M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Depuis avril 2014 et le début du conflit armé en Ukraine, plus de 6 000 personnes sont mortes, 15 000 ont été blessées et 1,8 million ont dû être déplacées.
L’Union européenne a prolongé à plusieurs reprises les sanctions qu’elle a prises à l’encontre de la Russie : le Conseil a ainsi prolongé les sanctions individuelles de six mois, soit jusqu’au 15 septembre 2015, et les sanctions économiques jusqu’à la fin de l’année 2015.
Pour autant, il est légitime de considérer que la logique des sanctions arrive à son terme. En matière de sanctions, la difficulté tient beaucoup moins à les établir qu’à les lever. Pour être efficaces, elles doivent être adossées à un processus de négociation politique.
La semaine dernière, une délégation de la commission des affaires économiques s’est rendue à Saint-Nazaire. Ce fut l’occasion de nous interroger sur l’avenir des deux navires qui ont été construits et qui restent à quai.
De ce point de vue, le Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 a procédé à un utile rééquilibrage politique. Il est parvenu à un accord de principe pour lier le sort des sanctions à la mise en œuvre des accords de Minsk II jusqu’à la fin de l’année. Ces sanctions doivent faire l’objet d’une évaluation en juin 2015.
Toutefois, il semble que les États-Unis soient prêts à entreposer de l’artillerie lourde en Europe de l’est et dans les Balkans. D’après ces révélations – qui demandent à être confirmées –, les matériels en question pourraient servir à armer 5 000 soldats aux portes de la Russie.
Dans ces conditions, comment l’Europe pourrait-elle asseoir des relations solides et sereines avec la Russie ? Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser quelle est la position de la France par rapport à cette problématique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bosino, je l’ai dit, les sanctions sont un levier pour la négociation, elles ne sont pas une fin en soi. L’objectif est de faire en sorte que les négociations menées à Minsk, lesquelles ont tracé une feuille de route pour une solution de paix négociée, puissent être totalement respectées.
Nous souhaitons un retour à des relations normalisées sur les plans politique, sécuritaire et économique entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que la levée des sanctions. Tel doit être l’objectif de l’Ukraine – qui doit respecter totalement les engagements qu’elle a pris à Minsk –, de la Russie – qui doit également respecter ses engagements et ne pas soutenir les séparatistes qui mèneraient des agissements contraires à la feuille de route de Minsk – et de l’Union européenne – qui devra aussi mener une politique de relations nouvelles à l’égard de la Russie. Encore faut-il que cette dernière respecte le droit international, à commencer par l’intégrité et la souveraineté de son voisin ukrainien, ce à quoi elle s’est engagée dans le cadre des accords de Minsk.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Je suis persuadé qu’en marge de l’ordre du jour officiel du prochain Conseil européen seront évoquées les négociations concernant le traité transatlantique.
Au regard des votes intervenus la semaine dernière au Congrès américain, c’est-à-dire le refus du TPA, je me demande à quel horizon on pourra véritablement aboutir.
Par ailleurs, j’entends encore des gens soulever le problème du poulet au chlore ou celui des organismes génétiquement modifiés – j’en passe et des meilleures –, essentiellement dans l’intention de faire peur.
Or ce traité s’inscrit dans une logique gagnant-gagnant pour l’Europe comme pour les États-Unis. Il s’agit d’un problème non de barrières tarifaires – qui sont d’ailleurs relativement faibles – mais de normes entre les États-Unis et la France.
La semaine dernière, j’ai proposé à Mme Axelle Lemaire, qui remplaçait le secrétaire d’État Matthias Fekl dans cet hémicycle, la création d’une cour européenne pour lever le blocage du Parlement européen. Si le vote sur le traité n’a pu avoir lieu et a été retiré de l’ordre du jour de la séance plénière, c’est bien en raison de cet ISDS – Investor-State Dispute Settlement.
La procédure de ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est une procédure mixte, ce qui signifie que cet accord devra être ratifié au niveau européen comme au niveau national. Or je ne vois pas comment le Parlement européen et les parlements nationaux pourraient accepter de ratifier cette négociation ayant prétendument abouti avec nos cousins canadiens, alors qu’elle instaure explicitement un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États analogue à l’ISDS
Hors la création d’une cour européenne laissant aux tribunaux nationaux, dans nos pays démocratiques, le soin de régler les différends, je ne vois pas où nous pourrions aller !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Raoul, concernant le règlement des différends, cela a déjà été dit par Laurent Fabius et Mathias Fekl, la France n’acceptera pas que des juridictions privées, saisies par des entreprises multinationales, puissent remettre en cause les choix démocratiques des peuples qui s’expriment au travers de leurs législations votées par les parlements.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Ce principe nous guide dans l’examen d’une nouvelle proposition visant à remplacer le mécanisme de l’ISDS tel qu’il avait été envisagé par les rédacteurs initiaux du mandat de négociation.
L’idée d’une cour, ou d’un organisme public, nous semble plus adaptée.
Par ailleurs, s’agissant d’un accord de commerce incluant un volet sur les investissements entre les États-Unis et les vingt-huit États membres de l’Union européenne, on peut considérer que les systèmes judiciaires existant d’un côté et de l’autre de l’Atlantique offrent déjà de très importantes garanties en cas de recours des entreprises.
Concernant le suivi de la négociation, je l’ai dit, le TPA fait l’objet d’un blocage au Congrès. Nous espérons qu’il sera levé.
Pour ce qui est du Parlement européen, il est clair que la difficulté se situe autour de cet ISDS. C’est un point qui appelle une clarification.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais revenir sur deux des points soulevés au cours de ce débat.
Notre collègue Richard Yung a posé la seule question concernant la place de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne.
Je dirai que cette place est… singulière – je recours ici à l’humour britannique, afin de ne pas trop me défausser ! (Sourires.)
Je crois que nous aurions raison d’entrer dans le jeu du dialogue et de la prospective auquel nous invite M. Cameron. En tout cas, c’est ce que je veux lire dans les propos qu’il tient sur le sujet. À nous de ne pas nous écarter des valeurs et des idées des pères fondateurs de l’Union européenne.
Depuis quelque temps déjà, David Cameron a engagé des pourparlers avec un certain nombre de pays de l’Europe du nord, ainsi qu’avec l’Allemagne, mais pas encore véritablement avec la France. S’il ne le faisait pas, cela risquerait de nous entraîner vers un certain immobilisme, alors que chacun d’entre nous a envie d’une Europe un peu nouvelle, d’un cercle concentrique plus réactif, d’une Europe de l’essentiel, comme le dit Jean-Claude Juncker.
Le Sénat, sous votre autorité, monsieur le président, a commencé de discuter avec la Chambre des Lords. Notre commission des affaires européennes a eu l’occasion d’échanger avec celle de la Chambre des Lords, et notamment avec son président, lord Boswell.
Il serait pertinent que nous puissions être associés à un certain nombre de mesures en faveur d’une Europe beaucoup plus réactive, celle à laquelle nos concitoyens aspirent.
Par ailleurs, beaucoup de questions ont été posées sur le traité transatlantique. Je tiens à saluer la position très offensive que vous avez adoptée à cet égard, monsieur le secrétaire d’État. C’est une position courageuse.
Courageuse, l’intervention de Daniel Raoul l’était tout autant. La mondialisation fait partie de notre quotidien. Il est beaucoup plus confortable de se rabattre sur ce qu’on avait appelé, à l’époque du traité de Rome – cela remonte déjà à 1957 ! –, la « préférence communautaire ». Or cette préférence n’existe quasiment plus et n’est inscrite qu’en pointillé dans les derniers traités.
Nous disposons aujourd’hui d’un certain nombre d’atouts qu’il faut faire valoir dans ce type de négociations. Si nous n’entrons pas dans ce débat de façon offensive, avec les spécificités, les qualités qui sont les nôtres, ce sont d’autres continents qui écriront à notre place des normes qui s’imposeront sans débat aucun et qui proviendront, pour l’essentiel, de la Chine, de l’Inde ou du Brésil.
C'est la raison pour laquelle je tiens à saluer la position de Mathias Fekl sur le sujet. Il faut défendre les préférences collectives qui font partie de nos singularités à nous, Européens. C’est également ce qui fait l’attrait de l’Union européenne en général et de la France en particulier : si beaucoup d’Américains viennent passer des vacances dans notre pays et en Europe, c’est précisément à cause de nos préférences collectives.
N’adoptons pas une attitude frileuse ou populiste en la matière. Regardons la réalité en face : je l’ai dit, la mondialisation fait partie de notre quotidien. Nous avons plus que notre place à y prendre. En tout cas, je souhaite que nous puissions continuer à débattre de ce sujet.
À mon tour, je remercie le président Larcher d’avoir présidé cette séance. Le nombre de nos collègues aujourd’hui présents témoigne de l’intérêt que nous portons à l’Europe.
Il est vrai qu’un certain nombre de sujets et de préoccupations s’amoncellent sous le ciel non seulement européen, mais aussi mondial. Chaque fois que nous nous détournerons de l’Europe, nous nous éloignerons des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, je veux vous remercier d’avoir organisé ce débat, dans ces conditions et à cette heure, ce qui a permis une large participation des membres de la Haute Assemblée.
Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, nous sommes dans un moment où l’Europe est mise à l’épreuve, où se pose pour elle la question de savoir quelle va être sa place dans l’Histoire future. Son avenir se joue à travers les réponses qu’elle apportera aux crises qui se déroulent à ses frontières, aux enjeux de la croissance, qui doit revenir, ainsi qu’à travers la cohésion dont elle fera preuve face à des situations comme celles de la Grèce ou de la Grande-Bretagne pour sauvegarder un modèle démocratique et social spécifique dans la mondialisation.
Il s’agissait d’un débat important, à la veille d’un Conseil européen dont l’ordre du jour sera, lui aussi, particulièrement important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. Croyez bien, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que je ne manquerai pas de tirer les conséquences, avec la conférence des présidents, de ce qui a été dit concernant l’horaire auquel il est opportun que se tiennent ces débats préalables aux Conseils européens.
Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
16
Nomination de membres de deux organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame Mme Catherine Génisson membre du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine.
Je rappelle que la commission du développement durable a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Henri Tandonnet membre du Comité consultatif constitué au sein du Comité national de l’eau.
Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
17
Malades et personnes en fin de vie
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (proposition n° 348, texte de la commission n° 468, rapport n° 467, avis n° 506).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les corapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un sujet sensible qui nous rassemble aujourd’hui.
M. Charles Revet. C’est le moins que l’on puisse dire !
Mme Marisol Touraine, ministre. « Quand la crainte de la vie l’emporte sur la crainte de la mort » : ces mots de Victor Hugo trouvent un écho chez tous ceux qui ont eu à affronter la fin de vie difficile d’un proche, chez tous ceux qui ont entendu parler de ces situations, ne serait-ce qu’à travers tel cas ayant fait l’objet d’une médiatisation, ou tout simplement chez tous ceux qui y pensent comme à une éventualité.
En arriver au point de préférer mourir pour ne plus souffrir, c’est sans doute ce qui peut susciter la plus terrible des appréhensions.
La fin de vie est évidemment un moment intime. Pour autant, on ne peut la résumer à la sphère privée. Nous le savons bien, le rapport à la maladie et à la mort résulte de notre culture, d’un ensemble de règles, de codes, qui évoluent progressivement. Jamais sans doute depuis des siècles les évolutions n’ont été aussi rapides, sous la pression d’aspirations diverses : aspirations à la liberté – en tout cas à une plus grande liberté –, à l’exercice de la responsabilité, à la reconnaissance de l’autonomie.
Nous avons le devoir d’apaiser, sans jamais remettre en cause l’aspiration à l’autonomie. Nous devons poser des limites, mais nous ne saurions ignorer la souffrance. Car la modernité d’une société se mesure, pour beaucoup, à son rapport aux malades et aux souffrants, à sa capacité à faire évoluer des règles, en s’assurant qu’elles seront acceptées de tous.
On ne peut le nier, notre rapport à la maladie et à la mort a changé. Les soins palliatifs, s’ils se sont imposés dans le débat, ne sont pas accessibles à tous dans les mêmes conditions. Depuis quelques années, nos concitoyens ont des droits nouveaux, qu’ils ne connaissent pourtant pas suffisamment.
Les progrès de la science et de la médecine nous permettent de vivre plus longtemps, ce qui est assurément une chance. Dans le même temps, ces traitements peuvent faire durer la maladie parfois trop longtemps et maintenir en vie dans des conditions qui sont sujettes à interrogations, à tel point que, pour certains, la frontière entre la vie et la mort s’estompe.
Il y a donc, dans notre pays, une demande tendant à faire évoluer le cadre législatif.
C’est assurément une exigence : exigence morale pour certains, exigence politique, en tout cas, au sens fort du terme, car ce sujet a trait à la vie de la Cité. Les malades et leurs familles, les associations et les professionnels de santé nous demandent de nous saisir de ce sujet délicat avec responsabilité et d’apporter des réponses à des questions qui, parfois, résonnent dans le vide.
C’est pour répondre à cette attente que le Président de la République a pris l’engagement de mieux accompagner la fin de vie dans le contexte d’une maladie incurable et d’une souffrance insupportable.
Il fallait d’abord – c’était le souhait du Président de la République – permettre à la société de s’exprimer le plus directement et le plus largement possible. C’est ainsi qu’une mission a été confiée au professeur Sicard, et que le Comité consultatif national d’éthique a mené des travaux. À travers ces débats, les Français ont pu s’emparer du sujet ; ils ont également pu s’exprimer dans le cadre d’une conférence citoyenne. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses, tous ont pu faire valoir leur point de vue.
Est ensuite venu le moment d’élaborer un texte. Le Président de la République en a fixé le cadre : parvenir à un consensus aussi large que possible pour proposer une étape législative nouvelle. Une mission a ainsi été confiée aux députés Alain Claeys et Jean Leonetti. Ils ont rendu le résultat de leurs travaux en décembre dernier et rédigé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, même si elle a été en partie modifiée lors de son examen à l’Assemblée nationale.
M. Gilbert Barbier. Elle l’a même beaucoup été !
Mme Marisol Touraine, ministre. Cette proposition de loi marque des avancées importantes.
Première orientation du texte qui vous est proposé : renforcer l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.
Depuis dix ans, les unités de soins palliatifs se sont développées en France ; le nombre de lits a été multiplié par vingt. Pourtant, si les deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs, une grande partie d’entre eux n’y a pas accès, ou alors trop tardivement. Cette injustice – la situation est en tout cas perçue comme injuste – est à la fois sociale et territoriale, ce qu’a montré un rapport de la Cour des comptes paru cette année.
C’est pourquoi, avant même de réfléchir aux évolutions à apporter aux conditions dans lesquelles la fin de vie peut être aménagée, il paraît nécessaire de proposer un nouveau plan de développement des soins palliatifs. Il s’agit de développer la culture palliative dans notre pays en mettant en avant plusieurs priorités.
Il convient d’abord de garantir le développement des soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, partout sur le territoire, car ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.
Il faut ensuite répondre à la demande très forte, très pressante, de nos concitoyens de pouvoir accéder à des soins palliatifs à domicile. Alors que la majorité des Français, nous le savons, souhaiteraient pouvoir mourir chez eux, l’absence de soins palliatifs, sans que ce soit la seule raison, les amène trop souvent à s’éteindre à l’hôpital.
Nous devons aussi proposer une meilleure formation des personnels soignants, qui se disent eux-mêmes ignorants des démarches à engager, en intégrant un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades dans toutes les formations sanitaires.
Il nous faut enfin proposer des procédures communes aux professionnels de santé pour accompagner la sortie d’hôpital des patients qui ont besoin de soins palliatifs à leur domicile ou dans un EHPAD. La nécessité d’éviter toute rupture doit faire l’objet d’un référentiel commun ; la Haute Autorité de santé y travaille.
Un plan triennal est en voie d’élaboration et sera soumis dès la semaine prochaine à un comité de pilotage composé des acteurs des soins palliatifs. Ce comité éclairera et complétera, si nécessaire, les orientations que je proposerai à cette occasion. Je présenterai ensuite un plan finalisé pour permettre la montée en charge de cette offre de soins palliatifs au cours des trois années à venir.
Deuxième orientation de ce texte : renforcer la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits, que les Français disent ne pas connaître suffisamment. Près de la moitié d’entre eux ignorent en effet que la loi autorise d’ores et déjà le patient à demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seulement 2,5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées ! Or nous savons qu’elles pourraient répondre à nombre de situations difficiles.
La situation, largement médiatisée, de Vincent Lambert, qui n’est pas en fin de vie, il faut le préciser, rappelle la nécessité de tout faire pour que puisse s’exprimer la volonté de chacun. Les difficultés auxquelles le corps médical est confronté dans cette situation viennent en partie du fait que l’expression de sa volonté fait l’objet d’interrogations et de débats.
Nous devons donc renforcer et clarifier le cadre de l’expression personnelle de la volonté de chacun.
Le texte vise ainsi à rendre les directives anticipées contraignantes et à en supprimer la durée de validité. C’est une avancée majeure. Aujourd’hui, ces directives, lorsqu’elles existent, ne constituent que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale. Demain, c’est bien la volonté du patient qui sera déterminante pour l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment ultime, jusqu’au moment où on la quitte, tel est l’enjeu de dignité auquel ce texte s’attache.
Il s’agit également de renforcer l’information sur ces directives : information du patient, qui doit connaître son droit pour pouvoir l’exercer, mais aussi information de l’équipe médicale, qui doit avoir le plus rapidement et le plus clairement possible connaissance des volontés du malade.
Les amendements adoptés par l’Assemblée nationale renforcent ce volet du texte. Concrètement, un formulaire type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé et un registre national automatisé permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit. Ces dispositifs permettront aux médecins d’avoir une vision rapide et immédiate des directives anticipées du malade dont ils ont la charge. Ils pourront facilement consulter ce registre, dont les données seront au demeurant confidentielles, et il conviendra évidemment de garantir le respect de cette confidentialité.
Il nous revient en outre de trouver les moyens d’informer utilement nos concitoyens sur ce droit nouveau.
Enfin, la troisième orientation de ce texte est de consacrer une plus grande autonomie des personnes.
L’encadrement de l’arrêt des traitements, permis par la loi du 22 avril 2005, a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, personne ne le conteste. Toutefois, il nous faut aujourd’hui franchir une étape supplémentaire.
En effet, en l’état actuel de notre droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’entreprendre ou non les traitements, de les interrompre ou non. Si un dialogue a évidemment lieu au sein des équipes soignantes, certains médecins peuvent être désemparés lorsqu’ils sont confrontés à la décision d’interrompre ou non les traitements.
Dans le même temps, nous le savons, trop de patients, trop de familles, estimant que leurs droits sont mal reconnus, ont le sentiment de ne pas être entendus. Les droits des malades en fin de vie doivent donc être renforcés.
Il s’agit aussi d’offrir à la fois aux patients et aux soignants une sécurité telle que la diversité des situations et des prises en charge sur le territoire national soit réduite. On s’aperçoit en effet que, selon l’interprétation qui est faite de la loi, selon les équipes soignantes et les lieux où l’on se trouve sur le territoire, les réponses apportées à des situations identiques ne sont pas les mêmes.
Ce texte vise ainsi à préciser les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la notion d’« obstination déraisonnable » et prévoit d’instaurer un droit à bénéficier, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. À l’heure actuelle, ce traitement relève, je l’ai dit, de la seule appréciation médicale. Son application dépend donc largement du territoire, de l’établissement ou du service. Il s’agira désormais d’un droit concret, reconnu à tous et partout.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la fin de vie est un sujet sensible, qui nous concerne tous, individuellement et collectivement. Par-delà nos croyances, nos engagements, nos parcours et nos points de vue, nous avons une grande mission collective, celle de répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens.
Ce texte permettra de franchir une étape considérable. L’opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, inverse la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin puisque c’est à lui que revient le dernier mot. Il s’agit de redonner, jusqu’au dernier instant, de la force à la volonté et à la liberté de chaque personne.
Ce sujet, nous ne pouvons pas le nier, fait appel à la conscience de chacun. Selon moi, nous devons l’aborder avec la conviction que nul ne détient la vérité absolue et que chacun devant pouvoir exprimer sa conviction profonde. Sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, de même que dans l’ensemble du pays, certains considèrent que ce texte ne va pas assez loin. D’autres estiment que toute évolution du cadre juridique de la fin de vie est inopportune. Du côté de ceux qui voudraient aller plus loin, des démarches différentes sont suggérées : il n’y a pas, de ce côté non plus, de consensus absolu quant à l’étape supplémentaire qu’il convient de franchir.
Le Gouvernement souhaite que le débat s’engage de manière sereine. Il n’appartient à personne de porter un jugement sur des convictions qui sont toutes aussi respectables les unes que les autres. Il s’agit aujourd’hui de définir un texte qui rassemble largement et constitue un point d’équilibre dans la société, conformément à la volonté du Président de la République, lequel a fixé un cap clair : franchir, dans le rassemblement, une étape de liberté pour les malades.
Le Sénat est sans doute le lieu le plus à même de répondre à cette double exigence et d’entendre cet appel. En effet, votre engagement historique sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs, montre bien que des rassemblements peuvent s’opérer par-delà les clivages partisans. En outre, vous avez à cœur de rester attentifs à l’aspiration à la dignité des personnes en fin de vie.
Je ne doute pas que nos débats seront importants, utiles et éclairants pour notre société. Je ne doute pas non plus que des points de vue différents s’exprimeront et que des aspirations différentes se dessineront. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que, au sein même de l’exécutif, des points de vue différents se sont exprimés. Au fond, c’est la question suivante qui nous a rassemblés : comment, aujourd'hui, peut-on faire progresser le débat, sans heurter, en répondant à l’exigence de liberté, d’autonomie et de dignité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)