M. Philippe Bas. Nous discutons de la suppression d’un article introduit par l’Assemblée nationale et dont la rédaction, je dois le dire, a été nettement améliorée par la commission. Je veux en rendre hommage à notre rapporteur. Si la filiation était établie à l’égard d’un tiers, permettre une deuxième adoption deviendrait véritablement insupportable. Cela engagerait les droits d’un tiers, et nous ne pourrions y souscrire.
Pour autant, nous ne pouvons pas soutenir la disposition que vous avez introduite, parce que, comme l’indiquait Mme Bertinotti voilà un instant, et comme le demande la commission des lois, nous serons saisis d’un projet de loi sur l’adoption.
Or, je viens de le rappeler, les dispositions prévues dans le code civil s’appliquent déjà aux couples de même sexe qui seront formés en application de la future loi. Vous introduisez là une sorte de cavalier qui relève du projet de loi sur l’adoption que vous préparez.
D’une part, je me refuse à tout élargissement des possibilités d’adoption par les couples de même sexe. D’autre part, le support d’une telle disposition, qui n’est pas rendu nécessaire par votre texte, devrait être le projet que Mme Bertinotti est en train de préparer. Dans ces conditions, il me paraît nécessaire, voire indispensable, que le Sénat ne retienne pas cette disposition.
Le présent article, et c’est heureux, n’est pas applicable aux seuls couples de même sexe. Légiférer aujourd’hui sur l’adoption en général alors qu’un projet de loi sur ce sujet devrait être déposé dans quelques semaines ou dans quelques mois, cela n’a tout simplement pas de sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je suis peu intervenu dans cette discussion, aussi me permettrai-je deux observations préliminaires avant de m’exprimer sur les amendements de suppression de l’article 1er bis.
Tout d’abord, en qualité de sénateur de Paris, président d’un groupe au Conseil de Paris, je tiens à rappeler les termes de la déclaration du maire de cette ville, Bertrand Delanoë, après l’agression brutale dont ont été victimes deux Parisiens dans la nuit de samedi à dimanche, au motif qu’ils se tenaient par la main.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bertrand Delanoë a déclaré : « J’apprends avec colère et tristesse [cette] brutale agression […]. Le déchaînement de violence qu’a subi ce couple […] est profondément inquiétant et parfaitement inqualifiable ».
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Yves Pozzo di Borgo. Ensuite, madame la garde des sceaux, vous êtes, comme moi et beaucoup de nos collègues, l’émanation de la génération de 1968, même si vous ne le paraissez pas et faites beaucoup plus jeune. (Sourires.)
Cette génération – c’est l’une de ses caractéristiques –, a été très influencée par une pensée marxiste souvent très mal digérée, à droite comme à gauche d'ailleurs, elle-même marquée par le concept de dialectique historique empruntée à Hegel, selon laquelle l’histoire va dans le sens du progrès.
Or les trente dernières années ont montré que la régression existait aussi en histoire. Et l’histoire du communisme a mis en évidence que la régression existe dans la dialectique historique.
Si je prends cette comparaison, madame la garde des sceaux, c’est parce que nous avons l’impression que la réflexion qui vous a conduit à présenter un projet de loi instituant le mariage pour tous est influencée par cette pensée : l’histoire irait dans le sens du progrès.
Je prétends pour ma part que la régression existe aussi en histoire : lorsque l’on bouscule trop le naturel, celui-ci se venge. Nous verrons dans quelques années qui a raison.
J’en viens aux amendements de suppression de l’article 1er bis. Madame la garde des sceaux, c’est peut-être le sens de l’histoire, mais votre obstination à vouloir coûte que coûte faire adopter un texte préparé trop hâtivement fait que l’article 1er bis est l’un des meilleurs exemples des paradoxes de votre position.
Cet article étend le champ de l’adoption plénière en permettant de fait au conjoint d’une personne ayant adopté ou ayant eu un enfant naturel, de l’adopter de manière plénière. C’est la conséquence logique de l’article 1er. Le mariage permettant l’adoption, il s’agit, dans cet article, de régler les situations intermédiaires nées des insuffisances antérieures.
Cette modification introduite à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur Erwann Binet, semble cohérente dans la logique générale de votre texte. Le fait est que vous vous apprêtez purement et simplement à fabriquer une machine à frustration.
La convention de La Haye de 1993 stipule que l’adoption internationale n’est possible que lorsque les voies nationales ont été épuisées. Or, on le sait bien, en France, il y a plus de demandes d’adoption que d’enfants à adopter ; cela a été dit plusieurs fois. Tous les projets parentaux ne peuvent être satisfaits et votre texte va rendre cette situation, déjà douloureuse, encore plus tendue.
Certes, pour l’image et la communication politique on fera passer quelques dossiers en haut de la pile. Mais les autres couples qui feront cette demande, vous les lancerez contre un mur des lamentations administratives.
La seule échappatoire à cette aporie du texte – problème insoluble et inévitable –, c’est l’adoption internationale. S’il n’est pas possible de réaliser son projet dans son propre pays, autant aller voir à l’étranger.
La seule petite nuance en la matière, madame la garde des sceaux, c’est que, parmi les pays qui sont les premiers partenaires des ressortissants français en matière d’adoption internationale, nombreux sont ceux qui ne partagent pas votre politique de civilisation et les transformations que vous souhaitez faire subir à l’institution familiale.
La Russie en est un bon exemple. C’est l’une des cinq nations les plus sollicitées par les ressortissants français en matière d’adoption internationale. Les classements sont aléatoires selon les années, mais l’on voit la Russie osciller entre la troisième et la cinquième place de ce classement, avec une moyenne de 400 enfants russes adoptés par des couples français ou des célibataires français tous les ans.
Or la Russie ne souscrit pas du tout à votre politique. On n’ignore pas quel triste sort est encore réservé à ceux qui aiment des personnes de leur propre genre en Russie. On sait également les progrès que fait la société russe depuis vingt ans, mais le fait est que, en l’état actuel des choses, la Russie conservatrice et orthodoxe refusera très certainement de laisser des enfants être adoptés par des couples mariés homosexuels.
Cette situation n’est pas propre à la Russie, malgré ce que dit Mme Bertinotti, et concerne aussi de très nombreux pays du Sud, qui sont particulièrement attachés au prétendu conservatisme suranné que vous entendez dénoncer.
D’un trait, vous promettez des adoptions qui n’auront pas lieu, parce que là où vous vous bercez d’illusions, là où vous bercez des centaines de milliers de Français dans le mythe de la fondation d’une famille grâce au mariage des couples de même sexe, vous ne ferez que semer la frustration, la colère et l’incompréhension.
Au surplus, cela a été indiqué à plusieurs reprises, nous connaissons l’issue de ce paradoxe. C’est mécanique : c’est la PMA et la GPA ! Dans six mois ou dans six ans – j’espère que vous ne serez plus au pouvoir dans six ans – vous reviendrez devant nous pour nous parler d’égalité et de grands principes après nous avoir promis aujourd'hui du bout des lèvres en séance que ces questions-là n’avaient rien à voir avec votre projet de loi. Et nous serons alors dans le domaine décrit par Aldous Huxley dans Le Meilleur des Mondes, dont le titre reprend cette phrase ironique de Voltaire : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. »
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue, mais vous êtes arrivé au terme de votre intervention.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, c’est très gentil de me couper la parole…
M. le président. Je suis désolé, mais il faut respecter son temps de parole !
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote. (Marques de lassitude sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bruno Retailleau. Permettez-moi de préciser ma pensée, mon raisonnement eu égard aux réponses qui m’ont été apportées sur la compétence négative. Je ne visais pas les articles auxquels vous avez pensé, madame la garde des sceaux. En fait, je visais plutôt l’article 310 du code civil et d’autres articles relatifs à la possession d’état et à la reconnaissance de paternité.
Je ne prendrai qu’un seul exemple, car nous pourrions discuter très longtemps de ce que j’ai voulu caractériser.
Jusqu’à présent, deux obstacles fondaient l’interdiction faite aux couples de même sexe d’avoir accès à l’adoption : le premier était l’impossibilité de se marier ; le second est le principe d’ordre public qui s’oppose à la double filiation, qu’elle soit maternelle ou paternelle. Dès lors que ce principe d’ordre public tombe, c’est tout le droit de la filiation qu’il faut revoir. Telle est la première observation que je souhaitais faire.
Par ailleurs, je ne fais pas la même lecture que vous des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Deux décisions sont ici concernées : la première, de juin 2012, concerne la France, et la seconde, du 19 février 2013, concerne l’Autriche. Or, chose plutôt exceptionnelle, c’est la grande chambre de la CEDH qui pointe l’affaire française. Dès lors qu’il y a des situations juridiques identiques, qu’il s’agisse de la PMA ou de l’adoption, les cas doivent être traités de la même façon. La CEDH s’appuie sur le principe de non-discrimination, clef de voûte qu’elle tiendra envers et contre tout. Et je pense que ce principe prévaudra.
Toutefois, nous avons la conviction – je vous rassure, il ne s’agit pas là d’une question de génération, comme le disait mon excellent collègue Yves Pozzo di Borgo – que vous autoriserez la PMA avant même que la CEDH ait le temps d’être saisie et de statuer sur un cas français. C’est la deuxième observation que je souhaitais formuler.
Enfin, madame Bertinotti, et ce sera ma troisième observation, je comprends mieux aujourd’hui qu’avec la vision relativiste que vous avez des familles – pour ma part, je les respecte toutes – le Gouvernement ne cesse d’introduire des coins dans notre politique familiale, par exemple en remettant en cause l’universalité des allocations familiales, le quotient familial ou les déductions fiscales pour le service à domicile de gardes d’enfants.
Lorsque l’on vous écoute, madame la ministre, on comprend les visées du Gouvernement qui tendent à ébranler les éléments constitutifs du socle de notre politique familiale depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette politique donnait lieu à consensus. Vous avez finalement exprimé en peu de mots votre conception.
M. Bruno Retailleau. Elle explique parfaitement les prises de position du Gouvernement en matière de politique familiale en France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Madame la garde des sceaux, vous êtes, comme d’habitude, d’une grande habileté. Toutefois, je tiens à vous remercier d’avoir répondu avec respect à chacun des orateurs. Vos réponses sont ce qu’elles sont : nous pouvons vous rejoindre sur certaines d’entre elles, mais pas sur d’autres. En tout cas, elles ont le mérite d’exister.
Vous êtes d’ailleurs passée assez facilement d’un argument général plaidant pour le texte à un autre qui fait valoir l’intérêt supérieur de l’enfant.
Pour ma part, je partage vos propos concernant les enfants nés de la GPA. Ces derniers ne sont pas responsables de la façon dont ils ont été conçus et ils ne doivent pas en supporter les conséquences. Même si la GPA est interdite, il est tout à fait normal d’agir, car l’État français n’a pas su faire appliquer sa loi. Pour ma part, j’accepte tout à fait l’idée que le législateur ou le Gouvernement, suivant les cas, doive se préoccuper de leur situation.
Toutefois, l’intérêt supérieur de l’enfant nous inspire aussi les positions qui sont les nôtres en matière d’adoption plénière. Vous avez en quelque sorte diaboliquement,…
M. Michel Mercier. Oui, de manière diaboliquement habile !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. D’habitude, on me dit plutôt que je ressemble à un ange ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Ce serait beaucoup dire, mais je n’en ai jamais vu ! J’ai l’impression que vous les connaissez mieux que moi. (Nouveaux sourires.)
Je pense donc que vous avez été diaboliquement habile en faisant voter l’article 1er du projet de loi. Juridiquement, vous avez raison de dire qu’on ne touche pas aux effets du mariage, dès lors qu’il est simplement mentionné que « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». Toutefois, votre argumentation n’est-elle pas un peu brève, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant ? Quid du débat et du texte sur l’adoption plénière ?
M. Michel Mercier. Le débat a lieu, certes, mais sans texte ! Vous le savez bien, seul cet article concerne cette question. Un texte nous sera proposé un autre jour, nous dit-on. Néanmoins, nous parlons aujourd'hui de droit civil, l’adoption étant régie par ce dernier.
C’est pourquoi il convenait de rappeler très clairement les effets juridiques de l’adoption plénière. Celle-ci rompt la filiation existante au profit d’une nouvelle filiation, qui, elle, est complètement artificielle, puisque l’enfant est déjà né, avec une filiation.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il a été abandonné !
M. Michel Mercier. L’adoption plénière gomme cette filiation pour lui en substituer une autre. Cependant, s’ensuivent un certain nombre de conséquences, que je ne rappellerai pas toutes. Que deviendront, par exemple, les grands-parents initiaux de l’enfant, qui sont des créanciers alimentaires de ce dernier ? Le texte n’en parle pas. On ne sait donc pas ce qui se passera demain.
On se contente de nous dire que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe leur donne le droit d’adopter. C’est évident. Mais qu’en est-il du régime de la filiation, de l’adoption ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est à droit constant ! Les conséquences sont les mêmes !
M. Michel Mercier. Mais cet enfant est né de parents biologiques.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Ils l’ont abandonné !
M. Michel Mercier. Il fait l’objet d’une adoption, alors que cette question n’est pas réglée. Il faudra bien en parler un jour. L’intérêt supérieur de l’enfant aurait dû nous conduire à avoir un débat plus approfondi en la matière.
Par ailleurs, je partage aussi, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, les propos tenus par M. Milon lors de la présentation de l’amendement n° 210 rectifié : l’intérêt supérieur de l’enfant prime les intérêts des adultes en présence et impose de ne pas donner à l’enfant une « homofiliation ». Cela fait aussi partie de l’intérêt supérieur de l’enfant, celui-là même que vous avez invoqué pour justifier, à juste titre, l’action que vous avez menée pour les enfants nés de la GPA.
L’article 1er ayant été voté hier, ces deux amendements identiques sont notre dernier recours pour nous opposer à l’adoption plénière par des couples de même sexe.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Est-il réellement indifférent que l’enfant soit élevé ou non par l’homme, son père, et la femme, sa mère, qui lui ont donné la vie ? A-t-on le droit de priver délibérément un enfant de son père ou de sa mère, sauf en cas de défaillances graves ? D’ailleurs, même dans ces cas, les services sociaux semblent s’accorder à essayer de ne pas couper complètement les liens de l’enfant avec ses parents.
M. André Reichardt. Or n’est-ce pas ce qui risque de se produire avec l’instauration de l’adoption plénière par deux parents de même sexe et, surtout, à une échelle beaucoup plus grande, avec ce qui suivra immanquablement et dont on reparlera sitôt cette première loi votée, à savoir le recours à l’insémination artificielle, puis aux mères porteuses ?
Madame la garde des sceaux, vous avez indiqué tout à l'heure que nos craintes à l’égard de la PMA et de la GPA n’avaient pas lieu d’être. Pour reprendre peu ou prou vos propos, si la Cour européenne des droits de l’homme avait dû prendre une décision à cet égard, elle aurait déjà pu le faire compte tenu des cas d’ouverture du mariage homosexuel intervenus antérieurement dans d’autres pays d’Europe, notamment en Espagne.
Or, ainsi que l’a souligné notre collègue Bruno Retailleau, vous semblez oublier que ce n’est que très récemment, le 19 février dernier exactement, que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné l’Autriche, au nom de l’égalité, pour avoir refusé d’envisager l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère, alors que le père, qui versait une pension alimentaire et voyait régulièrement son enfant, s’y opposait. Nous sommes donc bien là dans ce cas de figure.
M. Alain Gournac. Voilà !
M. André Reichardt. Poser ces questions revient déjà à y répondre. La Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’ensemble des sociétés formant notre humanité, abonde d’ailleurs clairement en ce sens, dans son article 7 : l’enfant a « le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. »
Je me suis permis d’insister sur ce point, car c’est la dernière fois que nous pourrons – peut-être ! – influer sur le vote de nos collègues. Aussi, je voterai les amendements identiques nos 174 rectifié ter et 210 rectifié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 174 rectifié ter et 210 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Godillots ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous avez la mémoire courte !
M. le président. Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 152 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 164 |
Contre | 176 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Nos travaux sont très suivis sur les canaux spécialisés et sur internet, je le sais. Aussi aimerais-je expliquer aux personnes qui suivent la séance publique les raisons pour lesquelles un scrutin public vient d’être organisé. En fait, la gauche était minoritaire dans l’hémicycle. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir. Alors qu’ils étaient appelés à se prononcer sur une disposition importante, deux amendements identiques tendant à supprimer le dispositif relatif à l’adoption plénière, les sénateurs de la majorité ont demandé un scrutin public parce que les sénateurs des groupes de l’UMP et de l’UDI-UC étaient beaucoup plus nombreux en séance. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Claude Lenoir. Cette procédure permet en effet de faire voter les sénateurs qui ne sont pas présents dans l’hémicycle. Tel est le commentaire que je souhaitais faire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Article 1er bis (suite)
M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 81 rectifié quinquies, présenté par MM. Gélard, G. Bailly, Beaumont, Bécot et Billard, Mmes Bruguière et Cayeux, MM. César, Chauveau, Cléach, Couderc et de Legge, Mme Debré, MM. del Picchia et Delattre, Mmes Deroche et Des Esgaulx, MM. Doligé et du Luart, Mme Duchêne, MM. Dulait, Duvernois, Ferrand, J.P. Fournier, Gilles, Grosdidier et Houpert, Mme Hummel, M. Laménie, Mme Lamure, MM. Laufoaulu, Lecerf, Lefèvre, Legendre, Leleux, Lenoir, P. Leroy et Magras, Mme Mélot, MM. Milon, Paul, Pillet, Pintat, Pinton, Poniatowski, de Raincourt, Reichardt, Retailleau, Revet et Savin et Mmes Sittler et Troendle, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le titre VIII du livre Ier du code civil est abrogé.
La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Cet amendement est un peu une arme atomique ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
J’ai rendu hommage tout à l'heure au rapporteur pour ses efforts visant à harmoniser ou, à tout le moins, à faciliter les règles relatives à l’adoption. Toutefois, ceux-ci me paraissent insuffisants, car se posent d’autres problèmes, tout aussi importants et graves.
Ainsi, pour ce qui concerne l’adoption d’un enfant par le membre d’un couple homosexuel, il existe non pas une solution, mais cinq ou six solutions différentes. Certains enfants ne seront pas adoptables parce qu’ils ont un père et une mère, tandis que d’autres ne le seront pas pour d’autres raisons. Certains seront adoptables par adoption plénière, d’autres par adoption simple et d’autres ne le seront pas du tout. C’est une atteinte au principe d’égalité. Or les conséquences de ces différentes situations n’ont pas été examinées dans l’étude d’impact du projet de loi.
Face à cette situation, je ne vois qu’une seule solution : mettre en stand by notre législation relative à l’adoption, qui est devenue totalement inadaptée. (M. Jean-Claude Lenoir applaudit.)
Je rappelle que l’adoption plénière est irrévocable. Elle ne peut donc pas tenir compte des risques éventuels, tels que le divorce.
C'est la raison pour laquelle je vous propose, mes chers collègues, d’abroger le titre VIII du livre Ier du code civil relatif à l’adoption, en attendant que soit adoptée cette grande loi sur la famille dont on parle depuis le début de nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. le président. L'amendement n° 208 rectifié bis, présenté par MM. Milon et Pinton et Mme Létard, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 345-1 du code civil est ainsi rédigé :
« Art. 345-1. – L’adoption plénière de l’enfant de l’un des conjoints ou de l’un des partenaires peut être demandée par son conjoint ou son partenaire s’il est de sexe différent. Elle est permise :
« 1° Lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint ou de ce partenaire, ou lorsqu’il a été adopté plénièrement par ce seul conjoint ou partenaire et n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce dernier ;
« 2° Lorsque l’autre parent que le conjoint ou partenaire s’est vu retirer totalement l’autorité parentale ;
« 3° Lorsque l’autre parent que le conjoint ou partenaire est décédé et n’a pas laissé d’ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant. »
La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Dans la mesure où il tend à réécrire l’article 1er bis du projet de loi, cet amendement aurait eu tout son sens si les amendements de suppression nos 174 rectifié ter et 210 rectifié avaient été adoptés. Je le maintiens malgré tout, car cette proposition me permet de m’exprimer sur la question de l’adoption plénière.
Nous estimons que l’intérêt supérieur de l’enfant, qui prime les intérêts des adultes en présence, impose de ne pas donner à celui-ci une « homofiliation » qui le ferait apparaître sur l’état civil comme issu de deux hommes ou de deux femmes.
À la suite de Bruno Retailleau, je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère qu’on ne doit pas discriminer une famille homoparentale, peut nous condamner pour discrimination, non pas sur la filiation mais sur la parentalité ; à cet égard, le Gouvernement est peut-être en train de commettre une confusion.
L’adoption simple permet de reconnaître la famille homoparentale tout en préservant l’intérêt de l’enfant, qui réside dans sa filiation. En revanche, l’adoption plénière pour deux personnes de même sexe priverait l’enfant d’une filiation conforme à la réalité biologique.
Il y a évidemment plusieurs formes de parentalité, par exemple les familles monoparentales ou recomposées, mais chacun d’entre nous a une seule filiation. C’est pourquoi l’adoption plénière est irrévocable. L’enfant peut avoir des beaux-parents, au gré des unions et des désunions des adultes, mais il a droit à la pérennité de son statut sur le plan de la filiation.
En voulant l’adoption plénière pour les couples homosexuels, vous faites preuve d’une certaine hypocrisie – excusez-moi du terme, je n’en ai pas trouvé d’autre. Au bout du compte, en effet, vous avez l’intention de la détruire, parce que l’adoption par un couple homosexuel n’entre pas dans la filiation classique du titre VIII du livre Ier du code civil. Il sera donc nécessaire de déclasser cette adoption plénière.
D’ailleurs, Mme Bertinotti et M. Sueur veulent revoir l’état civil des adoptés pléniers, qui est actuellement le même que celui des enfants classiques, ce qui serait une régression par rapport à la loi du 5 juillet 1996 relative à l’adoption. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. L'amendement n° 238, présenté par Mmes Benbassa, Ango Ela et Bouchoux, M. Desessard, Mme Aïchi, M. Labbé et Mme Lipietz, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
L’article 345-1 du code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « quel que soit le mode de conception de l’enfant » ;
2° Après le 1°, il est inséré un 1°bis ainsi rédigé :
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Je défendrai en même temps cet amendement et l'amendement n° 239 à l’article 1er ter, car ils ont le même objet ; le premier vise l’adoption plénière, le second l’adoption simple.
En l’état actuel de notre droit, une personne peut adopter l’enfant de son conjoint de manière plénière ou simple, dans les conditions prévues par la loi. À cet égard, le droit n’opère aucune distinction entre les enfants, ce qui est heureux. Faut-il rappeler que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ?
Toutefois, depuis deux arrêts de la Cour de cassation de 1991 et 2003, on observe une véritable rupture d’égalité entre les enfants en fonction de leur mode de conception. En effet, la Cour de cassation a refusé l’adoption par le conjoint du parent d’un enfant né par gestation pour autrui à l’étranger, au motif que cette pratique contrevenait à l’ordre public français.
J’insiste une nouvelle fois : il ne s’agit pas ici de légaliser la GPA en France. Il s’agit de faire primer l’intérêt supérieur de l’enfant et le principe d’égalité, sans autre considération morale. Pour cela, nous souhaitons prévoir aux articles 345-1 et 360 du code civil que l’adoption de l’enfant du conjoint peut et même doit être prononcée en tenant compte uniquement de l’intérêt supérieur de l’enfant – cet intérêt que, chers collègues de l’opposition, vous invoquez inlassablement depuis plusieurs jours ! –, et non de son mode de conception.
Ces deux amendements visent simplement à assurer le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que j’ai citée il y a quelques instants, ainsi que celui de la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci, dans son article 3-1, stipule que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Mes chers collègues, la véritable manière de prendre en compte l’intérêt d’un enfant est de préparer à ce dernier un avenir digne de ce nom ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)