dont nous refusons de croire qu’il est inéluctable, celui de la financiarisation de la biologie médicale et, à travers elle, de tout notre système de santé.
Un certain nombre d’acteurs, en réalité des groupes financiers plus intéressés par les dividendes qu’ils pourraient tirer des laboratoires de biologie médicale que par la satisfaction des besoins de santé des populations, sont à la manœuvre. Dans le secteur de la biologie médicale, cela a conduit à la saisine de la Commission européenne à l’encontre de la France.
Une procédure identique avait par ailleurs été engagée en Allemagne après qu’un ministre d’un Land eut autorisé une société anonyme néerlandaise à exploiter une pharmacie. Cette autorisation fut contestée devant le tribunal administratif du Land de la Sarre par plusieurs pharmaciens et leurs associations professionnelles pour non-conformité à la législation allemande. En effet, celle-ci, comme celle de nombreux autres pays, réserve aux seuls pharmaciens le droit de détenir et d’exploiter une pharmacie : une restriction justifiée – comme ici pour la biologie médicale – par des impératifs de santé publique.
La Cour de justice des Communautés européennes, qui voyait dans cette mesure une entrave à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, a considéré qu’un État membre pouvait légitimement, sans enfreindre les règles européennes, prendre des mesures qui réduisent un risque pour la santé publique et décider du niveau de protection de la santé publique.
Cet exemple, couplé à l’action introduite par la France, nous permet de tirer deux enseignements.
Tout d’abord, les États membres peuvent prendre les mesures qu’ils estiment nécessaires – ce qui est peut-être de nature à rassurer notre rapporteur. Nous proposerons donc, sans crainte de méconnaître les obligations européennes, une série d’amendements sur ce sujet.
Ensuite, cela nous montre comment les groupes financiers tentent parfois d’accaparer, en Europe, le domaine de la santé, dans lequel ils ne voient qu’un marché à conquérir.
Dès lors, il convient de tout mettre en œuvre non seulement pour freiner la financiarisation mais également pour y mettre un terme. Nous savons pertinemment que les mesures prévues dans cet article, si elles sont salutaires pour les laboratoires qui pourraient se créer après la promulgation de la loi, ne sont pas suffisantes.
Nous avons soutenu l’amendement déposé par notre rapporteur en commission et tendant à compléter l’article par un rappel des dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990, à savoir que la majorité du capital social d’une société exploitant un laboratoire de biologie médicale doit être détenu par les biologistes exerçant au sein de la société d’exercice libéral. Toutefois, cet amendement ne fait pas la distinction entre des biologistes personnes morales et les biologistes personnes physiques. Or c’est un point essentiel. Un groupe financier espagnol ou portugais prenant la forme d’une société reconnue dans leurs pays respectifs comme exerçant la biologie médicale pourrait ainsi détenir 50 %, voire 100 % du capital social et des droits de vote.
Qui plus est, l’alinéa 4 de cet article exclut l’application de cette mesure aux laboratoires existants. Or ces derniers sont bien plus nombreux que ceux qui pourraient se constituer dans le futur, notamment en raison des contraintes liées à la procédure d’accréditation. Là encore, ce risque a été mis en avant par les professionnels : je pense particulièrement aux jeunes biologistes qui, pour reprendre leurs propos, « n’auraient en effet plus la possibilité de devenir propriétaires de leur outil de travail ». Leur horizon se restreindrait alors à deux options : le salariat ou l’extension du statut particulièrement précaire de travailleur non salarié.
Cette financiarisation, mes chers collègues, est déjà une réalité. Une holding, celle qui est à l’origine de la plainte devant la Commission européenne, détient déjà plus de 130 laboratoires en France et nous craignons que, par un jeu de propriété en cascade, ce mouvement ne continue de s’amplifier, même si sa progression n’est pas aussi rapide que les groupes l’espèrent.
Cela nous a conduits à déposer des amendements, considérant qu’il faut apporter à cet article, et d’une manière générale à la protection de notre système de santé, des protections plus nettes que celles qui sont actuellement prévues dans cette proposition de loi.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 56, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1er
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Tous les sénateurs qui ont participé au débat en commission, comme ils l’ont indiqué à plusieurs reprises, partagent la volonté d’encadrer le processus de financiarisation qui menace le fonctionnement des laboratoires de biologie médicale et la qualité due aux patients.
Il est indispensable de freiner un processus qui aboutit à dessaisir les biologistes de leur activité au profit de groupes ou de détenteurs de parts de capital qui sont en réalité très éloignés de l’activité elle-même, ce qui occasionne un découplage entre ceux qui pratiquent l’activité de biologie médicale et ceux qui apportent le financement.
Dans le même temps, nous devons trouver la bonne mesure pour que les investissements nécessaires à la qualité, à l’amélioration du service et à l’innovation puissent être effectivement réalisés. Il convient de rappeler que la biologie médicale française est l’une des meilleures au monde. Nous devons faire en sorte que les financements permettant de maintenir cette qualité et ce très haut niveau de fiabilité médicale soient assurés.
J’entends bien l’exigence qui est la vôtre de parvenir à un bon équilibre entre, d’une part, le refus d’un processus de financiarisation, lequel aboutirait à la prise en compte des seules règles de rentabilité, et, d'autre part, la nécessité de permettre le financement de la qualité et de l’innovation en matière de biologie médicale.
Vous souhaitez réintroduire dans la proposition de loi des dispositions figurant déjà dans la loi du 31 décembre 1990 applicable aux sociétés d’exercice libéral en matière de biologie médicale.
D’un point de vue juridique, il ne me semble pas que la réintroduction partielle de certains éléments de la loi de 1990 soit de nature à limiter le processus de financiarisation et à éclairer les conditions d’exercice dans lesquelles les biologistes sont amenés à intervenir.
Encore une fois, la loi de 1990 continue de s’appliquer : le dispositif dont nous discutons aujourd'hui doit évidemment s’inscrire dans le prolongement de cette loi. La proposition de loi ne modifie ni supprime aucune disposition de la loi de 1990. Nous devons donc veiller à ne pas faire se juxtaposer certaines dispositions qui « miroiteraient », en quelque sorte, et donneraient l’impression que la loi de 1990 n’est que partiellement reprise en compte, puisque le premier alinéa de l’article 8 ne reprend qu’en partie les dispositions de la loi de 1990.
L’amendement de suppression présenté par le Gouvernement ne vise pas à remettre en cause l’opposition à la logique de financiarisation, logique que nous-mêmes refusons. Il vise à sécuriser d’un point de vue juridique le dispositif dont nous discutons aujourd'hui par rapport à la loi de 1990 telle qu’elle existe.
J’ajoute que, si le Sénat devait adopter ces dispositions en l’état, nous aboutirions à une complexité telle que, comme l’a relevé M. le rapporteur, ce serait pain bénit pour les avocats d’affaires, qui ne manqueraient pas d’opposer le dispositif juridique tel qu’il résulterait de la proposition de loi à celui de la loi de 1990.
Je ne pense pas que le premier alinéa de l’article 8 puisse servir de quelque manière que ce soit les biologistes ou entraver mieux que ne le faisait la proposition de loi initiale le mouvement de financiarisation. C’est pourquoi, en présentant cet amendement de suppression, je défends l’équilibre auquel avait abouti M. Jacky Le Menn dans sa proposition de loi initiale.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mme Archimbaud, M. Desessard, Mme Lipietz, M. Placé, Mmes Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin et Bouchoux et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
la moitié
par le pourcentage :
60 %
La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Dans son rapport, M. Le Menn précise que « le refus de la financiarisation de la profession constitue la deuxième priorité de la proposition de loi » et que « l’indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d’acquérir une fraction voire la totalité du laboratoire dans lequel ils travaillent ».
Cet amendement vise à renforcer cette garantie, à laquelle le groupe écologiste est tout à fait sensible, en portant de « plus de la moitié » à « plus de 60 % » la part du capital et des droits de vote d’un laboratoire de biologie médicale devant obligatoirement être détenue par des biologistes en exercice au sein de la société.
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par Mmes Cohen, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer les mots :
biologistes en exercice
par les mots :
personnes physiques exerçant la profession de biologistes médicaux
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, si vous me le permettez, je défendrai conjointement les amendements nos 33, 34 et 35, qui visent tous à lutter contre la financiarisation de la biologie médicale.
Il me semble utile de commencer par rappeler que les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui résultent de la loi de 1990, qui a permis la création de sociétés d’exercice libéral, y compris dans les secteurs relevant de la santé. Pour éviter la financiarisation, sans doute eût-il été pertinent, au nom du respect impérieux des enjeux de santé publique, de créer ex nihilo une forme de société spécifique dans les domaines sanitaires.
Cela n’ayant pas été fait, nous sommes aujourd’hui dans la situation suivante : des groupes financiers, souvent européens, ayant obtenu dans leur pays d’origine la qualité de personne morale exerçant la profession de biologiste médical, trustent les parts sociales des SEL françaises.
Le cadre juridique actuel, qui prévoit qu’une même personne extérieure à la société d’exercice libéral ne peut détenir plus de 25 % du capital de cette société, n’est pas suffisant pour empêcher que des groupes financiers accaparent la totalité ou tout au moins la majorité du capital social et des droits de vote.
Je note d’ailleurs qu’Éric Souêtre, fondateur et président du conseil d’administration de Labco, qui est à l’origine de la plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne, bien que débouté par celle-ci, ne s’est pas particulièrement inquiété de cette décision. Je le cite : « La flexibilité des réglementations européennes permet la détention de 100 % du capital d’un laboratoire français par un laboratoire européen dès lors qu’il est considéré en droit européen comme une personnalité morale "biologiste" ».
La règle des 25 % constitue en réalité une bien faible protection pour au moins une raison, comme le démontre ce financier : quatre personnes morales, quatre filiales d’un même groupe financier peuvent chacune détenir 25 % du capital.
L’enjeu de la lutte contre la financiarisation, qui est d’ailleurs le corollaire de la lutte en faveur d’une biologie éthique, réside donc dans la nature des détenteurs du capital social et des droits de vote des sociétés d’exercice libéral.
Si l’on veut que les choix effectués par les biologistes en matière d’organisation et de présence, par exemple, restent guidés par des principes éthiques, qu’ils s’inscrivent dans une logique sanitaire et non financière, il faut s’assurer que ceux qui décident sont ceux qui pratiquent effectivement la biologie médicale.
Telles sont les raisons pour lesquelles il nous paraît essentiel d’adopter ces amendements, qui visent à limiter à 49 % la part totale du capital social et des droits de vote d’une société d’exercice libéral de biologie médicale pouvant être détenue par une personne morale. Cette solution, qui autorisait malgré tout la détention par des sociétés financières d’une part non négligeable du capital, présenterait le double avantage de ne pas encourir le risque de sanction de la part de la Cour de justice de l’Union européenne, puisqu’il ne s’agit pas d’un empêchement total, tout en permettant aux biologistes réellement en exercice, c’est-à-dire à des femmes et à des hommes, d’être majoritaires et donc d’effectuer les choix stratégiques du laboratoire.
Je précise d’ailleurs que cette rédaction est conforme à l’arrêt rendu par la Cour de justice, qui avait considéré comme non justifiée la restriction à la liberté d’établissement selon laquelle une personne physique ou morale ne pouvait pas participer au capital de plus de deux sociétés constituées en vue de l’exploitation en commun d’un ou de plusieurs laboratoires.
Il nous semble donc que rien ne fait obstacle à l’adoption de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacky Le Menn, rapporteur. Je comprends l’argumentation technique du Gouvernement sur l’amendement n° 56 : elle est fondée en droit.
Le rappel des principes paraît néanmoins nécessaire à la majorité de la commission des affaires sociales, qui en a longuement discuté. J’avais, pour ma part, proposé que la commission s’en remette à la sagesse du Sénat, mais la majorité, très nette, de la commission a émis, elle, un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 23 vise à porter à plus de 60 % la part du capital et des droits de vote d’un laboratoire de biologie médicale devant obligatoirement être détenue par des biologistes en exercice au sein de la société. Je ne suis pas sûr que cet amendement renforce efficacement les garanties actuelles. Je crains, en revanche, qu’une telle mesure n’apparaisse comme une entrave à la concurrence. Je prie donc les auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
Enfin, je comprends bien l’objectif de l’amendement n° 33, mais le dispositif proposé empêcherait, semble-t-il, les jeunes biologistes de créer des sociétés de capital leur permettant d’acheter les laboratoires. Je prie donc Mme Cohen de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 23 et 33 ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, avant de m’exprimer, je sollicite une courte suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
Mme Marisol Touraine, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez manifesté le souhait de voir maintenue, au sein de la présente proposition de loi, une affirmation de principe qui figure déjà dans la loi de 1990, à laquelle le présent texte se réfère. J’ai entendu votre préoccupation.
Je l’ai dit, j’ai été amenée à demander la suppression de l’alinéa 1 de l’article 8 parce que sa présence me paraissait susceptible de faire naître des discordances juridiques entre le texte de la présente proposition de loi et la loi de 1990. Cependant, pour répondre aux préoccupations exprimées, je retire l’amendement n° 56 et en dépose un autre, qui reprend le libellé du premier alinéa de l’article 5 de la loi de 1990. Cela évitera tout « effet de bord » entre la loi dont nous discutons et celle qui a déjà été votée.
M. le président. L’amendement n° 56 est retiré.
Par ailleurs, je suis saisi d’un amendement n° 64, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
1°) Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
« I. – Plus de la moitié du capital social et des droits de vote d’une société d’exercice libéral de biologistes médicaux doit être détenue, directement ou par l’intermédiaire des sociétés mentionnées au 4° de l’article 5 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société. »
2°) Alinéa 4
Après les mots :
le I du présent article
insérer les mots :
ou le I de l’article 8 de la loi précitée
Veuillez poursuivre, madame la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Je l’ai dit, l’amendement n° 64 reprend l’esprit de l’amendement qui a été adopté en commission pour rappeler, en tête de l’article 8, que « plus de la moitié du capital social et des droits de vote d’une société d’exercice libéral de biologistes médicaux doit être détenue […] par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société ». Cette déclaration de principe est donc clairement réitérée, comme vous le souhaitiez.
Il n’y a là aucune innovation juridique puisque ce sont les termes mêmes du premier alinéa de l’article 5 de la loi de 1990. La solution retenue permet de ne laisser, entre le texte voté aujourd’hui et celui adopté en 1990, aucune place à l’interprétation.
J’en viens au point soulevé par Mme Cohen, dont l’amendement n° 33 vise à s’assurer que les personnes morales ne pourront pas contourner la contrainte imposée aux personnes physiques.
Il faut distinguer, dans la loi de 1990, deux dispositions : d’une part, celle qui est réintroduite par l’amendement n° 64, qui permet d’encadrer la participation des personnes physiques et qui précise, comme vous l’avez souhaité, madame la sénatrice, que la moitié du capital ne peut être détenue que par des biologistes médicaux en exercice au sein de la société ; d'autre part, celle qui est contenue dans l’article 5-1 de ladite loi, où sont précisés le rôle et la place des personnes morales.
Or, je le rappelle, l’alinéa 3 de l’article 8 de la proposition de loi dont nous débattons prévoit que l’article 5-1 de la loi de 1990 ne s’applique pas aux biologistes médicaux. Il me semble donc que votre amendement, madame Cohen, est satisfait.
C’est pour cette raison, et non parce qu’il n’en partage pas les objectifs, que le Gouvernement serait amené à demander le rejet de l’amendement n° 33 si l’amendement n° 64 n’était pas adopté.