Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue. Nous appliquons les nouveaux temps de parole.
M. Jean-Claude Requier. Nous regrettons, avant tout, le chapitre dédié aux professions réglementées. Pourquoi donc défendons-nous ces professions ? Parce que nous sommes les fantassins de l’enclavement territorial et du monde rural ! En conséquence, comme en première lecture, la majorité des membres du RDSE s’abstiendra sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Charles Revet. Qu’aurait fait Gamelin ?
M. Robert del Picchia. Il aurait voté pour ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si mon accent manque de pittoresque, j’ai néanmoins quelques mots à vous dire, au nom de mon groupe, sur l’analyse que nous pouvons faire à l’issue de ces débats. Tout d’abord, je vous ferai part d’une évidence : votre texte, monsieur le ministre, a été mis en difficulté par la majorité gouvernementale.
L’utilisation, à deux reprises, du « 49-3 » à l’Assemblée nationale dénote un passage en force vis-à-vis de votre majorité. Cependant, à nos yeux, cela devait représenter une opportunité pour le Gouvernement de construire avec le Sénat un véritable texte de croissance. Pour l’instant, vous n’avez pas encore saisi cette opportunité, monsieur le ministre, mais il est peut-être encore temps !
Ensuite, nous regrettons que le Gouvernement ait choisi un positionnement qui donne l’illusion de la réforme et du pragmatisme.
De nombreuses mesures nécessaires pour donner un coup de pouce à la croissance, qui avaient pourtant été annoncées par le Gouvernement, n’ont pas reçu son soutien quand la majorité sénatoriale les a proposées. Ainsi du relèvement des seuils : vous vous êtes prononcé en sa faveur en août 2014, monsieur le ministre. Or, quand la question a été traitée lors de la première lecture, vous nous avez renvoyés au projet de loi relatif au dialogue social. Pourtant, nous n’avons rien vu de tel dans ce texte.
Maintenant, vous renvoyez le traitement de la question des seuils au projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui sera examiné à la fin de l’année. Cela fait un an et demi que le Gouvernement dit vouloir traiter cette question !
Pourtant, les effets néfastes des seuils sur l’emploi ne sont plus à démontrer : nous en avons des témoignages tous les jours.
Ensuite, vous maintenez une complexité croissante pour les entreprises, sans doute pour justifier d’une politique de gauche.
C’est le cas du compte pénibilité : adopté en janvier 2014, il n’est toujours pas effectif.
C’est le cas également du dispositif d’information des salariés en cas de cession d’une entreprise : rien de tel pour mettre en péril une opération de cession !
Ces dispositifs sont réellement antiéconomiques. C’est pourquoi nous vous proposons de suivre le Sénat dans le travail qu’il a effectué pour faciliter la vie des entreprises.
Certes, vous vous êtes rallié à certaines de nos propositions, telles que la suppression de la fiche individuelle du compte pénibilité et l’encadrement des indemnités de licenciement. Vous avez vous-même proposé le suramortissement des investissements productifs. Vous devez pourtant aller plus loin, comme l’a fait la majorité sénatoriale.
Qui peut en effet penser une seconde que les propositions du Gouvernement en matière d’économie et d’emploi apporteront de la croissance ?
Monsieur le ministre, vous avez encore la possibilité, en recourant à l’article 49-3 de la Constitution à l’Assemblée nationale, de proposer aux Français un vrai texte de croissance, qui contiendra des mesures dont l’impact sera assuré : relèvement des seuils, contrats de mission, accords défensifs de développement de l’emploi ou flexibilité.
En effet, l’urgence économique est toujours là. Le groupe Les Républicains votera donc ce texte, qui inclut les mesures fortes que nous avons défendues. Il a été réécrit grâce au travail remarquable des rapporteurs, très bien accompagnés par le président de la commission spéciale : je tiens ici à les saluer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de surprise : comme en première lecture, le groupe communiste, républicain et citoyen votera contre ce projet de loi.
La rapidité de cette seconde lecture met en évidence le coup porté au débat démocratique par l’utilisation, à deux reprises, du « 49-3 » par Manuel Valls.
Ainsi, les députés n’auront jamais voté votre projet de loi, monsieur Macron. En seconde lecture, vous avez même imposé le « 49-3 » avant l’ouverture des débats. À l’exception des membres de la commission spéciale, les députés n’ont pu s’exprimer sur le texte voté au Sénat, sur les amendements des rapporteurs et, surtout, sur les nouveaux amendements du Gouvernement, dont l’un a tout particulièrement retenu l’attention par son caractère libéral et régressif : le plafonnement des indemnités de licenciement.
Le paradoxe est là, monsieur le ministre : la seule assemblée à avoir voté votre texte, certes en le modifiant, est le Sénat, où la droite détient la majorité.
Comment s’étonner de cette situation ? Ce projet de loi massif est un texte de dérégulation libérale. Sa cohérence, malgré l’aspect fourre-tout que certains ont voulu lui prêter, est évidente.
Mme Nicole Bricq. Ah !
Mme Annie David. Il vise à briser les dernières digues du modèle social français, à travers plusieurs secteurs de notre économie, et porte atteinte aux droits des salariés.
En premier lieu, la libéralisation des transports, avec la mise en concurrence du rail et de l’autocar, est une décision prise en dépit du bon sens sur le plan social, écologique et démocratique.
Vous nous annoncez, sur ce point, monts et merveilles en matière d’emploi. Nous en reparlerons, monsieur le ministre. De quels emplois parlez-vous, et de quels statuts ? Quel sera le niveau de précarité ?
L’aménagement du territoire sera la seconde victime, après le rail, de votre réforme qui, loin d’être moderne, est d’un archaïsme profond.
La cohérence libérale de votre texte se retrouve dans les mesures financières et industrielles. On peut citer le cadeau aux dirigeants d’entreprises que représente le développement des actions gratuites ; la privatisation de l’industrie de défense suscite pour sa part des questions quant aux conséquences sur notre diplomatie et notre souveraineté ; enfin, la privatisation des aéroports de Lyon et Nice est un nouveau cadeau au marché : encore une fois, on brade aux actionnaires des établissements publics qui fonctionnent et sont parfaitement bénéficiaires, comme ce fut le cas avec les autoroutes il y a quelques années.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je poursuivrai dans la lignée de ce que vient d’expliquer ma collègue Annie David. Je voudrais simplement ajouter que la dérégulation libérale portée par votre texte, monsieur le ministre, s’attaque également au logement, puisque la priorité au logement social passe au second plan, au profit, notamment, de la promotion du logement intermédiaire.
Les professions judiciaires sont également dans votre ligne de mire. La mise en concurrence est dans ce domaine votre maître mot. Elle fait fi, d’ailleurs, de l’égal accès aux professions judiciaires sur l’ensemble de nos territoires pour nos concitoyennes et nos concitoyens.
Enfin, monsieur le ministre, votre modèle de société apparaît clairement dans le titre III de votre projet de loi, intitulé « Travailler ». En effet, livrer la force de travail des salariés au patronat et à l’actionnariat dans des conditions plus favorables à ces derniers constitue, de fait, l’un des objectifs essentiels de ce projet.
La généralisation du travail du dimanche, l’allongement des obligations en matière de licenciement, le plafonnement des indemnités de licenciement, qui permet d’intégrer, dès l’embauche, le facteur « rupture de contrat de travail », ou encore la remise en cause de la question prud’homale sont des mesures graves. Elles n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec des objectifs fidèles aux valeurs de gauche pour lesquelles M. Hollande a été élu, valeurs qui ont, de fait, permis votre arrivée au Gouvernement, monsieur Macron.
Alors que la victoire du 6 mai 2012 portait en son sein la remise en cause de la domination absolue de la finance qui avait marqué l’ère Sarkozy (M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.), vous faites aujourd’hui la politique de la finance, ce qui explique d’ailleurs que M. Gattaz ait soutenu sans aucune gêne le recours à l’article 49-3 de la Constitution et ait applaudi à cette initiative.
Monsieur le ministre, ce projet de loi tourne le dos au vote de nos compatriotes, mais ce n’est malheureusement pas le seul. Si l’on poursuit dans la voie ouverte par l’acceptation du traité budgétaire européen, puis l’adoption du pacte de responsabilité et de solidarité, se pose une question philosophique – je sais, monsieur le ministre, que vous affectionnez la philosophie – : peut-on durablement trahir l’espérance ? Ce n’est certes pas le sujet de la prochaine épreuve du baccalauréat de philosophie, mais c’est certainement la question à laquelle nous devrons tous ensemble répondre si nous voulons sauver la gauche dans notre pays.
Nous ne voterons pas votre texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de dire quelques mots pour conclure ce marathon : ce sont plus de cent cinquante heures que nous avons passées à débattre de ce texte en commission, avec les auditions, et en séance publique en première lecture et en nouvelle lecture. Que la France est difficile à réformer ! Presque un an s'est écoulé entre l’annonce, l’été dernier, par le Président de la République de ce projet de loi et son examen par le Parlement, alors que le monde change beaucoup plus rapidement.
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre écoute. Vous avez apporté des réponses argumentées aux observations qui ont été formulées dans cette enceinte. Même si nous n’étions pas forcément d’accord, vous avez toujours essayé d’user de votre pouvoir de conviction. Je remercie également le président de la commission spéciale, Vincent Capo-Canellas, qui marque la présence du groupe UDI-UC dans la majorité sénatoriale, et les rapporteurs pour leur excellent travail. Ils ont toujours gardé le sens de la mesure : ils ne nous ont pas poussés à introduire des amendements qui auraient pu aller plus loin, mais qui ne faisaient pas consensus et ne correspondaient pas à une étape raisonnable dans la réforme dont notre économie a besoin.
Aujourd'hui, la préoccupation des Français, c’est le développement économique, l’emploi et le pouvoir d’achat. Mais, vous le savez très bien, tout est lié, et cela passe par la performance de nos entreprises.
Certains points ont fait l’objet d’un consensus, et je me félicite, notamment pour ce qui concerne la partie économique, des mesures relatives au crédit inter-entreprises ou encore, par exemple, au suramortissement pour doper à court terme l’investissement. Ces mesures vont dans le bon sens, et nous les approuvons. Mais la majorité sénatoriale aurait aimé que vous alliez plus loin encore.
Quoi qu’il en soit, elle a pris ses responsabilités, en proposant un texte plus dynamique, susceptible de desserrer les carcans qui brident la capacité d’initiative et de développement des entreprises, et ce n’est pas là du libéralisme. Nous ne vous suivons pas toujours lorsque vous proposez des formes de libéralisme à l’anglo-saxonne pour certains domaines comme les professions réglementées. Les entreprises ont besoin de liberté, dans le respect des salariés. Si nous voulons que des entreprises se créent, se développent et embauchent du personnel, nous devons faire sauter un certain nombre de verrous. C’est une étape ; j’espère que, à l’avenir, il y en aura d’autres.
Le groupe UDI-UC approuve le texte issu des travaux de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques,…
M. Robert del Picchia. Pas encore !
M. Jean Desessard. … après un examen sensiblement plus court qu’en première lecture. Nous achevons nos travaux en soirée et non pas dans la nuit, ce qui est plutôt agréable. (Sourires.)
Ce texte est quasiment le même que celui qui a été adopté par la commission spéciale et que celui qui avait été adopté en première lecture. Remanié et dévoyé par rapport au texte présenté par le Gouvernement, il permet à la majorité sénatoriale de détailler ses propositions et d’exposer sa conception de la relance de l’activité. Il va en effet beaucoup plus loin que celui qui avait été initialement proposé par le Gouvernement : le libéral a remplacé le social-libéral.
M. Michel Canevet. Pas assez !
M. Jean Desessard. Pour la majorité sénatoriale, relancer l’activité, c’est casser les rigidités. Cela signifie diminuer les droits des salariés, favoriser toute liberté pour les employeurs et se libérer des contraintes liées au respect de l’environnement.
En instaurant trois jours de carence dans la fonction publique, en créant un sous-CDI, qui est en réalité un CDD déguisé, en remettant en cause les 35 heures et en supprimant de nombreuses contreparties au travail dominical, vous adressez un message clair : si la croissance est atone, si l’économie ne repart pas, c’est que les salariés sont trop protégés, qu’ils ont perdu le goût de l’effort et qu’il faut, en conséquence, niveler tous leurs droits par le bas. (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Éric Doligé. Caricature !
M. Jean Desessard. Cette conception n’est pas celle des écologistes, pas plus qu’elle n’est celle des millions de salariés qui sont chaque jour un peu plus broyés par l’ultralibéralisme : on leur demande toujours plus ! (Très bien ! sur les travées du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. Il faut arrêter !
M. Jean Desessard. Enfin, ce projet de loi comporte des atteintes à l’environnement, telles que les ordonnances pour réformer le droit de l’environnement et la restriction des possibilités de démolition des bâtiments illégaux.
Vous avez également profité du débat pour réintroduire le projet Cigéo, qui, en l’état actuel, ne peut être mis en œuvre.
Comme beaucoup de choses ont déjà été relevées, je me bornerai à dire en conclusion que les membres du groupe écologiste voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon explication de vote prendra la forme d’un rappel au règlement sur l’organisation de nos travaux.
Depuis ce matin, nous sommes réunis en session extraordinaire. Le Gouvernement, qui, seul, maîtrise l’ordre du jour d’une session extraordinaire, a mal évalué le temps nécessaire à la discussion des textes, sans doute parce que nous examinons de plus de plus de textes en nouvelle lecture. Or une nouvelle lecture ne demande pas autant de temps qu’une deuxième lecture ou que l’examen des conclusions d’une commission mixte paritaire. Nous devions poursuivre l’étude de ce texte jusqu’à lundi soir. Or nous achevons notre discussion aujourd’hui mercredi.
Si l’on considère l’ordre du jour fixé par le Gouvernement, ce dernier a prévu l’examen de certains textes pendant plusieurs jours, alors qu’il faudra sans doute beaucoup moins de temps. Je pense notamment au projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte : cinq jours sont prévus, mais, contrairement à l’opinion que le Gouvernement a pu s’en faire, les sénateurs travaillent vite et…
M. Michel Canevet. … et bien !
M. Jean-Claude Lenoir. … bien, en effet !
La session extraordinaire devrait durer jusqu’au 25 ou 26 juillet. Toutefois, pendant cette longue période, nous n’allons pas, en réalité, beaucoup siéger. Or nous avons organisé nos agendas en fonction de l’ordre du jour annoncé par le Gouvernement. Ce ne serait pas dommageable si l’on n’avait pas appris récemment – des rumeurs circulent à l’extérieur du Palais – que la session extraordinaire de septembre allait commencer non pas le 15 septembre, comme on nous l’avait dit, mais le 8 septembre.
M. Jean Desessard. C’est flou !
M. Jean-Claude Lenoir. C’est pourquoi je vous demande, madame la présidente, de transmettre à la conférence des présidents, à laquelle nous participons l’un et l’autre, cette observation qui, me semble-t-il, peut être soutenue par l’ensemble de nos collègues. En effet, il serait possible parfois d’organiser de façon beaucoup plus rationnelle nos travaux pour éviter que nous ne dispersions notre énergie…
Mme Nicole Bricq. Revenons-en au texte !
M. Jean-Claude Lenoir. … sur des plages…
M. Jacques Bigot. C’est l’été ! On va sur les plages ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. … sur de larges plages horaires, voulais-je dire ! (Nouveaux sourires.)
Voilà pourquoi je tenais à faire cette déclaration dans le temps qui m’a été imparti.
Mme la présidente. Dont acte ! Je transmettrai votre demande à la conférence des présidents, lors de laquelle vous pourrez de nouveau exposer vos arguments, monsieur Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. « De nouveau » : vous avez raison, madame la présidente !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, le groupe socialiste, comme en première lecture, s’abstiendra. Ce n’est pas la position la plus confortable, mais c’est la plus raisonnable. Pourquoi ?
L’architecture du projet de loi est préservée, et nous voulons que ce texte aboutisse pour servir l’objectif pour lequel il a été conçu, amendé, corrigé : apporter quelques dixièmes de points à la croissance. Car nous en avons bien besoin.
Au moment des explications de vote, je ferai non pas un bilan de greffier ou de notaire, mais un bilan politique. Les débats ont montré que nous avions deux conceptions différentes de l’entreprise. Ce sont les débordements de la majorité sénatoriale qui me conduisent à formuler cette réflexion, mais l’Assemblée nationale, nous en sommes sûrs, les corrigera ! (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.) Elle rectifiera tous ses excès et reviendra dans le cours du fleuve.
M. Jean-Claude Lenoir. Avec le 49-3 !
M. Rémy Pointereau. Allez donc siéger à l’Assemblée nationale !
Mme Nicole Bricq. Nous avons deux différences avec la majorité sénatoriale, et c’est une illustration de ce qu’est la droite en ce moment.
Sans reprendre toute l’argumentation, nos conceptions de l’entreprise sont différentes : nous avons une conception partenariale, tandis que vous avez une conception patrimoniale ! (Non ! sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. Avec vous, il n’y aurait plus d’entreprises !
Mme Nicole Bricq. C’est une différence de fond.
Par ailleurs – c’est la deuxième différence –, vous faites porter tout le poids du retard de l’économie française sur le marché du travail, alors que ce retard est lié, vous le savez très bien, au défaut d’investissement, notamment dans le secteur de l’industrie. La perte de nos parts de marché est due, vous le savez parfaitement, je le répète, au laisser-faire qui a prévalu au cours de ces dernières années. (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme Évelyne Didier. Je suis tout à fait d’accord !
Mme Nicole Bricq. Le Gouvernement a repris la main sur toutes ces questions.
M. Charles Revet. On ne l’a pas beaucoup vu !
Mme Nicole Bricq. Du reste, vous avez fait référence au mécanisme d’accélération de l’investissement, qui a été introduit. La nation, au travers de la représentation nationale, consent à faire cet effort, comme elle l’a fait pour le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Eu égard à ces différences de fond, nous ne pouvons pas soutenir les dispositions que vous avez défendues ce soir et au cours de ce débat.
M. Charles Revet. Dommage !
Mme Nicole Bricq. Mais nous faisons confiance à nos collègues députés. (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Ils ne vont pas pouvoir en discuter !
M. Cédric Perrin. Vous devriez vous présenter aux législatives !
Mme Nicole Bricq. Nous savons que ce texte ira à son terme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Daniel Raoul. Que la droite fasse ce qu’elle veut, il ne restera rien de son texte à l'Assemblée nationale ! (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Pillet, corapporteur. Comme c’est aimable !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à dire une réalité : la Haute Assemblée a voté conforme deux tiers des articles du projet de loi. Même si cette proportion mérite d’être affinée, cela prouve le consensus auquel sont parvenues les deux assemblées parlementaires.
Certes, on peut toujours s’interroger sur le jeu politique, mais je constate avec satisfaction qu’il est parfois possible de tomber d’accord sur un certain nombre de points pour prendre en compte l’entreprise telle qu’elle est dans la réalité, dans un monde où la compétition internationale est féroce. En effet, comment faire la part entre le modèle de la France, avec sa tradition, ses insuffisances parfois, mais aussi ses atouts, et l’adaptation, qui est nécessaire ?
D’un certain point de vue, ce projet de loi contribue à satisfaire cet objectif, mais il ne le fait pas assez, selon la majorité sénatoriale. En effet, nous aurions souhaité que vous alliez plus loin, monsieur le ministre. Surtout, nous aurions souhaité que l'Assemblée nationale nous suive. Le jeu n’est pas encore fermé – l'Assemblée nationale se saisira de ce texte en dernière lecture –, même si la mécanique institutionnelle est telle que les possibilités de progression sont limitées. Quoi qu’il en soit, nous avons formulé des propositions allant dans le sens de l’adaptation.
Nous savons aussi qu’à la suite de cette loi « Macron I » – je la nomme ainsi, car il a parfois été question d’une loi « Macron II » –, un certain nombre de sujets devront être traités. Il faudra certainement aller plus loin, sans doute au moment de l’élection présidentielle.
Le texte que nous venons d’examiner contient des mesures qui, en dehors de celles qui nous ont semblé maladroites à l’égard de certaines professions, procèdent d’une réelle envie d’aller de l’avant et de donner à la France toutes les possibilités de libérer son potentiel de croissance.
Demain, nous le savons, c’est aussi la réforme de l’État qui sera au cœur de la compétitivité française. Afin d’améliorer les performances de nos entreprises et l’emploi, il faudra regarder de plus près notre modèle social et étudier la meilleure façon de l’adapter, tout en ayant conscience qu’il s’agit là d’un débat particulièrement difficile. Cependant, voir le monde tel qu’il est, c’est aussi reconnaître qu’il est nécessaire de moderniser notre modèle social et économique !
Demain, la numérisation de l’économie frappera également à notre porte. Elle méritera d’être approfondie et regardée de près, peut-être à l’occasion d’une loi « Macron II » !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Surtout pas ! (Sourires.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. J’indiquais tout à l’heure que les deux tiers des articles de ce projet de loi, examiné en nouvelle lecture, ont été adoptés de manière conforme par notre assemblée. J’ajoute que, sur la forme, nous avons débattu, il y a quelques jours ou quelques semaines de cela, du calendrier d’examen de ce texte. Nous avons finalement souhaité répondre à l’attente générale en accélérant le déroulement de nos travaux.
Je tiens à remercier chacun des groupes politiques du Sénat, car je sais que ces débats n’ont été faciles pour personne. Nous avons voulu faire en sorte qu’une véritable discussion ait lieu en séance publique, qui traite de tous les sujets, sans toutefois retomber dans un « tunnel » comme notre assemblée peut parfois en traverser.
Dans la mesure où les nouvelles dispositions du règlement du Sénat relatives aux temps de parole s’appliquent à ce texte, je ne vous livrerai pas la liste des mesures que nous avons adoptées lors de cette lecture et qui sont nouvelles par rapport aux précédentes.
Je préciserai toutefois que l’examen de ce texte en nouvelle lecture a été particulièrement utile sur la postulation des avocats, les experts-comptables, les sanctions pour les plateformes internet et le marché numérique, les contrats de distribution sélective, ainsi que sur un certain nombre de questions de constitutionnalité que nous avons été conduits à soulever. Beaucoup d’amendements, adoptés et intégrés dans le texte de la commission ou lors des travaux en séance publique, tendent à consolider ce projet de loi.
Pour conclure, il me reste, monsieur le ministre, à vous remercier : vous avez, en effet, été présent de multiples façons. Tout d’abord, nous mesurons que la charge qui vous incombe est lourde. Or vous avez toujours été là au cours de nos débats, armé de votre sagacité et de cette forme de virtuosité que l’on aimerait vous voir appliquer parfois davantage sur d’autres sujets – mais c’est une autre question ! (M. le ministre sourit.) Les sénateurs ont globalement pris du plaisir au débat intellectuel qui s’est engagé avec vous et vous donnent acte de votre volonté d’avancer.
J’espère que vous vous ferez autant que possible le porte-parole auprès de l’Assemblée nationale des avancées auxquelles les sénateurs, dans leur diversité, ont contribué. Cette nouvelle lecture m’a semblé positive et je souhaite remercier chacune et chacun de sa contribution.
Je terminerai mon intervention en soulignant le superbe travail des rapporteurs, sur un texte tout sauf facile à aborder, de toute l’équipe de la commission, des fonctionnaires du Sénat qui gèrent le déroulement des séances, des présidentes et présidents de séance, ainsi que de l’ensemble du personnel qui nous entoure et nous accompagne au quotidien.
Et peut-être nous reverrons-nous tous pour une loi « Macron II » ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Macron, ministre. Je souhaite à mon tour vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le travail que vous avez accompli. Plusieurs d’entre vous ont rappelé que nos débats ont été plus courts lors de cette nouvelle lecture. Pourtant, nous avons presque atteint 450 heures de travail en séance publique lors de ces deux lectures cumulées. Les débats ont donc été particulièrement nourris.
Le Sénat a enrichi ce projet de loi en première lecture, avant que l’Assemblée nationale ne le consolide. Nombre de dispositions – j’ai eu l’occasion de le rappeler – ont su traverser les différentes étapes de l’examen de ce texte, qu’il s’agisse du suramortissement fiscal, de plusieurs dispositions tendant à améliorer la sécurité juridique du projet de loi ou d’une meilleure couverture territoriale en matière de téléphonie mobile et fixe. Il s’agit d’acquis obtenus lors de l’examen du texte au Sénat. La trentaine d’amendements qui ont été adoptés visent à améliorer ce texte sur de nombreux points, y compris juridiques. Le Gouvernement reprendra d’ailleurs à son compte des amendements lors de la lecture définitive à l’Assemblée nationale. À ce titre, j’ai indiqué par mes prises de position ceux qui retiendront particulièrement l’attention du Gouvernement.
Dans les prochains jours ou les prochaines semaines, nous parviendrons à l’examen de ce texte en lecture définitive. Aujourd’hui, après toutes ces heures de débat, nous voulons qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible.
Je tiens vraiment à remercier le président de la commission spéciale et les rapporteurs pour le travail accompli, toujours dans un esprit extrêmement constructif. Nous avons partagé de nombreux désaccords – et c’est normal – mais toujours avec beaucoup de courtoisie. Nos échanges ont été marqués par le souci que chacun a eu de défendre ses positions avec conviction.
Je souhaite également remercier l’ensemble des groupes politiques qui ont été présents tout au long de ces débats en nouvelle lecture, moins nuitamment cette fois-ci que la fois précédente, comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé. La Haute Assemblée m’a fait prendre conscience de la tradition qui la caractérise d’aller au fond des choses, et de sa préoccupation de porter ses convictions avec une courtoisie républicaine que j’ai tout particulièrement appréciée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai eu à cœur de convaincre, tout en sachant que je n’y suis pas systématiquement parvenu. Le débat a néanmoins toujours été respectueux, de part et d’autre.
Je souhaite enfin remercier l’ensemble des agents du Sénat et de nos collaborateurs. Ils ont été un peu moins mis à contribution que lors de la première lecture, mais ont tout de même montré une grande disponibilité et un grand professionnalisme.
Monsieur Requier, lors de votre explication de vote, vous avez cité Les Fleurs du mal de Baudelaire. Je vous répondrai, comme Rimbaud dans Adieu, qu’il reste « la réalité rugueuse à étreindre, paysan ! »
Au fond, bien au-delà des postures et de ce que nous voulions, chacune et chacun, préserver, nous aurions été en mesure de trouver un consensus sur ce texte en protégeant les professions réglementées et en décidant de ne changer que peu de choses en matière de droit du travail. Mais je ne suis pas persuadé que nous aurions ainsi contribué à faire avancer le pays.
Oui, ce texte a créé des fronts de part et d’autre, des points de dissensus multiples, parce que nous évoluons dans une société démocratique, mûre, dans laquelle se sont constitués des intérêts et qui, par sédimentation, a élaboré son droit, a construit progressivement à la fois des principes et des normes. Il est normal de chercher à les faire vivre, à les adapter au réel, sans jamais – je le crois – renier les principes de justice et d’efficacité. On peut en débattre évidemment, car je sais que tout le monde ne partage pas cette idée, mais on doit le faire en cherchant cette ligne de crête qui permet de faire avancer le pays sans revenir sur nos principes les plus fondamentaux.
Ni le conservatisme, ni le libéralisme à tout crin, ni encore une forme de vision statutaire de la société ne doivent prendre le dessus sur cette volonté de redonner du mouvement à un pays et à une économie qui en ont besoin. C’est peut-être aussi cela qui a parfois pu déranger avec ce texte.
Aujourd’hui, l’essentiel est de mettre ce projet de loi en conformité avec le réel, pour filer la métaphore du poème de Rimbaud. Or le « mettre au réel » signifie que l’on soit en mesure, très rapidement – dans la foulée de la promulgation de la loi –, de publier les décrets d’application prévus et de réaliser une évaluation semestrielle. En effet, nous pouvons nous être trompés sur certains points. Je ne prétends pas détenir la vérité et pense que la pire des erreurs, aujourd’hui, serait de postuler pour autrui et de ne rien faire.
J’ai donc souhaité que l’on puisse faire entrer en vigueur rapidement ce texte, mais aussi l’évaluer de manière régulière, tous les semestres. Cette loi ne transformera pas tout, de même que les résultats positifs ou négatifs que nous pourrons constater ne lui seront assurément pas intégralement imputables. Néanmoins, nous pourrons avec un peu de rigueur en observer les effets et les évaluer. Ainsi, je l’espère, nous ferons avancer le débat.
Pour conclure, je vous promets que les choses ne s’arrêteront pas là ! Je veux également vous rassurer, madame Lienemann : je sais désormais en quoi consiste une « odyssée » législative. Je ne prétends certes pas en mener une de la sorte tous les semestres, mais nous conserverons sur l’entrepreneuriat, sur le numérique et sur beaucoup d’autres sujets la volonté de poursuivre les réformes, car la société et l’économie évoluent à grande vitesse. Nous avons certes nos principes à protéger, mais nous avons beaucoup de libertés et d’opportunités à donner à nos concitoyens. Ce mouvement continuera donc dans le même esprit.
Merci encore, mesdames, messieurs les sénateurs, pour ces quinze heures – cette fois-ci – de débat partagé ! (Applaudissements.)