Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos ne seront guère différents de ceux que j’ai déjà tenus à plusieurs reprises sur ce texte. J’indiquais notamment combien il était malaisé d’analyser les initiatives ayant l’apparence de la supériorité morale. Les meilleures volontés, nous le savons bien, peuvent être à l’origine d’un véritable cauchemar, surtout lorsqu’elles se manifestent dans un domaine saturé d’émotion. Or l’émotion était vive lors du drame du Rana Plaza !
Aussi noble que soit ce texte, il n’aurait pas empêché un tel drame : une réponse franco-française est totalement inadaptée, surtout quand les choses évoluent continuellement aux plans européen et international. C’est pourquoi une réponse européenne et internationale est nécessaire. C’est le cas avec les principes directeurs de l’OCDE, relayés par les points de contact nationaux, les PCN, qui aident les entreprises et leurs parties prenantes à adopter une conduite responsable dans la chaîne d’approvisionnement. Le drame du Rana Plaza avait d’ailleurs donné lieu à la saisine du PCN français. Celui-ci avait rendu son rapport dès décembre 2013. Il comprenait des recommandations et des propositions pour faire évoluer les pratiques des entreprises françaises, sur la base d’un dialogue et d’un consensus entre les différentes parties : syndicat, administration, entreprise.
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France ne transpose-t-elle pas la directive européenne du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations extrafinancières ? Celle-ci prévoit la promotion de plans de vigilance fondés sur le principe « appliquer ou expliquer » : les sociétés ne mettant pas en œuvre de politique dans un ou plusieurs des domaines visés – informations environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption – devront s’en justifier publiquement. C’est là un mécanisme à la fois responsable et incitatif.
En anticipant sur la publication de cette directive et en élargissant le champ d’application des dispositifs prévus, les auteurs de ce texte infligent aux entreprises françaises des obligations qui n’existent nulle part ailleurs en Europe, plaçant ainsi celles-ci dans une position non concurrentielle.
Une réponse franco-française à la question posée n’est pas adaptée. C’est bien là l’erreur majeure du présent texte !
Je rappelle d’ailleurs que les entreprises françaises ont d’excellents résultats en matière de RSE, ou responsabilité sociétale des entreprises. Une étude du mois de mars 2015, menée par EcoVadis et la médiation interentreprises, montre que la France fait figure de leader mondial en la matière : « 47 % des entreprises françaises ont un système de management de la RSE considéré comme performant et exemplaire » ; cette proportion est de 40 % en moyenne dans l’OCDE et de 15 % seulement dans le groupe des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
Le dispositif proposé aurait un effet pervers sur les entreprises françaises, tant pour les multinationales que pour les PME. Il entraînerait pour elles un désavantage compétitif supplémentaire, et ferait courir le risque, à terme, d’une suppression d’emplois en France. La situation de l’emploi est-elle si florissante ? Les entreprises françaises sont-elles en si bonne santé ?
Le cabinet ATEXO, que la délégation aux entreprises a chargé d’une étude sur la portée économique de cette proposition de loi, a estimé que cette dernière concernerait entre 146 et 243 entreprises, auxquelles il faudrait ajouter leurs filiales, directes ou indirectes. Le chiffre peut paraître faible, mais ces 243 entreprises représentent en réalité plus de 4 millions de salariés, plus de 33 % de la valeur ajoutée produite en France et plus de 50 % du chiffre d’affaires à l’export ! Il est donc aisé de comprendre que la proposition de loi aurait un effet sur de très larges pans de l’économie française.
En outre, sur le plan pratique, les entreprises seraient confrontées à l’impossibilité de mettre en œuvre cette obligation de vigilance sur toute leur chaîne de sous-traitants et de fournisseurs. Telle est la réalité, en particulier, pour les TPE et PME françaises. Ces entreprises seraient contraintes de demander des garanties et des plans de vigilance en cascade, créant un poids administratif et financier supplémentaire. Serait ainsi soulevée une chaîne de responsabilités complexes ouvrant la perspective de nombreux contentieux – l’apparition d’un dommage dans la chaîne de sous-traitance serait en effet la preuve de l’insuffisance de l’entreprise, qui n’aurait pas été en mesure de le prévenir.
Or les entreprises françaises ne cessent d’attirer notre attention sur le poids du fardeau administratif, qu’elles nous demandent avec insistance d’alléger.
Par ailleurs, les fragilités juridiques du texte sont nombreuses. Nous les avons soulignées au fil des débats. Nous avons également mis en exergue les principes constitutionnels que cette proposition de loi heurtait.
Quoi qu’il en soit, le groupe Les Républicains du Sénat ne peut soutenir un texte qui promeut une vision idéologique de l’entreprise. Évitons la caricature d’un chef d’entreprise irresponsable et irrespectueux du droit de la protection des salariés et de l’environnement !
Nous partageons tous le constat du manque de compétitivité des entreprises françaises ; ne leur mettons pas au pied, avec un tel texte, des boulets supplémentaires ! Ce qu’elles nous demandent, comme nous le constatons à longueur de visites de la délégation aux entreprises, c’est de les laisser travailler en toute responsabilité.
De grâce, écoutons-les ! Ce sont elles qui, dans nos territoires, créent la richesse et l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, mes chers collègues, tous les groupes de cette assemblée ont conclu un gentlemen’s agreement en vertu duquel, lorsqu’une proposition de loi est déposée, aucune motion de procédure – question préalable, exception d’irrecevabilité ou autre – ne vient entraver le débat démocratique. À défaut d’un tel accord, l’opposition ne pourrait jamais déposer une seule proposition de loi !
Mme Éliane Assassi. Bien entendu !
M. Didier Guillaume. Hier, nous avons examiné la proposition de loi de MM. Retailleau et Buffet tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale. Le groupe socialiste et républicain avait déposé une motion tendant à opposer la question préalable ; après en avoir discuté avec le président du Sénat, et à sa demande ainsi qu’à celle du président Retailleau, notre groupe a défendu, mais ensuite retiré cette motion, afin de laisser le débat avoir lieu.
Aussi, je m’étonne qu’une motion de cette nature ait été déposée sur le texte que nous examinons cet après-midi, au mépris de nos usages constants, des méthodes que nous avons souhaité adopter afin de travailler en toute sérénité, au mépris, aussi, du respect de la minorité et de l’opposition. Les textes doivent pouvoir être discutés !
Je prends acte du dépôt de cette motion ; je souhaite néanmoins que le président du Sénat puisse intervenir, à l’occasion d’une prochaine séance, afin que nous tirions les choses au clair une fois pour toutes.
Certes, l’usage auquel je fais référence ne figure pas dans le règlement du Sénat ; mais nous l’avions évoqué, voilà plusieurs mois, lors de la discussion, quelque peu tendue, d’une motion. Si des motions tendant à opposer la question préalable ou l’exception d’irrecevabilité sont systématiquement déposées sur les propositions de loi présentées, le droit des parlementaires de proposer, de légiférer et le droit des groupes politiques de s’exprimer sont battus en brèche.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Didier Guillaume. Cela me semble assez grave !
Nous comprenons votre position sur le présent texte, chers collègues de la majorité sénatoriale ; en revanche, au nom de notre groupe et peut-être aussi d’autres groupes, …
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Didier Guillaume. … nous demandons qu’une explication soit donnée par le président du Sénat. Si tel n’était pas le cas, chacun prendrait ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. Mon cher collègue, acte vous est donné de ce rappel au règlement, que je transmettrai, bien entendu, au président du Sénat.
La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des lois.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Guillaume, je voudrais préciser la teneur du gentlemen’s agreement que vous évoquez : il s’applique aux propositions de loi d’initiative sénatoriale, et seulement en première lecture !
Si l’on se réfère à ce dont il a été pris acte en conférence des présidents, rien n’interdit, aujourd’hui, sur le présent texte, le dépôt d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Cette proposition de loi n’est pas d’initiative sénatoriale.
M. Didier Guillaume. Pas de motion au cours des espaces réservés : c’est ce dont nous étions convenus !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Votre rappel au règlement, monsieur Guillaume, est inutile : il n’entre absolument pas dans le cadre du règlement !
M. Didier Guillaume. Il s’agit non pas du règlement, mais d’un gentlemen’s agreement concernant les espaces réservés aux groupes politiques !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Le gentlemen’s agreement ne s’applique qu’en première lecture aux propositions de loi d’initiative sénatoriale. La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui émane de l’Assemblée nationale !
Je souhaite qu’il soit inscrit au compte rendu que ce rappel au règlement, monsieur Guillaume, est injustifié !
M. Didier Guillaume. Madame Troendlé, ce que vous dites est erroné ! L’accord portait sur les espaces réservés !
Mme la présidente. Mes chers collègues, le président du Sénat sera informé de ce débat.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Frassa, au nom de la commission, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 159, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie, contre la motion.
M. Didier Marie. S’agissant de la constitutionnalité de la proposition de loi que nous examinons, tout me semble avoir été dit. Le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale, que nous avons inscrit dans notre espace réservé et qui aurait dû être discuté dans le respect des traditions de la Haute Assemblée, répond à l’ensemble des demandes formulées par M. le rapporteur.
Je reprends un argument déjà évoqué : si vous considérez, monsieur le rapporteur, que ce texte n’est pas conforme à la Constitution, rien ne vous empêche, à l’issue de son adoption, en lecture définitive, par l’Assemblée nationale, de saisir le Conseil constitutionnel,…
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. N’ayez crainte !
M. Didier Marie. … qui, dans sa grande sagesse, statuera. Nous ne comprenons pas que vous ne vous saisissiez pas plutôt de cette possibilité.
De notre point de vue, toutes les garanties ont été apportées. Je les ai rappelées une à une en intervenant dans la discussion générale. Ces précisions ont été préparées et discutées avec le Gouvernement, qui a donc pleinement participé à l’introduction dans le texte des éléments complémentaires dont vous souhaitiez la mention, chers collègues de la majorité sénatoriale.
Votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité n’est qu’un paravent de procédure visant à masquer une posture idéologique que nous dénonçons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vous l’avez compris : le Gouvernement est défavorable à cette motion.
Quelle que soit la légitimité des interrogations soulevées sur quelques points juridiques – nous avons nous-mêmes formulé un certain nombre d’observations lors des travaux parlementaires –, nous estimons que la cause et les objectifs poursuivis méritent qu’un tel texte soit discuté. Le signe qui serait ainsi adressé, en direction tant des ONG que des entreprises, en France, mais aussi à l’échelon européen, voire mondial, est essentiel.
Le Gouvernement aurait donc souhaité que ce texte puisse être examiné, voire amélioré par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Dès la première lecture de la présente proposition de loi au Sénat, le groupe Les Républicains avait émis de sérieux doutes sur la constitutionnalité de ce texte. Les débats qui se sont déroulés, tant à l’Assemblée nationale que dans cette enceinte même, ne font que nous conforter dans la certitude de l’inconstitutionnalité de celui-ci.
Cette proposition de loi est bien contraire à la Constitution, pour quatre motifs essentiels.
Elle méconnaît d’abord les principes d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Aucune entreprise n’a les moyens de savoir ni ce que doit comporter le plan de vigilance ni quelles sont les mesures de « vigilance raisonnable » qui doivent être mises en œuvre.
Le renvoi à un décret ne règle pas cette question ; il constitue au contraire, et manifestement, un cas d’incompétence négative du législateur. Le Conseil constitutionnel a récemment censuré, pour ce motif, une disposition renvoyant à un décret.
L’article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale tombe sous le coup du grief d’incompétence né de l’article 34 de la Constitution.
En outre, la proposition de loi viole les exigences constitutionnelles applicables en matière de sanctions : le Conseil constitutionnel a rappelé à plusieurs reprises que le principe de légalité des délits et des peines s’applique aux amendes civiles lorsqu’elles ont la nature de sanctions ayant le caractère d’une punition. Il a décidé que les principes découlant des articles VIII et IX de la Déclaration de 1789 sont applicables à ces amendes.
L’amende civile prévue par le texte de l’Assemblée nationale, laquelle peut aller jusqu’à 10 millions d’euros, constitue une sanction ; elle doit donc respecter le principe de légalité pénale. Une telle obligation implique un impératif de précision, que le texte ne respecte pas, ni en matière de définition du champ d’application ni en matière de qualification juridique de l’infraction et du référentiel applicable.
De la même façon, le texte ignore le principe constitutionnel d’égalité. En effet, seules les entreprises dont le siège est domicilié en France seront affectées par ce texte. Celles de leurs concurrentes dont les sièges sociaux sont établis hors de France pourront continuer à vendre sur le territoire français des produits ne répondant pas aux mêmes exigences.
Enfin, la proposition de loi se heurte à la garantie des droits. Lorsqu’un dommage surviendra du fait d’une filiale ou d’un sous-traitant, les sociétés mères seront considérées comme coupables de ne pas avoir conçu ou mis en œuvre un plan de vigilance suffisant. Mais elles ne disposeront d’aucune possibilité de dégager leur responsabilité en démontrant leur absence d’implication ou de faute.
Je ne développerai pas davantage mon propos ; mon collègue Christophe-André Frassa l’a très bien fait.
Vous l’aurez compris : le groupe Les Républicains votera pour la motion. (M. le rapporteur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon groupe votera bien entendu contre cette motion.
Les arguments que vous avez donnés, madame la vice-présidente de la commission des lois, ne nous paraissent absolument pas pertinents. Il s’agit d’une proposition de loi d’initiative parlementaire inscrite à l’ordre du jour d’un espace réservé. Que le texte vienne de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ce temps est réservé ! Si nous nous mettons à déposer des motions de procédure – il en est de trois types – dans le cadre de ces créneaux réservés, autant dire que les groupes minoritaires et d’opposition se verront systématiquement barrer la route lorsqu’ils proposeront l’examen d’un texte, quel qu’il soit.
Quoi qu’il en soit de la lettre, madame la vice-présidente de la commission, cette pratique nous semble tout à fait contraire à l’esprit de notre règlement et inacceptable, au nom des relations démocratiques, justes et respectueuses entre les groupes politiques du Sénat, d’autant plus que, comme l’a fait remarquer Didier Guillaume, nous avons nous-mêmes retiré, hier, notre motion tendant à opposer la question préalable, afin de respecter, précisément, ces règles de bonne conduite entre nous. J’y insiste avec beaucoup de force !
Pour ce qui est du texte lui-même, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de le dire : il est essentiel ! Il a pour objet la responsabilité des entreprises à l’égard de nombreux êtres humains vivant dans la misère. Nous ne pouvons, de ce point de vue, oublier ce qui s’est passé au Bangladesh ni occulter, de manière plus générale, la réalité de l’exploitation.
Lorsque Victor Schœlcher, qui siégeait dans cet hémicycle, présenta un décret pour abolir l’esclavage, on lui répondit qu’un tel décret pénaliserait les entreprises françaises. Naturellement, dès lors qu’il restait possible partout, sauf en France, de recourir à l’esclavage, un problème de compétitivité économique se posait.
Notre position est une position éthique, de justice ; nous considérons que la France, sur un tel sujet, doit montrer la voie, ouvrir un chemin. C’est pourquoi nous sommes très attachés à ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la vice-présidente de la commission des lois.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. Madame la présidente, mes chers collègues, je me permets de vous lire le compte rendu de la réunion de la conférence des présidents du mois de mars 2016. Monsieur Guillaume, vous y avez siégé !
« Pour les propositions de loi sénatoriales inscrites en première lecture dans les espaces réservés et sauf accord du groupe auteur de la demande d’inscription :
« La commission ne peut modifier le texte de la proposition de loi (et, à défaut, elle ne peut que le rejeter pour permettre son examen article par article en séance publique).
« La commission et les sénateurs s’abstiennent de déposer :
« l’exception d’irrecevabilité même si, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, doit être préservée la possibilité effective, pour les parlementaires, de contester la conformité à la Constitution des dispositions d’un texte ;
« la question préalable ;
« la motion de renvoi en commission ou la motion préjudicielle, qui ont pour effet de suspendre la navette et pourraient être considérées comme contradictoires avec le droit des groupes à voir discuter en séance les sujets qu’ils proposent dans leur espace réservé.
« Pour permettre le débat en séance publique, le texte est examiné article par article.
« Pour tous les autres textes inscrits dans les espaces réservés :
« Commissions et sénateurs peuvent exercer la plénitude de leur droit d’amendement.
« Exception d’irrecevabilité et question préalable sont recevables à chaque stade de la procédure. Elles peuvent être discutées après la discussion générale si le groupe auteur de la demande d’inscription le souhaite.
« La commission et les sénateurs s’abstiennent, sauf accord du groupe auteur de la demande d’inscription, de déposer la motion de renvoi en commission ou la motion préjudicielle, qui ont pour effet de suspendre la navette et pourraient être considérées comme contradictoires avec le droit des groupes à voir discuter en séance les sujets qu’ils proposent dans leur espace réservé. »
Voici le compte rendu, mot pour mot, de la réunion de la conférence des présidents. Monsieur Guillaume, je vous rappelle que vous y étiez !
M. Didier Guillaume. Empêcher l’opposition de débattre, cela s’appelle du sectarisme !
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois. C’est ce qui est écrit !
Mme la présidente. Restons-en là pour l’instant, mes chers collègues. Nous reviendrons ultérieurement sur le sujet.
Dans la suite des explications de vote sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Alain Bertrand.
M. Alain Bertrand. Le RDSE, qui est un très grand groupe, est particulièrement attaché au maintien des espaces réservés, au respect du droit pour les parlementaires de présenter des propositions de loi, et au « gentlemen-and-women’s agreement », que j’évoque dans un anglais parfait ! (Rires.)
N’oublions pas que la France fut, historiquement, l’un des premiers pays industriels au monde, avec l’Angleterre et quelques autres, ce qui nous confère une responsabilité particulière. Nous aurions très bien pu examiner ce texte, en débattre, et trancher par un vote. La Haute Assemblée a suffisamment de hauteur de vues pour cela !
En tout cas, le RDSE est très largement favorable à la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Je n’entrerai pas dans le débat sur le gentlemen’s agreement. Je souhaite simplement dire de nouveau que le présent texte, s’il n’est pas sans lacune ni sans imperfection, va néanmoins dans le bon sens. Si nous avions pu en discuter posément, nous l’aurions soutenu.
Mes chers collègues, je sais que cette remarque va faire sourire certains d’entre vous et en agacer d’autres, mais nous ne sommes plus entre nous : des centaines, voire des milliers d’internautes – la direction de la communication du Sénat saurait nous le dire – suivent nos débats en direct sur le site de notre assemblée. À l’avenir, il serait donc préférable que nous discutions de tous les textes présentés.
Vous nous prêtez des positions caricaturales sur l’entreprise ? Nous vous reprochons de manquer d’ambition sur les droits humains ? Soit ! La présente proposition de loi est un texte politique ; évidemment, son examen ne va pas sans postures ! Évidemment, il existe entre nous des désaccords très profonds. Nous l’assumons totalement !
Mais nous avons été élus pour cela, mes chers collègues : pour écrire des lois servant l’intérêt général, pour tenter de définir entre nous une ligne de conduite commune.
Je visitais récemment un établissement scolaire, et je retourne demain dans un lycée – j’en profite pour saluer les élèves du lycée Renoir d’Angers. Les enseignants organisent régulièrement des débats sur l’élaboration de la loi, sur le rôle du Sénat, sur l’utilité des parlementaires. Au regard des événements qui saturent les chaînes d’actualité depuis une semaine – je le dis très posément, sans donner de leçons à quiconque –, pouvons-nous vraiment nous payer le luxe de conclure, s’agissant d’un texte aussi important : « Circulez, il n’y a rien à voir, un risque d’inconstitutionnalité se pose, et, de toute façon, ce n’est pas ″top″ pour la santé des entreprises » ?
Nous n’en sommes plus là ! Et je regrette sincèrement, mes chers collègues, d’avoir échoué à vous convaincre que nous aurions dû, au moins, en discuter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d'irrecevabilité et dont l’adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 93 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 155 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est rejetée.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)