M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot, corapporteur.
M. Gérard Dériot, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi soumise à notre examen s’inscrit dans des débats déjà anciens, auxquels certains d’entre nous ont eu l’occasion de participer, et qui n’ont rien perdu de leur actualité. L’annonce par le Président de la République, en décembre dernier, d’un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs marque d’ailleurs le besoin d’une meilleure prise en charge des personnes malades dans notre pays, et plus particulièrement des personnes en fin de vie.
Plusieurs lois successives ont consacré des principes clairs et protecteurs : d’abord, l’accès de tous aux soins palliatifs avec la loi du 9 juin 1999 ; ensuite, le consentement libre et éclairé des malades aux soins avec la loi du 4 mars 2002 ; enfin, la possibilité de l’arrêt des traitements en fin de vie avec la loi dite « Leonetti » du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Or, nous le savons tous, la réalité, malgré d’incontestables progrès, ne correspond pas à la volonté du législateur : depuis plus de quinze ans, la persistance du « mal mourir » dans notre pays n’a cessé de peser sur les conditions du débat public. L’inégalité de l’accès aux soins palliatifs est forte, en particulier selon les territoires, comme l’a récemment rappelé la Cour des comptes.
Je souhaite cependant insister d’emblée sur un point : prévoir de nouvelles contraintes législatives pour le déploiement des soins palliatifs n’ajoute rien à la loi de 1999 et n’aura pas plus d’effets, car le véritable enjeu est celui des moyens. Madame la ministre, vous avez hérité, dans le contexte budgétaire que chacun connaît, d’une charge lourde, mais c’est sur vous que repose l’obligation pour l’État de garantir à chacun l’accès effectif aux soins palliatifs, très largement insuffisant à l’heure actuelle, vous venez de le rappeler.
Je souhaite également réaffirmer que la loi dite Leonetti est une bonne loi. Son adoption rapide en 2005 a donné une base à la lutte contre l’acharnement thérapeutique. Cette base est désormais consacrée par la jurisprudence européenne et de plus en plus intégrée aux pratiques.
Il ne faut pas, à l’occasion du débat sur la présente proposition de loi, défaire les principes en place depuis dix ans, qui, chaque jour, permettent aux personnes malades en fin de vie et à leur entourage de trouver des solutions conformes à leur dignité et à la déontologie des soignants, même si, comme chacun le constate, cette loi n’est pas assez connue, tant au sein du corps médical que dans l’ensemble de la société.
La proposition de loi de nos collègues députés Alain Claeys et Jean Leonetti est critiquée par ceux qui craignent que les évolutions successives du droit ne poussent les personnes en fin de vie à considérer que leur existence est une charge pour les autres, mais aussi par ceux pour qui la vie relève du sacré. Elle n’est pas moins critiquée par ceux qui réclament le droit à une assistance médicalisée pour mourir ou au suicide assisté.
La commission des affaires sociales partage pour sa part l’objectif des auteurs, qui est de compléter sans rupture la législation en vigueur depuis plus de quinze ans. À nos yeux, il n’y a dans ce texte aucune ouverture vers l’assistance médicalisée pour mourir ou le suicide assisté. La commission a estimé que la proposition de loi définissait un juste équilibre entre la volonté du patient et le savoir médical, entre l’obligation de préserver la vie humaine et les souhaits de chacun quant aux conditions de sa fin de vie.
Afin de préciser certaines dispositions du texte et de limiter le caractère automatique des décisions concernant la fin de vie, elle a néanmoins adopté douze amendements sur les articles 1er à 14. Mon collègue corapporteur, Michel Amiel, vous présentera les principales modifications adoptées. Je m’en tiendrai pour ma part aux articles 8 et 9, relatifs respectivement aux directives anticipées et à la personne de confiance.
L’article 8 rend opposables aux médecins les directives anticipées. Cette évolution est notable, car, à l’heure actuelle, elles n’ont de valeur qu’indicative et deviennent caduques au bout de trois ans si elles ne sont pas renouvelées.
Le renforcement du statut des directives anticipées est attendu, même si seulement 2 % de la population française en a rédigé. Cela paraît de nature à rééquilibrer la relation entre les droits des malades et le savoir médical. La commission a cependant souhaité préciser les conditions dans lesquelles le médecin ne serait pas tenu de respecter les directives anticipées.
Les auteurs de la proposition de loi avaient en effet défini deux cas dans lesquels le médecin aurait la possibilité de ne pas les appliquer. Le premier cas ne fait pas débat : il s’agit de l’urgence vitale, par exemple la réanimation des personnes accidentées ou ayant fait une tentative de suicide. Le second cas était celui où les directives présentent un caractère « manifestement inapproprié ». La commission a modifié cette formule qu’elle n’a pas jugée pleinement satisfaisante, car elle pouvait aboutir, en pratique, à priver d’effet le caractère opposable des directives.
La commission a également souhaité étendre le recours à la procédure collégiale et renforcer la place de la personne de confiance.
À l’heure actuelle, cette procédure collégiale relève en effet du code de déontologie médicale, qui a valeur réglementaire. Il convient de préciser dans la loi les conditions minimales de son organisation et de prévoir en particulier l’association de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches qui le souhaitent.
À l’article 9, qui concerne la personne de confiance, la commission a jugé utile d’inscrire l’obligation pour celle-ci de cosigner sa désignation. Il s’agit d’éviter les cas où une personne découvre qu’elle a été désignée sans jamais avoir accepté de remplir cette mission. Cette obligation nous a paru le meilleur moyen de sécuriser le dispositif.
Avant que Michel Amiel ne prenne la parole, je souhaite rappeler que ce texte répond aux préoccupations de nos concitoyens, qu’il offre des garanties suffisantes pour les personnes les plus vulnérables sans remettre en cause l’équilibre auquel nous sommes parvenus en 2005. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, corapporteur.
M. Michel Amiel, corapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Gérard Dériot l’a bien montré, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui concerne non les personnes qui veulent mourir, mais celles qui vont mourir. Son objet principal est d’améliorer la prise en compte des souffrances réfractaires en fin de vie, et je ne pense pas seulement à la douleur physique.
Les chiffres ne manquent pas pour illustrer l’écart entre la mort souhaitée – apaisée et à domicile – et les conditions de la mort de la majorité des Français en EHPAD, à l’hôpital, voire aux urgences. Cette situation résulte d’un manque de moyens, bien sûr, mais peut-être aussi et surtout de l’absence d’une véritable culture palliative en France. Oui, pour reprendre les mots du professeur Sicard, « on meurt mal en France ».
Outre le peu de temps consacré aux soins palliatifs dans la formation des professionnels de santé, l’intervention des soins palliatifs reste encore trop souvent associée à un échec des soins curatifs, et donc finalement du corps médical lui-même. Soins palliatifs et traitements curatifs doivent s’intégrer dans une même logique de prise en charge. Nous sommes face à un embarras de la médecine, à qui la société a confié le soin de s’occuper de la mort. Or le temps de l’accompagnement ne peut être exclusivement celui de la médecine.
J’en viens au texte soumis à l’examen de notre assemblée.
La commission des affaires sociales a jugé nécessaire d’apporter plusieurs modifications à la proposition de loi pour préciser ou clarifier certaines dispositions. Il s’est agi de limiter le caractère automatique des décisions qui concernent la fin de vie et d’accroître ainsi la sécurité juridique des dispositifs.
À l’article 2, relatif à l’obstination déraisonnable, l’application stricte des dispositions initialement prévues aurait eu des conséquences qui, à notre sens, ne correspondent pas aux objectifs visés. Nous avons supprimé le caractère automatique de l’arrêt des traitements pour redonner la primauté à la volonté du patient.
La commission a également défini les obligations minimales qui s’attachent à la mise en œuvre de la procédure collégiale. Celle-ci suppose désormais la réunion de l’équipe soignante, mais aussi l’association de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches.
Cette procédure est organisée sur l’initiative du médecin pour les décisions d’arrêt ou de limitation des traitements, de recours à la sédation profonde et continue, et d’application des directives anticipées. La commission a supprimé la mention de l’hydratation et de l’alimentation artificielles afin de s’en tenir à la jurisprudence du Conseil d’État.
À l’article 3, la proposition de loi prévoit un cadre spécifique et encadré pour une pratique qui existe déjà en soins palliatifs : la sédation profonde et continue. Une personne en fin de vie, dont le pronostic vital est engagé à court terme, qui est atteinte d’une souffrance réfractaire, qui demande à ne plus souffrir et, dans ce cadre, souhaite l’arrêt de l’ensemble des traitements, y compris le maintien artificiel en vie, aura le droit d’obtenir une sédation profonde et continue, associée à une analgésie, jusqu’à son décès. Comme le dit le professeur Régis Aubry, le malade n’est pas obligé d’assister au drame tragique de sa mort.
C’est la volonté de la personne qui prime ; c’est elle qui formule la demande. Si elle ne souhaite pas ou n’accepte pas l’arrêt des traitements artificiels de maintien en vie, le texte actuel n’ouvre pas droit à la sédation profonde et continue. L’arrêt des traitements n’est pas imposé par le médecin, il est choisi par la personne malade en toute conscience. Je rappelle que le droit pour une personne malade de refuser les soins, quels qu’ils soient, fait partie intégrante de notre droit depuis la loi de 2002.
La commission a supprimé la mention de la prolongation « inutile » de la vie, jugée source d’ambiguïtés. Elle a précisé que, dans le cas où une personne souhaite l’arrêt tout traitement, engageant ainsi son pronostic vital à court terme, la sédation profonde et continue n’est mise en œuvre qu’en cas de souffrance réfractaire. Cette nouvelle rédaction vise à écarter toute dérive vers le suicide assisté.
Pour mesurer objectivement les améliorations apportées par le texte, il faut cependant garder à l’esprit que la loi ne permet pas de fournir de réponse évidente à toutes les situations, et qu’elle n’a pas vocation à le faire. Je pense, notamment, aux cas dans lesquels une personne hors d’état d’exprimer sa volonté n’a pas rédigé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance, et qu’il n’y a pas de consensus au sein de la famille sur l’arrêt des traitements. Cela nous renvoie à un cas qui a récemment été largement médiatisé…
Dans ces situations dramatiques, la décision d’arrêter les traitements ne pourra être prise que par le médecin, s’il estime que la prolongation des traitements relèverait de l’obstination déraisonnable, ou bien par le juge.
En tout état de cause, il revient au Gouvernement de se saisir de l’occasion offerte par l’adoption de cette proposition de loi pour mener un véritable travail de pédagogie auprès de nos concitoyens, ce qui n’avait sans doute pas suffisamment été fait après le vote de la loi de 2005.
Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales ne marque pas de désaccord avec la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Il constitue une avancée réelle pour les patients dont l’autonomie juridique sera renforcée. Nous en partageons l’esprit, car il établit un juste équilibre entre la volonté des patients et le pouvoir du corps médical, entre l’obligation de préserver la vie humaine et celle de permettre à chacun de décider des conditions dans lesquelles il souhaite qu’elle s’éteigne. Les visions opposées, mais également respectables, qui vont s’exprimer lors de nos débats nous renforcent dans cette conviction.
La commission des affaires sociales vous demande donc d’adopter cette proposition de loi sous réserve des amendements de précision qu’elle vous soumettra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux limites de la souffrance, au bout de la maladie, la vie est-elle un privilège ou une fatalité ?
La proposition de loi qui fait l’objet de notre débat traite d’un sujet difficile et sensible, qui engage à la fois des considérations médicales et juridiques, des questionnements éthiques et philosophiques, et surtout des souffrances humaines.
La fin de vie, les douleurs qui l’accompagnent, l’ultime choix laissé aux patients et le rôle de la médecine au seuil de la mort appellent donc une réflexion prudente, empreinte d’humilité.
Deux principes cardinaux de la législation française ont encadré et déterminé la position de la commission des lois : d'une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d'autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne.
En prévoyant de consacrer dans certains cas un droit pour le patient à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’à son décès, la proposition de loi ne crée pas une nouvelle pratique médicale. En ultime soin, d’ores et déjà, les équipes soignantes y recourent dans un souci d’humanité pour éviter au patient les souffrances de sa maladie ou de son agonie.
En revanche, élever cette possibilité au rang d’un droit garantirait aux patients de pouvoir réclamer le bénéfice de cette sédation contre un médecin qui le lui refuserait, cas fort peu probable au regard des exigences de la déontologie médicale, ou de pouvoir en réclamer le bénéfice contre l’établissement hospitalier ou les services qui le soignent, ce qui est plus plausible compte tenu du retard de notre pays dans le développement des soins palliatifs.
Cependant, des situations différentes changent le sens qui peut être donné à la consécration de ce droit à la sédation.
Le Conseil d’État a énoncé une préoccupation qui n’a cessé d’être à l’esprit de la commission des lois : « La sédation profonde ne peut en aucun cas être un substitut aux soins palliatifs, une solution “de facilité” qui viendrait en quelque sorte pallier leur absence. »
Dans le texte adopté par la commission des affaires sociales, le recours à la sédation profonde est permis lorsque le patient en fin de vie, atteint d’une maladie grave et incurable, éprouve une souffrance réfractaire à tout traitement comprenant la gamme entière des soins palliatifs. Il est également permis lorsque le patient, hors d’état d’exprimer sa volonté, subit un acharnement thérapeutique et qu’une décision d’arrêt du traitement le maintenant en vie est prise au titre du refus de l’obstination déraisonnable.
La commission des lois a marqué son plein accord avec l’approche retenue par la commission des affaires sociales. Mais il lui est apparu qu’un lien systématique entre la sédation profonde et continue et l’arrêt de tous les traitements posait question.
Parce qu’il serait principalement contradictoire de reconnaître un nouveau droit du patient tout en limitant sa liberté dans l’exercice de ce droit, et parce que lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux rend plus indistincte la frontière entre la mort causée par la maladie et une mort causée par autre chose que cette maladie, la commission des lois souhaite redonner toute force à la volonté du patient au seuil de sa vie.
Nous en débattrons lors des échanges concernant un amendement que je présenterai sur ce point au nom de la commission des lois.
Le même souci de respecter le choix personnel a conduit la commission des lois à écarter le recours à la procédure collégiale lorsque le refus de traitement au titre de l’obstination déraisonnable est exprimé clairement et consciemment par le patient lui-même.
Privilégier la volonté de la personne en fin de vie revient à mettre tout en œuvre pour s’assurer de son contenu.
La proposition de loi a opéré un choix : faire des directives anticipées une preuve absolue de la volonté du patient. Les auteurs du texte ont ainsi choisi de renforcer substantiellement la force des directives anticipées, en supprimant leur durée de validité de trois ans et en prévoyant qu’elles s’imposeraient aux médecins.
Le texte établit une hiérarchie entre les différents éléments de preuve en présence. Les directives anticipées l’emporteraient sur tout autre témoignage. À défaut de directives, c’est le témoignage de la personne de confiance qui ferait foi. En dernier lieu seraient pris en compte les éléments recueillis par la famille ou les proches.
Or, pour parfaire notre recherche de la réalité de la volonté du patient, il est nécessaire de bien dissocier deux questions dans notre réflexion.
La première concerne la validité des directives anticipées au regard des souhaits les plus récents exprimés par le patient, avant qu’il n’ait sombré dans l’inconscience, ce indépendamment du contenu de ces directives. La seconde concerne l’effet contraignant des directives l’égard du médecin dès lors que le contenu n’est pas adapté à la situation médicale du patient.
Il existe en effet un risque grave à faire des directives anticipées la preuve irréfragable de la volonté du malade.
Certes, les directives constituent l’élément le plus fiable pour déterminer la volonté d’un patient en état d’inconscience, mais il est dangereux de leur attribuer un caractère trop absolu, au risque qu’elles ne se retournent contre le patient lui-même.
Comme l’a souligné Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors de son intervention au colloque organisé par le Sénat sur la fin de vie en janvier dernier, « lorsque le patient est dans un état d’inconscience, ses directives anticipées expriment une présomption de volonté ; elles sont une approximation, certes très forte, de ce qu’aurait été sa volonté consciente. Mais cette présomption ne saurait être irréfragable : elle doit pouvoir être écartée, lorsqu’un faisceau d’indices probants et circonstanciés démontre qu’elles ne correspondent plus à la volonté du patient. »
Dès lors, les directives anticipées doivent pouvoir être révoquées « par tout moyen » et le médecin doit pouvoir s’assurer de leur validité.
Pour améliorer, autant que faire se peut, la mise à jour des directives anticipées, il vous sera proposé que le décret en Conseil d’État, qui fixe notamment les conditions de conservation de ces directives, prévoie également un rappel régulier de l’existence de celles-ci dans le registre national.
Par ailleurs, la rédaction actuelle du texte précise que la parole de la personne de confiance prévaudra « sur tout autre élément permettant d’établir la volonté du patient à l’exclusion des directives anticipées ». Sans doute est-il sur ce point préférable de revenir au texte de l’Assemblée nationale, qui ne l’a fait prévaloir que sur les autres témoignages.
Sous réserve de quelques autres propositions d’amendements qui viendront en discussion tout à l’heure, dont la portée est plus directement juridique ou rédactionnelle et qui sont issues des débats de la commission des lois, j’ai tenté d’exprimer synthétiquement les priorités de cette commission dans l’examen de ce texte. Vous l’avez compris, mes chers collègues, elle veut assurer une totale protection des décisions du patient, hors celles qui conduiraient à une mort donnée activement.
Avant d’en débattre, je ne puis occulter le malaise ressenti face à un exemple éclatant de notre propre impuissance. Nul d’entre nous ne niera sérieusement que, en son for intérieur, il sait qu’il accepte de légiférer pour corriger l’étendue de droits restés quasiment à l’état de proclamations.
Pourtant, en avril 2005, ces droits avaient été instaurés au Sénat par un vote conforme en première lecture d’un texte voté à l’unanimité de l’Assemblée nationale ! Et ces droits sont cités, enviés, salués.
Si on sait de quoi on parle quand on évoque la notion de soins palliatifs, on ne change pas un mot à la résolution du Conseil de l’Europe du 28 janvier 2009, qui « considère les soins palliatifs comme un élément essentiel des soins de santé appropriés, fondés sur une conception humanitaire de la dignité humaine, sur l’autonomie, sur les droits de l’homme, du citoyen et du patient, ainsi que sur une conception généralement admise de la solidarité et de la cohésion sociale. »
De même, lorsqu’on sait de quoi on parle, on dénonce, avec le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport publié le 21 octobre 2014 « le scandale que constitue depuis quinze ans le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens ».
Mme Laure Copel, responsable d’un service de soins palliatifs, dont les propos sont relatés dans Le Monde du mercredi 17 juin, nous place devant notre responsabilité : « Le danger est extrême de n’avoir que la sédation à apporter comme réponse à une absence de soins de qualité. »
Dans ces circonstances, nous pouvons certainement nous accorder pour légiférer, mais à la condition expresse, fermement et fortement rappelée, que nous ne transigeons pas sur le droit pour tous d’accéder à une médecine palliative dans une unique et indivisible culture du soin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons donc discuter dans les heures à venir de cette proposition de loi Claeys-Leonetti qui, à la demande du Président de la République, conformément au programme de campagne présidentielle de celui-ci, vient compléter la loi Leonetti, reconnue par les professionnels de la santé, du moins ceux qui la connaissent, comme une bonne loi qui a fait progresser la prise en charge de la fin de vie dans notre pays.
Reprendre cette question au travers d’une proposition de loi élaborée après de nombreuses consultations nationales et après un débat populaire est exemplaire de ce qui doit être fait pour toutes les lois sociétales. Je pense à la bioéthique et, en particulier, à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, dont nous reparlerons dans quelques semaines.
Je ne doute pas que le débat qui s’ouvre aujourd’hui constituera un moment particulier dans le cours de notre activité législative habituelle, comme chaque fois que les questions liées à la fin de vie sont venues en discussion devant notre Haute Assemblée.
Ce débat est attendu, car le texte qui nous est présenté, remanié dans une écriture plus conforme au respect de la personne par la commission des affaires sociales du Sénat, nous oblige à renforcer notre vigilance, car, selon une partie de ceux qui ont étudié la fin de vie, il peut menacer ce qui nous paraît essentiel.
L’engagement que nous prendrons en votant le texte définitif, quel qu’il soit, concerne les droits fondamentaux de personnes vulnérabilisées, lourdement handicapées et qui risquent d’être exposées à des renoncements si notre société y consent. Il concerne ces personnes dont la mort semblerait préférable à ce qu’aurait pu être de notre part une sollicitude à leur égard dans leur parcours de vie.
En outre, une même attention doit être portée aux proches, aux familles qui ne lâchent jamais, qui refusent l’abandon et qui, comme le disait Emmanuel Hirsch, « restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité ».
L’examen de ce texte est particulièrement attendu, parce qu’il touche chacun d’entre nous en ce qu’il ressent de plus intime et parce qu’il nous renvoie à ce qui est essentiel à notre condition humaine. Nous en mesurons l’importance et la nature singulière.
Des positions divergentes vont se manifester, mais toutes témoigneront de convictions sincères et profondes comme de la diversité de nos approches personnelles de la vie et de la mort.
Dans ce débat s’exprimeront aussi, très certainement, des regrets, des craintes et des doutes.
Des regrets seront exprimés par ceux qui souhaitent voir reconnaître un droit à l’assistance pour mourir et instituer un dispositif assurant l’effectivité d’un tel droit. Toutefois, je pense que nous n’avons pas le droit de compromettre les raisons, même minimes, qui permettent d’espérer encore de la vie.
Des craintes viendront de ceux qui, au contraire, appréhendent, avec la formalisation juridique des protocoles de sédation profonde, un basculement vers une euthanasie qui ne dirait pas son nom, car nous avons le devoir, comme le dit Emmanuel Hirsch, de « préserver l’humanité et ne pas renoncer à reconnaître l’autre en ce qu’il demeure jusqu’au terme de son existence ».
Des doutes, enfin, se feront entendre, car il est légitime de s’interroger sur la nécessité et les limites de l’approche législative en une telle matière. Il faut également s’interroger sur les directives juridiques qui entraînent des protocoles exécutés à la demande et livrés à toutes sortes de dérives, car l’homme est humain.
La loi peut-elle apporter les réponses appropriées à toutes les situations ? Peut-elle prétendre satisfaire les attentes supposées de nos concitoyens, alors que la fin de vie demeure, pour les malades et leur famille, source de sentiments complexes, avec leur part d’ambivalence, de variabilité, d’hésitation et parfois de contradiction ?
Jusqu’où le législateur peut-il, par des procédures codifiées, encadrer la relation particulière entre le patient et son médecin, ce colloque singulier qui reste à la base de notre conception de la médecine ?
Quel substitut donner à la volonté du malade lorsque celui-ci est dans l’impossibilité de l’exprimer ? Quelle autorité reconnaître à la parole de ses proches, pour autant qu’ils ne se contredisent pas ?
Cette proposition de loi ne pourra répondre à toutes ces questions, ce que n’ont pas fait non plus les textes précédents, d'ailleurs. Le Président de la République, le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’ont pas voulu introduire dans notre droit, me semble-t-il, l’euthanasie, le suicide assisté ou toute forme de droit à se faire donner la mort.
À proximité de la mort et face à elle, nul ne détient la vérité.
La commission des affaires sociales du Sénat approuve la position prise par les rapporteurs. J’espère que cette position sera aussi celle de notre Haute Assemblée, car, comme je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises à cette tribune, je ne crois pas qu’il appartienne à notre société d’instaurer, fût-ce dans le contexte dramatique des souffrances et des angoisses d’une fin de vie, un droit d’administrer la mort. N’instrumentalisons pas le concept de dignité en inscrivant dans la loi les éléments favorables à une dépénalisation de l’euthanasie.
Le droit de vivre est-il contestable ? Je ne crois pas qu’une telle mission puisse être assignée à des médecins, des infirmiers ou tout autre personnel soignant. Je ne crois pas davantage que le suicide, qui reste une liberté, puisse devenir un droit, même dans les circonstances spécifiques des phases ultimes de la maladie.
Pour autant, faut-il se satisfaire des conditions actuelles de fin de vie de nos concitoyens ? Certainement pas. Nombre d’orateurs l’ont exprimé avant moi. J’approuve sur ce point ce qui a été dit par nos rapporteurs, par les auteurs de la proposition de loi, lorsque nous les avons reçus devant la commission des affaires sociales, et par les experts les plus qualifiés, qui ont souligné au cours des derniers mois nos carences dans la diffusion des soins palliatifs comme dans la connaissance et dans l’application de toutes les dispositions de la loi de 2005.
Le premier mérite de cette proposition de loi Claeys-Leonetti, à mes yeux, tient justement à ce que sa préparation a de nouveau mis en lumière des faiblesses auxquelles il est indispensable et urgent de remédier.
Son examen est l’occasion de réaffirmer devant le Parlement, mais aussi au-delà, auprès du monde médical et de l’ensemble de la société, la nécessité de donner son plein effet au cadre législatif mis en place en 1999, en 2002, puis en 2005.
L’élaboration d’un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, dont vous venez de nous parler, madame la ministre, va dans ce sens. Je souhaite que ce débat soit l’occasion, pour le Gouvernement, d’en préciser le contenu et les moyens.
Il est à mon sens nécessaire de généraliser une culture palliative aujourd’hui encore trop cantonnée à des équipes spécialisées, en favorisant par la formation initiale et continue la connaissance de ces pratiques soignantes, mais aussi celle des dispositions législatives qui proscrivent l’obstination déraisonnable et définissent ce que doit être l’accompagnement des malades en fin de vie.