compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Serge Larcher.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article additionnel après l’article 8 octies (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 9

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 300, texte de la commission n° 371, rapport n° 370, tomes I, II et III).

Nous poursuivons la discussion du texte de la commission spéciale.

TITRE Ier (Suite)

LIBÉRER L’ACTIVITÉ

Chapitre Ier (suite)

Mobilité

Mme la présidente. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier, à l’article 9.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article additionnel après l’article 9

Article 9

(Non modifié). – L’intitulé du chapitre 1er du titre 2 du livre 2 du code de la route est ainsi rédigé : « Vérification d’aptitude, délivrance et catégories ».

bis. – (Supprimé)

II. – Le même chapitre Ier est complété par des articles L. 221-3-1A à L. 221-8 ainsi rédigés :

« Art. L. 221-3-1A. – L’organisation des épreuves suivantes est assurée par l’autorité administrative ou par des personnes agréées par elle à cette fin :

« 1° Toute épreuve théorique du permis de conduire ;

« 2° Toute épreuve pratique des diplômes et titres professionnels du permis de conduire d’une catégorie de véhicule du groupe lourd.

« Les frais pouvant être perçus par les organisateurs agréés auprès des candidats sont réglementés par décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence.

« Art. L. 221-3-1. – (Supprimé)

« Art. L. 221-4. – L’organisateur agréé d’une épreuve du permis de conduire présente des garanties d’honorabilité, de capacité à organiser l’épreuve, d’impartialité et d’indépendance à l’égard des personnes délivrant ou commercialisant des prestations d’enseignement de la conduite.

« Il s’assure que les examinateurs auxquels il recourt présentent les garanties mentionnées à l’article L. 221-6.

« Art. L. 221-5. – L’organisation des épreuves du permis de conduire répond au cahier des charges défini par l’autorité administrative, qui en contrôle l’application. L’autorité administrative a accès aux locaux où sont organisées les épreuves.

« Art. L. 221-6. – Les épreuves du permis de conduire sont supervisées par un examinateur présentant des garanties d’honorabilité, de compétence, d’impartialité et d’indépendance à l’égard des personnes délivrant ou commercialisant des prestations d’enseignement de la conduite.

« Art. L. 221-7. – I. – En cas de méconnaissance de l’une des obligations mentionnées aux articles L. 221-4 à L. 221-6, l’autorité administrative, après avoir mis l’intéressé en mesure de présenter ses observations, peut suspendre, pour une durée maximale de six mois, l’agrément mentionné à l’article L. 221-3-1A.

« II. – En cas de méconnaissance grave ou répétée de l’une des obligations mentionnées aux articles L. 221-4 à L. 221-6, l’autorité administrative, après avoir mis l’intéressé en mesure de présenter ses observations, peut mettre fin à l’agrément mentionné à l’article L. 221-3-1A.

« III. – En cas de cessation définitive de l’activité d’organisation d’une épreuve du permis de conduire, il est mis fin à l’agrément mentionné à l’article L. 221-3-0-1A.

« Art. L. 221-8. – Les modalités d’application des articles L. 221-3-1A à L. 221-7 sont fixées par décret en Conseil d’État. »

II bis. – (Supprimé)

II ter. – (Supprimé)

III. – Après l’article L. 213-8 du même code, il est inséré un article L. 213-9 ainsi rédigé :

« Art. L. 213-9. – Les établissements agréés au titre de l’article L. 213-1 rendent publics, pour chaque catégorie de véhicule, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les taux de réussite des candidats qu’ils présentent aux épreuves théoriques et pratiques du permis de conduire rapportés au volume moyen d’heures d’enseignement suivies par candidat. »

IV. – L’article L. 312-13 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le passage de l’épreuve théorique du permis de conduire peut être organisé, en dehors du temps scolaire, dans les locaux des lycées et établissements régionaux d’enseignement adapté, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article L. 214-6-2 du présent code, au bénéfice des élèves qui le souhaitent et qui remplissent les conditions fixées par le code de la route pour apprendre à conduire un véhicule à moteur en vue de l’obtention du permis de conduire. »

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, sur l’article.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’article 9, le Gouvernement entend réformer les modalités de passage des épreuves du permis de conduire, afin de réduire le temps et le coût de cette épreuve.

Le permis de conduire est un élément indispensable d’intégration sociale et professionnelle, mais les délais d’attente restent extrêmement longs, ce qui rend son obtention d’autant plus chère.

Nécessaire, il est difficile d’accès pour les jeunes, lesquels, rappelons-le, sont particulièrement touchés par la précarité et le chômage et n’ont pas toujours les moyens de financer ce permis.

Nous partageons donc la volonté de réduire les délais d’attente et le coût du permis de conduire, mais sommes en revanche opposés à une externalisation faisant intervenir des acteurs privés.

Si les délais d’attente sont aujourd’hui de 98 jours en moyenne, ils peuvent aller jusqu’à cinq mois dans certains départements. Cependant, le recours à une nouvelle profession réglementée agréée par l’État ne nous paraît pas constituer la solution appropriée.

Seuls 1 300 inspecteurs du permis de conduire recrutés sur concours et répartis dans 700 centres assument aujourd’hui la fonction d’examinateur. Si les délais d’attente sont trop longs, c’est que le nombre des examinateurs est sans doute insuffisant.

Le recrutement de nouveaux examinateurs semble donc la solution logique, plutôt que la délégation au privé et la libéralisation de ces missions, comme vise à l’instaurer cet article.

L’article 9 a été largement épuré par la commission spéciale. Ainsi, le recours à des agents de la fonction publique non formés pour faire passer cet examen a été supprimé, ce dont nous nous félicitons.

D’autres dispositions ont été supprimées de manière plus regrettable. En effet, bien qu’elles ne relèvent pas nécessairement du domaine de la loi, elles méritent à notre sens d’être envisagées.

Il en est ainsi de l’inscription dans la loi du permis en tant que service universel. Certes, l’arrêté du 22 octobre 2014 fixant la méthode nationale d’attribution des places d’examen du permis de conduire prévoit déjà que tout candidat au permis de conduire se voit proposer une place d’examen, qu’il se présente en candidat libre ou par l’intermédiaire d’un établissement. Toutefois, l’inscription dans la loi de ce principe l’aurait renforcé.

Je souhaite par ailleurs évoquer la conduite supervisée sans condition de durée, dispositif introduit par l’Assemblée nationale mais supprimé par la commission spéciale du Sénat, qui nous paraît suffisamment intéressant pour être renforcé. Actuellement ouvert aux jeunes d’au moins dix-huit ans, il permet la conduite sous surveillance constante et directe d’un accompagnateur, après validation de la formation initiale par l’enseignant de conduite. Généraliser sa pratique après l’échec d’une première tentative, par exemple dans l’attente du second passage, permettrait de diminuer le coût du permis de conduire.

Vous le voyez, les dispositifs alternatifs sont nombreux. Ainsi, le recours à une externalisation privée de la gestion des épreuves du permis peut être évité, ce que nous souhaitons.

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 668 rectifié, présenté par M. Kern, Mme Gatel et MM. Marseille et Médevielle, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

bis. – Au début du même chapitre Ier, il est ajouté un article L. 221-1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 221-1 A. – L’accès aux épreuves théoriques et pratiques du permis de conduire est un service universel. Tout candidat se présentant librement ou par l’intermédiaire d’un établissement ou d’une association agréé au titre des articles L. 213-1 ou L. 213-7, et ayant déposé une demande de permis de conduire se voit proposer une place d’examen, sous réserve d’avoir atteint le niveau requis. L’aptitude est vérifiée par la délivrance d’une attestation de fin de formation initiale dans des conditions de réalisation précisées par décret. »

La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Cet amendement vise à rétablir et à compléter certaines dispositions supprimées par la commission spéciale, qui tendaient, d’une part, à qualifier de « service universel » l’accès aux épreuves théoriques et pratiques du permis de conduire et, d’autre part, à donner valeur législative aux dispositions réglementaires selon lesquelles tout candidat au permis de conduire se voit proposer une place d’examen, qu’il se présente en candidat libre ou par l’intermédiaire d’un établissement.

L’amendement tend à conditionner l’accès à l’épreuve pratique du permis de conduire à la réalisation d’une attestation de fin de formation initiale, qui permettra de vérifier que le niveau de compétences du candidat est suffisant.

Ces dispositions, dont l’objet est la diminution du coût du permis pour les candidats, sont essentielles. En effet, elles permettront de réduire le délai d’attente et, donc, le coût de la formation, sachant qu’un mois d’attente supplémentaire représente un coût de 200 euros pour l’élève. À titre indicatif, si les délais d’attente sont ramenés à 45 jours, soit le délai moyen européen, chaque élève pourra économiser de 400 à 600 euros.

Mme la présidente. L'amendement n° 1463, présenté par M. Guillaume, Mme Bricq, M. Filleul, Mmes Emery-Dumas et Génisson, MM. Bigot, Cabanel, Marie, Masseret, Raynal, Richard, Sueur, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rétablir le I bis dans la rédaction suivante :

Au début du même chapitre Ier, il est ajouté un article L. 221-1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 221-1 A. – L’accès aux épreuves théoriques et pratiques du permis de conduire est un service universel. Tout candidat se présentant librement ou par l’intermédiaire d’un établissement ou d’une association agréée au titre des articles L. 213-1 ou L. 213-7, et ayant déposé une demande de permis de conduire se voit proposer une place d’examen, sous réserve d’avoir atteint le niveau requis. »

La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul. Cet amendement vise à définir l’accès aux épreuves du permis de conduire comme un service universel.

La commission spéciale a considéré que le renvoi à cette notion n’était pas approprié, en raison du caractère public de l’organisation des épreuves du permis de conduire et de l’absence de portée normative de cette mention.

Par ailleurs, elle a estimé la mesure superflue au regard de l’arrêté du 22 octobre 2014 fixant la méthode nationale d’attribution des places d’examen du permis de conduire.

Par le présent amendement, il s’agit de consacrer dans la loi le fait que l’accès au permis de conduire est un service universel, accessible équitablement, c'est-à-dire de la même façon sur tout le territoire, dans les mêmes délais et à un prix raisonnable.

L’inégalité est d’abord territoriale, ensuite financière, puisque le coût est en moyenne de 1 500 à 1 600 euros. Faire de l’accès au permis de conduire un service universel, c’est rétablir l’équité territoriale et répondre au problème des délais.

Dans cet esprit, le projet de loi a sa cohérence. C’est la raison pour laquelle il convient de rétablir dans la loi une telle affirmation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Je dirai en préambule que la commission spéciale partage le même objectif de réduction des délais de passage aux épreuves pratiques du permis de conduire, délais qui sont inacceptables puisqu’ils varient, selon les départements, de 98 jours à 200 jours entre deux présentations.

Dans le cadre de ses travaux, la commission spéciale a estimé, compte tenu de l’ampleur du projet, que le législateur n’était pas à même de voter des mesures dérogatoires au droit commun. À ce sujet, nous reviendrons sur la question du recours à des agents contractuels, qui mériterait d’être étayée par certains éléments, dont nous ne disposons pas. Mais peut-être, monsieur le ministre, êtes-vous en possession d’une étude d’impact que vous pourrez nous transmettre.

Bien que proches, ces amendements ne sont pas identiques. Certes, en termes de communication, affirmer que l’accès aux épreuves du permis de conduire est un service universel, cela sonne plutôt bien.

La notion de service universel est utilisée dans les secteurs des industries de réseau et de communication, notamment les services postaux et d’électricité, pour imposer la fourniture d’un service public minimal dans un environnement concurrentiel. Or le présent projet de loi conserve, me semble-t-il, le caractère public de l’organisation des épreuves du permis de conduire.

De plus, la portée normative d’un tel concept est limitée.

À quoi sert donc cette affirmation ? Ouvrira-t-elle la possibilité de se retourner contre l’État si les délais de présentation au permis sont trop longs ? Je ne le crois pas ! Au demeurant, si tel était le cas, nous nous engagerions dans des dépenses d’indemnisation des candidats.

Si l’objectif est simplement de proclamer que l’accès aux épreuves doit être assuré dans des conditions convenables pour chacun, nous pouvons ériger beaucoup d’autres services publics en services universels : l’accès à la carte grise, le renouvellement des papiers d’identité, l’état civil, le passage du baccalauréat ou l’accès à un conseiller de Pôle emploi…

L’enjeu, réel, est de réduire dans les faits les délais de présentation aux épreuves et non pas d’édicter des affirmations déclaratoires.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission spéciale a émis un avis défavorable sur ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 668 rectifié, au bénéfice de l’amendement n° 1463, sur lequel il émet un avis favorable.

L’amendement n° 668 rectifié vise à rétablir, d’une part, la notion de service universel et, d’autre part, la notion d’équité sur l’ensemble du territoire, sur laquelle je reviendrai. Toutefois, il prévoit également quelques contraintes supplémentaires, en particulier la création d’une attestation de fin de formation initiale, qui ne nous paraît pas opportune.

Quant à l’amendement n° 1463, il vise à rétablir la notion de service universel, ce qui, pour ce qui concerne l’accès aux épreuves théoriques et pratiques, conserve du sens, la réforme prévoyant également une externalisation de certains de ces examens.

Par ailleurs, il tend à poser le principe suivant : « Tout candidat se présentant librement ou par l’intermédiaire d’un établissement ou d’une association agréée […] se voit proposer une place d’examen ». Ainsi, au-delà du simple concept de service universel, qui nous paraît particulièrement fort et utile, il s’agit de poser le principe, insuffisamment appliqué sur le territoire, d’une présentation libre ou par l’intermédiaire d’un établissement.

Service universel et service public sont des notions proches, mais distinctes. L’argument qui consiste à dire que l’inclusion dans la sphère publique vide de son sens la notion de service universel n’est pas pleinement valide.

Par conséquent, le fondement de votre argument – le service universel est en réalité un service public ; nous n’en avons donc pas besoin – ne me semble pas devoir être retenu.

En revanche, il est vrai que la portée de la notion de service universel, considérée à l’aune du seul article 9, n’est pas complètement normative. C’est que le détail pratique se situe dans l’article qui prévoit le recours à des agents publics, article sur lequel nous reviendrons. Nous nous donnons donc, dans la suite du texte, les moyens de donner un contenu à ce service.

Dès lors, premièrement, poser d’abord le principe dans l’article 9 et revenir ensuite sur les modalités pratiques paraît utile et pertinent.

Deuxièmement, préserver la notion d’inscription équitable sur l’ensemble du territoire à l’examen du permis de conduire me paraît important. En effet, dans de nombreux endroits du territoire, on l’a vu, l’équité n’est pas pleinement respectée. Il y a encore de nombreux endroits où les personnes se présentant en candidat libre, ce qui peut arriver, notamment pour celles qui ont suivi une formation plusieurs années avant, ne sont pas inscrites dans les mêmes conditions que celles qui passent par une auto-école. Il nous semblait donc essentiel de rétablir, par la loi, cette égalité d’accès à l’examen.

C’est pour ces deux raisons que le Gouvernement émet un avis favorable à l’amendement n° 1463.

M. Jean-Jacques Filleul. Merci, monsieur le ministre !

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Je voudrais réagir aux propos tenus à l’instant par M. le ministre.

Je me félicite d’abord qu’il considère le principe dont nous parlons comme n’ayant pas de portée normative.

Je rappelle, ensuite, les dispositions de l’arrêté du 22 octobre 2014, fixant la méthode nationale d’attribution des places d’examen au permis de conduire, lesquelles prévoient déjà que tout candidat au permis de conduire se voit proposer une place d’examen, qu’il se présente en candidat libre ou par l’intermédiaire d’une auto-école.

Dès lors, la précision que tend à introduire l’amendement n° 1463 ne me semble pas nécessaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. C’est un sujet important, sur lequel, madame la corapporteur, vous avez tenu une argumentation purement juridique. Vous avez notamment évoqué l’indemnisation qui pourrait être demandée à l’État par le candidat ne pouvant passer le permis, si l’accès à celui-ci était érigé en service universel.

Ces dispositions, madame la corapporteur, ne sont pas seulement déclamatoires ; elles fixent un principe. Il faut regarder la réalité en face : pour beaucoup de jeunes, notamment pour les moins aisés, passer le permis, c’est comme avoir un diplôme.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq. Le permis, c’est même souvent le seul diplôme que ces jeunes obtiendront jamais !

Avec le service militaire, beaucoup d’hommes ont pu passer le permis de conduire, et parfois même le permis poids lourds.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Cela leur offrait la possibilité de trouver un emploi à la sortie du service militaire.

Cela n’existe plus dorénavant. Le principe de l’universalité de l’accès aux épreuves me paraît donc vraiment important. Il n’est pas normal, en effet, que la situation varie en fonction des territoires.

Je fais partie d’une génération qui n’a pas réellement connu de problèmes pour passer son permis. J’étais de la campagne et, je le dis, je ne pouvais pas faire autrement que de le passer dès mes dix-huit ans. Mais c’était, j’en conviens, il y a très longtemps…

M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Mais non !

Mme Nicole Bricq. Aujourd’hui, les inégalités territoriales en la matière sont effrayantes, sans parler du coût.

Pour d’autres professions réglementées, la commission spéciale a adopté des amendements qui rappelaient la nécessité du diplôme. Or, en l’espèce, il s’agit bien, pour tous ces jeunes, d’un diplôme d’entrée dans la vie, dont le coût est prohibitif.

Je ne comprends pas votre attitude, mesdames, monsieur les corapporteurs. Comme le disait un homme célèbre, les faits sont têtus. Vous ne voyez pas la réalité, et, en nous sortant une argumentation purement juridique, d’ailleurs contestable, vous ne faites pas preuve de pragmatisme. (Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur, s’exclame.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Madame Bricq, je m’étonne que vous reprochiez implicitement aux corapporteurs, à mots certes châtiés, de tenir un raisonnement juridique.

Mme Nicole Bricq. « Purement juridique », ai-je dit !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Nous sommes ici pour écrire la loi. Le rôle des corapporteurs est d’éclairer la Haute Assemblée. Dominique Estrosi Sassone l’a fait excellemment, en rappelant le sens des dispositions contenues dans l’amendement auquel le Gouvernement est favorable.

La notion dont nous parlons n’a bizarrement pas de traduction juridique. Elle est donc, en l’espèce, purement déclamatoire. Sans reprendre l’excellent raisonnement tenu à l’instant par Mme la corapporteur, il est normal que le Sénat soit éclairé sur la portée du principe proposé.

On pourrait très bien élever au rang de service universel d’autres prestations fournies par l’administration et utiles à nos concitoyens.

Pour sa part, la commission spéciale a eu tendance à considérer que cet aspect déclamatoire avait une valeur plus esthétique que juridique.

M. Didier Guillaume. Il faut penser aux jeunes !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Mme la corapporteur a donc indiqué que l’introduction de ces dispositions ne semblait pas particulièrement opportune. M. le ministre l’a reconnu de manière implicite, si on voulait traduire ses propos, en indiquant qu’il s’agissait d’un principe fort : ces dispositions ont surtout servi à ressouder les troupes dans une autre assemblée… (Sourires. –M. le ministre proteste.)

Plutôt que de proclamer des intentions difficilement suivies d’effets, nous essayons de bien mettre les choses en place d’un point de vue juridique, de bien écrire la loi, et d’éviter les dispositions déclamatoires dépourvues de toute traduction juridique.

C’est tout le sens des propos tenus à l’instant par Mme la corapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je ne comptais pas reprendre la parole, mais l’intervention de M. le président de la commission spéciale m’y oblige. Il ne faut pas tirer d’interprétation psychologique de mes propos ! La loi n’est pas faite pour ressouder les troupes, pas plus que pour porter des principes abstraits.

Mme Nicole Bricq. Bien sûr que non !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit là, en l’espèce, d’un principe important, dont nous déclinons l’ensemble des modalités dans la suite des articles. Je regrette d’ailleurs que la commission spéciale ait décidé, par esprit de cohérence, de supprimer également les modalités permettant l’application de ce service universel.

Ce principe crée, cela a été dit, un droit opposable. Cette idée prospérera. On fait ainsi porter sur les pouvoirs publics – je l’assume d’ailleurs totalement – l’obligation de respecter la limite des quarante-cinq jours, soit la moyenne européenne. Peut-on en effet se satisfaire des quatre-vingt-dix-huit jours d’attente, la moyenne dans notre pays ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Non, bien sûr…

M. Emmanuel Macron, ministre. Nous sommes-nous totalement donné les moyens de lutter contre cette situation jusqu’à aujourd’hui ?

Le ministre de l’intérieur a entamé, il y a quelques mois, une réforme qui n’avait pas été entreprise depuis des années. Cette réforme tend à créer les voies et moyens d’améliorer cet examen et son accès.

Les dispositions dont nous discutons permettent de dégager les enjeux, de poser un principe. Nous mettons les pouvoirs publics face à une obligation de résultat : l’attente ne pourra excéder quarante-cinq jours. Les choses vont donc changer : avec ce principe, nous créons une dynamique.

Par ailleurs, le principe de l’égalité d’accès à la formation est également posé, et la notion de service universel est complétée par le dispositif de l’amendement n° 1463, qui fait référence à l’égalité d’accès à l’inscription. (Mme Nicole Bricq acquiesce.)

Les évolutions sont en cours. Au-delà du principe de l’égalité d’accès à l’inscription posé dans cet article – je reconnais bien, monsieur le président de la commission spéciale, qu’il ne s’agit que d’un principe, mais il est ensuite décliné en diverses mesures juridiques –, les dispositions qu’il contient fixent les contraintes qui pèseront sur les pouvoirs publics.

Le choix du Gouvernement, qui s’est rangé sur ce point à une proposition émanant du Parlement, a été d’aller au bout de cette logique, et de prendre ses responsabilités.

Nous devons faire face, aujourd’hui, à une situation d’échec collectif. Je regrette de le dire, mais on ne peut pas reprocher au Gouvernement, dont l’ambition n’est pas de ressouder les troupes ni de défendre des principes seulement généraux, de prendre ses responsabilités et d’essayer d’être efficace là où beaucoup, jusqu’ici, avaient échoué.

Les faits sont têtus, en effet : en France, l’attente entre les deux premiers passages du permis est de quatre-vingt-dix-huit jours en moyenne ; elle est même de plus de deux cents jours pour la plupart des métropoles. Ce n’est pas excusable. Vous savez d’ailleurs quels sont ces délais dans le territoire que vous connaissez bien, monsieur le président de la commission spéciale ; vous ne pouvez donc que ressentir une profonde empathie pour le principe dont nous discutons, et pour les modalités qui en découlent. (Sourires.)