M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous nous y attelons.
Nous avons pris en outre un certain nombre de mesures que j’aurais l’occasion de développer très probablement après la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable. Je vous indiquerai alors les dispositions que nous avons introduites dans ce texte en ce qui concerne les politiques publiques, les moyens, les victimes, ainsi que tout ce que nous avons déjà mis en place durant deux ans.
Par ce texte, nous introduisons la justice restaurative. Nous avons réécrit l’article 707 du code de procédure pénale qui rassemblera, en quelque sorte, les droits des victimes. Ceux-ci, que nous renforçons, étaient auparavant épars dans le code susvisé. Et nous faisons en sorte de garantir le droit à la sûreté et à la sécurité dont jouit la victime dans le processus d’exécution de la peine.
Nous avons introduit dans le projet de loi, en collaboration avec l’Assemblée nationale, des mesures relatives à l’aide aux victimes et, vous le savez, nous travaillons sur les procédures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à vos interrogations et à vos inquiétudes quant aux politiques publiques et aux moyens que nous consacrons au succès du présent projet de loi.
Il s’agit d’un texte de raison, telle que l’entendaient les philosophes des Lumières comme Berthold Brecht, qui, dans La vie de Galilée, écrivait : « la vieille qui la veille du voyage, de sa main rude, donne une touffe de foin supplémentaire au mulet, le capitaine de navire qui pour l’achat des vivres pense à la tempête aussi bien qu’à l’accalmie, l’enfant qui enfonce son bonnet sur la tête quand on lui a démontré qu’il pourrait pleuvoir, eux tous sont mon espérance, eux tous se laissent convaincre par des raisons. Oui je crois en la douce violence de la raison sur les hommes. À la longue ils ne peuvent pas lui résister. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Muguette Dini et M. Jean-René Lecerf applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après cet exposé magistral d’histoire du droit pénal et de la prison, mâtiné de sociologie et de philosophie, j’en viendrai à des propos plus triviaux. Le rapporteur doit vous exposer le projet de loi tel qu’il était et tel que la commission a souhaité qu’il devînt.
Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale, qui y a ajouté un certain nombre d’articles. Il en comporte aujourd’hui une cinquantaine. Comme l’a indiqué madame la garde des sceaux, il fait suite aux travaux de la conférence de consensus. Une telle méthode a déjà été utilisée, mais c’est la première fois que, en matière judiciaire, une consultation aussi large, dont les acteurs sont aussi variés, précède l’élaboration d’un projet de loi. Ce texte est donc pensé, et non une réponse à un fait divers quelconque, aussi dramatique soit-il.
Il vise à remettre le principe d’individualisation de la peine au cœur de la mission du juge, quoi que puissent en dire certains magistrats. Dans la continuité de la loi pénitentiaire, il affirme que la sanction pénale doit permettre avant tout la réinsertion du délinquant – je préfère, quant à moi, parler de resocialisation –, afin d’éviter la récidive.
Dans ses modalités, c’est un texte prudent, qui ne va pas aussi loin que certains l’auraient souhaité, notamment le jury de consensus, mais qui, compte tenu de l’état de l’opinion publique sur les sujets en cause et de la contre-information à laquelle se livrent un certain nombre de médias particulièrement mal intentionnés, me paraît équilibré. Je vous proposerai donc, mes chers collègues, de l’adopter dans la rédaction qu’a retenue la commission des lois.
Mais avant d’en aborder le contenu, je ferai un bref rappel relatif au contexte général.
Nous sommes actuellement dans une période d’inflation pénale et carcérale. Malgré la diversification des sanctions pénales, la prison reste la peine de référence pour les magistrats. Avec 68 645 personnes détenues au 1er mai dernier, nous avons renoué avec les taux d’incarcération de la fin du XIXe siècle. C’est à croire que tout ce qui a été fait depuis n’a pas servi à grand-chose…
En valeur absolue, notre pays se situe dans une position médiane par rapport à ses voisins européens, mais, à la différence de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni où le taux d’incarcération diminue, le nombre de détenus en France continue à augmenter rapidement et constamment : il a crû de 8 % entre 2009 et 2014 et, aujourd’hui, le taux de détention est de 103 pour 10 000 habitants.
Ce fait tient principalement selon moi à deux facteurs : d’une part, l’augmentation de la durée des peines prononcées, en lien notamment avec les peines planchers et, d’autre part, l’augmentation du nombre d’entrées en détention, en particulier pour des courtes peines.
Or, on le sait, les établissements pénitentiaires ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble de ces détenus : un quart des prisons françaises présente un taux d’occupation supérieur à 150 % et environ 1 200 détenus dorment actuellement sur des matelas posés par terre dans les cellules.
Cette situation de surpopulation carcérale soulève de nombreuses difficultés – promiscuité, violences, agressions envers les personnels pénitentiaires… – et ne permet pas à l’administration pénitentiaire de mettre en œuvre des projets de réinsertion qui tiennent la route.
À cet égard, le bilan de l’application de la loi pénitentiaire est encore décevant, comme l’avaient souligné dans leur rapport d’information, voilà deux ans, Jean-René Lecerf, qui fut également le rapporteur de la loi pénitentiaire, et Nicole Borvo, qui a depuis quitté notre assemblée.
S’agissant, par exemple, de l’obligation d’activité, elle correspond à environ quatre heures trente d’activités offertes en moyenne par semaine aux détenus, pour l’essentiel sport ou fréquentation de la bibliothèque.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh voilà !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Par ailleurs, les aménagements de peine ont effectivement beaucoup augmenté, comme le prévoyait la loi pénitentiaire, mais surtout au bénéfice du placement sous surveillance électronique, qui consiste, pour l’essentiel, à vérifier que le condamné se trouve à son domicile aux heures fixées par le juge. Actuellement, 11 048 détenus sont dans cette situation. À l’inverse, les mesures de semi-liberté ou de placement à l’extérieur, qui permettent de travailler à la réinsertion, sont très peu développées.
Dans ces conditions, les sorties sèches demeurent majoritaires : 80 % des détenus quittent la prison sans avoir fait l’objet d’un accompagnement, mais cette proportion s’établit à 84 % pour les condamnés à une peine d’emprisonnement de six mois à un an, et même à 98 % pour ceux dont la peine est inférieure à six mois.
Or, on le sait, ces sorties sèches augmentent le risque de récidive à la sortie. Les condamnés se réinsèrent dans le milieu d’où ils viennent, c'est-à-dire dans celui de la délinquance, d’où ils ne sont sortis que pour entrer en prison.
C’est d'ailleurs l’une des raisons pour lesquelles certains de nos voisins européens – je ne parle pas de pays exotiques comme le Canada ou les pays nordiques – ont interdit, sauf exception, le recours aux courtes peines d’emprisonnement. Ainsi, le droit allemand contient une disposition spécifique concernant les courtes peines qui limite la possibilité pour le juge de prononcer des peines inférieures à six mois d’emprisonnement. Lorsqu’il le fait, il doit motiver sa décision spécifiquement en fonction de la gravité de l’infraction ou de la personnalité de l’auteur. La Suisse, quant à elle, interdit le prononcé de peines de moins de six mois d’emprisonnement. En regard de ces dispositions, la peine de contrainte pénale apparaît comme extrêmement timorée.
Cette situation n’a pas été améliorée par les lois sur la récidive qui ont été adoptées entre 2005 et 2012.
Vous trouverez dans mon rapport, mes chers collègues, une présentation de l’ensemble des mesures adoptées, dont la plus emblématique concerne l’instauration de peines planchers. Notez aussi une restriction des conditions d’accès aux aménagements de peine, une surveillance plus facile à la fin de la peine et des dispositions relatives aux mineurs destinées à écarter l’excuse de minorité et à instaurer des tribunaux correctionnels pour mineurs, à la place des tribunaux pour enfants.
En apparence, ces lois reposent sur une logique, qui peut se comprendre et se défendre, de gradation de la réponse judiciaire face à quelqu’un qui s’entête dans la délinquance.
En réalité, les réponses apportées ne sont pas pertinentes.
D’une part, la notion de récidive légale est une notion juridique complexe – le grand public n’y comprend rien ! –, qui se distingue du concours d’infractions et de la réitération d’infractions, et qui ne reflète donc pas ce que les gens entendent habituellement par récidive.
D’autre part, cette logique de gradation de la réponse pénale n’est pas toujours adaptée aux situations concrètes et aux différentes trajectoires de sortie de la délinquance – on parle de « désistance » – qui sont loin d’être rectilignes.
Sur ces sujets, la règle classique de doublement des peines encourues en cas de récidive permet déjà au juge d’adapter le quantum de la sanction au cas d’espèce, comme le faisait remarquer au cours d’une réunion de la commission Mme Tasca.
Je dirai enfin un mot des peines exécutées en milieu ouvert. Un paradoxe a été relevé par la Cour des comptes en 2010 : ces peines sont « quantitativement importantes, mais qualitativement négligées ».
Je veux notamment parler du sursis avec mise à l’épreuve, ou SME, qui représente les trois quarts des mesures suivies en milieu ouvert par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP – près de 80 000 SME ont été prononcés en 2011, dont un tiers dans le cadre d’une « peine mixte » –, ou encore du travail d'intérêt général, le TIG – 15 000 peines prononcées en 2011. En revanche, les peines alternatives, comme les stages ou les annulations du permis de conduire, sont beaucoup moins prononcées.
Ces peines sont pourtant intéressantes, car elles favorisent un suivi et permettent d’éviter la désocialisation liée à une incarcération, mais leurs conditions d’exécution posent des problèmes de moyens, nous le savons bien, monsieur Détraigne.
Pour ce qui concerne le SME, en particulier, les contraintes imposées à la personne ne sont pas toujours bien adaptées, les délais d’exécution sont souvent longs, et, très fréquemment, la prise en charge par le SPIP se résume à un simple contrôle du respect des obligations, sans suivi particulier axé sur la réinsertion et la prévention de la récidive.
Nous avons déjà souvent parlé des difficultés rencontrées pour multiplier les offres de TIG auprès des collectivités locales et des organismes publics, notamment.
Ces difficultés sont singulièrement imputables à la crise d’identité que traversent les SPIP en milieu ouvert. Jean-René Lecerf l’avait d'ailleurs évoquée dans son rapport pour avis budgétaire voilà quelques mois : à l’heure actuelle, les SPIP sont saturés. En théorie, chaque conseiller suit environ 90 mesures ; en réalité, ce ratio atteint souvent 150 à 200 mesures par conseiller, ce qui est anormal. Par comparaison, un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse suit en moyenne 25 mineurs.
Les SPIP sont donc confrontés à une crise d’identité, avec le recentrage de leurs missions sur la prévention de la récidive qui a laissé de côté le travail social. La loi du 27 mars 2012, à laquelle nous nous étions opposés, leur a retiré une grande partie des enquêtes de personnalité présentencielles.
C’est dans ces conditions que les personnels des SPIP vont faire l’objet d’un renouvellement de générations dans les années à venir, avec l’annonce par le Gouvernement du recrutement de 1 000 personnels supplémentaires d’ici à 2017, soit une augmentation du corps de l’ordre de 25 %, pour permettre l’application du présent projet de loi.
Ainsi, 400 postes ont d’ores et déjà été ouverts par la loi de finances pour 2014, l’objectif, énoncé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault – mais le Gouvernement actuel suit le précédent sur ce point – lors du dépôt du présent projet de loi, étant de parvenir, à terme, à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation.
J’en viens maintenant, après cette introduction un peu longue, au texte lui-même, qui a été significativement enrichi par les travaux de l’Assemblée nationale.
Je reviens très rapidement sur le projet de loi initial du Gouvernement.
Il contient notamment un important volet consacré à l’individualisation des peines, avec la suppression des peines planchers et le rétablissement de l’obligation de motivation de toute peine d’emprisonnement ferme non aménagée, y compris pour les récidivistes. La révocation du sursis ne sera également plus automatique.
Par ailleurs, le projet de loi crée une nouvelle procédure de césure du procès pénal pour mener des investigations sur la personnalité, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les mineurs.
Il prévoit aussi de développer la probation, en s’inspirant d’expériences conduites dans les pays anglo-saxons et sur les recommandations du Conseil de l’Europe. Il crée notamment une nouvelle peine, dite de « contrainte pénale » – une autre appellation aurait pu être trouvée, car il s’agit d’une véritable tautologie ! – susceptible d’être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d’emprisonnement au maximum lorsque la personnalité de l’auteur justifie un accompagnement socio-éducatif renforcé.
Cette peine pourrait être prononcée pour une durée de six mois à cinq ans – c’est très long – et comprendrait des mesures d’assistance, de contrôle et de suivi, ainsi que certaines obligations ou interdictions – exécution d’un stage, d’un TIG, réparation du dommage causé à la victime, injonction de soins, etc.
Sa mise en œuvre reposera avant tout sur les juges d’application des peines et les conseillers d’insertion et de probation. Une réévaluation régulière de la situation de la personne en cause sera mise en place.
Par ailleurs, afin de limiter les sorties sèches, le projet de loi crée une procédure de libération sous contrainte, qui obligera l’administration pénitentiaire à examiner la situation de toutes les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans lorsqu’elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, afin de décider, si possible, une mesure de sortie encadrée.
À l’inverse, sans que l’on comprenne parfaitement la cohérence d’ensemble du projet, l’article 7 revient sur l’une des mesures essentielles de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, en ramenant de deux ans à un an pour les non-récidivistes, et de un an à six mois pour les récidivistes, le seuil d’emprisonnement permettant un aménagement de peine ab initio.
Le texte met également l’accent sur la nécessité d’éviter les ruptures de prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert en associant plus étroitement les services publics concernés.
Il reconnaît expressément les droits des victimes tout au long de l’exécution de la peine.
Il renforce aussi les pouvoirs de police et de gendarmerie en matière de contrôle du respect, par une personne condamnée, des obligations résultant de sa condamnation.
Si les députés ont peu modifié les articles du projet de loi initial, ils ont en revanche procédé à de nombreux ajouts. Je souligne ici la qualité du travail du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Dominique Raimbourg.
Quant aux articles du projet de loi initial, je mentionnerai essentiellement trois sujets.
D’abord, pour ce qui concerne les aménagements de peine, les députés ont prévu un quantum unique d’un an d’emprisonnement, applicable aux non-récidivistes comme pour les récidivistes.
Ensuite, à l’égard du champ de la contrainte pénale, ils sont parvenus à un compromis avec le Gouvernement, en prévoyant que la contrainte pénale s’appliquera aux délits punis de cinq ans d’emprisonnement jusqu’au mois de janvier 2017, et, à compter de cette date, à tous les délits. Je proposerai sur ce point des modifications.
Enfin, ils ont prévu que les forces de police et de gendarmerie pourraient recourir à la géolocalisation et à l’interception des communications lorsqu’elles soupçonnent une personne de ne pas respecter les obligations résultant de sa condamnation.
Nos collègues députés ont par ailleurs enrichi le texte de trente articles nouveaux.
Je mentionnerai notamment plusieurs dispositions sur les victimes, la consécration des bureaux d’aide aux victimes, la possibilité de recourir à la justice restaurative avec l’accord de la victime, une nouvelle procédure d’indemnisation lorsque la victime ne s’est pas constituée partie civile et la création – sur laquelle nous reviendrons – d’une sorte de taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales prononcées, afin de financer l’aide aux victimes.
Pour ce qui concerne l’exécution des peines, les députés ont en particulier prévu que, lorsqu’un condamné n’aura pas pu ou pas voulu bénéficier d’un aménagement de peine, il pourra être soumis par le juge d’application des peines, pendant la durée des crédits de peine et des réductions supplémentaires de peine, au respect de certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions afin de permettre sa réinsertion.
Les députés ont par ailleurs intégré les dispositions de la proposition de loi de notre ancienne collègue Hélène Lipietz relative à la création d’un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d’ordre médical, votée à l’unanimité par le Sénat au mois de février dernier, et allégé la procédure de suspension de peine pour raisons médicales.
Les députés ont également ajouté un volet relatif à la prévention de la délinquance, en proposant plusieurs mesures pour impliquer davantage les acteurs locaux de terrain, comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons, par exemple au Canada, notamment au sein des comités locaux de prévention de la délinquance.
Enfin, et c’est plus problématique, les députés ont adopté plusieurs articles qui augmentent considérablement les pouvoirs de la police et de la gendarmerie. J’y reviendrai, car nous avons estimé que ces articles, auxquels le ministère de l’intérieur est d’ailleurs hostile, posaient un problème de constitutionnalité.
Mes chers collègues, j’en viens à la position que la commission des lois a adoptée et que je vous propose de suivre.
Pour nous, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de la loi pénitentiaire. Il reprend des principes, rappelés par Mme le garde des sceaux, que la commission des lois a toujours défendus, y compris sous la précédente majorité – de façon irrégulière peut-être –, à savoir la nécessité de préparer la réinsertion de la personne condamnée et la liberté d’appréciation laissée au juge.
En cela, ce projet de loi se situe dans la lignée de l’École de la défense sociale nouvelle animée, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, par des hommes qui avaient vécu la déportation et les camps de concentration et qui voulaient affirmer leur foi en la réinsertion et en la possibilité de resocialisation de tous les délinquants et criminels. Plusieurs textes ont cependant fait exception à cette tradition : je pense à la néfaste loi Sécurité et liberté et aux différentes lois sur la récidive.
Pour le reste, nos lois se sont toujours inscrites dans cette tradition d’humanisme défendue par l’École de la défense sociale nouvelle, très inspirée par le christianisme social.
Si j’approuve totalement la création de la contrainte pénale, qui devrait permettre de combler quelque peu le retard de notre pays en matière de probation, j’ai néanmoins proposé plusieurs ajustements qui ont été acceptés par la commission.
Sur le champ de la contrainte pénale, nous sommes d’accord avec le compromis trouvé à l’Assemblée nationale et consistant à procéder par étapes : seront concernés d’abord les délits punis de cinq ans, puis, éventuellement, après une évaluation en 2017, tous les délits.
Toutefois, le système voté par les députés présente un défaut : il continue de faire de la contrainte pénale une simple alternative à l’emprisonnement, le juge pouvant prononcer l’une ou l’autre de ces peines. Dans ces conditions, je crains que les magistrats ne prononcent que très peu de contraintes pénales. Il faut sortir de l’idée que la prison est la seule peine adaptée à tous les types d’infractions, notamment aux petits délits.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très juste !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Afin de faire évoluer notre système pénal, la commission propose, outre les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, de faire de la contrainte pénale une peine de référence unique, tout en prévoyant, bien entendu, des peines alternatives et des sanctions pécuniaires, pour un certain nombre de délits peu graves. La liste qui a été retenue exclut toutes les atteintes aux personnes : il s’agit notamment du vol simple et de la conduite sous l’influence de l’alcool.
Cela ne signifie pas que la contrainte pénale devra être prononcée dans tous les cas pour ces infractions : si le juge considère que cette sanction est trop lourde, il pourra prononcer une peine d’amende, un TIG, un stage, une interdiction du permis de conduire, la confiscation du véhicule, etc. En revanche, il ne pourra plus prononcer de peine de prison. C’est à cela qu’il faut aboutir.
Nous verrons d’ici à quelques années si, comme je le souhaite, il est opportun d’élargir ce système. Pour moi, à terme, il faudra passer en matière correctionnelle du diptyque prison-amende au triptyque prison-contrainte pénale-amende. C’est ce qui nous a été proposé tout au long des auditions que nous avons menées, notamment par Robert Badinter, les représentants de la Commission consultative des droits de l’homme, Mme Delmas-Marty, Mme Herzog-Evans et le professeur Pin.
Nous avons également simplifié le système voté par les députés en faisant de la sanction du non-respect des obligations d’une contrainte pénale un délit autonome, puni de deux ans d’emprisonnement, comme c’est déjà le cas pour les TIG. Le système figurant dans le projet de loi présentait, me semble-t-il, quelques risques constitutionnels.
Je soumettrai enfin plusieurs ajustements visant notamment à rééquilibrer les pouvoirs entre la juridiction de jugement et le juge de l’application des peines.
Je considère, pour ma part, que le juge de l’application des peines est non pas le juge qui prononce la sanction, mais celui qui décide des obligations découlant de cette sanction et vérifie leur bonne exécution.
S’agissant des aménagements de peine, nous proposons d’en revenir au droit issu de la loi pénitentiaire, c’est-à-dire à un seuil de deux ans d’emprisonnement et d’un an pour les récidivistes. En cela, je suis ce que le Gouvernement prétendait vouloir, c’est-à-dire faire une différence entre les récidivistes et les non-récidivistes.
En effet, non seulement l’abaissement du quantum proposé par le projet de loi est incohérent avec le reste du texte, mais il devrait, en outre, conduire à augmenter mécaniquement de 5 000 le nombre de peines non aménageables, ce qui n’est pas envisageable au vu de la situation actuelle de nos établissements pénitentiaires. Nous avons souvent insisté ici pour préserver cet équilibre qui me paraît bon et, sur ce point, la commission propose de rester fidèle à sa position, telle qu’elle s’est exprimée au moment du vote de la loi pénitentiaire.
Je proposerai, par ailleurs, de supprimer les articles introduits par les députés donnant – sans aucun contrôle, il faut bien le dire – de nouveaux pouvoirs à la police et à la gendarmerie : possibilité de recourir à la géolocalisation et aux interceptions de communications à l’encontre de toute personne sortant de détention sans que la finalité soit expliquée, possibilité donnée aux officiers de police judiciaire de mettre en œuvre une transaction pénale – c’est à mon avis contraire au principe de la séparation des pouvoirs – ou des alternatives aux poursuites d’office, possibilité de communiquer des documents couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction, notamment aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, donc au préfet et au maire.
Le ministère de l’intérieur a confirmé, lors de mes auditions, qu’il était également défavorable à ces dispositions qui posent de nombreuses difficultés et qui, en l’état, passeraient difficilement, me semble-t-il, l’épreuve du Conseil constitutionnel.
Enfin, si, sur le principe, la commission est bien sûr favorable à la création d’une taxe de 10 % sur toutes les amendes pénales et les sanctions financières pour financer l’aide aux victimes, il existe un risque, car la nature juridique de cette majoration n’est pas claire : s’agit-il d’une taxe ou d’une sanction ? En toute hypothèse, pour éviter toute contestation sur le fondement du principe de proportionnalité, nous avons instauré un plafond. Le Gouvernement propose d’améliorer la rédaction de cet article et la commission émettra vraisemblablement demain matin un avis favorable sur cet amendement.
Mes chers collègues, je souhaite évoquer maintenant les trois articles introduits par la commission.
Il s’agit, d’abord, de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, comme l’ont également souhaité en commission Mmes Benbassa et Cukierman dans deux amendements identiques. Ces juridictions n’ont rien apporté ; elles ne prononcent pas de sanctions plus sévères que les tribunaux pour enfants ; elles ont compliqué le travail des juridictions tout en écartant la société civile, puisque les assesseurs devant les tribunaux pour enfants en ont été exclus. Tous les magistrats, sans exception, qui ont évoqué ces juridictions à l’occasion soit des auditions sur ce texte soit du rapport sur la protection judiciaire de la jeunesse que j’ai rédigé l’année dernière se sont prononcés pour leur suppression.
Sur la rétention de sûreté ensuite, j’ai proposé un dispositif intermédiaire, assez subtil, que la commission a entériné. Dans la mesure où, à l’heure actuelle, des personnes font l’objet d’une surveillance de sûreté, il ne serait pas responsable de supprimer totalement cette mesure sans prévoir de suivi pour ces dernières. L’amendement adopté par la commission supprime la rétention de sûreté en tant que telle, mais conserve la surveillance de sûreté et crée un délit autonome pour le cas où une personne ne respecterait pas ses obligations.
Enfin, puisque la commission des lois évoque régulièrement la situation des malades mentaux en prison, nous avons souhaité intégrer le dispositif de la proposition de loi de Jean-René Lecerf relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, texte dont j’ai été le rapporteur et que le Sénat a voté à l’unanimité au mois de janvier 2011. Le Gouvernement a déposé un amendement sur ce sujet que la commission examinera également demain.
Je terminerai mon propos par trois remarques, avant de formuler une conclusion.
Madame le garde des sceaux, vous le savez très bien, cette loi ne servira à rien si le Gouvernement ne dégage pas les moyens nécessaires, notamment en personnels de services de probation et en juges de l’application des peines. Le Gouvernement a pris des engagements clairs dans le cadre de ce projet de loi, notamment le recrutement de 1 000 personnels supplémentaires sur trois ans, 400 ayant d’ailleurs déjà été recrutés. Il faut que ces engagements soient respectés. C’est le gage du succès de ce texte ; un échec serait absolument dramatique.
Je rappelle que, si la loi pénitentiaire est aujourd’hui peu ou mal appliquée, c’est notamment parce que les postes annoncés par le précédent gouvernement n’ont pas été créés. L’objectif affiché est de parvenir à un ratio de 40 mesures par conseiller de probation : il faut qu’il soit tenu si l’on veut que les mesures de milieu ouvert fonctionnent.
Il existe une autre condition préalable à l’application de cette loi, à savoir la rénovation des méthodes de travail des services de probation. Cette question suscite beaucoup d’inquiétude chez les personnels – je les ai tous entendus –, mais elle doit être résolue pour que la probation devienne une alternative véritablement crédible à la détention. Les personnels des services de probation sont bien sûr des fonctionnaires exerçant un service public, mais ils peuvent être aidés et accompagnés par des militants associatifs, comme c’est déjà le cas pour les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse qui sont assistés par des associations habilitées.
Enfin – et vous l’avez évoqué au cours de votre audition devant la commission, madame le garde des sceaux –, il est nécessaire d’améliorer l’évaluation des politiques publiques en matière de sécurité. Les nombreuses lois votées au cours des dix dernières années se sont faites pratiquement « à l’aveugle », sans évaluation préalable, car notre outil d’évaluation est défaillant.
Cela est largement imputable aux outils statistiques du ministère de l’intérieur et, jusqu’à une date récente, du ministère de la justice, outils qu’il faut absolument améliorer. Le décret prévu par l’article 7 de la loi pénitentiaire, qui prévoyait une évaluation de la récidive par établissement pour peine, n’a toujours pas été publié. Néanmoins, vous avez récemment annoncé une réforme de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et la création d’un Observatoire de la récidive et de la désistance totalement indépendant du Gouvernement. Souhaitons qu’il soit bientôt mis en place et que l’on dispose ainsi d’un système d’évaluation fiable et indépendant.
Je conclurai sur le laxisme supposé du projet de loi. Voilà un terme que je ne cesse d’entendre à la télévision ou de lire dans les journaux à propos de ce texte. Or ce qui serait laxiste, ce serait de ne rien faire,…