M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a le grand mérite d’ouvrir un débat sur la laïcité et sur le mot lui-même, car sans doute n’en avons-nous pas la même lecture, la même définition, ni la même conception. Formons le vœu que ce débat nous aide, en permettant de nommer les choses et les situations, à passer de l’incantation à la pratique.
Permettez-moi de rappeler d’abord l’origine du mot « laïc », une origine tout ce qu’il y a de plus de religieuse, puisqu’il s’agit d’un terme ecclésiastique, apparu au XIIIe siècle et utilisé dans le vocabulaire des églises chrétiennes pour désigner toute personne de la communauté qui n’est ni un clerc ni un religieux, c’est-à-dire toute personne non consacrée mais appartenant à l’Église. Avouons qu’il est pour le moins paradoxal qu’un mot issu de la religion soit employé pour signifier l’exclusion de celle-ci de la sphère publique.
La loi de 1905 n’est pas une loi sur la laïcité proprement dite. C’est bien une loi de séparation de l’église, en l’occurrence l’église catholique, et de l’État. Replacée dans son contexte, elle n’est pas anodine. Il s’agissait alors de limiter l’influence morale et éducative de l’Église catholique et, en lui confisquant ses biens, de lui retirer les moyens de son action ou de les limiter.
Avec le recul, nous constatons que, en posant clairement une heureuse séparation entre le temporel et le spirituel, cette loi a procuré à l’église une liberté d’expression et une indépendance. Quant à Émile Combes, si décrié à l’époque, il mériterait, ironie du sort, d’avoir sa statue dans toutes les églises de France en tant que bienfaiteur malgré lui, puisque la confiscation des biens du clergé a transféré la propriété des édifices religieux aux communes, à qui en incombe désormais l’entretien !
Il faut maintenant regarder les choses en face, mes chers collègues : est-ce la pratique religieuse chrétienne ou judaïque qui pose problème aujourd’hui en France au regard des lois de la République et de la laïcité ? Est-ce être islamophobe que de constater que la distinction entre le politique et le religieux n’est pas de tradition chez les musulmans, comme l’histoire récente nous l’a rappelé avec les « printemps arabes » ? Peut-on dire, sans être accusé de tous les maux, que l’islam radical condamne cette séparation et que c’est bien souvent au nom du refus d’une telle séparation qu’il commet les actes terroristes que nous connaissons ?
La laïcité doit s’appliquer à toutes les religions ! Comment ne pas s’émouvoir de certaines revendications, comme celle d’un accès spécifique aux soins ou aux piscines pour les femmes ou celle de l’élaboration de menus particuliers dans les cantines ?
Remettre en cause l’installation de crèches dans les mairies à l’époque de Noël, alors que nous n’arrivons pas à faire respecter l’interdiction du voile intégral ; rester silencieux lorsque les « Femen » se livrent à des provocations et ne pas trouver les moyens de sanctionner des imams qui insultent la République : à mon sens, il ne s’agit pas là de la meilleure manière de promouvoir une vraie laïcité, c’est-à-dire celle d’un État respectueux et neutre face à toutes les croyances.
La laïcité ne peut être à géométrie variable. Il y va de l’unité du peuple et de sa confiance en ses dirigeants. Ce pacte de confiance est menacé de rupture, en raison d’interprétations de la laïcité tantôt doctrinaires, tantôt complaisantes. L’affrontement dont nous sommes témoins, aujourd’hui, au sein même de l’Observatoire de la laïcité en est une parfaite illustration.
Le président du Sénat a, à juste titre, appelé l’État à « s’emparer de la question des religions », afin d’éviter d’être pris « au piège de l’instrumentalisation croissante du religieux dans la vie publique ». En effet, penser que l’on puisse aboutir à une société sécularisée et ignorante du fait religieux est illusoire. L’aspiration à une transcendance n’est pas nouvelle ; elle est respectable en soi. C’est l’usage qui peut en être fait qui doit, le cas échéant, être condamné, voire combattu. Si l’État se doit d’être laïque au nom de la séparation des pouvoirs, il ne peut ignorer que la société est aux prises avec d’autres influences que la sienne et que la seule limite à la liberté de penser et d’agir est inscrite dans la loi du 9 décembre 1905.
La laïcité n’est pas la négation du religieux. Elle définit le rapport du religieux au politique et la gestion de la pluralité des identités religieuses de la France, dans l’assurance de leur respect, pour autant que chacune d’elles fasse sien ce principe de séparation. C’est sur cette base et seulement sur cette base que l’État pourra faire face au radicalisme religieux qui menace notre pays.
La laïcité se pratique bien plus qu’elle ne se décrète. Nous avons suffisamment condamné les lois émotionnelles, votées à la hâte sous la pression de l’actualité, pour ne pas aujourd’hui succomber à la tentation de réformer la Constitution dans les mêmes conditions, alors qu’un important arsenal juridique existe déjà. C’est l’action et la pédagogie que nous voulons privilégier ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle.
proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l’article 1er de la constitution
Article unique
Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. »
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, sur l'article unique.
M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Jacques Mézard et nos collègues du RDSE prennent prétexte des attentats de janvier et de décembre 2015 pour proposer d’inscrire dans la Constitution les principes de la loi de 1905 relative à la séparation des églises et de l’État.
Selon eux, cette initiative permettrait « de préciser le sens et les contours juridiques du principe de laïcité ». Si j’en comprends la motivation, je ne peux pour autant soutenir cette démarche, pour plusieurs raisons.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, l’adoption de ce texte « donnerait une valeur constitutionnelle au principe de non-subventionnement » des cultes. Or, en tant que parlementaire et citoyen français, je pense qu’une telle mesure n’apporterait rien à la protection de la laïcité. En tant que parlementaire alsacien, je suis certain que cette disposition signerait la mort du droit local alsacien-mosellan des cultes. Or les Alsaciens-Mosellans sont, tout comme moi, viscéralement attachés à celui-ci. Ils nous l’ont encore signifié récemment : les campagnes des élections départementales puis régionales ont cristallisé les craintes et la colère de nos concitoyens face aux attaques récurrentes à l’endroit des spécificités alsaciennes et mosellanes. Surtout, le modèle du concordat que nous connaissons en Alsace-Moselle a fait la preuve qu’il contribue à une laïcité apaisée.
Alors quel est le but de cette proposition de loi constitutionnelle, mes chers collègues ?
S’il s’agit de lutter contre les dérives communautaristes et les risques d’atteinte à la sûreté de l’État, il est inutile de réformer la Constitution. Comme je l’avais suggéré dans une question d’actualité au Gouvernement, et comme notre collègue Guy-Dominique Kennel l’a montré au travers d’une proposition de loi que nous soutenons, il est possible de faire plus simple, en complétant notre arsenal juridique pour instaurer, par exemple, la déclaration domiciliaire. Ce dispositif obligerait les habitants à déclarer leur changement de domicile en mairie, ce qui serait efficace.
Enfin, mes chers collègues, soyons réalistes : croyez-vous vraiment que cette loi de 1905, si fondatrice soit-elle, puisse répondre aux problématiques qui se posent à nous aujourd’hui, plus d’un siècle après ? Je le souhaiterais, mais il est évident que la réponse à cette question est négative.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je voterai contre cette proposition de loi, en espérant être suivi par la majorité d’entre vous, comme l’a souhaité M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article unique.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, à mon tour, de manifester mes doutes sur l’intérêt et la finalité de ce texte. J’ai du mal à appréhender le but de cette proposition de loi, étant donné que l’article 1er de notre Constitution est déjà assez clair sur cette question de la laïcité. Qu’apporterait donc l’inscription des principes de la loi de 1905 dans la Constitution ? À mon sens, rien !
En revanche, si cette proposition de loi constitutionnelle venait à être adoptée, il est sûr que cela mettrait en péril les particularités locales dont bénéficient certains cultes et qui résultent de l’histoire de nos régions, que ce soit en Alsace-Moselle ou dans certaines régions d’outre-mer. Ce serait inacceptable ! En tant que sénateur alsacien, je m’oppose vivement à cette proposition de loi, car son adoption ferait disparaître purement et simplement le droit local des cultes, devenu inconstitutionnel.
Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, qu’en Alsace-Moselle la cohabitation des cultes reconnus est exemplaire et que le régime concordataire crée les conditions d’un dialogue interreligieux ouvert et riche. Nous ne voulons pas y renoncer, comme vient de le dire mon collègue Claude Kern. Même avec l’islam, qui n’est pourtant pas une religion « reconnue » au titre du Concordat, le dialogue interreligieux se pratique en bonne intelligence ! Nous vivons, en Alsace-Moselle, une vraie laïcité ; nos populations y sont très attachées.
Sur le fond, au moment où nous sommes saisis de ce texte d’approfondissement de la laïcité, force est de constater que, sous couvert de laïcité, c’est en réalité à la montée progressive des communautarismes que nous assistons dans notre pays. L’État respecte, certes, les principes de neutralité et de non-interventionnisme à l’égard des religions, mais il n’empêche pas les effets pervers induits par un tel retrait. Ces communautarismes sont naturellement facteurs de divisions et contraires aux intentions de celles et ceux qui voient dans la laïcité une valeur de rassemblement.
Nous devons être attentifs, mes chers collègues, à ne pas nous tromper de débat. Les discussions relatives à la constitutionnalisation des principes de la loi de 1905, objet de notre débat d’aujourd’hui, comme celles à venir sur la déchéance de nationalité, s’apparentent plus à de faux débats. Or les Français n’en peuvent plus de ces écrans de fumée qui masquent l’incapacité à résoudre les questions du chômage, de l’insécurité ou de la simplification de la vie des entreprises.
Ce texte n’apportant rien, je ne le voterai pas et je vous appelle à faire de même, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l'article unique.
Mme Patricia Schillinger. Cette proposition de loi constitutionnelle rappelle l’importance du principe de laïcité, en en précisant le sens et les contours. Elle vise à donner un fondement constitutionnel à la loi de 1905, en en intégrant les principes fondamentaux à l’article 1er de la Constitution.
Toutefois, si, dans la période trouble que traverse notre pays, on peut souscrire à la nécessité de réaffirmer le principe de laïcité, est-il vraiment nécessaire d’en préciser la portée constitutionnelle ?
En effet, le caractère laïque de la République est déjà garanti par la Constitution, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel a même reconnu la valeur constitutionnelle des principes de la loi de 1905. La notion de laïcité étant ainsi déjà parfaitement intégrée au bloc de constitutionnalité, je trouve que cette proposition de loi présente un intérêt limité.
En revanche, je m’inquiète sincèrement des conséquences qu’une telle modification aurait sur le régime concordataire d’Alsace-Moselle.
Si cet article devait être adopté, la laïcité telle qu’elle est vécue en Alsace-Moselle serait gravement fragilisée. Les trois départements concernés, qui dérogent aux principes posés par la loi de 1905, n’en sont en effet pas moins attachés à la laïcité et aux principes de la République. Ils font simplement la démonstration de la polyvalence de la notion de laïcité. Les Alsaciens y sont très attachés et l’existence de ce statut particulier se justifie historiquement.
La pratique concordataire assure une certaine paix religieuse en Alsace-Moselle et permet à l’État d’y entretenir des rapports transparents avec les cultes. Elle a permis, dans ces territoires, l’établissement d’un équilibre exemplaire dans les relations entre l’État et les cultes, ainsi qu’entre laïcité et liberté religieuse.
Si j’attache un intérêt plus particulier au cas de l’Alsace et de la Moselle, je n’en oublie pas, pour autant, les départements d’outre-mer, qui seraient confrontés au même risque de remise en cause de leur particularisme en matière d’organisation des cultes.
À la suite des événements tragiques qu’a connus notre pays, face au dévoiement par quelques-uns des croyances religieuses, il est normal que nous nous interrogions sur le phénomène religieux.
Toutefois, comme les autres sénatrices et sénateurs alsaciens, je tiens à exprimer, en mon nom comme en celui de Jacques Bigot et de Jean-Pierre Masseret, notre désaccord avec le texte qui nous est présenté. Évitons de défaire, sous le coup de l’émotion, l’équilibre fragile que les législations successives et la jurisprudence ont permis d’atteindre ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l'article unique.
M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle aurait pu tirer son origine d’une intention annoncée par le candidat François Hollande mais que celui-ci a, sagement, abandonnée une fois élu. On ne comprend donc pas très bien pourquoi elle a été réactivée. À moins qu’elle ne s’inscrive dans la querelle qui oppose bruyamment les laïcistes entre eux !
En tout cas, cette proposition entre en conflit frontal avec le Concordat, les articles organiques et le statut scolaire qui organisent les relations entre les pouvoirs publics et les trois cultes reconnus en Alsace et en Moselle, à savoir les religions catholique, protestante et juive.
Cette proposition de loi est clairement anticoncordataire. Or, le Concordat a établi en Alsace une laïcité apaisée. Elle ne dérange qu’un tout petit nombre de militants, volontiers agressifs envers les chrétiens et très compréhensifs à l’égard des revendications des nouveaux communautaristes.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a validé le droit des cultes d’Alsace-Moselle. Il l’a considéré comme une exception cohérente avec la Constitution, car elle a été admise en toute connaissance de cause par les constituants de la IVe République et de la Ve République.
Je rappelle enfin que le « vivre-ensemble », pour reprendre une expression à la mode, exige que les parlementaires évitent de créer un clivage avec leurs concitoyens chrétiens et juifs. En effet, le véritable problème aujourd'hui, c’est que beaucoup de musulmans ont encore à faire cet effort que les chrétiens et les juifs ont accompli il y a un siècle, fût-ce à leur corps défendant, à savoir celui de mettre concrètement et quotidiennement en œuvre ce commandement de Jésus Christ : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant : je voterai des deux mains contre cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Montesquieu disait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires : je crois que nous ferions bien de nous inspirer de ce principe en l’occurrence !
La loi de séparation des Églises et de l’État pose-t-elle des difficultés d’application ? Il me semble que non. Poserions-nous un principe nouveau en inscrivant dans la Constitution que la République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État ? Non, puisque c’est un principe que la République applique et fait respecter depuis plus d’un siècle !
Il me semble donc que nous avons là l’exemple même d’un texte inutile. Faut-il systématiquement réviser la Constitution dès lors que l’une de ses dispositions aurait fait l’objet de critiques ou se serait révélée difficile à appliquer ? Notre Constitution a déjà été beaucoup trop souvent modifiée ces dernières années. Il faut que les principes qu’elle pose soient clairs. Je crois que c’est le cas : inutile d’en rajouter !
Pour ces raisons, je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Monsieur Grosdidier, je ne suis pas sûr qu’ajouter l’islam au nombre des cultes reconnus au titre du concordat alsacien-mosellan serait une bonne solution.
Je ne suis pas non plus persuadé que la défense du Concordat soit un combat de tous les jours pour les Alsaciens et Mosellans, comme je l’ai entendu dire. J’ai plutôt le sentiment que les gens s’en désintéressent quelque peu et que la question du chômage les préoccupe bien davantage.
J’ai également entendu affirmer que le système en vigueur en Alsace-Moselle était tellement extraordinaire qu’il ne fallait surtout pas y toucher. Il est clair que le faire aujourd'hui, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, serait inefficace, voire un peu dangereux.
Cela étant, il n’est pas absolument interdit, à mon sens, d’envisager de faire évoluer les régimes dérogatoires d’Alsace-Moselle et d’outre-mer. Peut-être faudra-t-il réfléchir tranquillement à inscrire dans la loi des dispositions suffisamment précises pour être applicables, en matière d’enseignement, de fiscalité, de délit de blasphème, par exemple.
On pourrait ainsi progresser pas à pas et tendre vers une laïcité effective, respectant le principe d’égalité : à cet égard, il est un peu gênant que des règles différentes s’appliquent selon les territoires. Je le dis très sincèrement et très tranquillement, avec mes convictions mais aussi avec pragmatisme, en tant qu’élu mosellan.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’intérêt de ce débat est évident. Si, dans une assemblée comme la nôtre, nous n’étions pas capables de poser de tels problèmes, ce serait grave ! Le « politiquement correct » fait beaucoup de mal à la classe politique : il faut savoir dire les choses. Je n’ai guère d’illusions sur l’issue du vote final, mais je crois bon d’émettre certains messages, d’abord sur le communautarisme. Je constate que cette question, prégnante, a été évoquée avec force sur de nombreuses travées. Il s’agit d’un véritable problème de fond, que nous devrons bien finir par traiter !
Je ne voudrais pas être désagréable envers mon ami Yves Détraigne, mais, quand on a soi-même été rapporteur de tant de textes inutiles, il est malvenu de parler de loi inutile à propos d’un texte qui soulève des problèmes importants, et qu’il faudra bien résoudre !
Comme cela a été très bien dit par Roger Karoutchi et d’autres collègues, il est trop facile de se réfugier dans l’inaction, au motif qu’il ne faut pas allumer le feu. C’est d’ailleurs exactement la politique que nous a décrite M. le ministre : surtout, ne touchons pas aux sujets qui pourraient susciter des vagues médiatiques ! (Protestations sur diverses travées.)
Telle est la réalité ! Tant qu’il existe des assemblées parlementaires, il est normal que nous posions ce type de problèmes. Ensuite, toutes les positions sont respectables, mais, de grâce, que l’on ne dise pas que ce texte n’a pas d’intérêt, qu’il est inutile ! Bien sûr, je considère moi aussi que les priorités pour nos concitoyens, aujourd'hui, ce sont l’emploi, le pouvoir d’achat et la sécurité, mais si nous ne sommes pas capables de parler du véritable danger que représente le communautarisme pour la République, alors on peut s’interroger, comme l’a fait Roger Karoutchi, sur le délitement de l’État, lequel ne remonte pas à 2012. Voilà des décennies que l’on adopte des attitudes de faiblesse par peur des réactions des médias et de l’opinion publique !
Je suis donc heureux d’avoir posé ce problème et de l’avoir fait dans les termes où nous l’avons fait ! Il ne s’agit nullement d’un texte contre les religions, mais d’un texte de protection de tous les cultes. Nous pouvons être fiers d’un certain nombre de textes qui honorent la République, tels que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi de 1905, celle de 1881, et d’autres encore qui ont marqué l’histoire de notre République et auxquelles il n’est pas inconvenant de vouloir garder une place éminente dans nos institutions ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre. Pour faire écho aux propos du président Mézard, je voudrais dissiper tout malentendu sur la position du Gouvernement.
Nous appelons à voter contre votre proposition de loi constitutionnelle, monsieur Mézard, parce que nous pensons qu’elle n’apporte rien de plus dans la défense de la laïcité et que son adoption pourrait ouvrir des champs de débat difficiles pour notre société, voire susciter de graves incompréhensions parmi certains de nos concitoyens habitant, par exemple, en Alsace, en Moselle ou en outre-mer.
Je ne peux pas vous laisser dire en creux, monsieur Mézard, que la position du Gouvernement serait le signe d’un laxisme, de notre part, en matière de lutte contre le communautarisme. Ce n’est le cas en aucune manière !
Quand nous promouvons la rénovation urbaine, quand nous soutenons le secteur associatif laïque et l’éducation populaire, quand nous proposons, en conseil des ministres, la dissolution d’associations menaçant les valeurs de la République, quand nous refondons l’école pour permettre aux enfants d’avoir accès à tous leurs droits, y compris en lien avec les valeurs de la République, nous combattons le communautarisme, par la prévention et par l’action de tous les jours.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à affirmer devant le Sénat la détermination totale du Gouvernement, notamment en cette période, à lutter contre un phénomène qui menace aujourd'hui les fondements mêmes de notre République.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 138 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 221 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 201 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voudrais rappeler aux membres de la commission des lois que celle-ci se réunira pendant la suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)