Mme la présidente. L'amendement n° 133 rectifié quater est retiré.
Article 13
I. – Le chapitre V du titre Ier du livre III du code monétaire et financier est complété par une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Plafonnement
« Art. L. 315-9. – La valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique est fixée par décret.
« Le décret mentionné au premier alinéa fixe également le montant maximal de chargement, de remboursement et de retrait à partir de ce même support, en monnaie électronique anonyme et en espèces.
« Ces plafonds tiennent compte des caractéristiques du produit et des risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qu’il présente. »
II (Non modifié). – L’article L. 561-12 du même code est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « documents », sont insérés les mots : « et informations, quel qu’en soit le support, » ;
b) À la seconde phrase, la première occurrence des mots : « documents » est remplacée par les mots : « quel qu’en soit le support, les documents et informations » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice des obligations mentionnées au premier alinéa du présent article, les personnes mentionnées aux 1° et 1° ter de l’article L. 561-2 recueillent les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique et les conservent pendant une durée de cinq ans à compter de l’exécution de ces opérations. Un arrêté du ministre chargé de l’économie précise les informations et les données techniques qui sont recueillies et conservées. » ;
3° Au second alinéa, les mots : « à cette obligation » sont remplacés par les mots : « aux obligations prévues au premier alinéa ».
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Mon intervention portera globalement sur la question de la lutte contre le financement du terrorisme. Ce qui la motive, c’est d’abord son importance essentielle : la finance est le nerf de la guerre et, comme vous le savez, nous sommes en guerre contre le terrorisme.
Or force est de constater que ce projet de loi volumineux ne comporte qu’un nombre limité de dispositions financières : trois dispositions principales et aucune ne visant à rendre plus transparents les circuits de transferts de capitaux en général.
Vous en ayant fait la remarque, monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition par la commission des lois, vous m’avez répondu que, « parmi les membres du groupe d’action financière, le GAFI, la France fait partie des pays les mieux armés, avec TRACFIN, pour lutter contre le blanchiment d’argent et n’est pas si complaisante que vous le dites » – j’ai été un peu piquant – « vis-à-vis de ses banques. »
Sans méconnaître les avancées, quoiqu’un peu tardives, apportées par le présent texte dans la lutte contre le « microfinancement du terrorisme » – le plafonnement des cartes prépayées à l’article 13, même si j’ai cru comprendre que mon collègue Jean-Yves Leconte était quelque peu sceptique sur l’efficacité de cette mesure, ou l’établissement d’une liste de documents justificatifs pour le transfert de sommes à l’étranger via des sociétés du type Western Union à l’article 16 quater – et encore moins le rôle tout à fait essentiel de TRACFIN, dont les effectifs mériteraient d’être renforcés – TRACFIN dont, vous le savez, les prérogatives seront renforcées avec les articles 14, 15 et 15 bis. –, je ne peux pas ne pas constater que l’essentiel manque.
Quel est le problème essentiel ? Nous n’avons pas vraiment accès aux données financières véhiculées par le système SWIFT, cette société pourtant européenne par laquelle transitent entre 80 % et 90 % des ordres financiers mondiaux.
Plus exactement, de quoi s’agit-il ? Dès la mise en place de son programme de lutte contre le financement du terrorisme, le Trésor américain, lui, obtenait de SWIFT les renseignements qu’il désirait. L’émoi du Parlement européen contre cette ingérence – atteinte à la vie privée et au secret des affaires ; il est très sensible sur ce point – nécessitant un accord avec l’Union européenne, qui n’a pas de politique commune en matière de lutte contre le financement du terrorisme, on arrive à une situation assez étrange : les États-Unis ont directement accès aux données SWIFT quand l’Union européenne doit se contenter des renseignements que les États-Unis veulent bien lui fournir.
Le récent rapport de Jean-Pierre Sueur intitulé Filières « djihadistes » : pour une réponse globale et sans faiblesse fait au nom de la commission d’enquête sénatoriale arrivait donc à cette conclusion : « Il est “ubuesque” que des données générées et stockées dans l’Union européenne soient envoyées aux services américains, charge à eux d’attirer l’attention des services des États membres sur certains dossiers ». D’où sa proposition de bon sens : Créer un programme de même nature que celui des Américains.
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous m’accorderez bien une demi-seconde, madame la présidente…
M. Jean-Pierre Sueur. Oui, c’est très intéressant !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce programme, la Commission le juge trop intrusif et trop coûteux.
Mme la présidente. Monsieur Collombat !
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, j’aimerais savoir où nous en sommes là-dessus.
Mme la présidente. Merci !
M. Pierre-Yves Collombat. Je vous fais remarquer, madame la présidente, que j’aurais pu m’inscrire sur les trois ou quatre articles suivants. Puisque j’ai fait une intervention globale, vous pouviez m’accorder cette demi-minute de plus.
Mme la présidente. Vous aurez remarqué, monsieur Collombat, que j’ai fait preuve de complaisance.
M. Pierre-Yves Collombat. Pas vraiment…
Mme la présidente. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. La logique de l’article 13 consiste à repérer l’ensemble des processus conduisant au blanchiment de sommes destinées au financement d’activités terroristes. Pour cela, il importe de viser les outils modernes de paiement que constituent les cartes prépayées afin d’identifier celles qui sont susceptibles de servir de « véhicule » au transfert et au transport de fonds illicites.
Le moins que l’on puisse dire est que le sujet pose un certain nombre de questions, notamment celle de la « traçabilité » d’origine des fonds, et implique par conséquent que des dispositions, pour nous encore insuffisamment précisées, soient élaborées et votées pour éviter qu’une forme de suspicion a priori ne vienne compliquer l’usage de certains moyens de paiement.
En l’état, l’article 13 ne permet pas d’atteindre cet objectif de parfaite lisibilité et ne garantit pas d’atteindre le but visé, celui du repérage des mouvements de fonds d’origines illicites. Pour prendre une image, disons que les mailles du filet sont encore trop larges et qu’une bonne partie des poissons que l’on risque d’attraper ne seront pas de la moindre utilité dans la lutte contre le terrorisme et ses circuits de financement, et ce, sans même parler du problème de la durée de conservation des données.
Il en va sans doute de cet article comme de nombreux autres dans ce texte, c’est-à-dire que l’on fait de la lutte contre le péril terroriste l’instrument d’une démarche de plus en plus intrusive des autorités judiciaires et surtout administratives dans la vie quotidienne de nos compatriotes.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 13.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais tout d’abord répondre au sénateur Collombat.
Après un accord SWIFT 1, une négociation est aujourd’hui conduite à la fois par la Commission et par le Parlement européens avec nos interlocuteurs américains sur SWIFT 2. On peut parfois reprocher au Parlement européen un certain nombre de lenteurs – je suis de ceux qui critiquent son comportement sur le PNR –, mais, concernant SWIFT, il est très allant. On peut donc raisonnablement forger quelques espoirs.
J’en viens à l’amendement n° 14.
Le Gouvernement considère qu’il s’agit d’un moyen de circulation important en marge du circuit bancaire. Il faut donc commencer à légiférer sérieusement. Dans ce domaine, les Américains, pour des raisons que chacun comprendra, sont allés très loin en 2001. L’Europe a réagi beaucoup plus tardivement. Cependant, la France fait partie des États de l’Union européenne les plus en pointe. En commission, j’ai parlé du GAFI. La France est toujours parmi les premiers pays à suivre ses préconisations.
Nous ne prétendons pas régler toutes les difficultés, mais nous allons entraver considérablement la circulation de cet argent. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame Assassi, je ne voterai pas votre amendement, car, le peu qui figure dans ce texte, je préférerais le garder.
Comme j’ai récupéré un peu de temps, je vais pouvoir répondre à M. le garde des sceaux…
Je ne veux pas plomber l’ambiance, qui est bonne, mais, très franchement, ça ressemble à quoi ? Les Américains, ça fait presque quinze ans qu’ils disposent des renseignements. Et nous, nous en sommes à leur quémander des informations – ma science vient du rapport de M. Sueur. Ça ne ressemble à rien !
Et quand je dis qu’on ne veut pas vraiment faire de peine à nos banquiers, je pense être dans la réalité. Alors, on va embêter les gens pour des cartes prépayées, ceci ou cela, mais 80 % à 90 % du trafic mondial passe par SWIFT, une société européenne – belge, ai-je cru lire. Et on ne fait rien, alors qu’on nous dit qu’on est en guerre ! Ce n’est pas comme ça qu’on va la gagner !
M. Roger Karoutchi. Il a raison !
Mme la présidente. L'amendement n° 221, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
en monnaie électronique anonyme et en espèces
par les mots :
en fonction de ses modalités de chargement, de remboursement et de retrait
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le présent texte prévoit que le montant susceptible d’être stocké sur une carte prépayée est limité. L’Assemblée nationale a souhaité que soient également plafonnées les possibilités de chargement, de remboursement et de retrait à partir de ces cartes, afin de privilégier les moyens de paiements traçables au détriment de ceux qui favorisent l’opacité et les utilisations à des fins frauduleuses.
La rédaction de l’article issue de la commission des lois restreint les possibilités de chargement, de remboursement et de retrait en espèces et en monnaie électronique anonyme. Cette rédaction présente l’inconvénient d’utiliser les termes « monnaie électronique anonyme », lesquels ne sont pas définis juridiquement, ce qui, dès lors, crée une incertitude quant au champ d’application de l’article. De plus, la référence aux modalités, qui permet pourtant d’encadrer la fréquence des chargements, les remboursements et les retraits, et pas simplement d’en fixer un plafond, a disparu.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement, qui vise à revenir au texte de l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement. Je laisse le soin à M. le rapporteur pour avis de la commission des finances d’en expliquer les raisons techniques.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le texte de la commission des lois intègre l’amendement de la commission des finances. Nous souhaitons bien évidemment conserver cette rédaction, tandis que le Gouvernement veut revenir au texte de l’Assemblée nationale, arguant que la notion de monnaie électronique anonyme ne serait pas définie. Or ce n’est pas exact : à l’article 12 de la directive que devra transposer la France, la monnaie électronique anonyme est précisément définie.
Par ailleurs, la rédaction de l’Assemblée nationale nous semble très imprécise. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel exige que le législateur détermine avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut mettre en œuvre un principe qui est fixé par la loi. Cela ne nous paraît pas être le cas dans la rédaction initiale.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. J’apporterai deux éléments de réponse.
Tout d’abord, je ne conteste pas le fait que les termes soient utilisés dans la directive, mais cette utilisation n’emporte pas une définition.
Ensuite, par principe, le Gouvernement ne demande pas à ce qu’on légifère en anticipant la transposition d’une directive.
M. Christian Cambon. C’est un peu facile comme argument !
Mme la présidente. L'amendement n° 248, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer les mots :
du mot : « documents »
par les mots :
des mots : « les documents »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Mercier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne voudrais pas apparaître discourtois, mais si l’amendement visait l’alinéa 9 – je pense que c’est celui que vous visez en réalité –, le Gouvernement y serait favorable. Cependant, votre amendement fait référence à l’alinéa 10…
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 13, modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Article 14
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 561-29 du code monétaire et financier, il est inséré un article L. 561-29-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 561-29-1. – Le service mentionné à l’article L. 561-23 peut, pour une durée maximale de six mois renouvelable, désigner aux personnes mentionnées à l’article L. 561-2, pour la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance à l’égard de la clientèle énoncées au présent chapitre :
« 1° Les opérations qui présentent, eu égard à leur nature particulière ou aux zones géographiques déterminées à partir desquelles, à destination desquelles ou en relation avec lesquelles elles sont effectuées, un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ;
« 2° Des personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.
« Il est interdit, sous peine des sanctions prévues à l’article L. 574-1, aux personnes mentionnées à l’article L. 561-2, au président de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit de porter à la connaissance de leurs clients ou à la connaissance de tiers autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales mentionnés à l’article L. 561-36, les informations transmises par le service mentionné à l’article L. 561-23 lorsqu’il procède à une désignation en application du 2° du présent article.
« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article. »
II. – À la fin de l’article L. 574-1 du même code, la référence : « et au III de l’article L. 561-26 » est remplacée par les références : « au III de l’article L. 561-26 et à l’avant-dernier alinéa de l’article L. 561-29-1 ».
Mme la présidente. L'amendement n° 47, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Remplacer les mots :
il est inséré un article L. 561-29-1 ainsi rédigé
par les mots :
sont insérés deux articles ainsi rédigés
II. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il procède à une désignation en application du 2° du présent article, le service mentionné à l’article L. 561-23 peut interdire aux personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 de clôturer, à leur initiative, les comptes de dépôt et de paiement des personnes désignées pendant la durée du signalement, sous peine des sanctions prévues à l’article L. 561-29-2.
III. – Après l’alinéa 6
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 561-29-2. – Est puni d’une amende de 22 500 euros le fait de méconnaître l’interdiction de clôture des comptes prévue à l’article L. 561-29-1. »
… – L’article L. 561-22 du même code est ainsi modifié :
1° Après le quatrième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« d) Les personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 ou leurs dirigeants et préposés lorsqu’ils ont mis en œuvre de bonne foi leurs obligations de vigilance et de déclaration et que le service mentionné à l’article L. 561-23 a interdit la clôture des comptes par application de l’article L. 561-29-1. »
2° Il est ajouté un VI ainsi rédigé :
« VI. – Sauf concertation frauduleuse avec le propriétaire des sommes ou l’auteur de l’opération, la responsabilité pénale des personnes mentionnées aux 1° et 2° de l’article L. 561-2 ne peut être engagée, par application des articles 222-34 à 222-41, 321-1, 321-2, 321-3, 324-1, 324-2, 324-6, 421-2-2, du troisième alinéa de l’article 421-5 du code pénal ou de l’article 415 du code des douanes, lorsqu’elles ont mis en œuvre de bonne foi leurs obligations de vigilance et de déclaration et que le service mentionné à l’article L. 561-23 a interdit la clôture des comptes par application de l’article L. 561-29-1. »
La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Le projet de loi comprend une innovation bienvenue : la possibilité pour TRACFIN de désigner individuellement des personnes suspectes, faisant par exemple l’objet d’une fiche « S ». Désormais, TRACFIN pourra signaler ces individus à des fins de surveillance, notamment à des établissements de crédit. Jusqu’à présent, c’étaient plutôt ces établissements qui adressaient des signalements à TRACFIN.
Le risque, c’est qu’une personne signalée individuellement se sente surveillée, notamment si sa banque ou son établissement de crédit clôture son compte. Pour éviter ce danger, la commission des finances souhaite permettre à TRACFIN d’interdire une semblable fermeture de comptes. En contrepartie, il faut évidemment dégager l’établissement concerné de toute responsabilité si TRACFIN lui demande de ne pas fermer un compte.
Je le répète, une personne dont le compte serait fermé brutalement, sans explication, saurait ipso facto qu’elle est signalée.
Mes chers collègues, je précise qu’un dispositif similaire existe déjà. La commission des finances l’a évoqué ce matin même en auditionnant le gouverneur de la Banque de France.
Vous le savez, la Banque de France a la possibilité de désigner un établissement bancaire pour assurer l’ouverture d’un compte. Ce pouvoir relève du droit au compte. En pareil cas, l’établissement concerné doit s’exécuter, mais il est déchargé de toute responsabilité. C’est cette procédure que nous proposons de transposer. À travers cet amendement, nous prévoyons de manière expresse qu’en cas de désignation d’une personne suspecte la banque ne peut pas fermer le compte et qu’elle est déchargée de sa responsabilité sur les plans civil et pénal.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Mercier, rapporteur. Le présent amendement tend à déployer un dispositif sécurisant les établissements bancaires en cas d’appel à la vigilance de TRACFIN et à étendre le régime d’irresponsabilité pénale des établissements bancaires. En effet, il vise à éviter que la désignation, par TRACFIN, de personnes présentant un risque élevé de blanchiment de capitaux ne conduise à la fermeture de leurs comptes. Cette dernière pourrait alerter les intéressés quant à l’attention dont ils font l’objet de la part des services de renseignement.
Nous comprenons très bien la préoccupation exprimée par M. le rapporteur pour avis. Néanmoins, ce dispositif semble inverser la logique de notre système de lutte contre le blanchiment.
Apparemment, TRACFIN ne sollicite nullement ce cadre légal permettant de maintenir des relations d’affaires. Cet organisme serait même hostile à une telle disposition, renversant les responsabilités entre les établissements bancaires et lui-même. À son sens, ce n’est pas à lui de sécuriser les démarches des établissements bancaires.
Nous ne remettons pas en cause l’expertise de la commission des finances. Mais, avant de prendre position, il nous semble préférable d’entendre l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le garde des sceaux ne dispose pas d’une expertise avérée sur ces sujets, chacun en conviendra. Mais, comme le Gouvernement est un, je suis en mesure de vous présenter les éléments que Michel Sapin m’a transmis. Je vais vous en faire part, en espérant que vous ne poserez pas trop de questions impliquant que je les explicite. (Sourires.)
D’une analyse approfondie du dispositif, il ressort que les conditions exigées pour voir la responsabilité des banques engagée ne seront pas remplies si elles respectent leurs obligations de vigilance. En effet, la responsabilité pénale d’une personne ne peut être engagée sans qu’elle ait l’intention de commettre un crime ou un délit. Quant à sa faute civile, elle exige une faute et un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.
Dans ces conditions, il semble que le risque considéré n’existe pas réellement. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je soutiendrai volontiers cet amendement.
J’ai eu l’occasion d’auditionner les représentants de TRACFIN au sujet d’associations qui, pour avoir reçu des financements étrangers très importants, faisaient l’objet de signalements. Les associations de cette nature ont l’habitude de changer régulièrement de banque, au fur et à mesure des signalements qui les concernent. En résulte une espèce de nomadisme bancaire, qui aboutit souvent à l’ouverture de comptes à l’étranger. Dès lors, TRACFIN a beaucoup plus de mal à les surveiller.
Aussi, les dispositions du présent amendement vont dans le bon sens : mieux vaut que les personnes ayant fait l’objet d’un signalement continuent à disposer d’un compte en France. Ce faisant, il sera possible de les surveiller.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour ma part, j’éprouve le sentiment inverse.
Je suis quand même amusé par la sollicitude qu’inspirent nos banquiers : vous vous rendez compte, ils vont courir un risque… Par contre, tout cet argent plus ou moins sale qui transite par leur établissement, là, ça n’a pas d’importance : on fait des affaires !
Dans la mesure où les banques font leur métier normalement, leur responsabilité n’est pas engagée. Il n’est donc pas nécessaire de leur fournir des garanties supplémentaires.
Pour ma part, je ne voterai pas cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je me garderai de poser des questions trop complexes à M. le garde des sceaux sur ce sujet. (Sourires.) Toutefois, il me semble bien que la commission des finances nous propose deux mesures distinctes. Or nous n’avons débattu que de la seconde.
La première question est la suivante : TRACFIN peut-il légitimement intimer à l’établissement bancaire considéré l’ordre de ne pas clôturer un compte qu’il souhaite continuer à surveiller, afin de ne pas alerter son titulaire ? Cette précaution préconisée par la commission des finances semble élémentaire sur le plan du renseignement.
S’y ajoute une seconde question, qui vient d’être discutée : si la banque obtempère et maintient le compte en question, peut-elle s’exposer à des sanctions ? À cet égard, la réponse de M. le garde des sceaux est tout à fait éclairante.
Cela étant, instaure-t-on, pour la banque, une obligation de garder un compte ouvert dès lors qu’il a fait l’objet d’un signalement de la part de TRACFIN ? À mon sens, nous devons donner satisfaction à la commission des finances sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Je remercie Alain Richard d’avoir mis l’accent sur l’enjeu essentiel.
Concrètement, quelle est la réaction d’un établissement bancaire lorsqu’on lui signale un client ? Il risque fort de clôturer son compte, pour des raisons de responsabilité ou de réputation. Il ne voudra pas être accusé d’abriter des fonds terroristes. Dès lors, la personne présumée terroriste se saura ipso facto signalée.
Il faut donc absolument élaborer un dispositif interdisant à la banque de fermer un tel compte, dès lors qu’un signalement individuel est opéré par TRACFIN.
La commission des finances a assorti ce dispositif d’un régime d’irresponsabilité, non pas en vertu d’une irresponsabilité générale des banques, mais par simple transposition d’un régime existant, appliqué lorsque la Banque de France désigne un établissement bancaire au titre du droit au compte.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter ce dispositif. Nous pourrons ensuite améliorer le régime d’irresponsabilité en commission mixte paritaire.
Pour l’heure, nous avons consulté les représentants de la Fédération bancaire française, interrogé le gouverneur de la Banque de France et transposé le régime existant. Quoi qu’il en soit, il importe que les comptes puissent fonctionner et que l’intéressé ne s’aperçoive de rien : faute de quoi, par définition, l’enquête perdra tout intérêt.