Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 14 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 14 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 6 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing, Raison et Chaize, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi rédigée :
« Si la commission constate un manquement aux obligations prévues au présent article, elle peut priver, pour une durée maximale de trois ans, un parti ou groupement politique du bénéfice des dispositions des articles 8 à 10 de la présente loi et de la réduction d’impôt prévue au 3 de l’article 200 du code général des impôts pour les dons et cotisations consentis à son profit, à compter de l’année suivante. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement prévoit de permettre à la Commission nationale des comptes de campagne de moduler les sanctions des partis politiques et leur durée en cas de manquement aux obligations comptables, pour garantir une plus grande proportionnalité entre les motifs du constat et ses conséquences juridiques.
Aujourd’hui, tout non-respect des obligations comptables entraîne la perte du bénéfice de certaines dispositions, les fractions des aides publiques par exemple, et de la possibilité de délivrer des reçus de dons pour déduction fiscale ; c’est « tout ou rien ».
Il s’agit de nouveau d’une recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Je remercie M. Grand d’avoir accepté de rectifier son amendement, permettant ainsi de limiter la sanction à trois ans.
La commission est donc favorable à cette disposition.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Le Gouvernement n’est pas opposé par principe à une réflexion de fond sur l’évolution des pouvoirs de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, afin notamment d’adapter, comme vous l’indiquez, les sanctions à la gravité des manquements. Néanmoins, là encore, ce n’est pas au cœur de la proposition de loi.
C’est pourquoi le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Laménie, del Picchia, Huré et A. Marc, Mmes Garriaud-Maylam et Canayer et MM. Chasseing et Chaize, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 11-7 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pendant la durée des sanctions, les partis ou groupements politiques ne peuvent contribuer au financement d’un parti ou groupement politique pour lequel la commission a constaté un manquement aux obligations prévues au présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Sans remettre en cause la liberté constitutionnelle de création et d’organisation des partis politiques, je propose, au travers de cet amendement, d’interdire à un parti politique sanctionné pour non-respect de ses obligations comptables de recevoir des contributions financières d’autres partis politiques.
Une formation politique défaillante peut créer un parti politique frère dans l’unique but de se substituer à elle l’année suivante pour l’encaissement des dons et cotisations. Ensuite, en toute légalité, ce nouveau parti peut lui reverser les fonds, rendant ainsi inopérante la sanction prononcée.
Il s’agit d’une autre recommandation de la Commission nationale des comptes de campagne.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Par parallélisme, M. Grand a déposé, pour les partis politiques, un amendement similaire à celui qui concernait les candidats, que nous avons examiné précédemment.
Nous lui avions demandé de bien vouloir retirer cet amendement, nous réitérons cette demande en ce qui concerne le présent amendement. Ce sujet me paraît suffisamment épineux pour ne pas l’intégrer dans le texte que nous examinons aujourd’hui.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Cet amendement vise à engager une réforme importante du financement des partis politiques. Je vous demande donc de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Grand, l’amendement n° 7 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié bis est retiré.
Article 3 (nouveau)
I. – L’article 1er de la présente loi s’applique aux élections se déroulant après le 1er janvier 2018.
L’article 2 s’applique aux comptes arrêtés au titre de l’année 2018 et des années suivantes.
II. – Au premier alinéa de l’article L. 388 du code électoral, les mots : « en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections » sont remplacés par les mots : « résultant de la loi n° … du … tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats ».
III. – La loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique est ainsi modifiée :
1° Après les mots : « Journal officiel de la République française », la fin de l’article 11-9 est supprimée ;
2° L’article 19 est ainsi modifié :
a) Après les mots : « Polynésie française », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « et dans les îles Wallis et Futuna, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « , à Wallis-et-Futuna et à Mayotte » sont remplacés par les mots : « et dans les îles Wallis et Futuna ».
IV. – Le I du présent article est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Mme la présidente. L’amendement n° 17, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai déjà défendu longuement et de manière détaillée cet amendement lors de mon intervention dans la discussion générale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur. Cet amendement tend à remettre en cause la date du 1er janvier 2018.
Je me suis, moi aussi, expliqué à ce sujet au cours de la discussion générale et, de même que d’autres orateurs, notamment Mme Bouchoux, j’ai considéré qu’il était pertinent, compte tenu des délais, de ne pas supprimer cette date.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Estelle Grelier, secrétaire d’État. Je l’indiquais dans mon intervention liminaire, il existe une tradition républicaine de stabilité des règles avant les échéances électorales. Nous soutenons donc le principe d’une application différée de ce texte.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à renforcer les obligations comptables des partis politiques et des candidats.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. Alain Vasselle, rapporteur. Parfait !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre
Rejet en nouvelle lecture d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (proposition n° 159, résultat des travaux de la commission n° 290, rapport n° 289).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous apprêtez à examiner une proposition de loi dont l’initiative revient à votre collègue député, le Lorrain Dominique Potier. Ce texte poursuit plusieurs objectifs que partage le Gouvernement : il est fidèle aux valeurs humanistes qui fondent notre République ; il est le reflet de l’attention que les femmes et les hommes de progrès accordent à la protection des droits fondamentaux et de notre environnement. La mondialisation est une réalité. Il ne s’agit pas de la combattre, mais de l’encadrer, afin qu’elle ne tourne pas à l’exploitation sans retenue, hors de notre territoire, des personnes et de l’environnement.
Cette proposition de loi est tout sauf un texte de circonstance, rédigé à la hâte. Le texte qui vous est présenté aujourd’hui est le fruit d’une large concertation et d’échanges nourris avec la société civile, en particulier les ONG. Son ambition est de porter à un très haut niveau le devoir de vigilance des entreprises en matière de protection des personnes et de l’environnement. C’est pourquoi, depuis son examen en première lecture, le Gouvernement soutient cette proposition de loi fidèle aux valeurs qu’il a toujours défendues et cherché à promouvoir.
L’idée de responsabiliser les très grandes entreprises en raison de leurs activités à l’étranger n’est pas une nouveauté. Elle traverse le débat public depuis le début des années 2000, au niveau tant national qu’européen et international.
À l’échelle nationale, notre gouvernement, dans le sillage des engagements pris par le Président de la République, a œuvré en ce sens par l’adoption des lois du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale et du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus connue sous le nom de loi Sapin II.
Ce n’est qu’un début. Nous continuons de travailler en faveur de la transparence et d’une économie plus respectueuse des valeurs fondatrices de notre société dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 22 octobre 2014 sur la responsabilité sociale et environnementale. Permettez-moi, à ce sujet, de rappeler que le texte qui vous est présenté aujourd’hui n’a pas vocation à transposer cette directive.
Mme Élisabeth Lamure. C’est dommage !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Ses objectifs sont autres, bien qu’il s’inscrive dans le même mouvement de fond.
L’esprit de la proposition de loi n’est pas inconnu. Il relève des mêmes principes que ceux qui ont guidé et continuent de guider notre action en matière de prévention de la corruption dans le monde économique.
Pourtant, mesdames, messieurs les sénateurs, il semblerait, si je saisis bien les intentions de la majorité sénatoriale, que vous allez faire le choix de ne pas débattre de ce texte, auquel, par posture, vous aviez déjà réservé un fort mauvais accueil en première lecture. L’observateur attentif ne pourra que s’en étonner.
Tout d’abord, vous avez fait vôtre la philosophie de ce texte lors de l’examen de la loi Sapin II, sans que cela heurte votre sensibilité. La proposition de loi étend cette obligation de vigilance, selon des modalités différentes, mais dans un même esprit, aux atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales dans les domaines de la santé, de la sécurité des personnes et de la protection de l’environnement. Qu’y a-t-il de condamnable dans cette entreprise ?
Ensuite, le texte soumis à votre commission des lois a évolué positivement depuis le premier examen que vous en avez fait en 2015. La nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, en lien avec le Gouvernement, a permis d’en préciser la rédaction dans l’objectif d’accroître la sécurité juridique du dispositif.
Ainsi, l’article 1er a été amendé pour fixer la liste des mesures de vigilance qui devront être appliquées par les entreprises. Cet ajout permet de guider ces dernières dans la mise en œuvre des nouvelles obligations qui leur incombent.
Ont également été précisées par l’Assemblée nationale les conditions dans lesquelles la responsabilité civile des entreprises pourra être engagée en cas de manquement à l’une de leurs obligations de vigilance.
En outre, a été ajoutée l’obligation de mettre en demeure, préalablement à la saisine du juge, la société en cause afin qu’elle se mette en conformité avec ses devoirs de vigilance.
Enfin, la proposition de loi a été complétée par un article 4, lequel, inspiré par vos travaux lors de la deuxième lecture, prévoit l’application dans le temps du dispositif pour permettre aux entreprises de remplir convenablement leurs obligations après l’entrée en vigueur de la loi.
Toutes les conditions sont réunies pour poursuivre ce travail de précision rédactionnelle afin d’améliorer l’efficacité juridique du texte et de garantir sa mise en œuvre dans les meilleures conditions.
Il aurait été possible de trouver des solutions d’équilibre pour aboutir à un compromis dont chacun aurait pu être fier. Fier de soutenir une proposition de loi qui combat les dérives de la mondialisation. N’y a-t-il pas, en effet, une forme d’hypocrisie à considérer que nos entreprises n’ont à être vertueuses qu’à l’intérieur de nos frontières nationales ou européennes ?
Or je crains de devoir bientôt constater le rejet de ce texte par la majorité sénatoriale. L’occasion vous était pourtant donnée, mesdames, messieurs de l’opposition, d’en parfaire la rédaction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous nous avez accoutumés à ces barouds d’honneur. Je ne reviendrai pas ici sur les entraves que vous avez posées au débat démocratique à l’automne dernier, lors de l’examen des textes financiers. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Alain Gournac. C’est notre liberté !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Aujourd’hui, vos intentions, tout comme l’échec récent de la commission mixte paritaire, pourraient laisser penser que les drames sur les sites de production à l’étranger ou que la dégradation de notre environnement vous laissent insensibles. Ces préoccupations devraient nous rassembler. Par-delà les clivages partisans, elles visent l’intérêt général, à l’échelle tant nationale que planétaire.
Vous faites le choix d’occulter la mobilisation de la société civile et le travail parlementaire considérable réalisé depuis de longs mois. Le Gouvernement, les organisations non gouvernementales, syndicales et patronales ont œuvré de concert pour bâtir ce texte. Et vous ne trouvez rien de mieux que de lui opposer une fin de non-recevoir !
Vous affirmez, sans le démontrer, que ce texte portera atteinte au développement et au dynamisme de notre tissu productif. Bien sûr, il n’en est rien !
Ce gouvernement n’a pourtant cessé d’œuvrer en faveur de la compétitivité de nos entreprises. Comment imaginer aujourd’hui qu’il veuille lui nuire ? Mais, comme il n’est pas indifférent à la régulation éthique de la sphère économique, le Gouvernement souhaite que cette proposition de loi soit adoptée par le Parlement et appliquée dans les meilleurs délais.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le travail parlementaire aurait pu, aurait dû, se poursuivre. Le Gouvernement avait exprimé, lors de l’examen à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, des réserves sur certains points du texte au regard de la Constitution. Il avait, à ce titre, insisté sur la nécessité de l’ajuster, notamment en matière de proportionnalité des sanctions. Cependant, votre lecture partisane de cette proposition de loi a bloqué toute possibilité d’approfondir le travail parlementaire. Cette posture a de quoi indigner nos concitoyens, qui attachent une grande importance à la défense des droits fondamentaux et à la protection de l’environnement.
Le temps est révolu où les multinationales pouvaient poursuivre leurs activités et réaliser des profits sans se soucier des conditions dans lesquelles elles travaillaient. Les scandales les plus récents l’ont montré : les entreprises coupables de mauvais comportements voient leur image ternie par de tels événements.
L’entrée en vigueur de ce texte préviendra de tels comportements dans l’intérêt de tous et évitera que les grands groupes n’abîment leur image par négligence – une négligence d’une autre époque que nous devons combattre sans relâche pour continuer de bâtir un monde plus juste et plus responsable. Ce sont nos concitoyens eux-mêmes qui l’exigent ! C’est pourquoi, aux côtés de ses auteurs, nous pensons que cette proposition de loi est utile et fidèle aux engagements du Gouvernement en faveur de la responsabilité des entreprises. Nous serions fiers, si vous nous y aidiez, de doter la France d’une législation de référence en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes saisis en nouvelle lecture du texte de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, et ce, pour la troisième fois… Nous avions pourtant, en deuxième lecture, fait des pas vers nos collègues députés en proposant de transposer une partie des obligations en matière de vigilance prévues par la directive de 2014 sur la publication d’informations non financières par les grandes entreprises. Nous n’avons, hélas ! pas convaincu les députés, et la commission mixte paritaire a échoué.
En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a réécrit son texte, mais en conservant son approche punitive de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Ce n’est pas la nôtre. Et cette nouvelle version du texte ne répond que très partiellement aux objections du Sénat !
En première lecture, tout en souscrivant à l’objectif qu’elle poursuit, le Sénat avait rejeté la proposition de loi en raison des incertitudes juridiques, notamment constitutionnelles, et des risques économiques d’atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France. Il avait considéré que le niveau pertinent pour traiter d’une telle problématique était celui de l’Union européenne.
Contrairement à ce qui s’était passé en deuxième lecture, la position des députés en nouvelle lecture a évolué, mais pas suffisamment pour répondre à nos critiques économiques et juridiques. Les problèmes de nature économique et pratique soulevés par le principe même de cette proposition de loi demeurent entiers.
Une des difficultés constitutionnelles exprimées en première lecture a bien été prise en compte par nos collègues députés, au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. L’Assemblée nationale a ainsi précisé le contenu du plan, c’est-à-dire le contenu de l’obligation sanctionnée par une amende civile et un régime spécifique de responsabilité.
Le Sénat avait relevé l’incertitude entourant les normes de référence sur la base desquelles le plan de vigilance devait être élaboré, rendant incertain le contenu même de l’obligation, alors que des sanctions seraient encourues en cas de manquement à cette même obligation. Une telle incertitude soulevait une difficulté réelle au regard du principe de légalité des délits et des peines.
Outre la finalité générale du plan de vigilance, la proposition de loi précise désormais la nature de ces mesures, même si un décret en Conseil d’État peut en compléter la liste, ce qui soulève à nouveau une difficulté au regard du principe de légalité des délits et des peines.
Le texte précise désormais – utilement – que les filiales et les sociétés contrôlées dépassant les seuils sont réputées remplir leur obligation de vigilance si la société mère met en place un plan de vigilance qui les englobe. Cela ne doit cependant pas conduire à une ingérence irrégulière de la société mère dans la direction et la gestion de ses filiales et sociétés contrôlées.
Dans un souci de simplification qui doit être salué, la prévention de la corruption n’est plus abordée dans le cadre du plan de vigilance, par coordination avec l’obligation de mettre en place des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission de faits de corruption ou de trafic d’influence, déjà instaurée, pour un périmètre plus large de sociétés, par l’article 17 de la loi Sapin II. Toutefois, si la finalité préventive de ces deux dispositifs est comparable, je déplore le manque de cohérence entre eux, notamment sur le périmètre et les outils juridiques.
En outre, certaines imprécisions subsistent à l’article 1er. Je pense, par exemple, au champ exact des sous-traitants et fournisseurs devant être pris en compte dans le plan de vigilance. Les sous-traitants et fournisseurs de la société mère sont-ils seuls visés, ou ceux des sociétés contrôlées par la société mère le sont-ils également ? Dans le second cas, on ne peut exclure un risque d’incompétence négative du législateur ou d’atteinte au principe de clarté de la loi et à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
Autre exemple faisant encourir le même risque : la rédaction ne précise pas qui pourrait mettre en demeure une société de respecter son obligation de vigilance avant une saisine du juge.
Dernier exemple d’imprécision : le texte énonce que « le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d’initiatives pluripartites au sein de filières ou à l’échelle territoriale ». Le plan doit-il être élaboré en association avec les parties prenantes de la société ? Si oui, lesquelles ? Ou s’agit-il simplement d’une faculté laissée à l’appréciation de la société ? Je m’interroge, au demeurant, sur la normativité de cette disposition, alors que le Conseil constitutionnel vient de rappeler son attachement au caractère normatif de la loi. Je l’avais déjà indiqué en première lecture, les imprécisions et ambiguïtés de la rédaction peuvent porter atteinte au principe de clarté de la loi.
Les autres difficultés constitutionnelles, soulignées dès la première lecture, relatives au régime de l’amende civile et au régime de responsabilité persistent, voire sont aggravées par la rédaction adoptée en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.
D’une part, s’agissant de l’amende civile encourue par la société en cas de manquement à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, la rédaction précise désormais que le montant de l’amende civile est fixé par le juge afin de se prémunir d’un risque constitutionnel au regard du principe d’individualisation des peines. Pour autant, le montant manifestement disproportionné de l’amende encourue soulève un problème sérieux de constitutionnalité. Il constitue en lui-même une atteinte aux principes constitutionnels de proportionnalité et de nécessité des peines. Une sanction ayant le caractère d’une punition doit respecter les principes du droit pénal. En l’espèce, même si elle est prononcée par le juge civil à l’occasion d’un litige entre personnes privées sur l’élaboration ou le contenu du plan de vigilance, cette amende n’en revêt pas moins le caractère d’une punition.
D’autre part, s’agissant du régime spécifique de responsabilité prévu par le texte en cas de dommage susceptible de résulter d’un manquement à l’obligation d’établir, de rendre public et de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, la rédaction retenue par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture aggrave le risque constitutionnel. Cette rédaction dispose que, dans les conditions prévues par le code civil, le manquement à ces obligations « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter ».
Une telle formulation soulève une difficulté constitutionnelle plus grande en raison de sa portée incertaine et ambiguë et de la rupture potentielle qu’elle représente avec le principe de responsabilité tel que l’a consacré le Conseil constitutionnel, en dénaturant le lien de causalité entre la faute et le dommage et en pouvant faire naître un régime de responsabilité du fait de la faute d’autrui.
Si l’on pouvait prétendre que la rédaction antérieure se bornait à appliquer le droit commun de la responsabilité – à tort selon moi, car il était possible d’en faire une interprétation extensive en raison de son ambiguïté –, cette nouvelle rédaction va plus loin.
Comme je l’ai dit en deuxième lecture, le texte peut être compris, dans son ambiguïté, comme instaurant implicitement un régime de responsabilité pour la faute d’autrui, lequel serait évidemment contraire au principe constitutionnel de responsabilité.
Le texte adopté en nouvelle lecture va plus loin et heurte davantage la conception traditionnelle et constitutionnelle du principe de responsabilité en allant au-delà de la simple responsabilité pour négligence, admise par le code civil.
En outre, la mise en demeure adressée à une société de remplir ses obligations en matière de plan de vigilance, si elle peut être adressée par une association, et l’engagement de l’action en responsabilité, dans la même hypothèse, a priori pour le compte de tiers victimes d’un préjudice, semblent heurter le principe juridique traditionnel selon lequel nul ne plaide par procureur, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu une certaine valeur, en étant très rigoureux sur les conditions permettant à une organisation d’agir en justice pour le compte d’une autre personne, exigeant notamment le consentement de celle-ci.
Enfin, l’entrée en vigueur différée de ce nouveau dispositif, introduite par le Sénat en deuxième lecture, a été approuvée dans son principe par l’Assemblée nationale, selon des modalités différentes et dans une rédaction à l’interprétation délicate. En effet, l’obligation d’établir, de publier et de mettre en œuvre un plan de vigilance, assortie des sanctions afférentes et du régime de responsabilité, s’appliquerait « à compter du rapport […] portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la présente loi », c’est-à-dire le rapport présenté à l’assemblée générale des actionnaires en 2019, lequel portera sur l’exercice 2018, premier exercice postérieur si la loi est publiée en 2017.
Mais que signifie une application « à compter d’un rapport » ? Serait-ce à compter de la publication de ce rapport ? Le Sénat avait retenu cette formulation en deuxième lecture, car il avait modifié le texte en prévoyant une obligation de publication sur les risques et les mesures de vigilance destinées à les prévenir dans le rapport du conseil. Cette formulation n’est plus adaptée au texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Ainsi, outre les objections de nature économique et pratique, toujours pleinement valables, les dispositions essentielles de la présente proposition de loi demeurent affectées par de sérieux problèmes constitutionnels que nos collègues députés n’ont pas voulu prendre en compte. L’ambition généreuse qui anime les auteurs de cette proposition de loi ne saurait conduire le législateur à méconnaître les exigences du droit.
Si les grandes entreprises françaises doivent évidemment veiller aux conséquences sociales et environnementales de leur activité économique, les obligations qui peuvent leur être imposées doivent être raisonnables et proportionnées. Elles ne sauraient se substituer à des législations étrangères insuffisantes ou à des États défaillants pour protéger leur population.
En tout état de cause, il est peu probable qu’une telle législation, si elle était adoptée par la France, conduise à une amélioration de la situation sociale et environnementale des pays en développement, où sont installés nombre de sous-traitants de multinationales occidentales, ou fasse évoluer la législation de ces pays. En revanche, elle ne manquerait pas de perturber profondément le tissu économique français.
Puisque les députés ont voulu conserver leur approche punitive, il est vain de persister dans notre approche de conciliation en tentant d’apporter au texte des améliorations et des clarifications. En conséquence, eu égard aux graves risques constitutionnels que recèle toujours le texte adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, je proposerai au Sénat l’adoption d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)