M. Henri de Raincourt. C’est effrayant !
M. Philippe Bas. D’une part, si ces informations sont exactes, pourquoi les cacherait-on aux électeurs ? D’autre part, puisque ces informations sont probablement inexactes, elles ne valent pas davantage après le vote qu’avant.
C’est tout simplement le fait même de vouloir recueillir des informations qui n’existent pas et de les inventer en fonction de l’idée qu’un membre du corps préfectoral plus ou moins récent dans un département se fait des opinions politiques d’un candidat qui doit être récusé, et avec force !
Dès lors, le dispositif de cette proposition de loi relève pleinement du domaine de la loi – je m’étais moi-même d’abord interrogé sur ce point –, parce qu’il touche à une liberté fondamentale. Le candidat à une élection est un citoyen français comme les autres, et il doit être libre de ne pas afficher une appartenance politique si tel est son souhait. Si, à la suite de son élection comme maire de sa commune, on rend publique une information sur son appartenance politique alors qu’il est candidat à la vice-présidence ou à la présidence d’une petite intercommunalité rurale, cela interférera avec cette candidature, c’est-à-dire que se produira ce que l’on aura précisément voulu éviter pour l’élection municipale en interdisant de communiquer de tels éléments avant celle-ci ! Si l’on ne donne pas l’information avant l’élection municipale, ne la donnons pas non plus avant l’élection intercommunale : cela relève de la liberté privée du candidat.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je serais vraiment très heureux que le Gouvernement, après avoir entendu tous nos collègues, dont les propos sont convergents, aille au-devant du vote du Sénat et révise sa position en approuvant cette proposition de loi, qui me paraît être de bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI–UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Saugey. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des élections municipales de mars dernier, les candidats, dans les communes de moins de 3 500 habitants, ont été soumis, pour la première fois, aux nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013, qui instaure le scrutin proportionnel pour les 6 784 communes dont la population est comprise entre 1 000 et 3 500 habitants.
Les candidats avaient aussi l’obligation de déclarer leur candidature à la préfecture, quelle que soit la taille de la commune. Lors du dépôt des candidatures, ils ont découvert qu’ils devaient indiquer une étiquette politique. À ce moment, les candidats étaient tout à fait libres de déclarer ou non une appartenance à un parti politique, et donc de se dire, éventuellement, « sans étiquette ».
Cependant – et c’est ce cas précis qui pose problème –, s’ils ne déclaraient aucune appartenance à une nuance politique, les préfets leur en attribuaient une, sur la base d’une grille préétablie. C’est ensuite cette nuance qui a été retenue pour l’enregistrement des résultats des élections municipales.
Nous avons tous eu vent de contestations de ce classement préfectoral, mes chers collègues, dans nos départements, en particulier dans les petites communes rurales. L’attribution par le préfet d’une nuance politique a été faite, dans certains cas, selon des critères discutables, voire subjectifs. La grille de nuances politiques de la préfecture compte dix-sept appellations. Elle dresse la liste des partis politiques qui définissent chaque nuance, mais ne comporte pas de catégorie « sans étiquette » ou « non inscrit ».
Nous savons que, dans les petites communes rurales, les candidats ont parfois de grosses difficultés à constituer une liste ; c’est une réalité. Afficher une couleur politique peut, au bout du compte, les empêcher de mener à bien leur projet. Beaucoup mettent en avant des candidatures fondées sur une ambition locale, loin, il est vrai, des clivages traditionnels, et refusent de se voir classés à gauche, à droite ou au centre. Certains candidats ou élus souhaitent rester « sans étiquette », en raison du caractère transpartisan ou neutre de leur liste ; c’est aussi parfois la condition posée pour s’engager, comme Jean-Claude Carle le rappelait dans son intervention.
Il ne faut pas, pour autant, « mettre à l’index » les partis politiques, car ceux-ci sont essentiels à l’exercice de la vie démocratique.
J’attire également votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu’il peut exister des abus. Ainsi, dans le département de Loire-Atlantique, un candidat, par ailleurs tête de liste UMP pour les élections sénatoriales, a fortement contesté qu’on l’empêche de présenter une liste « sans étiquette » aux élections municipales. Il ne faut pas non plus se moquer du monde ! Dans un tel cas, on atteint aux limites de l’honnêteté politique…
De nombreux candidats ont affirmé à juste titre qu’il est, pour certaines listes, impossible d’opérer un classement seulement en termes de nuance politique. C’est pourquoi, du reste, il y a eu tant de contestations lors des dernières élections municipales.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc très important pour favoriser l’engagement dans nos petites communes. Je l’ai dit, nous connaissons parfaitement les difficultés que l’on y rencontre pour trouver des candidats aux élections, et la règle actuelle peut décourager certaines bonnes volontés.
Je suis donc tout à fait d’accord avec la proposition de permettre aux candidats de présenter des listes « sans étiquette », distinctes des listes regroupées dans la catégorie « divers », et de supprimer l’attribution de manière discrétionnaire par le préfet des nuances politiques pour les petites communes dès lors que les candidats ne revendiquent pas eux-mêmes une telle nuance.
Je me félicite que la commission des lois ait adopté un amendement tendant à permettre que, à chaque élection, au moment du dépôt de candidature, les candidats soient informés de la grille de nuances politiques utilisée, ainsi que du droit d’accès et de rectification dont ils disposent. Certes, ce droit de rectification existe, mais nombreux sont les candidats qui l’ignorent et qui, par conséquent, ne l’utilisent pas.
Mes chers collègues, nous savons que les Français sont particulièrement attachés à leur commune. C’est pourquoi, afin que le conseil municipal soit toujours représentatif de ses habitants, nous devons faciliter le plus possible l’accès aux mandats électifs locaux.
Le rôle du maire, quelle que soit la taille de la ville, est de plus en plus complexe et lourd de responsabilités. Il ne faut pas freiner les envies et les bonnes volontés locales. Nous devons laisser à tous la possibilité de s’engager au service de leurs concitoyens, et ce en toute indépendance politique s’ils le souhaitent. La petite commune, elle aussi cellule de base de notre démocratie – cela doit perdurer –, mérite cette précision de bon sens, cette nécessaire amélioration. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas la première qui vise à encadrer le nuançage politique mis en œuvre par les services de l’État.
Certains de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont également été saisis de cette question depuis la création d’un répertoire national des élus. En effet, les services de l’État doivent, lors de chacune des élections cantonales ou municipales, mettre à jour le fichier des élus, dans un cadre juridique strict, en indiquant la nuance politique de ces derniers.
La nuance, contrairement à l’étiquette politique, librement choisie par les candidats et figurant sur les documents de campagne et le matériel de vote, est attribuée par l’administration en fonction d’une grille préétablie.
C’est ainsi que figurent, à ce jour, seize courants politiques sur la liste des nuances, alors qu’une rubrique « divers » regroupe des partis marginaux. Cependant, il n’existe pas de catégorie « sans étiquette ». Cela signifie que les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se verront attribuer d’office une nuance correspondant à l’un des courants répertoriés dans la grille. Toutefois, chaque candidat est informé de la grille des nuances au moment du dépôt de candidature et dispose d’un droit d’accès et de rectification.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de renforcer encore l’information des candidats lors du dépôt des déclarations de candidature, en insistant sur l’existence d’une liste des nuances politiques.
Par ailleurs, le répertoire des nuances politiques des élus n’a pas vocation à être rendu public avant la clôture du dépôt des candidatures. Aussi, pour éviter toute polémique pendant la campagne électorale, la nuance choisie par un candidat pourrait-elle être rendue publique après la publication des résultats définitifs pour la commune concernée.
Les nuances permettent la centralisation des résultats et font apparaître les tendances politiques nationales ou locales. Outre qu’il contribue à l’indispensable information des citoyens, du Parlement et du Gouvernement, ce fichier concourt à la mise en œuvre des dispositions législatives sur le cumul des mandats, l’interdiction des candidatures multiples, la parité ou le financement de la vie politique. En particulier, il facilite la lecture des résultats par les médias – et donc par le grand public –, en leur apportant une information lisible.
Cependant, dans certains cas, beaucoup l’ont rappelé, les élus semblent véritablement découvrir, souvent par voie de presse, la nuance qui leur est attribuée.
Après les dernières élections municipales, cette même presse a particulièrement relayé le mécontentement exprimé par un certain nombre de candidats et d’élus, à l’origine sans étiquette ou apolitiques, qui ne comprenaient pas pourquoi telle ou telle nuance leur avait été ainsi attribuée. Elle a aussi entretenu, il faut le souligner, une polémique sur le thème du fichage politique des maires ou du « bidouillage organisé », nourrissant des soupçons infondés de manipulation du fichier.
Il est vrai que certains candidats se sont retrouvés classés dans des catégories diamétralement opposées à leur véritable couleur politique. Mais, après tout, s’ils déclaraient leur étiquette, ce problème ne se poserait pas !
Il est vrai aussi que les préfectures attribuent les nuances en fonction d’un faisceau d’indices très aléatoires et que les services de l’État préfèrent ne pas gonfler les effectifs de la nuance « divers », afin de ne pas entraver la lisibilité politique des résultats des différents scrutins.
Il faut également reconnaître que la présentation d’une liste sans étiquette peut parfois tenir à des motivations qui ne sont pas clairement exprimées.
Dans certains cas, des candidats qui se prétendent apolitiques camouflent à l’évidence un engagement à droite ou à gauche en s’abritant derrière des listes aux slogans très locaux. Ainsi, depuis quelques années, on évoque un regain des candidatures sans étiquette de personnalités plutôt à droite.
D’autres, s’agissant notamment des candidatures allant à l’encontre des valeurs de la République, cherchent à brouiller les frontières entre formations politiques. Cela leur permet de ne pas afficher leur orientation et d’avancer masqués pendant les campagnes électorales, sans même se dévoiler, dans la plupart des cas, après leur élection.
D’autres candidats encore, bien que prenant une position politique lors des élections nationales, font le choix de se présenter sans étiquette aux élections municipales et ne se reconnaissent pas dans la catégorie « divers ». C’est ainsi que fleurissent les listes intitulées « pour la défense des intérêts communaux ».
La création d’une nuance « sans étiquette » ne faciliterait donc pas la détermination de l’appartenance politique d’un candidat pour les citoyens souhaitant la connaître et ne contribuerait pas à mieux identifier l’engagement politique ni à mieux encadrer le risque de comportements antirépublicains.
Pour les services de l’État, la nuance « divers » a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats ne manifestant pas d’engagement politique. C’est la raison pour laquelle la CNIL avait validé ce dispositif, au motif de l’intérêt public. Quant au Conseil d’État, il avait considéré que cette grille de nuances ne servait qu’à établir les tendances des résultats.
Toutefois, cette question du nuançage a pris une ampleur toute particulière cette année, car l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil d’application de la représentation à la proportionnelle introduit par la loi en 2013 concernait de nombreux candidats, et donc de nombreuses listes.
Or c’est à l’échelon des petites communes, très souvent rurales, que l’on rencontre le plus grand nombre de listes non partisanes ou multipartisanes. Néanmoins, c’est souvent dans de très petites communes, de moins de 1 000 habitants, qu’il y a des difficultés pour bâtir une liste, liées parfois à des considérations tenant à la responsabilité des élus, notamment celle du premier magistrat, devant la loi, ou tout simplement à l’absence d’engagement citoyen au service de l’intérêt général.
Il convient donc de prendre en compte la réalité de ces territoires ruraux où il est de plus en plus difficile de motiver les citoyens à s’engager dans un mandat communal. Notre groupe partage l’objectif de cette proposition de loi, qui tend à laisser aux candidats la possibilité de refuser de se voir attribuer une nuance politique dans les communes de moins de 3 500 habitants.
Cela étant, je veux souligner qu’il n’y a pas d’urgence à la mise en place d’une telle règle, qui ne devrait en effet s’appliquer qu’aux prochaines élections municipales. Ce texte a en tout cas le mérite d’interpeller le Gouvernement sur cette question et contribuera, à n’en pas douter, à faciliter l’engagement citoyen au service de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Après avoir remercié l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui sont intervenus dans la discussion générale, je voudrais revenir sur quelques-uns des sujets évoqués afin que nous puissions aborder l’examen des articles en étant au moins d’accord sur la définition des notions.
Tout d’abord, je voudrais encore une fois insister sur le fait que le nuançage n’est pas une manière d’attribuer a posteriori une étiquette à des candidats qui en auraient une différente ou qui ne souhaiteraient pas en avoir. Le nuançage est un instrument d’analyse politique pour le ministère de l’intérieur.
M. Bernard Saugey. Ce n’est pas très clair.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Si nous ne procédions pas au nuançage, pratique mise en œuvre depuis très longtemps par tous les gouvernements successifs, nous serions dans l’impossibilité de procéder à des études et à des analyses politiques qui apparaissent utiles à maints égards.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’idée selon laquelle le nuançage, tel qu’il existe, ne permettrait pas de recouvrir la totalité des sensibilités politiques ou de prendre en compte la situation de ceux qui, sans étiquette et n’appartenant à aucun groupe ni à aucune sensibilité, se présentent aux élections en ne représentant qu’eux-mêmes – et encore pas tous les jours, ajouterai-je pour paraphraser Edgar Faure ! (Sourires.)
Le nuancier compte suffisamment de catégories pour classer la totalité des candidats à une élection, y compris ceux qui déclarent ne pas avoir de sensibilité politique et affirment avec force n’appartenir ni à la gauche ni à la droite.
Le fait que la rubrique « divers » comporte des intitulés correspondant à des organisations ou partis existants – et parfois fantaisistes – ne signifie pas qu’elle se limite à ceux-ci. Les candidats qui ne se reconnaissent dans aucune sensibilité politique peuvent très bien s’y rattacher. Tel qu’il existe aujourd’hui, le nuancier permet donc d’assurer le classement pertinent de tous ceux qui n’ont pas d’appartenance.
Enfin, certains arguments, notamment ceux de mon ami Philippe Bas, me laissent perplexe.
Par exemple, ce qui compterait, c’est la réalité, et non pas le seuil. Or, en matière électorale, dès lors qu’il s’agit de questions qui se traitent en droit – et en matière électorale, mieux vaut traiter les questions en droit que de toute autre manière –, le seuil démographique, cela compte : si l’on ne s’y réfère pas, on s’écarte du respect du principe cardinal d’égalité ! Si nous entrions dans la logique qui est la vôtre, monsieur Bas, en considérant que seule la réalité compte, et non les seuils, nous nous placerions dans une situation juridique extraordinairement délicate.
En outre, la proposition du Gouvernement de rendre la nuance publique après le scrutin ne serait pas recevable, au motif que si l’information est exacte il n’y a pas de raison de la cacher, et que si elle est erronée elle ne mérite d’être communiquée à aucun moment.
Je répondrai à cet argument de deux manières.
En premier lieu, si nous proposons de rendre la nuance publique après le scrutin, c’est tout simplement parce que – il s’agit d’ailleurs de la motivation de la proposition de loi – la rendre publique avant ou pendant le scrutin serait susceptible de fausser ce dernier, de créer le trouble et la confusion. Il n’y a de notre part aucune volonté de dissimulation ; nous entendons, je le répète, répondre à la préoccupation des auteurs de la proposition de loi.
En second lieu, comme l’ont souligné à très juste titre Mmes Assassi et Bataille, de nombreux candidats veulent dissimuler leur étiquette politique parce qu’ils sont très conscients de l’incidence que sa révélation pourrait emporter sur le vote d’un certain nombre d’électeurs. Il apparaît clairement, à l’examen des résultats des scrutins les plus récents, qu’il est recouru à ce procédé de façon plus massive que jamais auparavant. Permettre à de tels candidats d’échapper à la clarté et à la transparence dues aux électeurs ne me paraît pas très sain démocratiquement.
Dans mon département, énormément d’élus ruraux ne souhaitent pas nécessairement afficher leur étiquette politique. Certains d’entre eux, je le sais, entendent très sincèrement s’attacher exclusivement à défendre les intérêts de leur commune, en faisant fi de leur appartenance. Mais je sais aussi que le philosophe Alain observait avec raison que lorsque quelqu’un dit n’être ni de droite ni de gauche, il y a tout de même de fortes chances pour qu’il soit de droite… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Dans le même esprit, selon François Mitterrand, quand on est sans étiquette, on est souvent « ni de gauche, ni de gauche » !
M. Bruno Retailleau. C’est spécieux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Non, ce n’est pas du tout spécieux ! Cet argument correspond à une réalité, que j’ai moi-même constatée.
Au cours de ma vie politique, j’ai connu, notamment dans mon département, beaucoup d’élus absolument remarquables, accomplissant pour leur commune un travail exemplaire, plutôt conservateurs, mais qui ne souhaitaient pas, au moment des élections, afficher leur étiquette politique.
M. Jean Louis Masson. C’est leur droit !
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ce n’est pas nier l’intérêt de la présente proposition de loi que de le dire. C’est l’une des réalités du paysage politique local dans nos différents départements.
M. Bruno Retailleau. C’est la liberté de choix !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Compte tenu de la complexité des situations, compte tenu des multiples nuances existant en matière de comportements politiques parmi ceux qui s’engagent, il faut faire montre, à l’égard de ce texte, d’esprit de nuance, précisément, afin d’adopter la solution qui soit la plus juste et la plus équilibrée possible. Telle est, à mes yeux, celle que propose le Gouvernement au travers de son amendement : elle ne remettra pas en cause le principe d’égalité, non plus que d’autres principes généraux du droit, elle n’obérera pas la sérénité du scrutin en permettant l’attribution de nuances qui ne correspondraient pas à la réalité de l’engagement des candidats ou seraient de nature à troubler la relation entre ces derniers et les électeurs, elle n’offrira pas la possibilité à certains candidats de se dissimuler et elle n’empêchera pas le ministère de l’intérieur d’établir des statistiques, à l’issue du scrutin, afin de permettre à la science politique, qui a produit quelques-uns des meilleurs esprits de la République, de continuer à prospérer.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout élu ou candidat peut refuser d’être répertorié dans le fichier des nuances politiques.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, vous nous expliquez en somme que l’État, en la personne du préfet, doit définir, à la place des candidats, leur appartenance politique, afin d’empêcher certains d’entre eux de la dissimuler. C’est extrêmement grave ! C’est vraiment digne du régime soviétique ! (Mme Gisèle Printz s’exclame.)
On veut forcer la main aux gens, en leur imposant des étiquettes qui ne leur correspondent pas. Je trouve cela profondément regrettable.
L’amendement n° 1 vise précisément à permettre à tout candidat de refuser d’être répertorié selon le fichier des nuances politiques. Il me semble que l’on a tout de même le droit, dans la République, dans une démocratie, de refuser de figurer dans un fichier quand on n’a rien à y faire, d’autant que ce fichier ne reflète pas de façon exhaustive l’ensemble des opinions politiques existant dans notre pays.
La réforme du scrutin municipal, notamment l’obligation de déclarer sa candidature dans toutes les communes, a relancé le débat sur le fichage politique des élus et des candidats. Depuis 2001, les préfectures doivent pratiquer ce fichage sans utiliser la catégorie « non inscrit ou sans étiquette ». Pour remédier à une telle carence, j’ai déposé la proposition de loi n° 287, en 2011, et la proposition de loi n° 421, en mars 2014.
Le présent amendement vise l’ensemble des élus et des candidats, car, à l’évidence, le fichage politique systématique opéré contre la volonté des personnes constitue une atteinte aux libertés fondamentales. On doit avoir le droit de se présenter à une élection ou d’être élu sans se voir attribuer pour autant de façon arbitraire par un tiers, en l’espèce le préfet, une étiquette partisane ou une nuance politique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement tend à donner à tout élu ou candidat le droit de refuser que certaines données personnelles le concernant soient enregistrées dans le fichier des candidats et des élus aux élections au suffrage universel.
Or ce fichier, en définitive, répond à un motif d’intérêt public. C’est d’ailleurs sous cette réserve que la CNIL a autorisé sa création. En effet, ce fichier sert notamment à éviter les doubles candidatures, à dégager des tendances de vote pour l’information du public, ou encore, s’agissant des élus, à veiller au respect des incompatibilités électives. Permettre à une personne de se soustraire à l’enregistrement des données nuirait à l’efficacité du contrôle exercé par le ministère de l’intérieur.
Par conséquent, la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Le Gouvernement émet le même avis que la commission, pour des raisons qui tiennent au motif d’intérêt général évoqué. Il ne s’agit pas d’un fichage de nature à porter atteinte à quelque liberté que ce soit. Je veux d’ailleurs vous rassurer, monsieur le sénateur, sur les intentions du Gouvernement en la matière : nous ne souhaitons absolument pas réinventer l’Union soviétique, pour la simple et bonne raison que c’est un système qui ne marche pas !
Par ailleurs, je le redis sans acrimonie ni suspicion, j’ai vu dans ma vie publique, au cours des vingt dernières années, énormément de candidats à une élection décider de se débarrasser d’une étiquette parce qu’elle était devenue infiniment moins porteuse qu’elle avait pu l’être en d’autres temps… Les préfets ont suffisamment de discernement pour replacer ceux dont les opinions sont bien connues dans la catégorie dont ils relèvent.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le rapporteur, votre argument selon lequel le fichier des nuances politiques permet d’éviter les doubles candidatures me paraît quelque peu surprenant. Je ne vois pas en quoi le fait d’attribuer une nuance politique à un candidat l’empêcherait de se présenter simultanément ailleurs, le cas échéant en se réclamant d’une autre nuance ! La détection d’une éventuelle double candidature n’est pas liée à l’attribution d’une étiquette.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que faites-vous de la liberté de pensée et d’opinion politique ? Si par exemple un candidat a changé d’opinion entre deux élections, le préfet ne va tout de même pas décider à sa place de maintenir son classement dans le fichier, sans tenir compte de son évolution ! De telles méthodes relèvent vraiment de l’Inquisition (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)…
Mme Esther Benbassa. De l’Inquisition, vraiment ?
M. Jean Louis Masson. … et constituent une atteinte aux libertés !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le fichier du ministère de l’intérieur comporte un certain nombre de renseignements, relatifs notamment à la candidature et à l’étiquette politique. Que l’on me permette de donner simplement lecture du texte de l’amendement dont M. Masson est l’auteur : « Tout élu ou candidat peut refuser d’être répertorié dans le fichier des nuances politiques. » Cela signifie que, si cet amendement était adopté, le fichier ne comporterait plus aucune information sur certains candidats, y compris sur le simple fait qu’ils ont présenté leur candidature. Si l’amendement n’est pas bien rédigé, son auteur ne peut s’en prendre qu’à lui-même !
Mme Cécile Cukierman. C’est dit !
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le fichier des nuances politiques doit comporter la rubrique « non inscrit ou sans étiquette ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.