compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaire :

M. Jackie Pierre.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport d'une commission d'enquête

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu hier un rapport de Mme Leila Aïchi au nom de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, créée le 11 février 2015, à l’initiative du groupe écologiste, en application de l’article 6 bis du règlement.

Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du Bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera publié sous le n° 610, le mercredi 15 juillet 2015, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

3

Candidatures à deux organismes extraparlementaires

Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle propose les candidatures de Mme Dominique Gillot pour siéger comme membre titulaire au sein du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et de M. François Commeinhes pour siéger au conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
Discussion générale (suite)

Transition énergétique

Discussion en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
Article 1er (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (projet n° 466, texte de la commission n° 530, rapport n° 529, avis nos 505 et 491).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, me voici à nouveau devant vous après qu’en mars dernier vous ayez adopté en première lecture le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte que j’avais eu l’honneur de défendre dans cet hémicycle et que la Haute Assemblée a enrichi de très nombreux apports.

J’avais tenu, à l’issue de ce premier vote, à saluer le remarquable travail accompli par le Sénat et la qualité du débat démocratique auquel, sur toutes les travées, l’examen de ce texte avait donné lieu. Signe de cette coconstruction législative à laquelle je suis très attachée, plus de 80 % des amendements que vous aviez adoptés en commission avaient fait l’objet d’un avis favorable du Gouvernement.

Je sais donc que nous sommes ici toutes et tous convaincus de la nécessité de lutter efficacement contre le dérèglement climatique pour bâtir un nouveau modèle énergétique français qui nous permette non seulement de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de développer des filières d’avenir, de créer des activités nouvelles et des emplois durables.

Je ne ferai pas ici de nouvelle présentation exhaustive d’un texte dont le Sénat connaît parfaitement les lignes de force et les dispositions.

Je voudrais simplement insister sur l’effet que ce texte a déjà produit dans la société française : à partir d’un débat solide, nous avons fixé un cap et clarifié les différents enjeux.

Je crois que le mouvement est lancé. En effet, avant même l’adoption définitive de cette loi et sa promulgation, on voit déjà se mettre en mouvement l’ensemble des forces vives du pays. On voit aussi une confiance des investisseurs dans les énergies renouvelables ou dans l’économie circulaire. On voit les citoyens se mobiliser, se saisir du crédit d’impôt de la transition énergétique. On voit une prise de décisions à différents échelons.

Je donnerai quelques exemples de cette dynamique.

Premier exemple, les décisions prises à l’échelle européenne, auxquelles nous avons activement œuvré, confortent les choix et les engagements actés par le Sénat en première lecture. La plus volontariste est la contribution de l’Union européenne à la lutte contre le changement climatique, dans le cadre de la préparation de COP 21. Elle réaffirme l’objectif de 40 % au moins de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Elle précise quels secteurs et quels gaz nocifs pour le climat sont concernés. L’Europe prend ses responsabilités et, ce faisant, elle renforce la stratégie choisie par la France.

Le Conseil européen de l’environnement a permis de progresser vers une véritable Union de l’énergie, l’un des objectifs désormais mentionnés dans le projet de loi, avec l’accord d’interconnexion électrique et gazière conclu entre l’Espagne, le Portugal, la France et la Commission européenne. C’est là un nouveau pas pour réduire notre commune dépendance énergétique, en ces temps géopolitiquement incertains, et pour mutualiser entre nos pays les énergies renouvelables.

Afin d’accélérer l’élaboration de cet outil de pilotage prévu par le projet de loi, j’ai lancé, en mars dernier, les travaux relatifs à la programmation pluriannuelle de l’énergie. Cette programmation traitera, dans un cadre intégré, de toutes les sources d’énergies, de la maîtrise de la demande, de la diversification et de la sécurité de nos sources d’approvisionnement, du stockage et des réseaux.

Ainsi, comme je m’y étais engagée avant même la lecture et le vote définitif de la loi, ce travail d’accompagnement et d’application de la loi est activement conduit.

Un autre exemple de mouvement est constitué par les territoires à énergie positive, qui sont l’aile marchante de la transition énergétique et qui ont été très nombreux à répondre à l’appel à projets lancé par le ministère de l’écologie : 528 collectivités locales et regroupements de communes ont exprimé leur volonté de s’engager pour réduire la consommation énergétique de leurs bâtiments. Ont été retenus comme lauréats 212 territoires, ceux dont les projets sont les plus complets. À ce titre, ils vont recevoir une aide financière de 500 000 euros versée grâce à une avance de la Caisse des dépôts et consignations, consolidée dans le texte qui vous est soumis. Cette aide est susceptible d’être portée à 2 000 000 euros en fonction de la qualité des projets et de leur contribution effective aux objectifs inscrits dans le projet de loi. Au moment où je vous parle, plus d’une centaine de conventions financières ont déjà été signées par mes soins avec les différentes collectivités territoriales et regroupements de communes de toutes sensibilités politiques.

D’autres projets, moins complets, ne sont pas laissés à l’écart : j’ai en effet créé les contrats régionaux ou locaux de transition énergétique qui permettent d’obtenir des aides complémentaires, notamment de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME.

J’ai tenu, comme je m’y étais engagée devant vous, à donner un élan renforcé à la recherche-développement, car j’y vois une condition essentielle de la réussite de la transition énergétique.

Deux nouvelles conventions ont ainsi été signées avec l’ADEME pour soutenir les programmes des investissements d’avenir concernant, d’une part, les « démonstrateurs de la transition énergétique et écologique », d’autre part, « les véhicules du futur » qui bénéficieront de crédits additionnels et d’une procédure simplifiée d’instruction.

La décarbonation des énergies et de leurs usages, les bâtiments durables et énergiquement performants, l’économie circulaire, l’eau, la biodiversité, l’innovation et l’industrialisation de nouvelles solutions favorisant une mobilité terrestre et maritime propre : voilà autant de thèmes stratégiques pour accélérer notre mutation énergétique, stimuler la croissance verte et soutenir nos entreprises, qu’il s’agisse de grands groupes, de PME ou d’entreprises de taille intermédiaire, ou ETI, qui sont très dynamiques sur ces secteurs et que nous devons consolider pour les aider à créer des activités et des emplois.

De nombreuses actions d’accompagnement concernent le titre II du projet de loi, intitulé « Mieux rénover les bâtiments pour économiser l’énergie, faire baisser les factures et créer des emplois », et en premier lieu l’impulsion que j’ai voulu donner au grand chantier de la rénovation des logements et des bâtiments. Vous connaissez l’état des lieux : 123 millions de tonnes de CO2 émises par le bâtiment, 20 millions de logements mal isolés, une facture moyenne de chauffage de 900 euros par ménage et par an, mais aussi un gisement d’économies d’énergie considérables et d’emplois pour les artisans si nous accélérons le chantier de l’isolation thermique des bâtiments.

Le crédit d’impôt a été rapidement mis en place. Les décrets et l’arrêté relatifs à la simplification et à l’extension de l’écoprêt à taux zéro, le prêt transition énergétique, ont été publiés à la fin de l’année 2014 pour que cette aide soit en place dès le 1er janvier 2015. Le décret relatif au tiers financement a été publié le 17 mars afin que l’absence d’épargne pour certaines familles ne fasse pas obstacle au lancement des travaux qui sont aussi bons pour le climat que pour la baisse des factures !

La même volonté de rapidité et le même souci d’obtenir des résultats concrets ont conduit à la publication, en novembre 2014, des décrets sur l’audit énergétique de 5 000 entreprises de plus de 250 salariés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros. Avec l’aide de l’ADEME et de BPI-France, cet audit doit être réalisé avant le 31 décembre 2015. Il va permettre aux entreprises de repérer rapidement leurs gisements d’économies d’énergie, de définir des actions immédiates et les investissements qui vont faire baisser leurs factures et d’améliorer leur compétitivité tout en contribuant à la réduction de notre consommation énergétique globale.

Nous avons également, avec le ministre de l’économie, validé le contrat de filière relatif à l’efficacité énergétique lors de la réunion du comité stratégique des éco-industries.

Évoquons à présent le renfort de deux appels à projets lancés au mois de mai dans le cadre des plans de la « Nouvelle France industrielle » : d’abord, l’appel à projets pour les entreprises du recyclage – recyclage des déchets plastiques, des déchets électroniques, des déchets du BTP, des fibres de carbone et de verre –, ensuite, l’appel à projets sur l’eau avec quatre axes stratégiques : les usines d’épuration de la ville durable, les réseaux intelligents, la gestion efficace de la ressource et les unités de dessalement.

On le voit, il y a là pour notre pays un enjeu climatique et économique de la première importance afin de valoriser les savoir-faire français, de pousser en avant les entreprises non seulement sur le marché national, mais aussi sur le marché international. En effet, tous les pays qui sont en train d’élaborer leur contribution nationale dans le cadre de la préparation de la Conférence de Paris sur le climat vont bien devoir passer à l’action et réaliser les travaux relatifs à la performance énergétique. Il est absolument crucial que les entreprises françaises soient bien positionnées sur ces nouveaux marchés.

S’agissant du titre III intitulé « Développer les transports propres pour améliorer la qualité de l’air et protéger la santé », je voudrais signaler le nouveau plan national « Santé-Environnement » pour la période 2015-2019, que j’ai présenté avec la ministre de la santé. Il prévoit des mesures concrètes pour lutter contre la pollution de l’air, qui reste un problème majeur en milieu tant urbain que rural, et qui est aussi un facteur aggravant du dérèglement climatique.

Le texte qui vous est soumis prévoit pour la première fois dans notre droit positif l’économie circulaire. Depuis le mois de juillet 2014, le titre IV intitulé « Lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire : de la conception des produits à leur recyclage » a fait l’objet de plusieurs plans d’action. Il y a d’abord eu l’appel à projets pour des « territoires zéro déchet, zéro gaspillage », qui a rencontré un très vif succès. Alors que je pensais recevoir une trentaine de réponses, ce sont 293 collectivités réparties dans toutes les régions rassemblant plus de 7,5 millions d’habitants qui se sont engagées dans une démarche volontaire de lutte contre le gaspillage et les déchets ! C’est dire à quel point nos débats ont permis de déclencher une action dynamique d’action, de valorisation, de reconnaissance, d’accélération dans les territoires qui étaient pourtant déjà en avance !

Les collectivités les plus ambitieuses visent une réduction de plus de 10 % des déchets, ce qui correspond à plus de 240 000 tonnes de déchets évités et à 43 millions d’euros d’économies par an et de recyclage. Les 58 projets lauréats, dans l’Hexagone et les outre-mer, sont les plus aboutis et bénéficient d’un accompagnement du ministère de l’écologie, via l’ADEME, laquelle leur apporte son expertise technique, son soutien financier pour l’animation de leur démarche et l’accès à des aides bonifiées à l’investissement. Ces projets exemplaires, dont j’ai réuni hier les responsables, témoignent de la créativité et de la réactivité des territoires dès lors que le cap est clairement fixé et que des moyens facilement accessibles sont mis en place.

Ajoutons, dans le cadre des « territoires zéro déchet, zéro gaspillage », la montée en puissance tout à fait particulière de la lutte contre le gaspillage alimentaire, à propos de laquelle nous aurons l’occasion de débattre et de compléter le dispositif législatif.

En lien direct avec le titre V, consacré à la montée en puissance des énergies renouvelables, je veux mentionner la part prise par les énergies renouvelables – c’est un effet des initiatives opérationnelles prises au cours de ces six derniers mois et un signe des premiers résultats engrangés –, qui représentent désormais près de 20 % de notre consommation électrique selon Réseau de transport d’électricité, ou RTE et dépassent pour la première fois, hors hydraulique, la production thermique d’origine fossile. Il reste bien sûr du chemin à parcourir, mais l’éolien et le photovoltaïque repartent à la hausse pour ce qui concerne le nombre d’équipements. Les projets se multiplient, encouragés par le permis unique. Pour la transition énergétique, c’est une excellente nouvelle.

Les appels à projets lancés par le ministère de l’écologie portent leurs fruits, que ce soit pour les hydroliennes fluviales, pour les installations photovoltaïques de grande, moyenne et petite puissance, dont les premiers lauréats viennent d’être désignés, pour les installations solaires destinées aux outre-mer et à la Corse, qui allient technologies innovantes de stockage et solutions d’autoconsommation dans une perspective d’autonomie énergétique, pour l’éolien sur terre et en mer, etc.

Dans le cadre du soutien apporté aux démonstrateurs d’énergies marines, l’hydrolienne expérimentale Sabella D10, l’une des machines les plus puissantes du monde, a été inaugurée en avril dernier et le suivi de ses incidences environnementales fait l’objet d’un protocole rigoureux avec le Parc naturel marin d’Iroise.

Le doublement du fonds chaleur de l’ADEME ainsi que l’extension de son champ d’action, notamment aux récupérateurs de chaleur en amont des réseaux, à l’injection de biogaz issu de la méthanisation, à la production de froid renouvelable, à l’optimisation de l’utilisation de la biomasse issue du bois et aux petits projets faisant l’objet d’un financement participatif, conformément à la loi, des citoyens vivant sur le territoire concerné, permettront de changer d’échelle dans des domaines essentiels à la réussite de la transition énergétique.

La relance de la filière du solaire thermique, avec l’appel à projets Dynamic bois lancé avec le ministère de l’agriculture pour optimiser la biomasse issue de l’exploitation forestière, apporter un complément de rémunération aux agriculteurs et maximiser la séquestration du carbone par les arbres, le lancement avec le ministère de l’industrie de l’appel à projets « Réseaux intelligents », la participation active de la France au programme européen sur les smart grids, la simplification et la transparence accrue des certificats d’économie d’énergie, dont le projet de loi prévoit la réforme sont autant d’avancées sur la voie des objectifs fixés par le texte qui vous est soumis.

J’ai parallèlement veillé à ce que les tarifs de rachat, dont la loi sur la transition énergétique actuellement en discussion permettra de clarifier et de stabiliser le mécanisme, ne fassent pas obstacle au déploiement des énergies renouvelables, mais soutiennent au contraire ce dernier, de manière adaptée à chaque type d’énergie et à la puissance des installations, tout en protégeant le pouvoir d’achat des Français.

Pour ce qui concerne plus particulièrement l’éolien, terrestre et offshore, permettez-moi de souligner deux points.

Tout d’abord, l’arrêté relatif à l’implantation d’éoliennes à proximité des radars de Météo France a été publié en novembre. Il permet de réduire les cas d’incompatibilité et de débloquer les projets qui étaient immobilisés tant que les règles n’avaient pas été clarifiées, ce qui correspondait à plus de 40 parcs éoliens.

Ensuite, s’agissant de la distance à préserver entre habitations et éoliennes, je souhaite bien évidemment qu’une solution d’équilibre puisse être trouvée, qui tienne compte en particulier de l’étude d’impact. Tout en prenant la mesure des nuisances susceptibles de résulter de ces installations pour le voisinage, il ne faut pas freiner l’essor de cette énergie verte, qui doit devenir pour la France une filière d’excellence.

Les six parcs offshore dont le ministère de l’écologie a lancé la construction représentent un potentiel de 10 000 emplois directs et indirects ancrés dans les territoires. L’usine Alstom, qui construit à Saint-Nazaire des composants pour l’éolien en mer, va créer 300 emplois directs et 2 000 emplois indirects, preuve de la contribution à l’emploi de la croissance verte en général et de ce secteur en particulier.

La mutation énergétique de notre pays bénéficiera en outre des 15 000 missions « Transition énergétique, climat et biodiversité », créées dans le cadre de l’extension du service civique. Nous en avons annoncé le lancement en février, avec le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. J’observe que, dans les territoires à énergie positive qui ont été retenus, de nombreux maires ont recours au service civique pour appuyer leurs actions.

Enfin, comme j’en avais pris l’engagement à différentes reprises devant vous, j’ai tenu à lancer sans tarder, en concertation avec toutes les parties prenantes, le chantier de l’élaboration des décrets d’application, en vue d’une publication la plus rapide possible de ces derniers une fois la loi promulguée.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques éléments très opérationnels permettant d’illustrer vos travaux. En reprenant chacun des axes de ce projet de loi sur lequel vous voulez bien vous pencher de nouveau, on constate que le mouvement de la transition énergétique monte en puissance. Nous aurons à cœur, j’en suis sûre, de l’accélérer dans les territoires, en fixant un cadre clair montrant à chacun qu’une telle évolution est désormais irréversible. Bien souvent, en effet, lorsqu’il existe un doute sur la stabilité des règles, on est conduit à remettre en cause capacité d’innovation et sécurisation des investissements.

Permettez-moi, pour conclure, d’évoquer la Conférence scientifique internationale, qui réunit des scientifiques du monde entier. Elle se tient en ce moment à Paris à l’UNESCO, sur l’initiative de deux grands climatologues français, Jean Jouzel, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, qui en préside le haut comité, et Hervé Le Treut, membre de l’Académie des sciences, qui en préside le comité d’organisation.

Cette rencontre de haut niveau réunit durant quatre jours plus de 2 000 chercheurs de toutes les disciplines, venus d’une centaine de pays, autour de la question du dérèglement climatique. C’est l’un des événements majeurs de la préparation du Sommet de Paris sur le climat. C’est aussi, pour l’action législative de la France, un puissant encouragement.

J’ai participé avant-hier à la séance inaugurale de cette conférence. J’ai fait part de nos travaux aux participants, leur expliquant que je ne pouvais rester parmi eux compte tenu de l’examen de ce projet de loi. Une telle articulation m’a semblé tout à fait opportune : nous sommes ici dans un cadre national, tandis que ces chercheurs sont rassemblés dans un cadre mondial. Or, on le sait bien, ce sont les actions opérationnelles, sur chacun de nos territoires nationaux et, en leur sein, dans chacun de nos territoires de grande proximité que j’ai évoqués tout à l’heure, qui permettront l’articulation entre le local et le global, pour tenir, je l’espère, notre engagement du maintien du réchauffement climatique en deçà des deux degrés, afin que nous puissions transmettre aux générations futures une planète en bon état, sur laquelle il fera bon vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en première lecture de ce projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, la commission des affaires économiques avait fait le choix d’accompagner la démarche du Gouvernement, tout en faisant valoir des convictions fortes sur certains points. De cette position d’équilibre, nous espérions qu’un accord en commission mixte paritaire pourrait naître, ce qui ne fut, hélas ! pas le cas. Nous avons même eu droit à une caricature de CMP, et ce n’est pas le président de la commission des affaires économiques, M. Jean-Claude Lenoir, qui me contredira !

M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je confirme ce propos !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Aussi aurions-nous pu décider, pour cette nouvelle lecture, de « radicaliser » nos positions ; mais ce faisant, nous aurions alors renoncé à la dernière possibilité qui nous est offerte d’enrichir encore le texte, à la condition de convaincre nos collègues députés de reprendre certaines de nos propositions en lecture définitive, ce qu’ils ne sont absolument pas obligés de faire.

J’ajoute que nous sommes d’autant plus enclins à poursuivre sur cette voie qu’un bon nombre des apports du Sénat en première lecture ont été préservés : il en est ainsi, par exemple, en matière d’isolation par l’extérieur des bâtiments, de soutien aux industries électro-intensives, pour lesquelles nous avons fait, je crois, œuvre utile, ou de compensation des hausses futures de la part carbone. Je pense également à l’objectif de 10 % de gaz renouvelables en 2030, à la définition et à la mise en œuvre d’une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, ou encore à l’interdiction des frais de rejet de paiement dans le cadre du chèque énergie. Ainsi, sur les 209 articles encore en navette à l’issue de nos travaux, 78 ont fait l’objet d’un vote conforme des députés en nouvelle lecture et une centaine d’autres n’ont été modifiés qu’à la marge.

Dès lors, la commission des affaires économiques s’est attachée à proposer deux types de modifications : celles qui, par cohérence avec les positions défendues en première lecture, visent à rétablir le texte du Sénat et celles qui tendent à compléter ou à corriger, pour des raisons essentiellement techniques, le texte voté par l’Assemblée nationale.

Dans la première catégorie, vous ne serez pas étonnée, madame la ministre, de retrouver la question du nucléaire. Encore une fois, si nous adhérons au principe d’une diversification du mix électrique, nous ne pouvons pas accepter la date couperet de 2025. Et nous n’accepterons jamais la fermeture de 23 de nos 58 réacteurs.

M. Ronan Dantec. Au minimum !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est techniquement impossible, économiquement irréaliste pour nos entreprises et insupportable pour nos concitoyens. En fermant progressivement, comme nous le proposons, des réacteurs à mesure du vieillissement naturel du parc, l’on s’épargnerait bien des problèmes : pas d’indemnisation à verser à l’exploitant, préservation de notre indépendance énergétique et garantie d’une électricité compétitive et décarbonée, le temps d’assurer la montée en puissance des énergies renouvelables, de résoudre la question de leur intermittence et le problème du stockage.

J’ajoute que, à l’heure où le devenir d’AREVA est en question, une réduction trop brutale de la part du nucléaire en France déstabiliserait encore davantage la filière et enverrait un message particulièrement négatif à l’international et à l’export.

Par cohérence, nous avons de nouveau relevé le plafonnement de la capacité de production nucléaire, afin d’y inclure l’EPR de Flamanville – sa création, je vous le rappelle, a été décidée en 2007 –, alors que le plus grand flou règne sur sa date de démarrage : il n’y a donc aucune raison de lier sa mise en service à la fermeture de la centrale de Fessenheim, ce à quoi conduirait automatiquement le plafonnement actuel.

D’autres objectifs méritent aussi d’être amendés, tout en préservant l’esprit du texte. Ainsi, nous sommes nombreux à avoir des doutes sur l’objectif de réduction de la consommation énergétique finale. La commission des affaires économiques a donc réintroduit la notion d’intensité énergétique, ce qui a le mérite de lier consommation et croissance économique.

Mes chers collègues, parier sur la décroissance est une erreur,…

M. Didier Guillaume. Personne ne le fait !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. … au moment où la France compte, toutes catégories confondues, plus de 5,7 millions de chômeurs. Nous croyons au contraire à la reprise et nous parions sur la croissance.

De la même façon – j’aborde ainsi le volet de la rénovation des bâtiments –, nous avons rétabli l’échéance de 2030 pour la rénovation des bâtiments les plus énergivores, car la date de 2025 reviendrait à rénover un million de logements par an, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas réaliste ! Quant à l’obligation de rénover tous les bâtiments privés résidentiels en cas de mutation à compter de 2030, nous l’avons supprimée au vu des très nombreuses difficultés qu’elle poserait du fait, notamment, de son caractère imprécis et potentiellement source de contentieux, de la non-prise en compte des « ventes contraintes » ou encore de ses effets économiques. L’immobilier ne va pas bien, et ce n’est pas le moment de l’enfoncer encore plus. Enfin, la commission des affaires économiques a souhaité, pour des raisons pratiques, que le carnet numérique de suivi et d’entretien ne s’applique qu’aux logements neufs.

En matière de soutien aux énergies renouvelables, nous avons apporté deux modifications principales, l’une pour soutenir la filière hydroélectrique, en autorisant les installations à bénéficier plusieurs fois, sous condition d’investissement, d’un complément de rémunération adapté, l’autre pour conforter le financement participatif des projets de production en l’ouvrant aux groupements de collectivités, en protégeant mieux les investisseurs et en assurant la parfaite solidité juridique du dispositif.

S’agissant de la régulation des marchés, nous avons notamment limité l’obligation de résultats de performance énergétique, imposée par les députés en contrepartie des conditions particulières d’approvisionnement, à certaines catégories seulement d’électro-intensifs. Une telle obligation n’existe en effet nulle part ailleurs : alors que nous cherchons à rétablir leur compétitivité, n’imposons pas à tous nos industriels des obligations que n’ont pas leurs concurrents !

La commission des affaires économiques a approuvé le principe d’un soutien aux installations de cogénération industrielle introduit par les députés, mais a souligné les difficultés posées par le dispositif – j’y reviendrai dans la discussion des articles.

En matière de gouvernance et de pilotage, le Gouvernement a été à l’initiative de deux modifications importantes : la première remplace l’exclusion du méthane entérique de la stratégie bas-carbone par une prise en compte explicite de son faible potentiel d’atténuation. J’ai bien compris que l’exclusion posait problème au regard du respect de nos engagements internationaux. Mais, madame la ministre, était-ce bien le moment d’alourdir les charges de nos éleveurs qui traversent une crise sans précédent ?

La seconde modification a consisté à renforcer les obligations de reporting et de gestion des risques environnementaux des entreprises. Sans entrer dans le détail, je rappellerai simplement que le Sénat avait déjà adopté, en séance publique, un dispositif insuffisamment cadré qui méritait d’être modifié. Aussi, bien qu’étant toujours vigilants sur l’ajout de nouvelles contraintes pesant sur nos entreprises, nous n’avons pas remis en cause ces mesures, qui sont justifiées par l’urgence climatique et auxquelles, madame la ministre, vous avez fait allusion : elles s’appliqueront à des entreprises – sociétés anonymes, établissements financiers et investisseurs institutionnels – d’une taille suffisante pour les assumer sans surcoût excessif.

La commission des affaires économiques a en revanche rétabli la réforme de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, initiée par la commission des finances du Sénat – mon collègue Jean-François Husson reviendra sur ce point, je n’en doute pas – et sur laquelle nous étions, me semblait-il, parvenus à un accord avec vous en séance publique, madame la ministre. Or, si cette réforme n’épuise pas le sujet, elle a le mérite de poser des bases saines : un fonctionnement plus transparent et démocratique au travers d’un vote annuel du Parlement, une lisibilité accrue et une compatibilité avec le droit communautaire assurée par un recentrage sur le soutien aux énergies renouvelables. J’ajoute que, contrairement à ce que l’on a pu entendre ici ou là, le financement de la péréquation tarifaire et des dispositions sociales est préservé puisque cette nouvelle CSPE n’entrera en vigueur qu’en 2016, à charge pour le Gouvernement, qui y travaille, de présenter de nouvelles modalités de financement dans le projet de loi de finances.

En matière de lutte contre la précarité énergétique, enfin, nous avons pris acte du report de l’entrée en vigueur généralisée du chèque énergie au plus tard à la fin de l’année 2018, et avons supprimé la possibilité de réduire le débit d’eau servi aux ménages non précaires qui ne règlent pas leurs factures, dispositif dont nous doutons du caractère opérationnel.

Pour cette nouvelle lecture, la position de la commission des affaires économiques n’a donc pas varié : nous nous engageons résolument en faveur d’un modèle énergétique décarboné, comme en témoigne encore l’introduction dans le texte d’une cible de valeur de la tonne carbone en 2020 et en 2030 ; mais nous plaidons pour une transition réaliste qui préserve la croissance de nos entreprises et nos emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)