PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le juriste et homme politique britannique James Bryce affirmait que si les institutions sont au corps politique ce que le squelette est à l’organisme humain, les partis politiques en constituent les muscles et les nerfs.
Ce sont bien les partis politiques, dans leur diversité, qui contribuent au bon fonctionnement de la démocratie et qui la font vivre, conformément d’ailleurs aux termes de l’article 4 de notre Constitution.
Il me paraît donc primordial de réaffirmer ici, en préambule, toute l’importance qu’ont ces partis politiques au regard de la reconnaissance de candidats « sans étiquette ». J’y tiens, car la tendance à la méfiance et au dénigrement des partis politiques, accompagnée d’une revendication de prétendue « dépolitisation » et de neutralité recèle, en réalité, un danger important pour la démocratie. Pour reprendre l’image utilisée par James Bryce, la disparition des partis reviendrait à « décharner » notre squelette institutionnel.
En outre, cette prétendue « dépolitisation », traduite par l’absence d’étiquette, relève souvent davantage d’une posture et d’une volonté de récupération politicienne que d’une véritable neutralité politique, dont on ne sait d’ailleurs trop ce qu’elle signifie.
Faire de la politique signifie faire des choix et prendre position ; il n’existe pas de décisions et de choix « neutres ».
Par ailleurs, force est de constater que la plupart de ceux qui affirment n’être affiliés à aucun parti sont tout de même bel et bien rattachés à la droite… (Mme Esther Sittler le conteste.)
Pour en venir au cœur du débat, cette proposition de loi vise à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants. Son dépôt fait suite aux dernières élections municipales, à l’occasion desquelles des listes se revendiquant « sans étiquette » se sont vu attribuer des « nuances politiques », qu’elles ont découvertes lors de la parution du fichier officiel des candidatures diffusé par le ministère de l’intérieur et qui ne les satisfaisaient pas toujours.
Depuis cette année, le mode de scrutin applicable aux communes de 1 000 à 3 499 habitants est aligné sur celui déjà en vigueur pour les plus grandes communes.
Outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires, les candidats ont dû déclarer une « nuance politique » figurant dans la nomenclature officielle établie par le ministère de l’intérieur pour « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux » et « apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment donné de notre histoire ».
La « nuance », attribuée par l’administration, se veut distincte de l’« étiquette », choisie par le candidat, et du parti politique. La nuance, notion plus large que celle d’étiquette, correspond à un parti, à un mouvement ou à une tendance politique.
À gauche, la nomenclature distingue, par exemple, les listes « socialistes » des listes d’« union de la gauche », investies par le parti socialiste et un autre parti de gauche, et des listes « divers gauche », où sont représentées le parti radical de gauche ou le Mouvement républicain et citoyen.
Les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se sont donc vu attribuer par les préfectures une nuance qui n’est pas toujours en cohérence avec les sensibilités représentées dans les listes concernées.
Rappelons qu’il existe une catégorie « divers », qui devrait permettre d’éviter toute référence partisane et semble suffisante pour classer les listes d’union, « neutres » ou transpartisanes. C’est d’ailleurs dans cette catégorie que de nombreuses préfectures ont classé les listes refusant les nuances « gauche » ou « droite ».
Rappelons également que, le cas échéant, les candidats ont pu déposer un recours pour contester la nuance leur ayant été attribuée. L’ajustement doit se faire non pas par la loi, mais plutôt à l’échelon des préfectures, qui certes pourraient affiner leur travail sur les nuances politiques.
Mme Éliane Assassi. Dès lors, faut-il légiférer pour corriger les erreurs ? Nous ne le pensons pas.
Il nous appartient, me semble-t-il, de redonner tout son sens à l’engagement politique, parfois masqué à des fins politiciennes. À quelques jours de l’ouverture de la campagne des élections sénatoriales, nous nous interrogeons sur la pertinence de cette proposition de loi, qui amplifie l’inflation législative plus qu’elle ne clarifie la situation pour les communes de moins de 3 500 habitants.
J’indique dès à présent que notre groupe s’abstiendra, pour les raisons que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Lajoux.
Mme Isabelle Lajoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du scrutin municipal des 23 et 30 mars dernier, la procédure électorale visant à attribuer des nuances politiques aux listes souhaitant se présenter « sans étiquette » a provoqué un vif émoi dans les petites communes.
Le phénomène a pris une ampleur inédite, tant la loi du 17 mai 2013 a considérablement modifié la donne pour les communes rurales. En effet, outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires, les candidats ont dû déclarer une étiquette politique et se sont vu attribuer une nuance politique conforme à la nomenclature officielle établie par le ministère de l’intérieur.
Dès lors, l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil pour l’application du scrutin de liste a eu pour conséquence, dans plus de 6 600 communes supplémentaires, de soumettre les candidats à un classement politique effectué de manière discrétionnaire par le préfet.
Aussi les candidats se déclarant sans étiquette n’ont-ils pas apprécié de se voir attribuer une nuance politique en fonction d’une grille préétablie, celle-ci ne comportant pas de catégorie « sans étiquette » ou « non inscrit ».
Cette classification obligatoire instaurée par le ministère de l’intérieur doit « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux et apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment de notre histoire ».
Il reste que ce système pose particulièrement problème dans des communes où il est fréquent de présenter une liste « sans étiquette ». Les candidats encartés y sont peu nombreux, et la rareté des volontaires pour participer à la vie municipale conduit souvent à la construction de listes d’intérêt communal, rassemblant des habitants hors toute appartenance partisane.
En effet, mes chers collègues, « dans bon nombre de communes rurales, les candidats s’engagent en faveur de listes d’intérêt local, sans considérations politiques ou partisanes avec pour seule ambition d’œuvrer pour le bien commun de leurs territoires et de leurs concitoyens », insistait l’AMF dans un communiqué peu avant les élections municipales.
Dans sa réponse à l’AMF, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, estimait que la neutralité des candidats sans étiquette était prise en compte, puisque la grille intègre la nuance « divers », qui a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats qui ne manifestent pas d’engagement politique. Mais cette réponse ne convainc pas. Nombre d’élus sans étiquette et non inscrits ne se reconnaissent pas dans les mouvements disparates, voire fantasques, que regroupe cette catégorie.
L’Association des maires ruraux de France évoque « une classification inadaptée aux édiles des villages tant le nuancier utilisé ne reflète pas la réalité du terrain » et demande la création de la catégorie « sans étiquette » dans la grille des « nuances politiques » attribuées par les services préfectoraux aux listes candidates. C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi.
Mes chers collègues, d’aucuns pensent, avec raison, que le sujet est d’ordre réglementaire, qu’il ne relève pas de la loi et que, dès lors, cette question aurait pu faire l’objet d’une proposition de résolution du Sénat tendant à réclamer au Gouvernement de modifier le décret de 2001.
Toutefois, saisissons l’occasion qui nous est donnée d’appeler avec force l’attention du Gouvernement sur la violente protestation des élus locaux qui s’est exprimée en mars dernier.
Reprenant les principes avancés par l’auteur de la proposition de loi, Jean-Claude Carle, le texte adopté en commission prévoit « d’une part que l’étiquette politique resterait libre et d’autre part que, pour les communes de moins de 3 500 habitants, aucune nuance politique ne pourrait être attribuée, si une étiquette politique n’a pas été choisie ».
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bravo !
Mme Isabelle Lajoux. Je me félicite, par ailleurs, qu’ait été adopté un amendement visant à améliorer l’information des candidats sur la liste des nuances politiques utilisée, ainsi que sur les droits d’accès et de rectification dont ils disposent.
Enfin, mes chers collègues, faut-il voir dans cette revendication des « sans étiquette » la traduction de la défiance que semblent susciter aujourd’hui les partis politiques ? Le phénomène n’est pas nouveau : en 2008, le ministère de l’intérieur recensait 24 000 maires sans étiquette. Voyons-y plutôt l’envie de s’adresser à toute une population « sans barrière politique » ; tous ces candidats défendent la nécessité de fédérer des sensibilités différentes autour d’un projet qui rassemble.
Nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des villages ou des petites villes dans lesquelles les dernières échéances municipales ont été l’occasion d’un « réveil citoyen », d’un formidable élan de démocratie participative, dépassant le clivage gauche-droite. Au-delà des étiquettes, il s’agit d’abord d’un engagement, d’un investissement, d’un dévouement sans faille au service de ses concitoyens. C’est là, à mon avis, rendre à la politique son sens étymologique : la science des affaires de la cité.
François Hollande rappelait à Dijon, en mars 2012, qu’avec les lettres du mot « maire », on peut écrire le mot « aimer ».
M. Philippe Bas. C’est charmant !
Mme Isabelle Lajoux. Oui, mes chers collègues, c’est cela d’abord, s’engager dans la vie municipale d’une petite commune : aimer son village, aimer sa ville, aimer les gens.
M. Joël Guerriau. Aimer sans clivage ! (Sourires.)
Mme Isabelle Lajoux. Dans un village ou une petite ville, la politique c’est d’abord des gens, des jeunes, des moins jeunes, des familles, des personnes isolées, avec chacun son histoire, ses besoins pour se construire ou améliorer son quotidien.
Dans un village ou une petite ville, la politique, c’est surtout l’énergie et la persévérance que les membres de l’équipe municipale mettent au service de leurs concitoyens. C’est une mission difficile, exigeante, parfois ingrate, mais ô combien exaltante.
Alors, au moment où notre société s’enfonce malheureusement dans l’individualisme et le « chacun pour soi », je crois en cet engagement citoyen… au-delà des étiquettes ! Mes chers collègues, encourageons cette vitalité démocratique qui s’exerce dans nos villages et incitons chacun à la prise de responsabilités.
Pour ces raisons, et eu égard à la pertinence évidente de la question soulevée, le groupe socialiste votera ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion des dernières élections municipales, nombre d’entre nous ont été saisis par des candidats ayant découvert, souvent par voie de presse, que leur liste s’était vu attribuer une appartenance par la préfecture, alors même qu’ils n’avaient pas déclaré d’étiquette. Plus grave : dans certains cas, la nuance attribuée arbitrairement ne correspondait ni à l’orientation de la tête de liste ni à celle de la majorité des colistiers.
Or, dans la plupart des petites communes, nous le savons, la composition des listes dépasse les clivages, les sensibilités, et transcende souvent les appartenances politiques. Celles-ci sont reléguées après l’intérêt de la commune, et c’est tant mieux !
Dans ces cas, les colistiers, d’horizons divers, ont peu apprécié d’être associés à une orientation dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas et qu’ils n’avaient pas revendiquée.
Cette question se pose avec davantage d’acuité depuis le vote de la loi du 17 mai 2013, qui a abaissé de 3 500 à 1 000 habitants le seuil à partir duquel les conseils municipaux sont élus au scrutin de liste.
Nous comprenons la volonté du ministère de l’intérieur – on pourrait presque parler de penchant ! – de classer les listes en présence, notamment à des fins statistiques.
Ce nuancier est bien sûr présenté comme étant seulement un outil nécessaire, quoiqu’imparfait, pour la lecture et l’analyse des résultats. Cependant, dans la mesure où les données du ministère de l’intérieur sont reprises et diffusées, notamment, par de nombreux sites d’information, cet outil est de nature à nuire à la sincérité du scrutin.
C’est en se fondant sur les difficultés rencontrées lors des dernières élections municipales que nos collègues du groupe UMP ont déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
La commission des lois a abouti à un compromis, en prévoyant qu’une liste, dans une commune de moins de 3 500 habitants, ne pourra se voir attribuer de nuance si elle n’a pas déclaré d’étiquette. C'est bien la moindre des choses, serais-je tenté de dire…
Pour sa part, le Gouvernement a déposé sur ce texte un amendement qui tend à modifier la rédaction des alinéas 2 à 4 de l’article 1er. En substance, monsieur le ministre, vous proposez de maintenir le système de nuances, mais prévoyez que ces dernières ne seront pas rendues publiques avant la fin des opérations de vote.
L’amendement gouvernemental ne nous paraît pas constituer une bonne réponse. En effet, à la lecture des résultats, les électeurs pourront découvrir que la liste à laquelle ils ont accordé leur suffrage – souvent sur la foi d’une étiquette politique revendiquée – s’est vu attribuer par la préfecture une nuance qui n’était pas connue au moment du vote. Loin d’apporter de la clarté, cette modification fera au contraire peser un soupçon de dissimulation.
De surcroît, mes chers collègues, de nombreuses questions demeurent. La première concerne l’exactitude du classement : des listes se réclamant d’une même formation ont pu se voir attribuer, selon les départements, des nuances différentes.
En outre, je m’interroge sur la précision des résultats ventilés par nuance, au regard des données transmises par le ministère de l’intérieur et téléchargeables sur son site internet : on constate que 34 703 élus ont été classés comme relevant de la nuance « divers ». C'est tout de même considérable !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela fait beaucoup de « divers », en effet !
M. Jean-Michel Baylet. En consultant le nuancier fourni par le ministère aux préfectures, nous constatons de plus que ces presque 35 000 élus appartiendraient aux formations suivantes : parti pirate, parti d’en rire, Chasse, pêche, nature et traditions, partis religieux, régionalistes, mouvements écologistes autres que Europe Écologie Les Verts.
Monsieur le ministre, sans faire insulte à ces formations, je ne crois pas que, même en additionnant leurs résultats, elles puissent compter autant d’élus dans les conseils municipaux. Il apparaît plutôt que, en l’absence de l’indispensable nuance « sans étiquette », les services préfectoraux, dans certains cas, ont classé dans la rubrique « divers » les listes ne correspondant à aucune autre.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je vous le dis droit dans les yeux : je m’étonne de l’absence de certaines formations dans la nomenclature établie par le ministère de l’intérieur. Je pense notamment à un parti que vous connaissez bien et dont vous avez même été membre : le parti radical de gauche ! (Exclamations amusées sur diverses travées.)
M. Jean-Michel Baylet. Eh bien ce parti, pour lequel j’ai moi aussi un certain attachement, ne figure pas dans votre nomenclature…
M. Joël Guerriau. Quel malheur !
M. Jean-Michel Baylet. Je ne l’ai trouvé que dans la rubrique « divers gauche », regroupé avec d’autres formations qui, pourtant, ne me semblent pas avoir la même représentativité que la nôtre. Et que dire du fait que l’extrême gauche figure, elle, dans votre nomenclature, bien qu’elle ne compte que soixante-quatre élus municipaux ! (Mme Éliane Assassi s'exclame.)
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, et connaissant votre souci de l’équité, je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous allez donner des instructions pour que cet état de choses soit rectifié immédiatement ! (Sourires.) Cependant, je ne m'attendais tout de même pas à cela de la part du ministre de l'intérieur…
M. Jean-Michel Baylet. Je sais, c'est l’héritage ! Chers collègues de droite, vous le savez bien : l’héritage se transforme parfois en fardeau… (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, en matière électorale, la recherche de la simplification suit un parcours parfois complexe. Gageons que le processus législatif engagé au travers du présent texte nous permettra d’instaurer davantage de clarté, pour nos élus – qui en manquent quelque peu en ce moment –, pour les citoyens qui font le choix de l’engagement et pour l’ensemble des électeurs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte nous convient, mais, compte tenu des réserves dont nous avons fait part, nous déterminerons notre vote en fonction du sort qui sera réservé aux amendements. En tout état de cause, les radicaux sont favorables à cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette proposition de loi a le mérite de soulever un vrai problème, qui ne date pas des dernières élections municipales et qu’il ne faut pas, selon moi, circonscrire au seul cas des communes de moins de 3 500 habitants.
Ce système du nuancier, qui a été conservé par les différents gouvernements successifs, me semble complètement contraire au principe républicain de représentativité et de liberté d’expression des partis politiques.
De quel droit inscrit-on certains partis politiques dans le nuancier et en exclut-on d’autres ? Alors que, aux termes de la Constitution, les partis se créent, se gèrent et se développent librement, de quel droit peut-on évincer tel parti et favoriser tel autre ? De quel droit, dans une démocratie, peut-on obliger les citoyens que sont les élus et les candidats à choisir une nuance politique au sein d’une liste limitativement constituée ? On n’a donc pas le droit de revendiquer une nuance politique qui ne se trouve pas dans cette liste !
Cela constitue à mes yeux une atteinte aux principes constitutionnels et aux droits des citoyens qu’ils garantissent. Je pense que ce système est extrêmement pernicieux. À plusieurs reprises, j’ai déposé des propositions de loi pour m'élever contre ce nuancier, qui donne en quelque sorte la préséance aux élus des partis qui y sont répertoriés, les autres devant se rabattre sur telle ou telle nuance susceptible de correspondre vaguement à leur orientation, sachant que, en toute hypothèse, on leur en attribuera une de toute façon !
Il est tout de même incroyable que, si aucune des nuances prévues ne correspond aux idées d’un candidat ou d’un élu, on lui en impute tout de même une, qu’il n’a pas le droit de refuser ! C'est digne d’un régime soviétique ! J’estime que le régime actuel mériterait de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, car il bafoue un certain nombre de principes constitutionnels.
M. Philippe Bas. C'est vrai !
M. Jean Louis Masson. Je suis un sénateur non inscrit, sans étiquette : je ne vois pas pourquoi on veut me caser à tout prix quelque part. Avant les élections, lorsque vous êtes non inscrit, sans étiquette, vous n’existez pas, personne ne vous soutient ; après les élections, tout le monde veut vous récupérer ! (Sourires.)
Le seul reproche que je ferai à cette proposition de loi, c'est que son champ est limité aux communes de moins de 3 500 habitants. Mes chers collègues, pourquoi serait-il plus acceptable de se voir imposer une nuance dans une commune de 3 600 habitants que dans une commune de 3 400 habitants ? Ce qui est contestable, c'est le principe même du nuancier. Si l’on veut conserver un nuancier, il faut permettre à tous les partis qui le veulent d’y figurer, sans faire de sélection. Observant l’évolution du nuancier depuis un certain nombre d’années, j’ai pu constater que des partis y apparaissent ou en disparaissent soudainement sans motif plausible : on se demande vraiment sur quelles bases ce nuancier est établi ! (Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.)
Cette proposition de loi a l’immense mérite de nous permettre d’ouvrir ce débat, mais, j’y insiste, il serait tout de même cohérent que sa portée ne soit pas restreinte aux seules communes de moins de 3 500 habitants : pourquoi imposer une nuance aux élus municipaux au-delà de ce seuil ? (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte, déposé le 14 mars dernier, a pris tout son sens à l’issue des dernières élections municipales.
Pour bien comprendre les enjeux de cette proposition de loi, il convient, d’une part, de rappeler l’état actuel du droit, et, d’autre part, d’en évaluer les conséquences pour les candidats, notamment dans les plus petites communes.
Concernant le droit en vigueur, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires a modifié en profondeur le mode d’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires.
D’une part, le seuil démographique à partir duquel le scrutin à la représentation proportionnelle s’applique pour l’élection du conseil municipal a été abaissé à 1 000 habitants.
D’autre part, l’obligation de dépôt préalable d’une déclaration de candidature a été généralisée à l’ensemble des communes.
À ces dispositions s’ajoutent celles du décret du 30 août 2001 prévoyant que les candidats aux élections municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants attribuent une « étiquette » à leur liste, c’est-à-dire indiquent à quelle formation politique ils se rattachent. Parallèlement, s’ils ne le font pas eux-mêmes, la préfecture a le devoir de leur affecter une nuance, c’est-à-dire un courant de pensée politique de rattachement.
La combinaison de ces différents textes a eu des répercussions particulièrement importantes sur la collecte des données personnelles relatives à l’appartenance politique des candidats et des élus. Ces derniers, soutenus dans leurs revendications par l’Association des maires de France et l’Association des maires ruraux de France, ont, dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants, particulièrement mal vécu d’être obligés d’indiquer une nuance politique lors du dépôt des candidatures en préfecture.
À ce stade, et pour mieux appréhender le malaise, il convient de distinguer l’étiquette politique de la nuance politique.
Si le candidat choisit librement d’adopter, ou non, une étiquette politique et peut même en changer en cours de mandat, l’administration, quant à elle, attribue une nuance politique aux candidats puis aux élus en fonction d’une nomenclature fixée par le ministère de l’intérieur et présentée au candidat lors du dépôt de candidature.
Il n’existe pas de nuance « sans étiquette », mais seulement une rubrique « autres », dans laquelle figurent, par exemple, les partis anti-fiscalistes, les partis religieux, les partis socioprofessionnels, les partis régionalistes, le parti pirate et même le parti d’en rire !
C’est cette lacune que la présente proposition de loi vise à pallier.
On le sait bien, dans les plus petites communes, les listes se forment le plus souvent au-delà de tout clivage partisan. Se voir attribuer une nuance politique par l’administration peut alors être relativement lourd de conséquences pour le scrutin, mais également tout au long du mandat.
Avec le texte tel qu’issu des travaux de la commission des lois, dans les communes de moins de 3 500 habitants, les candidats sans étiquette ne pourront plus se voir attribuer arbitrairement par l’administration une nuance politique.
Considérant que ce texte, qui ne doit pas être envisagé de manière partisane, atteint un équilibre ne pouvant qu’être bénéfique à la démocratie locale, le groupe écologiste le soutiendra. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et de l'UMP. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat intervient quelques semaines après des élections municipales s’étant déroulées dans un contexte juridique assez nouveau, qui a provoqué un certain nombre de récriminations et un réel mécontentement, principalement dans nos communes rurales.
Heureusement, à quelques jours du scrutin, la partie réglementaire du code électoral a été modifiée pour ne pas imposer la présentation de la carte d’identité au moment du vote dans les petites communes rurales. C’était déjà un élément précieux pour éviter que l’accès au vote ne soit inutilement restreint, mais un certain nombre de dispositions nouvelles se sont appliquées, qui soulèvent de réelles questions. L’objet du texte dont nous discutons aujourd'hui n’est pas de les traiter toutes, mais je les mentionnerai tout de même.
L’obligation de déclaration de candidature dans les toutes petites communes nous prive de l’apport de conseillers municipaux qui n’osaient pas présenter spontanément leur candidature ; c’est une réduction de la liberté de choix de l’électeur.
L’interdiction du panachage dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants n’est pas non plus une bonne mesure. Le vote bloqué crée de l’abstention et nuit à l’instauration d’un vrai dialogue démocratique. Si, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, plusieurs listes ont été présentées dans 59 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants, cela signifie que, dans plus de 40 % d’entre elles, une seule liste bloquée a été déposée, et qu’il s’est donc alors agi d’un scrutin de pure et simple ratification. Peut-on s’étonner, dès lors, que les électeurs, dans ces communes, ne se précipitent pas aux urnes ? La démocratie locale a pourtant toujours été l’école du civisme dans notre pays.
Dans mon département, la Manche, par rapport au précédent scrutin municipal, moins de listes étaient présentées cette année dans 25 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants et l’abstention a été supérieure ou égale dans les trois quarts des communes de cette strate. Par conséquent, si l’on regarde à la loupe les conditions de fonctionnement de la démocratie dans ces petites communes, on constate à la fois une diminution de la liberté de choix des électeurs et une augmentation de l’abstention.
Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est celui des nuances politiques attribuées aux candidats par vos services, monsieur le ministre.
Comme l’a dit tout à l’heure M. Masson, il est vrai qu’une question de principe se pose pour toutes les communes, mais elle se pose plus fortement encore pour nos petites communes rurales. En effet, dans ces communes, même si le débat démocratique y est vivant, ainsi que vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le ministre, c’est l’absence d’engagement partisan des candidats qui est la règle. Ce n’est nullement un aspect secondaire ou anecdotique, c’est le mode de fonctionnement même de la démocratie locale. Jusqu’où celle-ci doit-elle être irriguée par la vie partisane ? Vous nous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il n’y a plus aucune raison de distinguer le cas des communes de 1 000 à 3 500 habitants de celui des communes dont la population excède ce seuil, puisque le même mode de scrutin s’applique désormais. Je vous réponds qu’il y en a une, qui relève non pas de la conviction ou de l’idéologie, mais de la réalité : le débat démocratique, dans les petites communes, ne repose pas principalement sur l’appartenance partisane. J’ajouterai qu’il n’est pas souhaitable qu’il en aille autrement, compte tenu de la nature des questions traitées à l’échelon de ces petites communes.
Je relève en outre que si la collecte et le traitement de ces données ont effectivement été autorisés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le point de départ est tout de même le principe d’interdiction. En effet, l’interdiction de collecter et de traiter les données à caractère personnel faisant apparaître les opinions politiques est posée à l’article 8 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et si le paragraphe IV de cet article ne soumet pas à l’interdiction les traitements justifiés par l’intérêt public et autorisés par la CNIL, encore faut-il que la justification soit réelle et que l’autorisation soit donnée. C’est le cas en l’occurrence, mais je rappellerai que la CNIL n’est pas une instance constitutionnelle dont l’autorité serait supérieure à celle du Parlement : elle agit dans le cadre fixé par le législateur, si bien qu’il nous est tout à fait loisible de déterminer des conditions nouvelles d’exercice de son pouvoir d’autorisation par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Dès lors, tous les arguments opposés à la proposition de loi qui a été déposée par notre excellent collègue Jean-Claude Carle et que j’ai eu l’honneur de cosigner se trouvent récusés, qu’ils soient relatifs à l’absence de justification d’un traitement différencié selon la taille des communes ou à la nécessité d’un nuançage dont on peut postuler qu’il donne des résultats erronés, puisque la plupart des candidats n’ont précisément pas d’engagement partisan. Vouloir à toute force rattacher ceux-ci à un courant politique, à une famille politique, à un parti politique, c’est se donner une mission impossible.
Je rends hommage à la volonté de M. le ministre de nous tendre la main pour rechercher une solution de compromis, mais je trouve assez choquant de proposer que ces informations ne soient publiées qu’après les élections, pour qu’elles n’interfèrent pas avec le scrutin !