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Dossier législatif : proposition de loi relative à l'accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers
Discussion générale (suite)

Accueil et prise en charge des mineurs isolés étrangers

Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers
Article 1er (irrecevabilité)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, la discussion de la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers (proposition n° 154, texte de la commission n° 341, rapport n° 340).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Arthuis, auteur de la proposition de loi.

M. Jean Arthuis, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est parce que j’ai acquis la conviction que nous n’assumons pas notre responsabilité face aux arrivées de plus en plus nombreuses de mineurs isolés étrangers que j’ai déposé cette proposition de loi relative à leur accueil.

Nous ne pouvons pas plus longtemps nous donner bonne conscience en laissant aux seuls départements le soin d’accueillir tous ces jeunes immigrants !

Le rapporteur, René Vandierendonck, nous rappelle que le phénomène des mineurs isolés étrangers est apparu à la fin des années quatre-vingt-dix. Depuis lors, il n’a cessé de prendre de l’ampleur, pour atteindre aujourd’hui des niveaux que l’on peut qualifier d’alarmants.

En dépit des rapports successifs – celui du préfet Bertrand Landrieu en 2003, celui des inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2005, celui de notre collègue Isabelle Debré, au mois de mai 2010 –, aucune mesure concrète n’a été mise en œuvre. Aussi, les services de l’aide sociale à l’enfance, gérés par les conseils généraux, ont dû faire face à des arrivées de plus en plus nombreuses. Dans certains départements, la concentration est telle que les capacités d’accueil sont saturées et les missions éducatives menacées. C’est dans ce contexte que plusieurs présidents de conseil général ont pris des arrêtés tendant à suspendre l’accueil des mineurs isolés étrangers au sein des structures dont ils ont la charge. Mesures pathétiques, signaux d’alarme, appels au secours.

L’État et l’Assemblée des départements de France – l’ADF – ont signé, le 31 mai 2013, un protocole destiné à corriger les disparités observées, en la matière, entre les conseils généraux.

Le département où le jeune mineur s’est présenté est tenu d’évaluer sa minorité et son état d’isolement. Il peut bénéficier à ce titre d’un remboursement forfaitaire de l’État de 250 euros par jour dans la limite de cinq jours. Si le jeune est reconnu mineur, il est confié à l’aide sociale à l’enfance, éventuellement dans un autre département choisi sur la base d’un « dispositif d’orientation national » répartissant, entre les départements, les mineurs isolés étrangers pris en charge. Cette mesure surprend par son inhumanité !

Comment peut-on justifier de semblables méthodes, exclusives des critères linguistiques, faisant fi des capacités d’accueil et des moyens éducatifs ? Je m’étonne, madame la garde des sceaux, que vous ayez pu valider un tel dispositif, qui opère une sordide péréquation géographique, comme si l’accueil d’un flux de plus en plus important de mineurs isolés étrangers était une fatalité.

C’est aussi parce que j’exerce les fonctions de président de conseil général, en Mayenne, que j’ai cru devoir prendre l’initiative de cette proposition de loi. Ce sont les services de l’aide sociale à l’enfance de mon département qui m’ont alerté.

Le protocole du 31 mai a eu l’effet d’un accélérateur. Au cours des seuls mois de juin et de juillet suivants, nous avons soudainement accueilli autant de mineurs isolés étrangers que durant les douze mois précédents.

Or, en vérité, la plupart de ces jeunes sont majeurs. L’authenticité des certificats de naissance ne peut être vérifiée et les examens médicaux dans un centre agréé font l’objet de rendez-vous fixés au-delà d’un mois d’attente. Au demeurant, ces examens sont peu probants. Comment tenir le délai de cinq jours, alors que les rendez-vous sont fixés à de telles échéances ?

De surcroît, les réponses formulées par ces jeunes sont codifiées, selon des éléments de langage convenus, ce qui accrédite le rôle des filières organisées : « Mes parents ont été emprisonnés, mes grands frères m’ont hébergé mais ils n’ont malmené. Je me suis réfugié chez un voisin. Ce dernier réalisant des affaires commerciales avec la France m’a proposé un jour de m’y emmener. À notre arrivée à Paris, il m’a abandonné dans un café, me privant de mes papiers. Quelqu’un, rencontré au hasard, m’a suggéré de me rendre à Laval, en Mayenne. »

M. Éric Doligé. Bonne idée ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC.)

M. Gérard César. En effet !

M. Jean Arthuis. Il s’agit, à n’en pas douter, d’un département attractif !

Ce récit est répété à l’envi par des jeunes originaires d’Afrique subsaharienne. Des éléments de langage sont déterminés à leur intention par des passeurs.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Éric Doligé. C’est évident !

M. Jean Arthuis. À l’exaspération des travailleurs sociaux, qui ne sont pas préparés à accomplir ces missions d’identification et d’évaluation, s’ajoutent de nombreux problèmes de compréhension et d’interprétariat. Et je ne parle même pas de la cohabitation, particulièrement difficile dans les foyers, entre ces adultes immigrants et les jeunes, souvent en bas âge, issus de familles locales dont les juges ont considéré qu’elles n’étaient pas aptes à assurer leur sécurité et leur éducation.

Madame la garde des sceaux, dans un premier temps, j’ai constaté que les magistrats ne prenaient pas en compte votre circulaire résultant du protocole du 31 mai, et qu’ils étaient aidés en cela par des associations telles que France terre d’asile, implantée localement, notamment en Mayenne.

Au mois de septembre, j’ai eu le privilège d’accueillir dans mon département les responsables de la cellule nationale de coordination pilotée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ. À cette occasion, on m’a indiqué que de nombreuses demandes étaient écartées en région parisienne. Las, aucune trace de ces refus n’est conservée. Un mineur isolé étranger écarté en Seine-Saint-Denis peut ainsi tenter sa chance dans tous les autres départements !

Nous sommes évidemment en présence de filières. Notre devoir est de réagir.

À cet égard, puis-je rappeler que le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a recommandé à la France, au mois de juin 2009, d’intensifier sa lutte contre la traite des enfants, organisée notamment à des fins d’exploitation sexuelle ? Est-ce la tâche de l’État ou celle des services de l’aide sociale à l’enfance dispersés sur le territoire national ?

Au surplus, comment évaluer l’âge de ces jeunes ? J’ai donné instruction à mes services de faire appel des décisions de placement depuis l’été 2013. Sur dix cas, deux minorités seulement ont été confirmées en appel. Les huit autres dossiers ont été rejetés.

Par ailleurs, l’évaluation des flux reste incertaine. Lors de l’établissement du protocole, les flux d’entrée sur le territoire national étaient évalués à 1 500 personnes. Selon le rapport de la commission des lois, ce chiffre était estimé, au mois de janvier dernier, à 4 020 mineurs isolés étrangers en année pleine. Je gage que leur nombre est, dans les faits, sensiblement supérieur.

Ensuite, que deviennent ces jeunes lorsqu’ils quittent les services de l’aide sociale à l’enfance ? J’ai pu le vérifier dans mon département : dans presque tous les cas, faute d’obtenir des services de l’État leur régularisation, ils demandent l’asile. Leur requête est en général rejetée, et ils disparaissent aussitôt dans la clandestinité.

Au bout du compte, notre législation protégeant l’enfance et la famille sert de vecteur à une immigration clandestine. Quant au dispositif de péréquation nationale des mineurs isolés étrangers, il fait justice de la fiction selon laquelle l’accueil de ces jeunes peut être une responsabilité purement locale.

M. Éric Doligé. C’est évident !

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean Arthuis. Dès lors, soyons conséquents et confions à l’État la responsabilité de l’accueil des mineurs isolés étrangers.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

En premier lieu, nous proposons de rétablir l’État dans ses responsabilités. Comme l’ont suggéré tous les rapports consacrés à cette question, il lui revient d’organiser, à l’échelon régional ou interrégional selon l’importance des besoins locaux, l’accueil et l’examen des dossiers de tous les mineurs isolés étrangers, qu’ils aient été repérés – par les services de police, par les maraudes d’associations, etc. – ou qu’ils se soient présentés d’eux-mêmes aux services de l’aide sociale à l’enfance ou à une association.

Bien sûr, ce dispositif ne s’appliquerait pas à l’ensemble des jeunes étrangers, comme le craignait le rapporteur. Les mineurs qui sont sous la garde de leurs parents n’ont nul besoin d’être recueillis par l’aide sociale à l’enfance et placés conséquemment en centre d’accueil pour que l’on évalue leur minorité et leur isolement. La présente proposition de loi n’indique rien de tel !

Dans les faits, ce dispositif devrait assurer l’hébergement des jeunes se présentant comme mineurs isolés étrangers. Surtout, grâce au concours des services compétents de l’État, il devrait permettre de mobiliser tous les moyens nécessaires pour établir l’identité de ces jeunes ; pour examiner l’authenticité des documents qu’ils présentent, lorsqu’ils en présentent ; pour vérifier leur état de minorité et d’isolement ; et pour procéder à un bilan complet de leur situation et leur proposer soit un retour dans leur famille ou leur pays d’origine, soit une aide en vue de définir un projet personnel. En agissant ainsi, l’État se donnerait sans doute les moyens d’identifier les filières en cause pour mieux les éradiquer. Les résultats de cette évaluation seraient transmis au juge des enfants.

En deuxième lieu, l’État devrait assumer la prise en charge financière des mineurs isolés étrangers confiés par décision de justice, à l’issue de la phase d’évaluation, à l’aide sociale à l’enfance ou à une structure privée compétente – habilitée ou agréée. De fait, il est plus digne de recourir à la solidarité nationale que d’organiser la répartition de ces mineurs sur tout le territoire pour tenter d’équilibrer les charges indûment et inégalement supportées par les seuls départements.

Madame la garde des sceaux, il est accablant de voir un taxi partir avec un mineur à son bord, vers un département qui lui a été arbitrairement attribué comme lieu d’installation ! Des pratiques de ce type ne sont pas conformes à notre idéal humaniste.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Disons même de charité !

M. Jean Arthuis. Enfin, en troisième lieu, il convient de compléter ce dispositif en créant un fichier national des mineurs isolés étrangers accueillis sur notre territoire.

Mes chers collègues, la commission estime qu’un fichier biométrique n’est pas nécessaire pour assurer la protection de ces mineurs. Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a souligné la Commission européenne, les fréquentes disparitions de jeunes revêtent un caractère très préoccupant. Ces derniers sont sous la protection des autorités nationales et, lorsqu’ils fuguent, ils sont en situation de grand danger. Le respect de nos obligations internationales impose donc que nous soyons en mesure de les rechercher, et de les identifier s’ils sont repérés ou interpellés après avoir fugué.

Bien sûr, nous proposons un gage. Le rapport de la commission relève que le présent texte implique un transfert de compétences et doit, en conséquence, comprendre un mécanisme de compensation financière au sens de l’article 72-2 de la Constitution. C’est exact, et l’exposé des motifs en fait d’ailleurs état.

M. Pierre-Yves Collombat. Et l’article 40 ?

M. Jean Arthuis. Toutefois, les règles de recevabilité formelle des propositions de loi exigeaient de sacrifier au rite du gage.

Au reste, vous connaissez mon opinion personnelle sur l’article 40 de la Constitution : lors de la dernière révision constitutionnelle, je vous ai proposé de le supprimer, en vue de responsabiliser le Parlement !

Il n’est pas question de caricaturer notre démarche en disant : « Puisque cette attribution coûte cher aux départements, il suffit de la transférer à l’État : les conseils généraux feront ainsi des économies ! » Il est clair que, si l’État assure l’accueil et la prise en charge de ces mineurs, les dépenses que les départements assument aujourd’hui à ce titre seront compensées à l’État.

La commission estime qu’il faut prendre le temps de la réflexion parce que l’on attend un rapport pour le 15 avril,…

M. Bruno Sido. Encore un rapport !

M. Jean Arthuis. … parce que le comité de suivi des mises en œuvre du dispositif national ne s’est encore réuni que deux fois, parce qu’un nouveau projet de loi relatif à la décentralisation est en préparation. Que de motifs, que de prétextes pour ajourner une nouvelle fois la décision ! De son côté, le Gouvernement fourbit sans doute tranquillement l’arme absolue de l’article 40…

Pendant ce temps, et depuis l’été dernier, s’applique un protocole qui est bien loin de répondre aux exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant et à celles du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, en matière de protection des mineurs isolés. Ce texte bouscule les compétences des juges des enfants et ne résout pas pour autant les problèmes auxquels les départements sont confrontés.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, tout nouvel ajournement serait un signe accablant d’esquive face au devoir de gouverner. L’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers ne peuvent en aucune façon se résumer à une simple péréquation territoriale.

Je garde l’espoir que nous progressions aujourd’hui, enfin. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Vandierendonck, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la commission a examiné, le mercredi 5 février dernier, la proposition de loi relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers déposée par Jean Arthuis et plusieurs de nos collègues.

Avant de résumer le contenu du présent texte et la position de la commission, je tiens à préciser que, en tant que rapporteur, et comme nombre d’entre vous, je partage une grande partie du diagnostic quant à la gravité de la situation des mineurs isolés étrangers, phénomène migratoire apparu à la fin des années quatre-vingt-dix et qui, pour la première fois, a été pris en compte par un gouvernement, avec l’émission d’une circulaire au mois de mai dernier.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout de même !

M. René Vandierendonck, rapporteur. Je me range à la nécessité d’une réforme du dispositif, eu égard à la croissance des besoins. Il est parfaitement exact que quelque 8 000 mineurs isolés étrangers sont présents sur notre territoire et relèvent des services départementaux de l’aide social à l’enfance. Le ministre chargé des relations avec le Parlement a livré voilà quelques jours à l’Assemblée nationale une estimation du flux annuel d’entrée de l’ordre de 4 020 personnes, extrapolée au vu des travaux du comité de suivi, six mois après la mise en œuvre de la circulaire.

La forte concentration dans certains départements de la population en cause – c’est l’une de ses caractéristiques – s’explique soit par la géographie – zone frontalière, présence d’un aéroport international, etc. – soit, ainsi que l’indiquait M. Mercier, par la présence de communautés étrangères sur certains territoires ou par la tradition d’accueil et d’ouverture de ceux-ci. Ainsi, entre le 1er juin et le 31 décembre 2013, une douzaine de départements ont accueilli plus la moitié des jeunes arrivés spontanément évalués mineurs et isolés. Bien que la commission n’ait disposé que d’une semaine, nous avons tout de même pu établir une cartographie actualisée.

Cela étant, il n’existe pas de définition juridique de la population des mineurs isolés étrangers, ce qui rend cette notion plus difficile encore à appréhender. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA, n’évoque les mineurs que pour interdire leur éloignement au titre d’une obligation de quitter le territoire français, à l’article L. 511-4, ou d’une expulsion, à l’article L. 521-4.

Le même code prévoit que le mineur étranger dépourvu de représentant légal sur le territoire français doit se voir désigner un administrateur ad hoc pour l’assister et assurer sa représentation auprès de l’administration, aussi bien en zone d’attente que dans ses démarches en vue d’obtenir l’asile.

Revenons aux fondamentaux ! Ces dispositions sont la traduction dans le droit français des engagements internationaux que notre pays a contractés – c’est tout à son honneur –, en particulier de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’article 22 de ce texte dispose : « Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder, selon les principes énoncés dans la présente Convention, la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit. » J’y insiste : la même protection que tout autre enfant.

La prise en charge des mineurs isolés étrangers est assurée par les services de l’aide sociale à l’enfance. Il s’agit d’une compétence obligatoire des départements, en application des lois Deferre, modifiées par la loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance.

Cette compétence, réaffirmée par la loi du 5 mars 2007, est triple : les départements doivent assurer d’une part, la mise à l’abri des mineurs, sitôt repérés par les services de l’aide sociale à l’enfance ou par une association agréée, d’autre part, leur évaluation et leur orientation, afin de vérifier leur minorité présumée et leur isolement, enfin, leur accueil à plus long terme après décision judiciaire de placement définitif.

Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, de nombreux départements en appellent à l’État pour les aider à financer la prise en charge de cette population. J’ai cité l’exemple de la Seine-Saint-Denis, anciennement présidée par Claude Bartolone, et j’ai rappelé la réponse apportée par la péréquation interdépartementale, certes limitée au ressort des tribunaux d’Île-de-France, qu’avait instaurée M. Mercier, votre prédécesseur, madame la garde des sceaux. Ces mesures présentent un coût incontestable pour les départements, estimé, par l’Assemblée des départements de France, à 250 millions d’euros par an.

Les départements relèvent également, à raison, tant les problèmes liés à la formation de leur personnel afin d’assurer la prise en charge des mineurs isolés étrangers – il faut notamment garantir si nécessaire le recours à un interprète – au cours de la phase d’évaluation des jeunes que la question de l’adéquation des capacités d’accueil aux besoins.

Selon les chiffres bruts, les mineurs en cause ne représenteraient que 3 % ou 4 % des bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance. Mais une analyse plus fine à l’issue des six mois de recul dont nous disposons maintenant fait apparaître que, parmi les mineurs isolés étrangers, 27,8% sont âgés de quinze ans, 48,5 % de seize ans et 11,9 % de dix-sept ans. Les difficultés tiennent donc à certaines tranches d’âge et aux structures d’accueil des départements. Je ne conteste pas ces données : dans le court laps de temps dont je disposais, j’ai pu établir le même constat.

La proposition de loi préconise une nouvelle répartition des compétences entre État et les départements. En ces temps de décentralisation, vous proposez, en quelque sorte, une recentralisation ! (Mme la garde des sceaux sourit.)

M. René Vandierendonck, rapporteur. À l’État reviendrait la compétence pour la première phase d’accueil, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés. Pour cela, à l’article 5 du texte est proposée la création de centres provisoires régionaux ou interrégionaux d’hébergement.

Les départements seraient, pour leur part, compétents pour la mise à l’abri en urgence durant les premières soixante-douze heures, ainsi que pour la prise en charge sur le long terme de ces mineurs, qui ne seront pas distingués des autres. Cette dernière compétence serait néanmoins financée par l’État. En effet, la proposition de loi vise à imputer à celui-ci les frais de prise en charge des mineurs isolés étrangers confiés, en application d’une mesure judiciaire d’assistance éducative, à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ou à un service ou un établissement habilité pour l’accueil de mineurs.

Vous nous faites remarquer, mon cher collègue - les éléments recueillis au cours de mes entretiens avec des juges des enfants vont dans le même sens –, le manque de statistiques sur le devenir de ces individus devenus majeurs permettant un suivi digne de ce nom.

Vous prônez, par ailleurs, la création d’un fichier recensant les demandeurs du statut de mineur isolé étranger. J’ai pris le temps d’interroger sur ce point la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui, dans ses premières réponses, n’en contestait pas l’opportunité ni le bien-fondé, tout en s’interrogeant, conformément à la loi, sur la proportionnalité de l’usage des données biométriques aux finalités poursuivies.

Cette proposition de loi existe, elle est issue d’un constat partagé. Jean-Pierre Michel pourra le confirmer, lui qui a rendu à la fin du mois de décembre un rapport sur la protection judiciaire de la jeunesse à Mme la garde des sceaux. Il fait siennes, d’ailleurs, les observations de notre collègue Isabelle Debré, sans doute la meilleure spécialiste de cette question. Il conclut comme vous à la nécessité d’organiser, dans l’intérêt de l’enfant, au moins la première phase d’évaluation, de contrôle de l’identité, d’orientation à l’échelon régional ou interrégional.

J’en viens au travail réalisé par la commission sur cette proposition de loi. Elle est unanime quant au diagnostic. Elle a relevé également les disparités incontestables entre départements et compris leur impatience, même s’il faut reconnaître au Gouvernement le mérite de s’être saisi du problème pour la première fois.

M. Philippe Bas. C’est faux ! Michel Mercier s’en était occupé !

M. René Vandierendonck, rapporteur. Il le fait de manière concertée. Un comité de suivi du protocole, au sein duquel le Sénat est représenté, a été constitué. Il s’est réuni à deux reprises, aux mois d’octobre et de janvier derniers.

Parallèlement, les trois ministres signataires ont mandaté l’Inspection des services judiciaires, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’administration afin de produire un rapport qui devra être remis avant le 15 avril prochain. Au début du même mois, je suis bien placé pour le savoir, nous examinerons un texte législatif concernant les régions et les départements.

J’ai donc proposé en commission, à titre personnel, d’attendre les conclusions de ces différents travaux avant de légiférer. Nous nous connaissons bien, vous ne pouvez pas me soupçonner de menées dilatoires. Mon seul objectif est d’attendre d’avoir rassemblé toutes ces données pour revenir dans quelques mois sur ce sujet, dont je ne néglige en aucune manière l’importance, ainsi que l’indiquent nos échanges, monsieur Arthuis.

J’ai également relevé les difficultés juridiques que présente la proposition de loi, telle qu’elle est rédigée.

Elle comporte, tout d’abord, un risque d’atteinte au principe de non-discrimination, puisque, à l’article 1er, alinéa 2, les mineurs isolés étrangers sont désignés par référence au 1° de l’article L. 511-4 et à l’article L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Sans mener contre vous un procès d’intention, je vous invite à être attentif : quand les services de l’aide social à l’enfance prennent en charge un jeune fugueur, comment savoir si celui-ci sera déclaré mineur étranger isolé ou si une autorité parentale pourra être identifiée ?

M. Éric Doligé. Il ne faudrait pas non plus être excessivement naïf !

M. René Vandierendonck, rapporteur. Je ne prétends pas faire mien le métier que vous exercez excellemment, mais il s’agit bien là d’une première difficulté juridique.

Il en est de même pour l’obligation des compensations financières. On a ici surtout – la Haute Assemblée représente les collectivités territoriales – l’habitude de dire que, s’il y a transfert de charge, il doit y avoir compensation. Mais je rappelle seulement que l’obligation constitutionnelle de compensation financière en cas de transfert de charge joue dans les deux sens. (M. Jean Arthuis s’exclame.)

M. René Vandierendonck, rapporteur. Cela dit, en dépit du délai de trois mois que je réclamais pour approfondir l’analyse et des arguments juridiques que j’ai avancés, la commission des lois a considéré que le débat devait avoir lieu aujourd'hui en séance publique, et elle a eu raison.

C’est pourquoi je vous soumets, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, le texte non modifié de la proposition de loi, en espérant que le débat pose les jalons d’un dispositif renouvelé sur la question des mineurs isolés étrangers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées de l'UMP. – Mme Hélène Lipietz et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le sujet que nous traitons cet après-midi au travers de cette proposition de loi est extrêmement sérieux, délicat et difficile. D’ailleurs, dès le premier jour, le Gouvernement l’a abordé à sa pleine mesure et a tenu à apporter une réponse durable.

Aussi, dès le 1er juin 2013, nous avons mis en place un protocole national permettant d’apporter des réponses à la situation que rencontrent plusieurs départements français.

Je veux simplement rappeler que, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités en mai 2012, nous avons été alertés à la fois par le président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, et par le maire de Paris – Paris étant à la fois une ville et un département –, ces deux départements nous ayant envoyé les alertes les plus fortes avant ceux de l’Ariège, de l’Ille-et-Vilaine et de quelques autres encore.

Quelle était alors la situation ?

La situation était extrêmement tendue : les mineurs arrivaient dans ces départements en nombre plus important qu’ailleurs mais, surtout, le dispositif les concernant arrivait à échéance en juillet 2012.

Permettez-moi de rappeler ici le contenu de ce dispositif car j’ai entendu à plusieurs reprises des sénateurs évoquer l’action de M. Mercier tandis que vous vous exprimiez à la tribune, monsieur Arthuis.

Oui, M. Mercier avait pris un certain nombre de dispositions – car aucun gouvernement responsable ne peut, me semble-t-il, se montrer indifférent à une telle situation ! –, et il avait fait signer une convention entre ces départements – notamment les deux départements précités – et des associations qui assuraient l’accueil de ces mineurs, laquelle arrivait à échéance en juillet 2012.

J’ai pris la décision de proroger cette convention d’un trimestre, et j’ai immédiatement engagé un certain nombre de discussions avec les premiers présidents de conseils généraux concernés. Très rapidement, j’ai également sollicité le président de l’Assemblée des départements de France, M. Claudy Lebreton. J’espérais alors – peut-être ai-je été un peu optimiste ? – que nous trouverions des solutions durables pendant ce trimestre. Il s’est avéré que les discussions ont été plus difficiles que prévu et les solutions plus compliquées à mettre en œuvre. Aussi ai-je décidé de proroger, de nouveau, cette convention de trois mois, soit jusqu’à la fin de l’année 2012.

Grâce au volontarisme très fort du président Claudy Lebreton, nous avons pu très vite mettre en place un groupe de travail rassemblant l’Assemblée des départements de France, la Chancellerie, le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires sociales et de la santé. Là encore, j’espérais que nous parviendrions assez rapidement à une solution durable. Mais il a fallu travailler plus longtemps que prévu sur cette question, et c’est en mai dernier que nous avons pu signer un protocole engageant l’État au travers des trois ministères précités et l’Assemblée des départements de France.

Ce protocole national permet d’organiser une solidarité sur l’ensemble du territoire et, dans ce cadre, un comité de suivi a été installé, qui travaille de façon tout à fait sérieuse et rigoureuse.

Nous avions procédé à une estimation du nombre de mineurs qu’il conviendrait de prendre en charge annuellement, estimation qui avait été établie de manière consensuelle : les parties concernées avaient mis à disposition les éléments d’information dont elles disposaient. Ainsi, nous évaluions à quelque 1 500 le nombre de mineurs isolés étrangers à prendre en charge par an.

Grâce au travail sérieux du comité de suivi, nous disposons aujourd'hui de chiffres réels, et non d’estimations. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis totalement transparente sur ce point – le comité de suivi ainsi que tous les partenaires concernés reconnaissent d’ailleurs que, au moins sur les chiffres, la transparence est absolument totale ! – : en huit mois, 2 515 mineurs ont été pris en charge. Cela signifie que, en année pleine, en projection linéaire, 4 000 mineurs seraient pris en charge. C’est plus que ce qui avait été estimé, de manière consensuelle, je le rappelle. Mais c’est la vérité des chiffres ! Les remontées du terrain que nous avons organisées nous permettent de connaître exactement le nombre de mineurs identifiés, pris en charge et répartis.

Mesdames, messieurs les sénateurs, 4 000 mineurs, cela représente à peu près 4 % de l’ensemble des mineurs pris en charge, je dis bien : 4 % !

Monsieur Arthuis, votre proposition de loi vise à exclure ces mineurs du dispositif de droit commun, de prise en charge, sur le seul critère de leur origine étrangère. En effet, vous ne modifiez pas l’article L. 112–3 du code de l’action sociale et des familles ; vous introduisez un dispositif dérogatoire. C’est donc sur la seule base de leur origine nationale que vous excluez ces mineurs du dispositif de droit commun. À preuve, d’ailleurs, vous ne mettez pas en cause l’assistance éducative, pas plus que l’intervention du juge des tutelles.

Je n’ai pas l’intention de sous-estimer les difficultés que rencontrent les collectivités, notamment les conseils généraux. J’ai prorogé par deux fois le dispositif prévu par M. Mercier, en trouvant les crédits nécessaires, puisque ceux-ci n’étaient pas prévus – le dispositif était censé mourir, je le rappelle, en juillet 2012. En outre, j’ai mis en place un groupe de travail sérieux, qui a permis d’aboutir au protocole national, lequel s’est d’abord traduit par la circulaire du 31 mai 2013. Voilà autant d’éléments qui prouvent que nous prenons au sérieux les difficultés auxquelles sont confrontés ces conseils généraux.

Enfin, il nous faut reconnaître que la situation est tendue depuis des années. Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur Arthuis, et de nombreux sénateurs ont abondé en ce sens : vous êtes nombreux ici – la chambre haute, l’assemblée des collectivités – à être maires et, surtout, présidents de conseil général, et vous connaissez donc la situation.

À qui fera-t-on croire que 4 % de mineurs isolés étrangers sont la cause, l’alpha et l’oméga, des tensions qui pèsent incontestablement sur les infrastructures, la logistique et les budgets des conseils généraux ?