M. Jacques Mézard. On vous l’avait bien dit !
M. François Pillet, corapporteur. Je ne désespère jamais !
En revanche, outre un certain nombre de clarifications portant sur la rédaction et les conditions d’entrée en vigueur, il est vrai qu’il existe des divergences de vues entre la commission spéciale et le Gouvernement quant aux modalités qui doivent permettre d’atteindre cet objectif de spécialisation.
Ces divergences s’expliquent principalement, me semble-t-il, par le souci de la commission de mieux prendre en compte la question de la proximité, du point de vue des entreprises concernées par une procédure devant un tribunal de commerce.
M. Charles Revet. C’est très important !
M. François Pillet, corapporteur. Reprenons les points que vous avez évoqués, madame la secrétaire d’État.
S’agissant du nombre des TCS, le ministre nous en proposait 8 ou 9, là où la commission spéciale en propose au moins 1 par cour d’appel, soit environ 35 sur un total de 134. Cela signifie que 100 tribunaux de commerce disparaissent dans le cadre de la spécialisation.
Le but recherché est d’avoir un tribunal spécialisé par cour d’appel. Nous n’ignorons pas que la carte des 30 cours d’appel de métropole sera nécessairement revue dans les prochaines années. Dans certains cas, nous devrons avoir deux ou trois TCS par cour d’appel.
Le texte de la commission spéciale prévoit donc un tribunal spécialisé au moins par cour d’appel. Cette proposition reflète la situation particulière de certaines cours. Qu’allons-nous faire, en effet, pour la cour d’appel de Paris, avec les tribunaux de commerce de Paris, Bobigny et Créteil, pour la cour d’appel de Versailles, avec les tribunaux de commerce de Versailles, de Nanterre et de Pontoise, et, pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence, avec les tribunaux de commerce de Nice et de Marseille ? Quel serait l’intérêt pour une entreprise de voir sa procédure délocalisée de Pontoise, qui est un tribunal important et compétent, à Nanterre ? En outre, 8 ou 9 tribunaux spécialisés ne pourraient pas assurer un maillage territorial suffisant.
Il y a là, certes, un point de divergence. Mais j’avais pensé que la discussion était ouverte, et ce d’autant plus que l’Agence France Presse nous annonce pour les prochaines semaines des turbulences – c’est le moins que l’on puisse dire ! – dans les tribunaux de commerce.
Pour ma part, je n’ai pas retenu ces turbulences, mais ce que disaient les juges des tribunaux de commerce. Dans leurs propositions, j’avais entrevu la possibilité d’un accord global entre la commission spéciale, qui peut s’effacer, le Gouvernement et les tribunaux de commerce.
Que souhaitent ces juges ? Des mécanismes de prévention, certes, mais surtout l’augmentation du seuil de compétence automatique des tribunaux spécialisés.
Hier, le ministre nous a dit, ici même, qu’il pouvait entendre la proposition portant sur le seuil de 250 salariés. Vous étiez un peu moins nombreux qu’aujourd’hui, mes chers collègues, mais j’ai tout de même des témoins ! (Oui ! au banc des commissions.)
M. Roger Karoutchi. C’est la raison pour laquelle le ministre n’est pas venu aujourd’hui !
M. François Pillet, corapporteur. S’agissant de la compétence automatique des tribunaux spécialisés, le projet de loi renvoyait à des seuils fixés par décret. Dans ce cas, on ne risque pas d’avoir beaucoup d’assurances !
Le ministre avait évoqué au départ le seuil de 150 salariés, qui figure dans l’étude d’impact, mais s’est montré ouvert, aussi bien lors de son audition solennelle devant notre commission que dans le cadre des nombreuses rencontres que j’ai eues avec lui, en tant que corapporteur, au ministère ou au Sénat. Il avait ainsi accepté le seuil, non pas de 400 salariés, qui n’est d’ailleurs pas demandé par les juges des tribunaux de commerce qui s’apprêtent à manifester, mais de 250 salariés. C’est un premier point : si ce seuil est admis, tout est débloqué !
Or, madame la secrétaire d’État, vous ne confirmez plus ce qui était pourtant acquis ce matin, à l’aube frémissante ! (Sourires.)
Au-delà de ces seuils, nous avons ouvert une compétence automatique pour les tribunaux spécialisés. Cette compétence serait certes facultative, mais la saisine du premier président de la cour d’appel est, quant à elle, obligatoire. Là encore, il y a un seuil important. Pour le reste, on retombe dans le droit commun.
Enfin, s’agissant des mécanismes de prévention, il faut savoir comment tout cela fonctionne, en particulier dans certains territoires. J’entends déjà Jacques Mézard, qui ne manquera pas de s’exprimer à ce sujet ! (M. Jacques Mézard le confirme.)
Comment trouver une solution souple pour les entreprises en difficulté ?
Même si la procédure de conciliation est de plus en plus imbriquée dans la procédure de sauvegarde, avec la sauvegarde accélérée, les divers mécanismes de prévention se caractérisent par leur souplesse, leur rapidité et, surtout, leur confidentialité. Le chef d’entreprise ne viendra confier ses premiers ennuis qu’à un juge qu’il connaît et qu’il connaît parce qu’il se trouve dans son territoire !
M. Jacques Mézard. Oui !
M. François Pillet, corapporteur. De ce point de vue, si ces procédures sont regroupées avec la sauvegarde, le redressement et la liquidation, vous pouvez dire adieu à ces premières tentatives de conciliation !
C’est la raison pour laquelle la commission spéciale a décidé d’exclure les premières approches de règlement des difficultés des entreprises de la compétence des tribunaux spécialisés. Était-ce si difficile d’aller jusque-là ? Je ne le pense pas. Là encore, le Gouvernement avait une ouverture.
Je me suis prononcé sur les points essentiels. Restent les scories. La commission spéciale a conservé la compétence de droit des tribunaux spécialisés en matière de procédures européennes et internationales. Elle a approuvé le regroupement des procédures concernant les sociétés d’un même groupe au point de systématiser ce dispositif dans un article 67 bis nouveau.
Les deux points de divergence qui persistent entre le Gouvernement et la commission spéciale peuvent facilement être réduits, ce qui permettrait d’éteindre le feu qui couve et qui prendra légitimement sous peu dans les tribunaux de commerce.
Voici ce que j’aurais suggéré au ministre s’il avait été présent - mais le Gouvernement est un et indivisible. Il lui est possible, sans perdre la face, au vu des propos qui ont été tenus hier, de trouver une solution correspondant à l’envie de réforme qui l’anime tout en satisfaisant l’ensemble des acteurs. Le Gouvernement pourra toujours profiter de la commission mixte paritaire pour trouver un texte intermédiaire.
Encore une fois, ai-je été assez sot d’y croire ! Jacques Mézard me répondra que oui !
M. Roger Karoutchi. Non ! Ce ne serait pas élégant !
Mme Annie David. Vous avez été confiant !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Un naïf !
M. François Pillet, corapporteur. Mais moi, j’y crois ! Que le Gouvernement reconnaisse que ce sujet est vraiment un point d’irritation et admette de se montrer légitime, avisé, réfléchi en décidant de retirer son amendement pour permettre de discuter sur la base de ce qu’a proposé la commission spéciale.
M. Charles Revet. C’est le bon sens !
M. François Pillet, corapporteur. Ce faisant, le Gouvernement ne sauve pas la face : il gouverne, comme il doit le faire. La porte est ouverte et, madame la secrétaire d'État, vous avez la possibilité de satisfaire non seulement le rapporteur, la commission spéciale et Jacques Mézard – certes, tout cela est de peu d’importance (Sourires.) –,...
M. Roger Karoutchi. Non !
M. François Pillet, corapporteur. … mais aussi et surtout tous les tribunaux de commerce.
Cette solution me semble honnête. Je tends une perche au Gouvernement. Saisissez-la,...
M. Charles Revet. Il est bien, ce rapporteur !
M. François Pillet, corapporteur. … car le compte rendu des débats attestera tous les efforts qu’a consentis le Sénat, toute la sagesse dont il a fait preuve, dans la recherche d’une solution intelligente et consensuelle.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. François Pillet, corapporteur. Si vous ne le faites pas, je le répète, je ne suis pas sûr que le Gouvernement gouverne ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Madame le secrétaire d’État, évidemment, ces propos ne s’adressent pas à vous personnellement. (Mme la secrétaire d’État fait la moue.) Pour autant, même si vous n’êtes pas en cause, je déplore, au nom de la commission spéciale et d’un certain nombre des membres de la Haute Assemblée, que le ministre ne soit pas présent aujourd’hui, qu’il n’ait pas souhaité nous prévenir et qu’il n’y ait eu aucune communication en séance sur les raisons de son absence.
Je le répète, madame la secrétaire d'État, ce n’est pas contre vous : après tout, dans un gouvernement, tout ministre est habilité à prendre la parole pour défendre la position du Gouvernement. C’est la règle. Cela étant, nous débattons de l’un des grands sujets de ce projet de loi. Le ministre m’a informé par texto qu’une obligation l’empêchait d’être présent. Soit, mais j’aurais préféré en être averti à l’avance.
Nous nous sommes quittés tôt ce matin, nous aurions pu organiser nos travaux afin de reprendre ce sujet plus tard avec lui.
Comme l’a rappelé fort justement à l’instant le rapporteur – j’en profite pour saluer sa constance et son talent, parce qu’il faut beaucoup d’abnégation pour reprendre, dans ces circonstances, une plaidoirie entamée à trois heures trente du matin et exposer avec brio la position que la commission spéciale a adoptée et qui reçoit le soutien d’un certain nombre de nos collègues –, ce ne sont pas de bonnes conditions pour débattre. Ce n’est à la hauteur ni de ce texte ni du sujet.
Par cette attitude, qui ne peut pas être une simple maladresse, nous mesurons l’absence de considération du Gouvernement pour les tribunaux de commerce. Quand on est ministre, on a conscience de la portée de ses actes. Je tiens à le dire solennellement au regard du débat qui a lieu cette nuit et de l’importance du sujet.
Pour notre part, nous souhaitons nous en tenir au sujet, fondamental pour le pays et pour la République et à une réforme que tout le monde attend. Nous poursuivrons le débat dans l’esprit constructif qui est le nôtre, mais, que ce soit clair, il ne faut pas trop tirer sur la corde ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)
Mme Nicole Bricq. Non, en effet, il ne faut pas trop tirer sur la corde, monsieur le rapporteur !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le rapporteur, nous étions quelques-uns – vaillants ! – de mon groupe à admirer votre plaidoirie à l’issue de laquelle, très tôt ce matin, après un débat d’une heure et demie, vous êtes parvenu à convaincre vos amis de la majorité sénatoriale de retirer un amendement de suppression défendu par Pascale Gruny. Le ministre était présent et nous aurions pu achever cette discussion cette nuit. (On le conteste sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.) Bien sûr que si ! Alors, ne nous reprochez pas d’en débattre encore cet après-midi.
M. François Pillet, corapporteur. Nous sommes dans la tragédie grecque : unité de lieu et unité de temps !
Mme Nicole Bricq. Je ne reviendrai pas sur le débat qui nous a occupés cette nuit, car je veux appuyer la position qu’a prise le Gouvernement par rapport au texte de la commission spéciale.
Reconnaissez que le ministre a eu droit à un procès en incompétence et en parisianisme ! (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. François Pillet, corapporteur. Non !
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Bricq. Bien sûr que si ! Il a même été question d’absence de clairvoyance.
Mais ce n’était rien comparé à ce que j’ai lu depuis. Ayant passé la journée d’hier dans l’hémicycle, je n’ai découvert que ce matin les déclarations de M. Yves Lelièvre, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, qui annonce, dans un point presse, une grève à partir du 11 mai prochain.
M. François Pillet, corapporteur. Peu importe ! Écoutez ce qu’il propose !
Mme Nicole Bricq. Voilà ce qu’il déclare à l’endroit, je le suppose, des fonctionnaires et des membres du cabinet du ministre : « Ce sont des voyous, qui croient tout connaître, tout savoir, et qui en réalité ne savent pas grand-chose. »
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Nous sommes là pour parler du texte, pas des points de presse !
Mme Nicole Bricq. Je veux témoigner du professionnalisme de l’administration, notamment des commissaires au redressement productif. J’ai été confrontée à un problème récemment dans mon département, à Mitry-Mory, à quarante kilomètres de Paris : j’y ai vu l’un des commissaires au redressement productif mandatés dans la région d’Île-de-France se battre au quotidien, main dans la main avec le président du tribunal de commerce.
Alors, sur la réalité du terrain, ne nous la faites pas ! Ce n’est pas acceptable ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Je trouve ces réactions disproportionnées ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous êtes partiale !
Mme Nicole Bricq. Le texte de la commission spéciale prévoit au moins un tribunal de commerce spécialisé dans le ressort de chaque cour d’appel. C’est excessif et cela ne marchera pas. Cela revient à multiplier les tribunaux de commerce spécialisés qui traiteront chacun très peu d’affaires par an.
Certes, il faut répondre aux quelques problématiques géographiques qui ont été identifiées. Pour Versailles et Nanterre où, on le sait, un seul tribunal de commerce spécialisé ne suffira pas, Catherine Tasca avait proposé un amendement au groupe socialiste : il a disparu pour des raisons que je ne comprends toujours pas.
Il est également question de la compétence automatique du tribunal de commerce spécialisé pour les procédures collectives d’entreprise de plus de 250 salariés et pour les procédures transfrontalières. La commission spéciale veut relever le seuil envisagé par le Gouvernement, ce qui limitera encore, à l’excès, selon moi, le nombre d’affaires dont cette juridiction pourra être saisie. La commission prévoit également une compétence facultative pour les procédures renvoyées par la cour d’appel.
Compte tenu de la somme de ces modifications, un tribunal de commerce spécialisé ne traitera qu’une à deux affaires par an. En clair, cela revient à supprimer le dispositif introduit par le Gouvernement.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes battu toute la nuit pour empêcher vos amis de supprimer cet article, au motif qu’il était possible de parvenir à un accord avec le Gouvernement. Aujourd'hui, vous reprochez à celui-ci de ne pas bouger. C’est que les points de vue de la commission spéciale et du Gouvernement divergent ; certes, ils peuvent se rapprocher, et le ministre a fait preuve de compréhension, mais la commission spéciale supprime le dispositif qu’il propose ! Vous ne réécrivez pas le texte. Ce n’est pas vrai, c’est même tout le contraire : vous le supprimez !
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Nicole Bricq. Je souhaite que nous parvenions à un accord, mais, pour filer la métaphore, la ficelle est un peu grosse. C’est même une corde de marin !
M. le président. La parole est à M. François Pillet, corapporteur.
M. François Pillet, corapporteur. Madame Bricq, nos débats viennent à peine de reprendre, et je souhaite que nous prenions l’engagement de ne pas nous agacer mutuellement tout l’après-midi.
Je suis obligé de rectifier vos propos. Vous venez de prêter à des parlementaires, accessoirement à moi, des propos rapportés qui seraient ceux de M. Lelièvre. Nous ne les avons jamais tenus.
Je peux même ajouter qu’en quarante-cinq ans de carrière je n’ai jamais agressé un confrère ou un adversaire. Je m’en tiens au débat d’idées. C’est quelquefois gênant, les idées, car on n’a pas toujours les bonnes !
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. François Pillet, corapporteur. M. le ministre m’en donnerait acte s’il était présent aujourd’hui : à aucun moment, hier, sa capacité de discuter des idées n’a été mise en cause. C’est même le contraire. Nous avons eu des échanges de gentilshommes, si j’ose dire, au point – et je reconnais là son intelligence et sa sagacité – que le ministre a évolué et même changé d’avis.
Cessons cette querelle. Vous ne risquez pas de trouver ces propos que vous nous prêtez dans le compte rendu des débats. Je ne les ai ni tenus ni entendus.
Revenons au débat d’idées et, sur ce point, je vous attends !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Merci, monsieur le rapporteur, de nous attendre pour ce débat d’idées.Vous souhaitez rassurer les juges consulaires. Comme l’a souligné le ministre, ceux-ci sont plus inquiets par une réforme qui introduirait, comme certains l’ont suggéré, de l’échevinage dans les tribunaux de commerce que par cette spécialisation dans le domaine du redressement judiciaire des entreprises.
Sur ce sujet, je rejoins la position de Nicole Bricq et je rappelle ce que j’ai dit hier soir : il s’agit d’un travail partenarial très particulier. Nous avons tous en tête des cas où le rôle notamment des commissaires au redressement productif travaillant avec les tribunaux de commerce a été fondamental. Cela suffit à justifier l’existence de tribunaux spécialisés.
Je prends acte, monsieur le corapporteur, du fait que vous n’êtes pas hostile à ces tribunaux spécialisés, et je rappelle également que M. le ministre, hier soir, s’est déclaré ouvert sur le seuil de 250 salariés. Je propose donc, conformément à la suggestion que j’ai formulée en conclusion de mon intervention d’hier, de modifier l’amendement du Gouvernement en présentant un sous-amendement que, madame la secrétaire d’État, je vous inviterai à soutenir.
En réalité, mes chers collègues, selon la proposition gouvernementale, la liste et le ressort de ces juridictions spécialisées seront fixés par décret, pris après avis du Conseil national des tribunaux de commerce, lequel comprend un certain nombre de juges consulaires, soit, précisément, des représentants de la corporation menaçant de manifester et susceptible, d’ailleurs, de manifester pour d’autres raisons.
Dès lors, je ne vois pas pourquoi le Gouvernement s’enferme, alors que nous sommes un certain nombre à estimer que, pour certaines cours d’appel, un seul tribunal de commerce spécialisé ne suffira pas. En revanche, monsieur le corapporteur, je ne pense pas qu’il faille systématiquement un tribunal de commerce spécialisé dans chacune des cours d’appel, la petite taille de certaines d’entre elles ne le justifiant pas.
Je propose donc de sous-amender l’amendement du Gouvernement en précisant que « dans le ressort d’une ou de plusieurs cours d’appel, un ou des tribunaux de commerce ont compétence exclusive pour connaître » les procédures citées ultérieurement. Ainsi, c’est dans le cadre du décret en conseil d’État, pris après avis du Conseil national des tribunaux de commerce, qu’il sera possible de décider, au cas par cas, la création de plusieurs tribunaux spécialisés dans une cour d’appel ou d’un seul tribunal spécialisé couvrant deux ou trois cours d’appel.
Vraiment, je ne comprendrais pas que le Gouvernement se contraigne ainsi dans la loi et rejette une proposition constituant un début d’ouverture, une ouverture apparemment souhaitée par les uns et les autres, même si les discussions ont parfois l’apparence de dialogues de sourds. Telle est, en tout cas, la proposition que je formule.
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet, pour explication de vote.
M. Henri Tandonnet. Dans votre argumentaire, madame la secrétaire d’État, vous justifiez le principe d’une juridiction spécialisée par le fait que le contentieux serait spécialisé. C’est là, me semble-t-il, une fausse bonne idée !
La France a multiplié les juridictions spécialisées et elle est déjà très critiquée pour cette raison. Dernièrement, par exemple, le barreau de Toulouse s’est plaint de la spécialité créée autour des brevets et des problèmes de concurrence. Celle-ci oblige à se rendre à Bordeaux pour plaider des affaires ordinaires de brevet ou de concurrence concernant des entreprises implantées dans des métropoles comme Toulouse ou Montpellier !
En Allemagne, il n’existe aucune juridiction spécialisée en matière de brevets. Pour autant, le pays en dépose de nombreux et ne rencontre aucune difficulté particulière en la matière.
Dans la version initiale de son projet de loi relatif à la consommation, M. Benoît Hamon prévoyait la création de neuf juridictions spécialisées pour faire face à de prétendues difficultés concernant les actions collectives. Heureusement, la navette entre les deux assemblées lui a permis de reconnaître que cette idée n’était pas bonne et d’y renoncer. Aujourd’hui, tous les tribunaux de grande instance de France peuvent donc en connaître.
Il en va de même pour les procédures collectives. Il n’y a pas de différence entre une procédure qui concernerait 100 salariés et une autre qui en concernerait 150. Le plus important, c’est que le tribunal de commerce saisi de l’affaire connaisse le tissu économique dans lequel l’entreprise s’inscrit.
En outre, on voit bien que ce projet a été proposé par le ministère de l’économie, car tout un pan d’activité est oublié : il s’agit de l’économie solidaire, qui relève, non pas des tribunaux de commerce, mais des tribunaux de grande instance.
Je ne crois pas que le Gouvernement propose la création de juridictions spécialisées au sien des tribunaux de grande instance pour traiter les procédures collectives concernant ce secteur. Pourtant, le président du tribunal de commerce d’Agen, qui est expert-comptable, ancien commissaire aux comptes, et qui a exercé pendant six ans la fonction de juge-commissaire, m’apparaît disposer de beaucoup plus de compétences qu’un vice-président tout juste nommé au tribunal de grande instance d’Agen pour traiter d’une procédure collective concernant, par exemple, une association employant 600 salariés. Or de tels cas existent bien !
Par conséquent, rien qu’en se limitant à cette idée de juridiction spécialisée, le dispositif proposé dans le projet de loi apparaît complètement déséquilibré.
L’essentiel, me semble-t-il, est de bien différencier la juridiction – l’instance ayant le pouvoir de juger - et les professionnels qui auront à s’occuper du redressement de l’entreprise, car, en définitive, toute cette discussion recouvre une préoccupation : celle de l’emploi.
Souvent, la difficulté se situe au niveau de la recherche des professionnels compétents pour assurer la continuité de l’entreprise et trouver un repreneur. Elle n’est pas d’ordre juridique, c’est-à-dire liée à la décision à prendre, mais réside dans la préparation du redressement de la société et, donc, de la cession. Cette étape exige effectivement l’intervention de professionnels qui sont actuellement surchargés, peut-être en nombre insuffisant ou pas nécessairement compétents pour intervenir dans la spécialité de l’entreprise.
Hier soir, je le rappelle, le Sénat a renoncé à supprimer cet article 66 du projet de loi, au motif que la commission spéciale avait avancé une proposition équilibrée s’agissant du nombre de juridictions que l’on pouvait envisager de voir spécifiquement saisies dans le cadre de procédures collectives pour des entreprises ayant un effectif important.
Pour ma part, j’estime qu’il faut au moins une juridiction spécialisée par cour d’appel et je me permets d’apporter cette précision à l’adresse de mon collègue Jacques Bigot : ce n’est pas parce qu’une cour d’appel est de petite taille qu’elle ne peut pas avoir un champ d’action spécialisé. Ainsi, la cour d’appel d’Agen, qui n’est pas grande, dispose d’un territoire spécialisé en matière d’activités agricoles et a une connaissance particulière des coopératives ou de dispositifs tels que les contrats d’intégration. Je juge nécessaire que cette cour d’appel ait au moins une juridiction spécialisée.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Henri Tandonnet. Hier soir, monsieur le ministre a évoqué le cas de Villeneuve Pet Food. Si cette entreprise a de très bons résultats aujourd’hui, c’est précisément parce qu’elle a pu bénéficier du soutien d’une juridiction de proximité !
Il faut donc s’en tenir à la solution proposée par la commission spéciale, qui est vraiment équilibrée.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je crois, monsieur le corapporteur, que tôt ce matin, à quatre heures, vous avez fait un rêve ! Vous avez rêvé que les propos de conciliation qui vous étaient tenus allaient être suivis d’effets, et c’est sur un amendement de suppression de l’article 66 émanant du groupe CRC, et non du groupe UMP, la majorité sénatoriale, que nous avons voté.
M. Jean-Pierre Bosino. Exactement !
M. Jacques Mézard. J’ai voté cet amendement, tout en vous avertissant : le Gouvernement allait…
Mme Catherine Deroche, corapporteur. … nous enfumer !
M. Jacques Mézard. Je ne vous le fais pas dire, madame la corapporteur ! Il m’apparaît, cet après-midi, que j’avais raison. Cela arrive, même si, je le concède, il m’arrive aussi d’avoir tort !
M. Roger Karoutchi. Rarement !
M. Jacques Mézard. Mais la forme représente souvent le fond, et Mme la secrétaire d’État, que je vois sourire, sait bien où le Gouvernement veut aller. In fine, il entend maintenir intégralement son texte !
M. Joël Guerriau. Pas la peine de consulter une boule de cristal !
M. Jacques Mézard. Or ce n’est pas une bonne chose. Comme l’a rappelé notre collègue Henri Tandonnet, qui sait bien ce que c’est, pour avoir passé sa vie dans une cour d’appel, nous disposons déjà de juridictions spécialisées dans d’autres domaines. Ce n’est pas la panacée. Souvent, l’existence de ces juridictions pose beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en règle. J’ai rappelé ce matin à quel point l’expérience des pôles d’instruction, voulus du côté droit de cet hémicycle, se révèle être un échec, dont plus aucun gouvernement ne sait sortir.
Par ailleurs, de quoi s’occuperaient ces juridictions spécialisées ? De procédures collectives ? Comme Henri Tandonnet l’a également souligné, à juste titre, le véritable problème, s’agissant de ces procédures collectives, est de disposer de mandataires compétents – il y en a, mais tous ne le sont pas !
Aucune difficulté n’est constatée au niveau des juges consulaires, mais, madame la secrétaire d’État, quand vous venez expliquer à ceux d’entre eux qui ne siègent pas dans des tribunaux de commerce de grande métropole qu’ils n’ont pas donné satisfaction, qu’ils ne sont pas compétents et que, dès lors, vous entendez laisser à leur charge les seuls injonctions de payer et recouvrements, vous espérez qu’ils en soient heureux. ? Eh bien, non !
Qui, sur nos territoires, connaît le mieux la situation de ces entreprises de quelques centaines de salariés – 100, 250, 300, 350 ? Ce sont les juges consulaires !
En plus, vous voulez les priver de leurs responsabilités en matière de conciliation. Alors même que celle-ci doit être menée au plus près de l’entreprise, par des juges connaissant le terrain, vous prévoyez l’inverse !
Quel résultat allons-nous obtenir ainsi ? Ne nous berçons pas d’illusions ! Voilà quelques semaines, la Cour des comptes a rendu un rapport expliquant que l’avenir de la carte judiciaire reposerait sur l’existence d’une cour d’appel par grande région. Est-cela, la, la proximité ? Est-ce cela, se rapprocher des citoyens ?
Ce n’est pas si grave, m’objecte-t-on. Après tout, s’il ne s’agit que de plaider une ou deux fois dans sa vie, on peut bien faire 400 kilomètres ! C’est là une vision bien technocratique, je n’hésite pas à le dire ! D’ailleurs, le terme n’est pas péjoratif en soi. Une telle position peut présenter des avantages et des inconvénients. Mais reconnaissons au moins que cette vision est typiquement celle de Bercy. Eh bien, mes chers collègues, nous n’en voulons pas dans nos territoires ! Nous voulons conserver des compétences et des liens de proximité !
En outre, il n’est pas très raisonnable de considérer qu’une instance compétente pour régler un problème de procédure collective concernant une entreprise de 130 salariés ne le serait plus dès lors que l’effectif de l’entreprise atteindrait 151 salariés.
Je maintiens donc ma position, tout en signalant à M. le corapporteur, qui, comme toujours, parce qu’il est un homme de dialogue et de conciliation, a fait beaucoup d’efforts, que, si une partie n’aspire pas au dialogue et à la conciliation, il faut aussi savoir en tenir compte ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)